Phnom Penh ou la métropolisation dépendante : entre processus d’urbanisation et stratégie d’aménagement
p. 25-73
Texte intégral
1Dans cette période aujourd’hui décisive, Phnom Penh est placée devant la question de son devenir : l’élaboration de son schéma directeur à l’horizon 2020 (Huybrechts, 2004) et les conditions de sa mise en œuvre (Blancot, 2009-2010) confrontent la capitale du Cambodge à la réalité des moyens dont elle dispose. Pour une capitale en position seconde par rapport aux pôles urbains majeurs de l’Extrême-Orient, ces moyens conditionnent son intégration économique dans le contexte d’une mondialisation régionalisée1.
2Phnom Penh se détache à peine – et non sans difficulté – du poids d’une histoire récente, celle d’une évacuation meurtrière allant jusqu’à la volonté d’effacement de toute réalité urbaine (1975-1979), suivi d’un repeuplement progressif en vase clos, dans un contexte de stagnation de l’économie urbaine, sous régime de protectorat vietnamien et de quasi-embargo international (1979-1989), puis d’une mise sous perfusion sous l’égide de l’ONU. Elle est entrée, depuis les années 1990, dans un processus parfois chaotique de reconstitution institutionnelle et sociale plus encore que de reconstruction physique (Blancot et Goldblum, 1994).
3La relative coïncidence – non fortuite – entre cette reconstitution urbaine et l’ouverture du pays sur les échanges internationaux ne doit cependant pas occulter le contexte dans lequel ces changements interviennent et dont, à divers titres, ils participent. Sont notamment à prendre en compte : la mondialisation des conditions de production et d’échange à l’échelle planétaire placée sous le signe de la libéralisation (déréglementation, privatisation...), le rôle prépondérant joué par la zone Asie-Pacifique (notamment à travers les pays émergents de l’Asie de l’Est et du Sud-Est), et par le poids spécifique qu’acquièrent les États-continents asiatiques (la Chine et l’Inde) dans cette nouvelle donne de l’économie mondiale, enfin la place des agglomérations dans cette dynamique et les agencements spatiaux auxquels ces évolutions donnent lieu et forme.
4C’est effectivement par rapport à ce contexte qu’il convient d’examiner – dans son état présent et en tendance – la façon dont Phnom Penh s’accommode des contraintes liées aux agencements spatiaux requis par cette dynamique d’intégration ; destinés à réduire, sur le plan morphologique, le décalage que présente la capitale cambodgienne par rapport aux formes canoniques de la modernité urbaine promues dans les villes phares de l’Asie du Sud-Est (Singapour et Bangkok, en particulier), ces agencements esquissent ainsi les traits d’une métropolisation à l’état d’ébauche.
Singularités urbanistiques et ruptures historiques : atouts et aléas d’une transition
5Phnom Penh occupe une position complexe dans son environnement urbain : sur le plan national, c’est de loin la ville la plus peuplée du pays avec une population estimée à 1,2 million habitants à la fin de la décennie 2000, près d’1,5 million en intégrant les zones urbanisées de la proche périphérie, soit environ 10 % de la population totale du pays2. Sise dans un bassin d’environ six millions d’habitants, elle demeure cependant une capitale de dimension modeste à l’échelle des métropoles de l’ASEAN, tant par sa surface urbanisée (environ 110 km² pour une agglomération couvrant 375 km² – à peine plus de la moitié de la surface de Singapour) que par son peuplement urbain stricto sensu (environ 700 000 habitants, soit un peu plus de la moitié de la population habitant à l’intérieur du périmètre administratif de l’agglomération).
6Unique ville millionnaire et principal pôle économique du pays, la capitale cambodgienne concentre 56 % de la population urbaine nationale, Battambang, Siem Reap et Mongkol Borei [Sisophon] étant les seules parmi les autres agglomérations à dépasser les 100 000 habitants. Phnom Penh partage cette position primatiale avec plusieurs capitales de l’Asie du Sud-Est, notamment Bangkok, mais dans un contexte urbain national caractérisé, jusqu’au début de la décennie, par la faiblesse du taux d’urbanisation : estimé à 15,7 % pour l’année 1998 par l’Institut National de la Statistique, par rapport à une moyenne voisine de 30 % à l’échelle de l’Asie du Sud-Est, ce taux connaît cependant un sensible effet de rattrapage et avoisinerait les 20 % à la fin de la décennie. La très forte concentration de la population urbaine à Phnom Penh s’accompagne d’une forte concentration des activités industrielles et de services dans la capitale et dans sa proche périphérie ; l’agglomération contribue ainsi à plus de 30 % du PIB national avec une croissance de l’ordre de 15 % par an entre 1998 et 2000 et de 12 % par an depuis 2000. Mais, désormais, les villes secondaires situées sur les principaux axes de communication du pays, telles que Sihanoukville et Poïpet, contribuent fortement à l’intensification de l’urbanisation à l’échelle nationale avec des taux respectifs de 14 % et 20 % par an3 (voir carte 2.1).
7La population rurale demeure très majoritaire au Cambodge et l’agriculture y représente encore environ 65 % des emplois en 2004 ; la transition urbaine n’en est pas moins amorcée : alors que l’emploi agricole régresse en valeur relative (il était estimé à 81 % en 1993 et à 74,6 % en 1999), l’emploi industriel marque une forte progression, passant de 3 % en 1993 à 10,5 % en 2002, en phase avec la contribution de l’industrie au PIB qui passe de 12,5 % à 26,3 % pour la même période (et atteint 28,9 % en 2004). Les effets de cette transition demeurent encore limités sur le plan démographique et sur le plan des formes d’habitat, mais les effets combinés des flux migratoires endogènes et des flux économiques exogènes sont, pour partie, prévisibles et leur confrontation commande déjà, comme le relève Osborne (2007), de fortes tensions foncières.
Images modernes d’une petite capitale sud-est asiatique
8Phnom Penh figure, certes, en position seconde par rapport aux deux métropoles les plus proches – Bangkok et Hô Chi Minh-Ville (distantes respectivement de quelque 700 km et de 230 km de la capitale cambodgienne par la route) – et à la marge du réseau des grandes métropoles asiatiques, le poids économique relatif des principaux partenaires commerciaux asiatiques du Cambodge (Hong Kong, Chine, Thaïlande, Taïwan pour les importations ; Hong Kong, Singapour et Viêt Nam pour les exportations) marquant sa position dans les circuits d’échanges internationaux. Elle n’en occupe pas moins une place singulière dans l’univers des grandes métropoles de l’Asie du Sud-Est, y compris sous l’aspect de leur internationalisation (Goldblum, 2000).
9Héritière à sa manière des splendeurs d’Angkor (Chandler, 2006) et de certaines marques de la politique de grandeur de la colonisation française en Indochine (Wright et Rabinow, 1982 ; Wright, 1991), la capitale cambodgienne – bien que qualifiée par Pierre Loti de « ville de sous-préfecture » – s’est signalée, après l’indépendance de 1953-1954, par une remarquable politique d’équipement jouant un rôle structurant dans le développement urbain (stade et cité sportive ; bâtiments gouvernementaux et universitaires, jalons sur l’axe de l’aéroport international) et par le traitement des espaces publics (esplanade du Bassac, aménagement paysager autour du Monument de l’Indépendance). Il est à noter que ces réalisations se sont exprimées en référence aux conceptions du mouvement moderne en architecture, tout en y associant certaines références architecturales angkoriennes pour donner naissance à un style dit néo-khmer (cf. Grant, Ross and Collins, 2006 ; Ly and Muan, 2001).
10Ce vaste programme d’équipement de la capitale s’articule aux programmes de grands travaux concernant les infrastructures de transport – infrastructures de portée internationale avec la réalisation de l’aéroport international de Pochentong et du port maritime de Sihanoukville (à 270 km de la capitale) ; infrastructures de portée nationale avec l’amélioration et l’extension du réseau routier. Ces divers programmes bénéficient du soutien d’aides bilatérales : États-Unis (jusqu’à la suspension de 1963, préludant à la rupture des relations diplomatiques du milieu des années 1960), Union soviétique, Chine, Tchécoslovaquie, France (Prud’homme, 1969, p. 15 ; p. 230-240).
11Ces éléments de morphologie architecturale et urbaine ont participé au rayonnement du Cambodge en matière de politique internationale et régionale, en relation avec sa position originale de pays « non aligné » à l’ère de la politique des blocs, se revendiquant d’un « socialisme khmer » d’inspiration bouddhique quant à son principe de gouvernement (tel qu’exprimé dans la formule d’une communauté populaire : Sangkum Reastr Niyum). L’originalité de cette position géopolitique trouve son expression symbolique condensée dans le complexe sportif national, appelé « Stade Olympique » : prévu initialement pour accueillir les Jeux de l’Asie du Sud-Est péninsulaire de 1963, évènement annulé en raison de la situation politique, ce complexe sportif, achevé en 1964, a en définitive accueilli les éphémères jeux asiatiques des « nouvelles forces émergentes » (Asian Games of the New Emerging Forces – GANEFO) de décembre 1966, après avoir vu, le 1er septembre de la même année, son stade érigé en forum pour le fameux discours de Phnom Penh du général De Gaulle.
12Quatre ans plus tard, le Cambodge sombrait dans la seconde guerre d’Indochine : après avoir subi l’afflux de réfugiés (1970-1975), portant sa population de 900 000 à plus de deux millions d’habitants, la capitale subissait les effets dévastateurs d’une évacuation meurtrière et d’une mise en déshérence sous le régime khmer rouge dont elle porte encore les stigmates (Clément-Charpentier, 2008). C’est alors d’autres signes que s’est chargée son image internationale, celle-ci semblant vouée à assumer, dans le temps présent, des situations extrêmes tout en apparaissant, en tant que capitale nationale, comme la dépositaire du lourd héritage des splendeurs d’Angkor.
13Pôle de rencontres diplomatiques entre Ouest et Est, mais aussi au sein des frères ennemis du bloc socialiste du temps de sa neutralité revendiquée (du milieu des années 1950 à la seconde moitié des années 1960), la capitale d’un pays mis au ban de la représentation internationale4 est devenue, un temps, un espace de manœuvre pour les organisations non gouvernementales et de solidarité internationale (ONG et OSI constituant les uniques ouvertures sur l’aide internationale dans les années 1980). Phnom Penh accueille – au début des années 1990 – la force de paix de l’ONU : Autorité Provisoire des Nations Unies au Cambodge (APRONUC) pour la mise en place du dispositif électoral prévu dans le cadre des accords de Paris d’octobre 1991. Redevenue capitale d’une monarchie parlementaire suite à l’adoption de la Constitution de 1993, Phnom Penh retrouve alors son statut sur le plan de la représentation et de la coopération internationale, y compris européenne (programme AsiaUrbs, en particulier) – avec une coopération décentralisée française (ville de Paris, région Ile-de-France) particulièrement active dans la mise en place des institutions et outils du développement urbain (contribution à l’instauration d’un Bureau des Affaires urbaines auprès de la Municipalité, ainsi qu’à l’élaboration d’un avant-projet de schéma directeur).
Les fonctions internationales de la capitale dans la reconquête urbaine
14Dans cette phase, le retour du Cambodge dans le concert des nations et son intégration au sein des organismes de coopération régionale : Comité du Mékong (Mekong River Commission – MRC) en avril 1995 ; Association des Nations du Sud-Est asiatique (Association of South-East Asian Nations - ASEAN) en avril 1999 ; [Sous-] Région du Grand Mékong (Greater Mekong Subregion – GMS) en novembre 2002, la capitale s’est engagée dans une dynamique d’adaptation – voire de rattrapage – sur le plan du développement urbain, combinant à nouveau dimension internationale et forme urbaine. Mais le contexte de métropolisation relatif aux grandes agglomérations de la région dans lequel désormais ce processus se profile, impose un regard rétroprospectif pour appréhender les évolutions dimensionnelles et fonctionnelles qui marquent l’insertion de Phnom Penh dans ce contexte. Les effets d’une métropolisation embryonnaire sont ici approchés dans deux dimensions majeures, à savoir la centralité urbaine et les relations centre-périphérie, en référence aux formes qui, en Asie du Sud-Est, la caractérisent, une attention particulière étant portée aux aspects typo-morphologiques et aux effets de l’internationalisation de la production urbaine. Cette dernière est entendue à la fois du point de vue des acteurs (promotion, financement au titre de l’aide publique au développement ou des investissements directs étrangers) et des destinataires (usage, fonctions, affectation des édifices et des sols), mais aussi des logiques économiques et conceptions urbanistiques à l’œuvre.
15L’observation porte, en premier lieu, sur les espaces centraux, en raison de leur statut privilégié quant à l’intégration des fonctions internationales et de leur rôle matriciel dans l’internationalisation de la production urbaine, comme en témoignent l’importance et la nature des projets urbains centraux. Ainsi, les quatre districts (khan) centraux comptent pour 85 des 275 projets d’investissement déclarés pour la période de 1994-2003 ; avec un montant représentant près de 60 % du montant total des investissements projetés, ces projets centraux devaient contribuer à la création de 32 000 nouveaux emplois. Le redimensionnement du centre de Phnom Penh, dans la perspective de l’intégration de nouvelles fonctions (notamment avec l’aménagement de l’espace lacustre du Boeung Kak) et de ses articulations fonctionnelles à l’échelle d’une agglomération dont les excroissances progressent visiblement comme la taille des opérations qui les portent (effets de franchissement sur la presqu’île de Chruy Changvar, voire sur la rive orientale du Mékong, en particulier), gagne également à être éclairé de ce point de vue.
16En fait, le noyau central de l’agglomération – correspondant aujourd’hui sensiblement aux quatre districts centraux – a pour particularité de maintenir une tripartition originelle entre ce qu’il est convenu d’appeler, dans la période du Protectorat, le quartier français, le quartier chinois et le quartier cambodgien (Hébrard, 1932 ; Goulin, 1966). Se succédant dans cet ordre du nord au sud le long du fleuve (Tonlé Sap) en direction de la confluence dite des Quatre-Bras, ces trois parties, au-delà de cette désignation ethnique, présentaient chacune des caractéristiques fonctionnelles propres. À chacune étaient associés des types d’édifices et des tracés viaires spécifiques : villas coloniales, bâtiments administratifs (la Poste) et militaires, équipements de santé (hôpital Calmette), touristiques (hôtel Le Royal), de loisirs (Cercle sportif), culturels (lycée Descartes) ou cultuels (cathédrale) desservis par un maillage aéré de voies pour le « quartier français » ; compartiments commerciaux et marchés desservis par un maillage dense pour le « quartier chinois » ; originellement habitat traditionnel sur pilotis présentant une structure plus lâche, développée autour des édifices marquant le pouvoir traditionnel, politique et religieux (Palais royal et Pagode d’argent), ainsi que la valorisation moderne de la culture khmère (le Musée Albert Sarraut) pour le « quartier cambodgien ». Ces composantes urbaines – dont les éléments de différenciation se sont maintenus par-delà les destructions liées à la période des Khmers rouges (en particulier celle de la Cathédrale), à l’incurie de la période de réinstallation (ainsi du Palais de justice) ou aux grands travaux actuels (comme pour l’ancien Cercle sportif) – se sont initialement organisées chacune autour d’un centre : ceci vaut pour le « quartier français » qui, intégrant le Phnom (littéralement : la colline, tertre naturel surmonté d’une pagode), centre symbolique de la ville associé à sa légende de fondation, en redoublait en quelque sorte la polarité par les marques spécifiques de la présence coloniale : Résidence du gouverneur et Cathédrale. Ceci vaut également pour le « quartier cambodgien », siège du pouvoir royal et religieux khmer, avec le Palais royal et la Pagode d’argent. Quant au « quartier chinois », la réalisation du « nouveau marché » central, Phsar Thmei (1934-1937), en reconduit la polarité marchande tout en lui conférant une nouvelle dimension ; première opération d’extension couplant de nouveaux tracés et une opération de lotissements commerciaux, elle participe – de même que la réalisation de la gare ferroviaire (1930) – au plan d’extension de la ville, tout en s’inscrivant dans le schéma rayonnant des grands axes, marque de la centralité de la capitale. Reprenant le tracé en damier, cette extension répond en outre à la technique hydraulique des casiers endigués (remblais et comblements) ; ce dispositif sera complété par la réalisation en 1950, puis en 1970, de digues périmétrales, impliquant le drainage de l’arrière-berge pour la production de nouvelles aires constructibles (Pierdet, 2008). Dans le contexte de l’Asie des moussons, la protection contre les inondations et la mise hors d’eau constituent, en effet, des contraintes physiques majeures pour le développement urbain dans ses formes « modernes ». Ainsi la création de la digue de Kop Srov, au nord de la ville, en 1970, permet encore aujourd’hui de « donner une dimension nouvelle à la ville » (APUR, 2009-2010, p. 20).
17Jusqu’en 1970, les extensions urbaines sous la forme de nouveaux quartiers ont continué d’obéir à une même logique, celles-ci prenant appui sur un centre existant et s’organisant autour d’un équipement pour en assurer le prolongement. Tel fut le cas pour le quartier de lotissements du Stade Olympique (extension sud-ouest de la ville), pour la cité sportive, pour le quartier résidentiel associé au nouveau palais princier de Chamcar Mon (extension sud), pour le quartier de villas « modernes » de Tuol Kork (extension nord-ouest de 1962-1963) et le développement d’un secteur de villas bordant le boulevard aménagé (avec terre-plein central gazonné) sur les anciennes limites urbaines à la faveur de l’érection du monument de l’Indépendance (édifice d’inspiration angkorienne caractéristique de l’architecture des années 1960), aménagements qui participent de la valorisation du sud/sud-est de la ville et de son extension. Ces éléments ne sauraient certes prétendre rendre compte des logiques d’organisation et de développement urbain dans leur complexité. Ainsi, le passage d’une politique urbaine d’embellissement et de composition urbaine, initialement définie par le plan directeur établi en 1950 par le cabinet Chauchon et par la réglementation urbaine de 1956 (dans laquelle s’inscrivent les grands travaux urbains de l’ère du Sangkum), à l’esquisse d’une planification correctrice avec l’appui d’experts des agences spécialisées de l’ONU signe – dans la seconde moitié des années 1960 – la reconnaissance de fait d’une situation urbaine du tiers-monde. Migration rurale, chômage, pauvreté urbaine s’accompagnent du développement de zones d’habitat sous-intégré ou dégradé, dégradation qui, à la fin des années 1960, affecte également les quartiers de minorités, tel le village catholique vietnamien au nord de la ville. Il n’en demeure pas moins que la présence d’un noyau physique structuré et lisible qui s’est, pour l’essentiel, maintenu par-delà les vicissitudes de l’histoire récente du Cambodge, constitue un atout pour le rétablissement de la capitale cambodgienne dans ses fonctions et activités, à partir du repeuplement engagé en 1979, mais surtout en phase avec les processus de réintégration politique et économique du pays entamés à la fin des années 1980.
18De cette phase instauratrice d’une reprise de la vie urbaine, faisant suite aux circonstances tragiques de la désurbanisation de 1975 et au contexte d’autarcie économique et de non-reconnaissance diplomatique (hormis par les pays du COMECON) dans lequel s’opère le repeuplement de Phnom Penh au cours de la décennie 1979-1989, des traces subsistent dans les lieux, formes et modes actuels d’occupation de l’espace urbain, notamment avec l’entrée en jeu des acteurs internationaux. L’une des particularités de la capitale cambodgienne demeure l’importance numérique des organisations internationales non gouvernementales et non officielles, témoignages des aléas d’une histoire politique récente : la phase préludant aux accords de Paris de 1991 voit l’installation d’ONG (nombre estimé à 25 en 1989), puis celle des forces et de l’administration de l’ONU (APRONUC) dans la phase préparatoire des élections générales de 1993 (soit de 20 000 à 30 000 fonctionnaires étrangers dans une ville qui compte alors officiellement 625 000 habitants). Comme pour les activités et fonctions internationales plus récemment établies et associées à la confirmation du statut de Phnom Penh comme capitale (en vertu de l’article 6 de la Constitution) : organisations internationales, puis représentations diplomatiques, ce processus d’installation joue d’abord sur le parc immobilier existant. Réglementairement cantonné, jusqu’en 1989, à quelques rares hôtels en état de fonctionner, l’accueil des fonctions de l’international et de ses personnels bénéficie alors de l’ouverture du marché locatif ; celle-ci concerne principalement les villas qui, à Phnom Penh, présentent la caractéristique d’être étroitement associées aux formes de la centralité urbaine – qu’il s’agisse des villas coloniales associées au quartier résidentiel et administratif européen du Vat Phnom, ou des villas de style moderne construites à l’usage des catégories citadines ascendantes, après l’accession du Cambodge à l’indépendance.
19La réactivation des institutions et de la vie institutionnelle, à partir du début des années 1990, s’est traduite par une remise en fonction des édifices officiels et des grands équipements publics hérités des périodes du Protectorat et du Sangkum qui, comme l’observe à juste titre le Livre blanc du développement et de l’aménagement, se révèlent encore suffisamment efficaces de nos jours pour accueillir des évènements internationaux tels le sommet des chefs d’État de l’ASEAN ou le congrès mondial du bouddhisme (Municipalité, 2007). Elle s’accompagne aussi de la création de nouveaux bâtiments, suite à la détérioration ou la réaffectation de certains édifices, ou répondant à de nouvelles exigences fonctionnelles, notamment celles relevant de la municipalité de Phnom Penh (à laquelle est affecté le quart des quelque 46 000 fonctionnaires en charge des fonctions centrales de la capitale). Outre les institutions et équipements proprement urbains, sont notamment concernés les équipements scolaires et universitaires destinés à l’accueil du nombre croissant de lycéens et d’étudiants (de l’ordre de 21 000 au milieu de la décennie). La présence de représentations diplomatiques (au nombre de 52) et d’acteurs économiques internationaux : organismes multilatéraux (ONU, Banque Mondiale, Banque Asiatique de Développement…), agences de coopération internationale, bureaux d’entreprises et de banques étrangères, joue un rôle actif dans cette dynamique de développement physique de la capitale cambodgienne. Celle-ci entraîne également la rénovation des infrastructures de transport (notamment celle de l’aéroport international de Pochentong), des structures d’accueil des activités et personnels attachés aux fonctions internationales, ainsi que des services haut de gamme associés à cette présence (hôtellerie, restauration, équipement hospitalier, commerces) (voir carte 2.2).
20L’installation matérielle de ces organismes porteurs des fonctions internationales s’opère dans un contexte fortement spéculatif, dans lequel les contraintes liées aux opportunités foncières et immobilières priment sur la logique fonctionnelle de localisation. L’effet de dissémination est cependant comme canalisé par la prégnance de la structure urbaine : trame viaire et typologie du bâti existant continuent d’orienter les implantations. Ainsi, on constate une tendance au regroupement des représentations diplomatiques (à l’instar de certains ministères) au sud de la ville, notamment sur le boulevard Norodom et à proximité du palais de Chamcar Mon – non sans quelques exceptions, telle la construction d’une nouvelle Ambassade des États-Unis au nord, face au Phnom, en lieu et place de l’ancien Cercle sportif. De fait, à la fonction de capitale de Phnom Penh sont associés principalement quatre pôles administratifs et gouvernementaux, à savoir : la ville historique, le nord du boulevard Monivong (grande artère nord-sud, correspondant sensiblement à la limite occidentale de la ville des années 1950), le sud des boulevards Monivong et Sihanouk et le boulevard de la Confédération de Russie ; l’installation des équipements liés à l’international : ambassades, sièges des organismes internationaux ou grands hôtels, ont – à l’exception de l’ambassade de Chine et de l’hôtel Intercontinental – contribué au renforcement de ces éléments de centralité urbaine.
21La dynamique urbaine d’une ville désormais millionnaire (le million d’habitants est atteint en 1998 et se distribue entre ses quatre districts centraux et ses trois districts « ruraux ») semble cependant, depuis la fin des années 1990, obéir à une autre logique. La dimension croissante des projets urbains et, conséquemment, leur tendance à la diffusion au sein de l’aire urbaine en quête de terrains adéquats contribuent en effet à modifier le statut et l’échelle de la centralité. À travers le marché foncier et immobilier, les relations centre périphérie urbaine se transforment dans le sens d’une spécialisation fonctionnelle et d’une mobilité accrue, y compris avec les déplacements forcés dont s’accompagne l’exclusion des citadins pauvres d’un centre-ville en voie de rénovation et qui tend à s’élargir aux quatre khan centraux.
La métropolisation pionnière : mise aux normes et formes substitutives
22Désormais associée à l’intégration économique régionale du Cambodge, la restauration de la fonction de capitale contribue à faire des services le secteur d’emplois majoritaire à Phnom Penh (plus de 60 % des emplois en 2004) et à assurer à la ville une relative stabilité économique et fonctionnelle. En outre, la proximité des pôles décisionnels et ses avantages en matière de liaison et de desserte en font un pôle attractif pour les emplois industriels en particulier dans l’industrie textile, également dans le tourisme. Cependant, dans le contexte de la compétition urbaine régionale pour l’attraction des investissements directs étrangers, Phnom Penh se doit à présent d’intégrer les normes qui prévalent dans les capitales voisines, notamment dans les espaces centraux des capitales-phares que sont Singapour, Bangkok ou Kuala Lumpur.
23Les effets de modernisation dans le secteur de l’hôtellerie – activité stimulée par l’intégration du Cambodge dans l’ASEAN (en 1999) et dans l’OMC (2003), et par un tourisme d’affaires étroitement associé aux fonctions de capitale et de pôle économique – sont particulièrement révélateurs du mode d’adaptation de la centralité aux nécessités de la métropolisation. La capitale cambodgienne compte ainsi près de 40 % des hôtels recensés par le ministère du Tourisme à l’échelle nationale et 60 % des 382 agences de voyages du pays ; plus de 1 250 chambres sur les quelque 7 000 chambres que compte la capitale concernent des hôtels de classe internationale. Des hôtels anciens ont fait l’objet de rénovations, restructurations et extensions (comme Le Royal Raffles, le Cambodiana ou le Naga) ; le parc hôtelier de luxe (l’Intercontinental, le Sunway) a été complété par des réalisations nouvelles (tel le Phnom Penh Hotel), auxquelles se sont désormais ajoutées les formules plus actuelles de résidences hôtelières (apart’hotels), associées à la présence de cadres « expatriés », telle l’Embassy Place Apartments, principalement développées à proximité des berges au sud de la capitale. Principal secteur d’investissement privé en montant de capital investi, le secteur hôtelier, s’affirme à travers ces réalisations de grand standing comme principal vecteur de l’internationalisation, tant sur le plan de la fonction des édifices et de leur forme que de leur financement et de leur gestion : compagnie singapourienne Raffles pour le Royal, groupe Accor pour l’Embassy Place, Accor-Sofitel pour le Cambodiana.
24Seule dans la gamme des composants de l’hypercentralité, l’hôtellerie de luxe se trouve ainsi véritablement en phase avec les marqueurs de centralité des métropoles voisines. Mais avec la modernisation de l’économie urbaine à la faveur des apports de capitaux étrangers, l’augmentation du nombre d’expatriés associée aux nouveaux secteurs d’activités et l’émergence de catégories urbaines aisées bénéficiaires de la croissance économique, l’industrie de la construction connaît de nouveaux domaines de déploiement dans le secteur résidentiel, l’immobilier de bureaux et le secteur de la distribution et du commerce de détail, stimulés par de nouvelles formes et spécialisations.
25Pour l’équipement commercial, hormis quelques galeries marchandes de luxe (malls) associées aux grands hôtels (tel l’Intercontinental), seul le Sorya, construit en bordure du Marché central (Phsar Thmei), dans la « ville marchande », grâce à un financement de la Canadia Bank (principale banque privée locale issue d’une joint-venture entre la Banque nationale du Cambodge et des investisseurs cambodgiens de l’étranger), répond au principe du « complexe commercial », le Parkway sur le boulevard Mao Tsé Toung tendant aussi à s’en rapprocher. Cependant, sept centres commerciaux, une dizaine de magasins de moyenne surface (le plus important à la fin des années 2000 étant le Sydney), des grands magasins en cours d’ouverture sur le boulevard Monivong, une vingtaine de petits supermarchés (Le Bayon, Lucky Market, Big A, Yu Nam, City Top…) et un nombre croissant de boutiques associées aux stationsservices (Star Mart pour Caltex, Boutique Bonjour pour Total) témoignent du développement d’un circuit moderne de distribution. Mais, pour l’essentiel, le commerce de détail continue de s’inscrire dans le cadre commercial traditionnel que constituent une quarantaine de marchés (y compris un marché de nuit récemment installé aux limites nord de l’ancien « quartier chinois ») et les quelques dizaines de milliers de compartiments groupés autour de ces marchés ou se développant le long de rues marchandes, en particulier dans l’ancien « quartier chinois » dont l’incontestable polarité ne saurait être assimilée aux actuelles formes et fonctions « hypercentrales ». Cette configuration vaut encore, d’une certaine manière, pour le projet de valorisation commerciale du pourtour du « Stade Olympique » sous forme de petites boutiques, à ceci près – et ceci importe pour notre propos – qu’il s’agit de fait d’une réalisation d’ensemble à caractère de promotion commerciale, visant les nouvelles catégories moyennes à l’instar des galeries marchandes et mettant en jeu des financements extérieurs, en l’occurrence un investisseur taïwanais (Yuan Ta).
26Quant aux immeubles de bureaux et aux appartements en condominium, ils ne sont que faiblement représentés. Pour l’heure, leurs fonctions respectives sont principalement accueillies dans la typologie « horizontale » – commerciale et résidentielle – préexistante des compartiments et des villas de standing. La construction de ces dernières se poursuit actuellement, les brochures des agences immobilières faisant apparaître une grande flexibilité d’usage pour ces vastes villas qui, avec leur grand nombre de pièces et de salles de bain, peuvent aussi bien être louées par appartement, transformées en résidence hôtelière ou accueillir le siège social d’une entreprise. Le même principe d’utilisation d’équipements existants à des fins palliatives vaut pour la fonction de centre de conférence : outre les services offerts par certains grands hôtels, c’est la salle de conférence Chaktomuk, réalisation emblématique de l’ère du Sangkum située à proximité du Palais Royal, qui, depuis 2000, remplit cette fonction.
27La présence de l’immobilier de bureaux dans ses formes canoniques contemporaines demeure limitée à un nombre réduit de réalisations : le Hong Kong Center sur le boulevard Sothearos ou la réhabilitation d’un immeuble de la Cité Sihanouk, au sud de la ville, sur les berges du Tonlé Bassac. Mais des réalisations nouvelles se profilent : le Canadia Tower, immeuble de bureaux réalisé par l’Oversea Cambodian Investment Corporation, volet immobilier de la Canadia Bank, sur le boulevard Monivong, pourrait bien amorcer une sortie de la logique de ce que j’appellerai, faute de mieux, l’offre substitutive des équipements de la métropolisation, en associant grand projet, verticalisation et spécialisation fonctionnelle. Pour ce qui est du développement d’immeubles collectifs de grand standing sous la forme de condominiums, la perspective est quelque peu différente, car un tel développement suppose non seulement un mode central de valorisation foncière associé à la verticalisation tertiaire (tours d’hôtels et de bureaux, complexes commerciaux), mais également l’existence d’une législation facilitant l’accès des investisseurs étrangers à la copropriété immobilière dans ce cadre. La mise en application des dispositions prévues par la loi foncière de novembre 2001, et la réglementation de 2003 modifiant le code des investissements pourraient bien changer la donne sur ce plan. En vertu de la Constitution (article 44) les non-nationaux n’ont pas accès à la propriété foncière, mais désormais aucune limite n’est fixée à la durée des baux emphytéotiques et la possibilité leur est ouverte d’accéder à la propriété d’immeubles construits sur des terrains loués (Vernet, 2008-2009, p. 170).
28La tendance générale à la montée en hauteur est, de fait, nettement amorcée : 15 étages pour l’hôtel Intercontinental, 13 étages pour l’immeuble de l’hôtel-casino NagaWorld, 24 étages pour la tour de bureaux Canadia Tower. Les projets en gestation : aménagement d’une zone résidentielle de luxe par le groupe Sunway sur 450 hectares dans la partie occidentale de la presqu’île de Chruy Changvar, pôle tertiaire à proximité de la gare ferroviaire, projet Sokimex de construction d’un hôtel sur le terrain de l’ancienne prison (à proximité du site des Quatre-Bras), aménagements du boeung Pong Peay (en banlieue nord), comprennent tous une ou plusieurs tours.
29Dans les espaces associés à l’extension du centre, ce mouvement de verticalisation porte l’annonce de la formation d’un central business district. Lui font écho les changements dimensionnels relatifs aux extensions périphériques, nouvelles zones résidentielles et zones industrielles d’exportation portant désormais la marque d’opérations de grande taille. À propos du projet sud-coréen de Camko City, développé sur un terrain de 119 hectares au nord de Tuol Kork, objet d’un bail emphytéotique de 99 ans et intégrant (outre des villas, des équipements commerciaux, sportifs et de loisirs, des écoles internationales, une université) des ensembles de tours de 16 étages, la presse locale (Cambodge soir du 24 mai 2007) titre : « Camko City : Phnom Penh version gratte-ciels ». Associant officiellement des partenaires locaux, ces réalisations et projets sont de fait généralement portés par des investisseurs étrangers, souvent en provenance des pays vecteurs des modèles de la métropolisation asiatique, et tendent peu ou prou à en reconduire les formes. Grandes opérations de construction et développement du réseau d’infrastructures (cf. infra) convergent vers un redimensionnement de l’agglomération : sans que l’on puisse, en l’absence d’éléments porteurs d’unité fonctionnelle, aisément parler d’aire – ni a fortiori de région – métropolitaine, Phnom Penh tend, dès à présent, à constituer le pôle de service et d’emploi d’un bassin comptant plus de six millions d’habitants dans un rayon de 100 kilomètres.
30S’esquisse ainsi une logique de métropolisation, combinant investissements privés étrangers, aide internationale et interventions publiques dans l’instauration de nouvelles logiques de fabrication urbaine. Il en résulte une réorganisation fonctionnelle du territoire urbain qui, elle-même, implique une redéfinition des relations centre-périphérie comme de leurs fonctions respectives (cf. Veltz, 1996 ; Toh and Low, 1993).
Les grandes opérations urbaines : une facette des relations centre – périphérie
31Que la transformation urbaine y adopte la forme d’une adaptation transitoire aux impératifs fonctionnels de l’internationalisation ou qu’elle s’inscrive dans les formes canoniques de la métropolisation, Phnom Penh est à l’évidence entrée – non sans quelque effet de désordre en retour (Jammes, 2009, p. 133-137) – dans une phase d’instauration d’un nouvel ordre urbain. Environ 12 % des dépenses publiques de reconstruction du Cambodge, largement soutenues par l’aide internationale, sont ainsi consacrés à la modernisation de la capitale, ce qui n’est évidemment pas disproportionné, Phnom Penh accueillant près de 10 % de la population du pays, ainsi qu’une part importante de son activité économique et de ses ressources (avec environ trois quarts des investissements – publics et privés). La capitale s’affirme ainsi comme la principale bénéficiaire de la montée en puissance de la construction, désormais premier secteur d’investissement devant l’industrie avec des taux de croissance estimés à plus de 30 %, notamment depuis l’approbation, en 2006, du projet coréen de ville nouvelle – Camko City – pour un montant estimé supérieur à 2 milliards de dollars US (Vernet, 2009-2010, p. 58-59). Les projets internationaux qui ainsi se profilent – principalement portés par des capitaux asiatiques : projet indonésien d’aménagement d’une zone résidentielle de 400 hectares (porté par Ciputra) ; projet singapourien de marina et terrain de golf – ouvrent le territoire urbain à de nouvelles dimensions.
32Même si la réalisation effective de certains projets demeure aléatoire, la tendance au changement d’échelle – de l’édifice au lotissement voire au mégaprojet complexe – est confirmée, à partir de 2003-2004, par l’étude des permis de construire présentée dans le Livre Blanc. Ainsi, concernant le secteur du logement, on constate que le renforcement de la prépondérance de la production et de l’investissement privés en 2003 et 2004 s’accompagne d’un changement de la structure de l’offre avec l’accroissement de la taille des opérations. Ceci vaut notamment pour les villas et pour les lotissements de compartiments (habitations familiales sur trois niveaux) qui demeurent la production majoritaire, contribuant notamment au desserrement des quartiers centraux saturés (tel le quartier du « Stade Olympique ») et au développement du secteur nord de la ville. Les opérations groupées de taille intermédiaire (de 20 à 500 logements) concernées par 3 % des demandes de permis de construire en 2000 représentent 56 % des demandes en 2004, alors que les opérations de moins de 20 logements qui représentaient 97 % des demandes de permis de construire en 2000 ne représentaient plus que 23 % des demandes en 2004, tout en doublant de volume. Le solde pour 2004, soit 21 %, est toutefois significativement le fait de mégaprojets : quatre opérations de 900 à 2 300 logements (Municipalité, 2007, p. 71).
33Observable dans les opérations « monofonctionnelles » de promotion du logement, le changement d’échelle se manifeste nettement dans les grandes opérations d’aménagement urbain en cours ou envisagées – souvent sous l’appellation de « villes nouvelles » – par la Municipalité de Phnom Penh : extensions du centre-ville sur le Boeung Kak (projet d’hôtels de luxe, de résidences de standing et de centres commerciaux développé par la société de promotion immobilière Shukaku Inc. sur un ancien lac (boeung) situé au nord de la ville-centre entre le quartier de Tuol Kork et le fleuve) et sur la presqu’île de Chruy Changvar ; extensions périphériques au nord de la capitale, dans le district de Russei Keo (avec le remblaiement d’une partie du boeung Pong Peay pour la construction de la ville satellite de Camko City, par une co-entreprise coréenne – World City Co. Ltd et Hanil Engineering and Construction Co. Ltd – et cambodgienne, et le lotissement résidentiel de luxe Grand City Phnom Penh) et extension péri-centrale à l’est, sur Koh Pich, île située à l’entrée du Bassac (avec l’aménagement d’une « ville nouvelle » par la Canadia Bank) (Municipalité, Livre Blanc, 2007, p. 244 ; APUR, 2009-2010, p. 42).
34Ces opérations manifestent, en outre, la tendance à l’internationalisation de la production urbaine. Des sociétés de promotion étrangères, issues notamment des pays émergents de l’Asie orientale (malaisiennes, taïwanaises, hongkongaises), se profilent dans les opérations de prestige : lotissements de villas, hôtellerie de luxe, immobilier de bureaux. Acteur majeur du marché financier, alimenté pour partie par les fonds de l’émigration cambodgienne et proche de la sphère du pouvoir, la Canadia Bank investit fortement ce secteur immobilier ; grâce à une filiale (OCIC) disposant de son propre système de crédit immobilier, elle développe des partenariats avec des entreprises étrangères pour le financement et la réalisation de ses projets. Dans le même esprit, mais procédant d’un schéma distinct, le groupe de promotion sud-coréen à l’origine du projet de la « ville nouvelle » de Camko City s’adosse, pour son financement, à une banque sud-coréenne : la Camko Bank, qui, dotée d’une représentation locale, donne son nom au projet. L’internationalisation de la production urbaine joue ici sur plusieurs registres : celui du financement et des secteurs concernés (par exemple tourisme et hôtellerie), celui de la conception, des destinataires ou des fonctions concernées, mais aussi celui des matériaux importés et des entreprises du BTP sollicitées dans le cadre des grands projets (Goldblum, 2003).
35Ces opérateurs favorisent l’apparition et le développement de nouveaux « produits immobiliers », s’écartant progressivement de la typologie habituelle des compartiments chinois et villas (habitations individuelles et villas – en particulier « villas thaïes » agrémentées de références néo-classiques, formes habituelles de l’urbanisation résidentielle – couvrent environ 5 % du marché), à la faveur d’opérations de grand standing (telles Golden City pour la Canadia Bank, Chamcar Mon City pour Northbridge, cette dernière ayant pour inspiration les maisons de bois nord-américaines). Il s’agit en fait d’une logique d’aménagement « exclusive », apparentant les projets résidentiels de ce type, composés de maisons de ville, de villas de luxe et d’équipements éducatifs ou de loisirs (« The Banker City », dans l’arrondissement de Chamcar Mon, en partie sud de la capitale, pour la Canadia Bank ; Northbridge Cambodia, 80 hectares dans le district de Russei Keo, au nord de la capitale, pour Northbridge International), aux réalisations de résidences de luxe en copropriété (condominium) et aux lotissements sécurisés (gated communities) d’inspiration nord-américaine.
36S’accompagnant de l’augmentation du nombre et de la capacité des opérateurs (avec une quinzaine de sociétés de promotion immobilière dont certaines interviennent également comme lotisseurs fonciers), ces opérations destinées aux cadres expatriés et aux citadins aisés contribuent directement, mais également par les actions de recasement qu’elles activent, à l’intensification de l’urbanisation physique et à son extension spatiale. L’aire urbanisée de la capitale (110 km²), concentre certes les fonctions résidentielles et tertiaires (couvrant près de 80 % de cette surface), cependant la dynamique de développement périphérique est fortement engagée : le rythme de l’extension de l’agglomération, mesuré sur la Municipalité de Phnom Penh est estimé à 356 hectares par an (ratio calculé sur sept ans sur la période 1993-2004, prenant en compte, en plus du bâti, voirie, espaces verts, remblais, et la préparation de terrains à bâtir) (voir carte 2.3).
37Outre leur contribution au changement dimensionnel de la capitale – de son territoire effectivement urbanisé –, ces opérations de construction « haut de gamme » contribuent, d’une certaine manière, à structurer le marché foncier et immobilier urbain, notamment à y déterminer des échelles de prix, pour la vente ou la location, selon la capacité des terrains et édifices à accueillir une activité ou une fonction lucrative. L’existence de publications périodiques, telles que Khmer Property Magazine (édité en langue anglaise), atteste de cette structuration du marché immobilier et de l’activité de la profession immobilière, ce que traduit la présence d’agences spécialisées dans la location pour l’immobilier de bureaux (Cambodia Estate Agent, Cambodia Properties Ltd, Bonna Realty), ainsi que d’immeubles de rapport composés d’appartements-résidences à l’usage des cadres « expatriés » (City View Apartments, Colonial Mansion, Embassy Place Apartments, Hinawari Hotel Apartments, La Parranda Residence & Hotel, Jardins du Bassac, Palm Place Service Apartments) (cf. Municipalité, 2007, p. 70sq. ; Vernet, 2008-2009, p. 213-214). C’est dire la sensibilité d’un tel marché à la présence internationale (expatriés, capitaux, entreprises, etc.).
À l’horizon de l’internationalisation de la production urbaine : spéculation et exclusion foncières
38Dans le climat de mutation foncière et d’effervescence constructive, les modalités de réintroduction de la propriété privée en termes de statut juridique (loi de 1989), le flou concernant le statut des terrains, notamment leur caractère constructible, laissent le champ libre aux manœuvres infra-légales et spéculatives activées par les investissements étrangers. Les écarts de prix relevés dans les estimations des experts relatives au marché foncier en 2004 : 0,16 USD/m2 en périphérie – 1 000 USD/m2 en centre-ville, de même que la multiplication par six des cours moyens de l’immobilier en centre-ville et dans le péricentre (de 500 USD/m² en 2004 à 3 000 USD/m² au début de 2009), sont pour partie imputables aux spécificités de ce contexte. Les installations précaires, résultant de la période pionnière de repeuplement de la capitale, en particulier les greffes de l’habitat – temporaire ou permanent – de populations déshéritées sur les structures physiques de la ville : terrains publics ou privés inoccupés, berges de lacs ou de canaux, anciens bâtiments publics en ruine (tel l’ancien Palais de Justice), toitures d’immeubles (tel l’immeuble collectif Tan Pa, en centre-ville), ruelles ou voies de chemin de fer désaffectées, n’apparaissent pas uniquement comme obstacle au déploiement métropolitain. Si les conditions initiales d’affectation foncière, de tolérance quant à l’occupation des terrains et des immeubles à titre précaire, éclairent les raisons pour lesquelles les divers textes de réglementation foncière et immobilière ont en commun d’exclure toute référence à un droit de possession antérieur à 1979 (Carrier, 2003 ; 2007), les opportunités que la mise sur le marché de ces terrains et édifices « gelés » offre aujourd’hui aux acteurs locaux et nationaux les plus puissants, éclairent également les processus d’exclusion foncière et immobilière auxquels on assiste depuis les années 1990. Ils tendent actuellement à s’intensifier à la faveur de la redistribution fonctionnelle et foncière de la carte urbaine – au prix d’actions parfois brutales de déplacement et de recasement des populations. Les trois grands projets mentionnés plus haut : celui de Camko City, celui du Boeung Kak et celui de Koh Pich, ont ainsi en commun d’alimenter une vague d’expulsions massives. Les incidences de l’annonce, par la Canadia Bank, du lancement de son projet de « ville nouvelle insulaire » sur Koh Pich sont exemplaires de ce point de vue : alors que ce projet portait la valeur du terrain sur ce site de 25 USD/m² à 500 USD/m², les habitants subissaient une pression au départ, assortie d’une proposition d’indemnité de 10 USD/m². Les effets de ces processus, en termes d’inflation sur les prix fonciers et de déplacement de population, affectent également les terres agricoles des districts ruraux de la périphérie et leurs occupants.
39Dans un tel contexte, la population des « quartiers informels », notion dont l’apparition est concomitante à la promulgation de la loi de 1989 sur la propriété privée (Carrier, 2003), a doublé entre 1993 et 2003 pour atteindre quelque 40 000 ménages au milieu de la décennie 2000, tandis que le nombre de sites d’habitat informel tendait quant à lui à se restreindre sous l’effet de la pression foncière. Les mesures visant à leur éviction ne sont pas allées sans susciter des réactions de la part des populations pauvres menacées, souvent avec le soutien d’organisations non gouvernementales, telle la Ligue cambodgienne de défense des droits de l’homme (LICADHO). Cette situation de tension ouvre également un nouveau champ d’action pour les grandes ONG internationales telles que CARE ou OXFAM, ce qui constitue une autre manière d’internationalisation. Depuis la seconde moitié des années 1990, sous la pression notamment d’une organisation non gouvernementale : l’Asian Coalition for Housing Rights (ACHR) (Phonphakdee et al., 2009), une politique de relogement a été engagée, reposant sur des actions concertées bi-et multilatérales entre la municipalité, les associations d’habitants et les ONG locales et internationales. Censée mettre un terme aux évictions et au déplacement forcé, cette politique est, en principe, en phase avec le programme de réduction de la pauvreté urbaine (« Phnom Penh Poverty Reduction Strategy ») mis en place conjointement, en 1999, par la Municipalité et par l’ONU-Habitat (projets de restructuration, de recasement et de partage foncier – land sharing – inspiré d’opérations pilotes menées à Bangkok entre les années 1970 et les années 1990). Les configurations d’acteurs mobilisées sur les opérations relatives à l’habitat des populations à faibles ressources de la capitale, ainsi que les conceptions et techniques d’intervention dont celles-ci sont porteuses, concourent donc, d’une autre manière, à l’internationalisation de la sphère de l’urbanisation et du développement urbain (Clerc, 2005 ; Goldblum, 2000).
40Entre octobre 1998 et la fin de 2001, la Municipalité de Phnom Penh a mis en œuvre 19 projets de relogement de familles de « squatters » par groupements de 50 à 4 000 familles, principalement relogées dans un rayon de moins de 20 kilomètres de la ville. Ces actions de recasement ont conduit au déplacement de plus de 8 000 familles du centre vers la périphérie. Majoritairement associés à la libération de terrains ou d’édifices destinés aux aménagements urbains centraux, visant à mettre Phnom Penh aux normes internationales d’une capitale moderne, ces actions cèdent en principe la place à des projets associant des ONG internationales, des organismes de coopération bilatérale – telle JICA pour l’opération-pilote de Boeung Salang (APUR, 1997) – et des institutions d’aide multilatérale ; et donnent désormais lieu à des montages complexes.
41Sur le plan foncier, ces démarches entrent cependant en conflit avec les intérêts (publics et privés) porteurs du « boom » de l’immobilier, les « projets » de construction ou d’infrastructures associés à la dynamique de métropolisation étant désormais à l’origine de la majeure partie des évictions, notamment sur les lieux stratégiques, tels que Boeung Kak, voies de chemins de fer, rives du Bassac. On peut ainsi, de fait, observer une intensification des actions de délogement des populations urbaines pauvres du centre, voire de spoliation des terres agricoles de la périphérie, à la faveur des grands chantiers marquant la dynamique de transformation urbaine engagée à la fin des années 1990. De nombreux articles dans la presse nationale, internationale et sur Internet rendent compte du caractère préoccupant de ce mode de gestion des grands projets (cf. Cambodge Post, 2009 ; Cain, 2009 ; InfoSud Human Rights Tribune, 2008). Les tensions suscitées par les expulsions brutales, comme celle préludant aux aménagements de l’île de Koh Pich, sont telles qu’elles ont conduit le Premier ministre à annoncer, en 2006, la création d’un Comité de résolution des problèmes fonciers composé de représentants des trois partis politiques et des ONG (Phann, 2005 ; Richer, 2009, p. 139-143) et à donner une vision pacifiée des aménagements du Boeung Kak, tout en exprimant publiquement son attention pour les questions environnementales (The Mirror, 2008).
42La dynamique d’internationalisation de la production urbaine se révèle ici dans sa complexité : tandis que le développement du secteur tertiaire international converge avec les stratégies édilitaires d’embellissement de la capitale et avec la logique de structuration du marché foncier et immobilier dans le sens d’une unification fonctionnelle et d’une formalisation de l’usage des sols, l’aide internationale vient apporter son appui logistique (technique, financier, mais aussi doctrinal) au recasement périphérique des populations dont la présence désormais jugée inadéquate dans le centre-ville leur vaut d’être désignées à présent comme « squatter ». La coprésence, au sein du Haut Conseil pour le Développement du Cambodge (CDC), de deux conseils exécutifs dont l’un – le Conseil de Réhabilitation et de Développement du Cambodge (CRDC) – gère les différentes formes d’aide, et dont l’autre – le Conseil des investissements au Cambodge (CIC) – est en charge des investissements privés étrangers, apparaît comme l’expression institutionnelle de cette répartition des tâches.
43Parmi les opérations de recasement menées dans la proche périphérie de la capitale, il en est une qui retient particulièrement l’attention, à savoir celle d’Anglong Kngan, en raison des avantages de localisation dont elle a pu par la suite tirer parti et de sa mise en cohérence avec la logique économique de la métropolisation. Initialement liée au recasement de 2 000 des 3 500 familles transférées du centre-ville (Front de Bassac), cette opération, menée sur un terrain de 150 hectares situé à 17 km au nord de la ville et dotée d’équipements de base (notamment grâce à l’appui du Lion’s Club du Japon et de la Croix rouge internationale) a bénéficié de l’amélioration du réseau routier (non sans incidence quant aux prix fonciers : ils ont été multipliés par vingt en une dizaine d’années). Désormais accessible à partir d’axes majeurs (connexion par une route bitumée au boulevard périphérique en direction de Takhmau et de la route nationale, ainsi qu’au boulevard de la Confédération de Russie, en direction de l’aéroport international de Pochentong), ce site accueille à présent environ 20 000 habitants ; ce qui le classe – en termes de niveau de peuplement – parmi les villes moyennes du Cambodge. Cette opération, avec d’autres aménagements de ce type, contribue au redimensionnement de l’échelle urbaine du Grand Phnom Penh en ouvrant un front pionnier pour l’urbanisation de la capitale. Elle participe, en outre, d’une forme d’organisation des bassins de main-d’œuvre associant la principale industrie d’exportation – le vêtement – aux grands pôles de transport que sont l’aéroport international de Pochentong et le port de Sihanoukville.
44La requalification des espaces centraux, placée sous le signe de l’internationalisation, trouve ainsi son pendant dans le réagencement fonctionnel de la périphérie, sur le mode des initiatives de la promotion résidentielle privée (lotissements sécurisés et « villes nouvelles ») ou sur le mode volontariste (aires de recasement). À ce redimensionnement de fait de l’agglomération contribue également l’accueil de nouvelles activités économiques, industrielles en particulier ; l’ensemble de cette dynamique, sous-tendue par la modernisation et le développement des réseaux de transport (cf. infra) laisse entrevoir les signes économiques et spatiaux d’une « métropolisation secondaire ». Outre les opérations publiques et privées relatives à la sphère résidentielle, la logique d’internationalisation est, en effet, marquée par l’entrée en jeu des investissements directs étrangers pour les deux secteurs clés de l’économie nationale que constituent désormais le tourisme et l’industrie de la confection et des textiles. Or, tous deux sont tributaires des conditions urbaines d’attraction de ces activités : fixation des flux et logistique de transport, opérations pour lesquelles les capitaux et l’expertise technique étrangers sont également sollicités, notamment au titre de l’aide publique au développement (GARDÈRE, 2005, p. 69-70 ; p. 84-96).
Transition urbaine et circuits d’échange internationaux, perspectives stratégiques d’une « métropolisation secondaire »
45Même si la dynamique constitutive des nouvelles grandes régions urbaines telles celles développées à partir de Jakarta (Goldblum, 1998) ou de Bangkok que T. G. McGee (McGee, 1991, 1995) désigne sous l’expression de « desakota regions », intégrant l’aménagement de villes nouvelles « pluriclassistes » associées à des activités industrielles et tertiaires et reliées à la ville-centre par des autoroutes et des systèmes de transport collectif, ne trouve guère actuellement d’équivalent à Phnom Penh, les formes récentes de la croissance urbaine commencent cependant d’en ébaucher le contour.
46Ainsi, l’association de la polarité économique de Phnom Penh dans les domaines du tourisme et de l’industrie textile au renforcement de ses liaisons fonctionnelles avec Sihanoukville et Siem Reap-Angkor n’aboutissent pas, pour l’heure, à la constitution de véritables « corridors de développement », ni – a fortiori – à l’actualisation du « triangle de croissance » d’échelle nationale. Ces nouveaux canons de l’insertion territoriale des activités économiques majeures sont souvent liés à la réalisation de nouvelles zones urbaines, elles-mêmes associées au processus de métropolisation élargie en Asie du Sud-Est (TOH and LOW, 1993). Cependant les réalisations et projets en matière d’infrastructures, ainsi que les études menées au titre de la coopération internationale (japonaise en particulier) quant au potentiel de développement économique, dessinent l’image d’une triangulation fonctionnelle de ces trois sites à l’échelle nationale, à laquelle ferait écho le « tripôle » que Phnom Penh tente de composer avec les deux métropoles voisines : Bangkok et Hô Chi Minh-Ville.
47La restructuration de l’emploi autour des deux domaines clés de l’économie, industrie de la confection et tourisme, qui activent la transition urbaine cambodgienne comme le développement de la capitale du Cambodge, est, de fait, fortement tributaire de l’apport de capitaux externes – originaires notamment des pays les plus actifs de l’Asie orientale : en 2002, la Corée du Sud, le Viêt Nam et la Chine représentaient respectivement 33,5 %, 10,3 % et 9,8 % des investissements privés (à comparer avec les 39,5 % provenant, en principe, d’investisseurs « locaux »). Ces investissements étrangers concernent très directement les domaines clés mentionnés : entre 1994 et 2001, sur 879 projets approuvés, 347 concernaient l’industrie textile et 63 l’hôtellerie et le tourisme, ce domaine conservant cependant alors le premier rang pour l’investissement en capital. Au milieu des années 2000, l’industrie textile contribue au tiers du produit municipal brut, contre 10 % pour le secteur de l’immobilier et de la construction. Le secteur industriel pris dans son ensemble (mais au sein duquel l’industrie textile occupe une place prépondérante) compte alors pour 190 000 emplois, soit près du tiers des emplois de la capitale, contre environ 60 % dans les services (dont 10 % dans l’administration publique).
48En conséquence, l’avenir économique de Phnom Penh paraît fortement lié à celui de l’industrie textile. Celle-ci marque durablement le territoire de son empreinte, contribuant à orienter les excroissances urbaines en liaison avec les réseaux et équipements d’infrastructure : l’ouest de la route de l’aéroport (sangkat Tuek Thla) et la route nationale no 2 (longeant le Tonlé Bassac) ont été, entre 1995 et 1997, les pôles privilégiés d’attraction de ses établissements industriels, y stimulant l’urbanisation ; ils sont à présent saturés et conduisent à de nouveaux lieux d’implantation (Municipalité, 2007, p. 34-35). Deux nouvelles vagues d’implantation ont suivi : de 1997 à 2001, des pôles proches des khan centraux : RN5, le nord du Boeung Kak et la digue sud du Boeung Tompun ; deux pôles autour de l’aéroport international de Pochentong : un pôle lié à la construction de la route Chaom Chau – Stung Mean Chey (1997), un autre situé au nord de l’aéroport (2001).
49Depuis les années 2000, à défaut de « corridor de développement » actif à l’échelle nationale, la tendance est à l’ouverture de zones économiques spéciales (ZES) visant à attirer les investisseurs étrangers (actuellement principalement asiatiques) par des dispositions incitatives (incluant la possibilité d’acquérir des biens immobiliers), mais aussi à favoriser les échanges internationaux (grâce notamment à des exemptions de taxe et de quotas à l’export). Ainsi, sur la quinzaine de projets de ZES identifiés à la fin de la décennie 2000, les deux zones en activité sont significativement installées l’une à la frontière thaïlandaise (à Poïpet) : Poipet Industrial Investment Estate, l’autre à la frontière vietnamienne (à Bavet) : Manhattan Special Economic Zone. Figurant, comme ces deux implantations, sur le « corridor économique » méridional de la Région du Grand Mékong à l’échelle du territoire cambodgien, Phnom Penh est évidemment également concernée par cette tendance. Sa zone économique spéciale (PPSEZ) suit la logique d’établissement à proximité de l’aéroport de Pochentong : elle s’étend sur un terrain de 360 ha au-delà de celui-ci et fait l’objet d’une co-entreprise entre la société cambodgienne Attwood (import-export, spiritueux et électroménager, également active dans le secteur immobilier) qui détient 51 % des actions et l’entreprise japonaise Zephyr (qui, avec le consultant du projet Japan Development Institute, détient le reste des actions). Elle est dotée de moyens propres pour la fourniture d’électricité et d’eau potable, le traitement des eaux usées, le réseau de télécommunications et l’aire de conteneurs, et est placée sous l’autorité d’un « central board » directement rattaché au Haut Conseil pour le Développement du Cambodge (CDC). Elle devait, au terme de sa troisième phase (2010), accueillir plusieurs dizaines d’entreprises, avec environ 100 000 personnes, et être dotée d’un quartier résidentiel et d’équipements : équipements scolaires et centre commercial (réalisé par un groupe malaisien), son succès demeurant cependant tributaire du développement des infrastructures à l’échelle nationale, notamment du réseau routier en direction du port de Sihanoukville, stratégique pour les exportations (Vernet, 2008-2009, p. 187-189).
Enjeux métropolitains des infrastructures nationales de transport : vers une « triangulation » Phnom Penh – Siem Reap – Kompong Som ?
50Le développement des activités touristiques et des fonctions portuaires mettent certes en jeu des facteurs de localisation à l’extérieur de la capitale – site d’Angkor pour le tourisme, port maritime de Sihanoukville/Kompong Som pour l’import-export lié aux activités industrielles ; cependant, Phnom Penh, pour partie directement concernée par ces activités, constitue un lieu majeur d’enregistrement spatial des flux que celles-ci engendrent.
51En ce qui concerne les liaisons internes à l’échelle nationale, compte tenu de la relative faiblesse des distances terrestres (Siem Reap et Sihanoukville se trouvant dans un rayon de moins de 300 km de la capitale) et des complémentarités qu’elles présentent en termes de flux (principalement relatifs au tourisme et au transport de marchandises), seule la faiblesse des infrastructures semble aujourd’hui limiter les effets d’intégration au sein d’une même aire de développement (voir carte 2.1).
52Le port de Sihanoukville (Kompong Som), principale porte d’entrée du Cambodge par les voies navigables, avec un trafic trois fois supérieur à celui du port de la capitale, constitue de fait, en tant que port maritime de Phnom Penh, l’élément clé de la complémentarité entre trafic maritime et trafic fluvial. En outre, l’axe Phnom Penh – Sihanoukville (Kompong Som) constitue l’axe majeur des échanges internationaux du Cambodge, fonction renforcée du fait de la prépondérance des produits textiles dans ces échanges (importation de matières premières, exportation de produits manufacturés). En volume, près de la moitié des marchandises échangées entre Phnom Penh et l’extérieur transite par cet axe (par voie routière à 90 %), la majeure partie étant relayée par le trafic maritime pour l’import/export. Le développement du port de Sihanoukville est inscrit au programme de la Région du Grand Mékong et fait l’objet d’un financement de la coopération japonaise (2005-2008), avec notamment le doublement de la surface de l’aire de conteneurs. L’optique « tripolaire » se profile également sur le plan des activités portuaires et des voies navigables : le projet de création d’un nouveau port à Phnom Penh est certes abandonné au profit de celui de Sihanoukville, mais le port existant se développe et la Banque Asiatique de Développement envisage la création d’un nouveau port à Siem Reap, ainsi que d’un chenal permettant d’assurer la liaison avec Phnom Penh par le Tonlé Sap en saison sèche (Vernet, 2008-2009, p. 91-94).
53Concernant le transport aérien, la logique « tripolaire » se trouve renforcée par la position dominante prise par la Société concessionnaire des aéroports (SCA – filiale à 70 % du groupe Vinci – principal investisseur français au Cambodge) avec la concession, jusqu’en 2040, des trois aéroports internationaux : Phnom Penh – Pochentong, Siem Reap, Sihanoukville. Ces derniers ont fait l’objet de grands travaux d’extension et de modernisation et certaines surcapacités sont même apparues dans l’équipement aéroportuaire de la capitale relativement à un trafic de 870 000 passagers et de 17 000 tonnes de fret en 2003 (en comparaison, l’activité des aéroports de Bangkok et de Hô Chi Minh-Ville la même année concerne respectivement 30 millions et 5 millions de passagers, et pour le fret respectivement 950 000 et 145 000 tonnes) – surcapacités temporaires cependant si l’on en juge par le rythme d’accroissement du trafic : 1,3 million de passagers (comme pour Siem Reap) et 27 000 tonnes pour le fret en 2006 (Vernet, 2008-2009, p. 83-85). Cet essor du trafic aérien est principalement activé par les deux secteurs clés de l’économie : l’industrie de la confection pour l’importance du fret, le tourisme pour le nombre de passagers. Quant aux flux touristiques, en dépit de la polarité d’Angkor-Siem Reap, Phnom Penh, avec l’aéroport international de Pochentong, demeure la première porte d’entrée du pays pour le tourisme international, originaire des pays d’Asie pour plus de la moitié : sur les 790 000 visiteurs du site archéologique en 2002, 320 000 sont passés par l’aéroport international de Pochentong. Bien que tributaire de flux externes et n’alimentant que partiellement ou indirectement le développement de la capitale dans ses limites actuelles, l’attraction touristique vers Angkor et, dans une moindre mesure, vers Kompong Som, dont le potentiel touristique comme future « Côte d’Azur cambodgienne » suscite l’intérêt des investisseurs et spéculateurs (Vernet, 2008-2009, p. 117), contribue à définir les conditions de croissance de la capitale cambodgienne, avec pour caractéristique structurelle la localisation externe de deux pôles majeurs de l’économie nationale : les activités portuaires avec Kompong Som et les activités touristiques avec Siem Reap. Cette caractéristique n’en rend que plus patents les impératifs d’équipement en infrastructure de transport.
54D’appréciables efforts ont certes été conduits dans le domaine des infrastructures routières avec l’appui de l’aide internationale (principalement Banque Asiatique de Développement [BAD], Banque Mondiale, Chine et Japon). L’ensemble des sept routes nationales existantes convergeant vers Phnom Penh a fait ou fait l’objet d’opérations de modernisation et d’aménagement.
Tableau I : Les routes nationales du Cambodge : réhabilitation et financement5.
Route No | Longueur (km) | Désignation | Financement des travaux |
1 | 167 | Phnom Penh – Viêt Nam (vers HCMV) | BAD et Japon |
2 | 121 | Phnom Penh – Viêt Nam (vers delta du Mékong) | BAD (+ Japon pour tronçon Takéo – frontière) |
3 | 202 | Phnom Penh – Sihanoukville (via Kampot) | Banque Mondiale (+ Corée du Sud pour tronçon Kampot – Sihanoukville) |
4 | 214 | Phnom Penh – Sihanoukville (par l’ouest) | États-Unis |
5 | 407 | Phnom Penh – frontière thaïlandaise (via Battambang) | BAD (+ OPEP et Australie) |
6 | 416 | Phnom Penh – Sisophon (via Siem Reap) vers frontière thaïlandaise | BAD, Banque Mondiale et Japon (+ BAD, Gouvernement cambodgien et OPEC pour le tronçon Siem Reap – Sisophon) |
7 | 461 | Phnom Penh – frontière laotienne (via Kratié) | BAD, Japon, Chine (Kampong Cham – Kratié) + Chine (Kratié - Veun Kham) |
8 | 109 (réalisation en cours) | Route Est – Ouest : Preak Tamek (25 km nord de Phnom Penh) – frontière du Viêt Nam (Anlong Chrey – Tay Ninh) | Chine |
55Les travaux relatifs aux liaisons routières entre Phnom Penh et Sihanoukville sont totalement achevés pour ce qui concerne l’axe majeur : la route nationale 4 (dont la reconstruction a été entreprise dès 1995 avec l’assistance des États-Unis et donnée, dans le projet de schéma directeur, comme principal support d’un futur « corridor de développement » de la Région du Grand Mékong reliant Sihanoukville à Kunming via les RN 4 et 7, puis le Laos). La réhabilitation de la route nationale Phnom Penh – Sihanoukville par Kampot est également achevée pour le tronçon Phnom Penh – Kampot (sur financement de la Banque Mondiale), la rénovation du tronçon Kampot – Sihanoukville (sur financement coréen) était en cours à la fin de la décennie 2000. Quant à la liaison routière entre Phnom Penh et Siem Reap par la route nationale 6, sa remise en état a bénéficié du financement des travaux par la BAD, la Banque Mondiale et le Japon. L’amélioration de ces liaisons contribue, à l’évidence, au renforcement des synergies « triangulaires » (cf. Tableau I).
56En revanche, le transport ferroviaire, bien que correspondant sensiblement aux polarités économiques mentionnées, présente, dans l’état défectueux qui est actuellement le sien, un sérieux handicap tant en termes d’échanges (ce que traduit la faiblesse du trafic pour le fret et la baisse du nombre de passagers) qu’en termes de plateforme structurante pour le développement urbain. Consistant principalement en deux lignes au départ de la gare centrale de Phnom Penh (située au cœur de la capitale) : l’une vers Sihanoukville (264 kilomètres de voies, uniquement pour le fret), l’autre vers Poïpet et la frontière thaïlandaise (386 kilomètres), le transport ferroviaire ne dispose que d’installations vétustes et d’un matériel roulant limité. Le ministère des Transports prévoit cependant la réhabilitation du réseau ferré à l’horizon 2014 (programme de travaux, nécessitant des ouvrages de franchissement, attribué à la société française TSO, associée aux entreprises thaïlandaises AS et Nawarat), projet bénéficiant de l’appui de la Banque Asiatique de Développement. Celleci contribue à ce programme sous la forme d’un prêt (avec un apport de l’OPEP et un don du Gouvernement malaisien), assorti d’une démarche de privatisation des Chemins de fer royaux du Cambodge (CFRC) (Vernet, 2008-2009, p. 88-91). En outre, des projets nouveaux accompagnent cette restructuration de la gestion : se plaçant sur le registre de l’inter-modalité, le consortium khméro-australien TOLL, futur concessionnaire pour le transport ferroviaire, a pour projet, d’une part, de développer le fret à partir du port de Sihanoukville, d’autre part, à Phnom Penh, d’exploiter le réseau ferré pour le transport de voyageurs entre l’aéroport de Pochentong, la gare et la RN 5 (au nord-est), en tirant parti de la construction d’une gare de marchandises à proximité de l’aéroport (Apur, 2009-2010, p. 28-31).
57On notera qu’au-delà des différences relatives à leur état de fonctionnement et à leur dynamisme au regard des évolutions économiques, les infrastructures de transport ont pour caractéristiques communes d’inscrire la polarité de Phnom Penh à l’échelle du territoire cambodgien et de marquer l’emboîtement (actuel ou virtuel) des réseaux nationaux avec les dimensions internationales – ce que traduit clairement l’orientation du réseau de routes nationales rayonnant à partir de Phnom Penh en direction des frontières des pays limitrophes (Thaïlande, Viêt Nam, Laos) comme du réseau ferroviaire. C’est dire aussi le handicap que constitue l’actuelle discontinuité de ces réseaux du fait de leur interruption aux frontières (voire avant) et l’enjeu que présentent leur raccordement et leur extension (y compris pour le réseau fluvial) auxquels œuvre notamment la Banque Asiatique de Développement (BAD) dans l’optique du projet de la Région du Grand Mékong (RGM).
Les facteurs d’intégration régionale et le développement de synergies avec les deux grandes métropoles voisines : Bangkok et Hô Chi Minh-Ville
58De par sa situation fluviale privilégiée sur le Mékong, le Tonlè Sap et le Bassac (site de confluence dit des Quatre-Bras), et d’une localisation au croisement de deux axes terrestres : l’un liant la Thaïlande et la partie méridionale du Viêt Nam et présentant des polarités urbaines à l’extérieur du Cambodge, à savoir Bangkok et Hô Chi Minh-Ville, l’autre reposant sur des polarités internes, à savoir l’axe Phnom Penh – Sihanoukville, mais ayant fonction de « portes » principales du Cambodge pour ses relations (portuaires et aéroportuaires) avec l’extérieur, Phnom Penh bénéficie à l’évidence d’une position stratégique dans le domaine des échanges, celle-ci étant appelée à être renforcée par les programmes d’infrastructures en cours ou en projet6.
59Considérant que les activités d’échange de Phnom Penh sont très fortement tournées vers l’extérieur (les relations avec la province ne concernent que 23 % du volume des échanges en 2002), il est clair que les questions relatives aux infrastructures visent au premier chef les échanges avec les pays limitrophes : la Thaïlande et le Viêt Nam, ces importants partenaires économiques comptant – origine ou destination – en tonnage plus du tiers des marchandises transitées échangées. Pour l’heure, et compte tenu de l’état du réseau ferroviaire, celles-ci empruntent le réseau routier ou transitent par les installations portuaires de Phnom Penh et prennent la voie fluviale (il s’agit notamment de produits pétroliers, de matériaux de construction, de produits agricoles et forestiers et de produits manufacturés, qui, en volume et ensemble, représentent environ 40 % du commerce extérieur du pays). Cependant, la liaison Singapour-Malaisie-Thaïlande-Viêt Nam-Chine, via le Cambodge, est donnée pour une priorité en matière d’infrastructures régionales par l’ASEAN (Municipalité, 2007, p. 109) et s’inscrit désormais dans le cadre du projet de premier corridor ferroviaire du programme de la Région du Grand Mékong (RGM) pour la troisième décennie (à partir de 2012), reliant Singapour à Kunming et Nanning.
60Pour ne pas demeurer à l’écart du maillage des grands réseaux d’échange, Phnom Penh se doit d’être en mesure de saisir les opportunités de captation des flux résultant de l’inscription territoriale et géopolitique du pays au sein d’une Asie orientale en expansion. Le Cambodge est, en effet, partie prenante des associations de coopération économique régionale (ASEAN, ASEAN+ 3 [Chine, Corée du Sud, Japon], ASEAN Free Trade Zone – AFTA, BAD, Commission du Mékong, Région du Grand Mékong). Il s’agit évidemment aussi de tirer parti du potentiel de branchement économique qu’offre la localisation de Phnom Penh sur le « corridor » Bangkok – Hô Chi Minh-Ville en cours de structuration, comme principal nœud entre les aires d’influence de ces deux grandes métropoles de l’Asie du Sud-Est continentale, en mettant à profit les réseaux d’infrastructure existants (aménagement, remise en état et extensions), mais aussi en veillant à moderniser, à renforcer et à développer les liaisons et connexions relatives aux portes d’entrée que sont port, aéroport, gares routière et ferroviaire. Or, dans ce domaine clé pour la dynamique d’intégration économique régionale comme pour les processus de métropolisation qui l’activent, le financement – et avec lui l’initiative – repose très largement sur les subsides internationaux.
61Dans la perspective d’un renforcement de l’intégration régionale, le développement de synergies avec Bangkok et Hô Chi Minh-Ville bénéficie de l’amélioration du réseau routier, opérée depuis le début des années 2000 avec l’aide des principaux bailleurs de fonds pour le Cambodge : Banque Asiatique de Développement, Banque Mondiale, Chine et Japon, en relation notamment avec le projet d’Autoroute Panasiatique (Asian Highway) devant relier ces deux métropoles régionale en passant par Phnom Penh, projet développé par la Banque Asiatique de Développement dans le cadre du programme (2007-2011) de la Région du Grand Mékong. S’inscrivent dans ce cadre d’abord les importants travaux sur la route nationale 1 reliant Phnom Penh à Bavet (frontière vietnamienne) et Hô Chi Minh-Ville, comportant notamment la construction d’un pont sur le Mékong à Neak Luong, à 60 kilomètres au sud-ouest de Phnom Penh, avec l’appui financier et technique de la coopération japonaise. Vient ensuite la liaison avec Bangkok grâce à la remise en état de la route nationale 5 Phnom Penh – Poïpet (frontière thaïlandaise) via Pursat, Battambang et Sisophon, ainsi que la réhabilitation du tronçon Sisophon – Poïpet (assurant la jonction avec la route nationale 6 Phnom Penh – Siem Reap – Sisophon), qui renforcent la position de la capitale cambodgienne sur la route Panasiatique, celle-ci s’affirmant comme l’axe routier majeur pour le Cambodge.
62C’est dans cette même perspective définie par le programme RGM que s’inscrit le financement des travaux de remise en état et de modernisation du réseau ferroviaire. Dans les conditions actuelles, hormis pour le fret transitant par Sihanoukville ainsi que pour le ciment et les matériaux de construction en provenance de la Thaïlande sur la ligne Battambang-Phnom Penh, la part du ferroviaire dans les échanges internationaux du Cambodge est minime, y compris avec les pays voisins les plus proches. Le financement par la Malaisie des travaux relatifs à la liaison Sisophon-Poïpet, sur la ligne de jonction nordouest avec la Thaïlande (interrompue en 1970), et par la Corée du Sud des travaux relatifs à la création de la voie Phnom Penh – Hô Chi Minh-Ville (seule véritable création pour le premier corridor ferroviaire de la RGM) concourent à la réalisation de la première voie ferrée transasiatique (avec des contributions attendues de la Chine et de la Banque Asiatique de Développement). Toujours dans le cadre du programme RGM, au titre de l’ouverture de l’espace régional aux liaisons fluviales transfrontalières, un Plan directeur sur la navigabilité du Tonlé Sap et du Mékong est étudié par le Gouvernement cambodgien avec l’appui de la coopération technique belge, mais ses perspectives dépendent de la signature d’un accord bilatéral de navigation avec le Viêt Nam7.
63En tout état de cause, en dépit de la prépondérance économique de la capitale à l’échelle nationale (elle contribue à 31 % du PIB national et le PIB par habitant y est trois fois et demi supérieur à la moyenne nationale), les atouts de Phnom Penh dans sa relation aux deux métropoles voisines demeurent limités en raison de son faible poids économique par rapport à celles-ci (à titre indicatif, le PIB par habitant de Bangkok serait dix fois supérieur à celui de Phnom Penh – nonobstant l’habituelle réserve quant à la fiabilité de ces chiffres).
64Les infrastructures d’échange valorisent non seulement la polarité de Phnom Penh au sein de la Région du Grand Mékong, mais aussi la position du Cambodge comme interface entre l’espace économique de l’ASEAN et les puissances et pays émergents de l’Asie orientale (cf. Municipalité, Livre Blanc, 2007, p. 254). Ce pourrait être l’une des clés explicatives de l’intérêt soutenu de la Chine et du Japon pour le développement industriel de Sihanoukville. Quoi qu’il en soit, les infrastructures physiques de transport constituent, à l’évidence, un facteur clé pour l’intégration de Phnom Penh au sein de la hiérarchie métropolitaine régionale et, à ce titre, un enjeu majeur dans l’optique du schéma directeur de la capitale cambodgienne et des formes de métropolisation que celui-ci dessine8.
Paradoxes et incertitudes de la planfication urbaine : la gouvernance de projet aux marges de la métropolisation
65Ainsi, c’est essentiellement sous le signe de l’internationalisation de la production urbaine que les effets de métropolisation se manifestent à Phnom Penh, mettant en jeu des interventions à caractère exogène. Or, l’intervention des investissements directs étrangers ou des actions financées par l’aide publique au développement, l’importance des opérations engagées dans le domaine des infrastructures, des équipements et même de la promotion immobilière, mobilisent des capitaux dans la durée (le temps de réalisation) et créent des problèmes de coordination d’opérations entre une multiplicité d’acteurs, y compris en termes de financement. Dans ce contexte s’imposent la définition d’un cadre général et d’orientation qui puisse servir à la fois de référence et de garantie pour ces actions et engagements à long terme, ainsi qu’un dispositif institutionnel à même d’en assurer la mise en œuvre (phasage, effectivité et qualité des réalisations). C’est en prévision de ces nécessités et afin de faire face, de façon plus immédiate, aux problèmes d’infrastructure et de structures d’accueil que soulève l’accroissement rapide de la population de la capitale (de 1989 à 1998, celle-ci passe de 400 000 à un million d’habitants), dans le contexte de la restauration des structures institutionnelles et financières du début des années 1990, qu’a été mis en place – à l’instigation du ministre d’État en charge de l’urbanisme et de l’aménagement, M. Vann Molyvann9 – un Bureau des Affaires Urbaines (BAU). Il est alors fait appel à la coopération française pour la mise sur pied d’une équipe technique distincte du service d’urbanisme de la ville de Phnom Penh (indépendante donc des jeux de pouvoir propres à la Municipalité) qui soit en mesure de dialoguer, en tant qu’organisme de médiation technique, avec les équipes d’experts et bureaux d’étude internationaux en charge de la définition des programmes d’aménagement pour les bailleurs impliqués tels que : Banque Asiatique de Développement, Banque Mondiale, Agence de coopération japonaise JICA.
66D’abord en charge des questions d’équipement, de gestion urbaine, et de la définition d’une politique urbaine auprès de la municipalité, le BAU élabore depuis 2003 les documents préparatoires au projet de schéma directeur pour la capitale. Cette démarche, elle-même placée dans le cadre d’une action de coopération internationale, en termes de « projet » sur financement extérieur, prend en compte les récentes extensions du périmètre administratif de la ville, celles-ci intégrant significativement douze nouvelles communes et les trois grands projets urbains sur financement privé étranger : Camko City, Boeung Kak, Koh Pich. Cependant, l’avant-projet de schéma directeur tel que formulé dans le Livre Blanc préconise de déborder ces limites au profit d’une réorganisation territoriale reposant sur le regroupement de la Municipalité de Phnom Penh, soit avec la partie nord (2 000 km2), soit avec l’ensemble de la Province de Kandal (4 300 km2) pour créer le Grand Phnom Penh, avec un statut spécial pour la Capitale (Municipalité, 2007 : 245-311) (voir carte 2.1).
67Un tel déploiement, associant les atouts de dynamisme interne et la dimension internationale, nécessite – en termes de stratégie d’aménagement – de combiner trois dimensions : celle de la région-capitale, autrement dit le Grand Phnom Penh (3 929 km²), intégrant la province de Kandal (3 553 km²) qui l’entoure et lui donne une ouverture maritime ; celle des axes majeurs de développement, inscrivant le territoire de la capitale dans ses relations avec les principaux pôles secondaires à l’échelle nationale (en particulier sa « triangulation » avec Siem Reap-Angkor et Sihanoukville), et enfin, celle de l’articulation avec les pôles urbains majeurs à l’échelle de l’Asie du Sud-Est continentale, notamment avec les plus proches : Bangkok et Hô Chi Minh-Ville. Cette orchestration met à l’ordre du jour la délicate question de la maîtrise du développement urbain, non seulement sous son aspect technique d’outils opérationnels et réglementaires, mais également en termes institutionnels et (géo-)politiques.
68Alors même que l’intensification de la construction renforce les risques d’inondation et effets de crues, risques accentués par le comblement des boeung (lacs de la dépression d’arrière berge), la nécessité de la maîtrise du système hydraulique contribue à imposer l’échelle métropolitaine (Municipalité, 2007, p. 163). Dans ce contexte, ont été adoptés les principes de « réseau bleu » pour l’aménagement du réseau hydrographique et de « réseau vert » pour la protection des sites sensibles (sanctionnant l’intégration des standards internationaux en matière d’urbanisme), ainsi que l’établissement de schémas directeurs de drainage et d’assainissement – élaborés par la Municipalité de Phnom Penh à l’horizon 2020 avec l’appui de la coopération française. La proposition de réorganisation du territoire urbain à l’échelle métropolitaine rejoint, en outre, une logique institutionnelle visant à doter la nouvelle entité d’une large autonomie, assortie sur le plan financier d’une gestion directe des ressources fiscales et de la possibilité d’emprunter auprès des bailleurs internationaux, à l’instar des modes de gestion en vigueur dans les grandes métropoles d’Europe occidentale.
69L’avant-projet de schéma directeur s’inscrit ainsi dans la perspective ambitieuse d’une métropolisation maîtrisée, avec une priorité accordée à l’aménagement des grands réseaux d’infrastructures (adduction d’eau, sources d’énergie et équipement électrique, équipement dans le domaine des infrastructures et des télécommunications), leurs tracés (points d’échanges, intermodalités) présentant une dimension structurante dans l’optique d’une planification stratégique pour Phnom Penh10.
La stratégie de développement sous-jacente à l’avant-projet de schéma directeur – perspective 2020, et ses limites
70Observons d’abord que, pour les concepteurs du Livre Blanc, l’action physique sur le territoire est conçue comme un instrument de la dynamique de développement économique et social, une modalité majeure de la maîtrise et de l’orientation de l’avenir du territoire de la capitale, et, compte tenu du rôle moteur dévolu à celle-ci, du pays dans son ensemble, dans un contexte de forte dépendance à l’égard des flux financiers d’origine externe, mais avec l’ouverture de nouvelles perspectives liées à l’exploitation commune avec la Thaïlande des ressources en hydrocarbures du Golfe. Une des visées de l’action sur le territoire à l’échelle du Grand Phnom Penh concerne le renforcement de ses atouts d’attractivité et de compétitivité. Régies par la loi cambodgienne sur les investissements de 1994, les conditions d’attraction des investissements directs étrangers sont également fonction du cadre urbain – environnemental et logistique – que le Cambodge, et en particulier sa capitale, sont en mesure d’offrir. Tout en reconnaissant les avantages comparatifs dont Phnom Penh bénéficie du fait notamment de sa localisation sur l’axe Bangkok-Hô Chi Minh-Ville, de sa relativement bonne desserte et des coûts relativement faibles des facteurs de production (main d’œuvre et foncier), le Livre Blanc souligne aussi ses fragilités. Le manque de qualification de la main d’œuvre, la déficience des équipements techniques d’infrastructure, ainsi que le coût élevé de l’énergie et des télécommunications limitent l’attraction des investissements productifs privés d’origine externe ; ceux-ci, bien que volatiles, demeurent toutefois prépondérants, en dépit de la croissance des petits investissements privés locaux ou nationaux.
71Le Livre Blanc recommande de remédier à ces faiblesses en renforçant la production électrique (par la construction de nouvelles centrales et la connexion avec le Viêt Nam) et l’amélioration des réseaux (de distribution électrique, téléphonique, de transport). Il recommande une diversification des activités économiques : accueil d’industries légères et de construction ; renforcement de la fonction touristique, en tirant un meilleur parti de la richesse du patrimoine et des sites naturels (avec le soutien d’une politique active d’identification, de classement et de protection). Il vise à faire face aux forts accroissements de la population citadine (de l’ordre de 40 000 habitants supplémentaires par an), de façon à assurer un meilleur taux d’emploi dans les activités « formelles ».
72L’avant-projet de schéma directeur se pose donc comme grand orchestrateur de la croissance urbaine de Phnom Penh (carte 2.4) ; visant à organiser les changements dimensionnels, il entend aussi orienter et canaliser les flux en associant la fonction de régulation a posteriori avec l’intégration des grands projets dans son dispositif, notamment avec la réservation d’espaces d’accueil pour l’implantation de tours ou d’établissements industriels. Devant l’importance de la frénésie constructive (selon le Livre Blanc, on estime qu’en 2004 l’investissement immobilier a représenté plus de 50 % de l’investissement national) et de la spéculation foncière qui accompagnent la multiplication des projets publics et privés, la production d’outils de maîtrise du développement urbain semble effectivement indispensable, ne serait-ce qu’en termes de techniques urbaines.
73Il s’agit de garantir, à travers le schéma directeur, les conditions qualitatives en matière d’offre urbaine et de gestion métropolitaine répondant aux exigences propres à son statut de capitale. Ces exigences doivent, en principe, guider les orientations de la planification dans le moyen et le long terme, notamment les grandes opérations. Faisant écho à la perspective d’encadrement sélectif de la localisation des tours, le Plan de destination générale des sols (sous la rubrique « centre secondaire et pôle spécialisé ») identifie quatre secteurs où de grandes opérations structurantes devraient être impulsées au titre de l’organisation des fonctions urbaines, avec une implication plus directe des pouvoirs publics :
- le quartier de la nouvelle gare de Samraong, à l’entrée ouest de la capitale, conçu comme futur centre secondaire à l’échelle de l’agglomération ;
- les pointes opposées de Chruy Changvar et de Chbar Ampoeuv, porteuses de deux grands projets devant contribuer à la mise en valeur du site fluvial des Quatre-Bras (Chaktomuk) : le premier, face au Palais Royal, avec un programme tourné vers la culture traditionnelle et le tourisme ; le second, plus au sud, avec un ambitieux programme de quartier d’affaires et d’habitat ;
- les lacs situés au nord de l’agglomération et les espaces verts qui les bordent, ensemble présentant une grande qualité paysagère et destiné à accueillir une grande cité administrative, ainsi que des équipements structurants associés au développement de grands projets dans cette partie de l’agglomération.
74Outre le principe de réservation de ces sites attractifs et des zones d’accueil des tours et des grands projets, les principaux « enjeux » mentionnés traduisent la préoccupation d’une adaptation de l’espace urbain aux nouvelles normes métropolitaines. Il s’agit d’abord de l’élargissement du territoire municipal « à une trentaine de kilomètres de rayon autour du Vat Phnom (soit au moins toute la moitié nord de la province de Kandal) ». Viennent ensuite les grands projets d’infrastructure préparant la croissance urbaine : « développement du grand maillage des boulevards et avenues pour développer l’offre foncière et immobilière en banlieue ouest et nord » ; optimisation des grandes infrastructures existantes (« agrandissement de l’aéroport, extension des ports fluviaux, création d’une nouvelle gare de marchandises en banlieue ouest à Samraong et amélioration de la gare voyageur du centre-ville ») ; création de nouvelles infrastructures de transports collectifs (« transports en commun sur l’emprise des chemins de fer existant au nord et à l’ouest »), adoption du tracé de la ligne de chemin de fer entre Phnom Penh et Hô Chi Minh-Ville « pour renforcer les liens entre les deux villes et permettre la création à long terme d’une extension urbaine sur la rive orientale du Mékong ». Enfin, sont prévus le développement de « la concertation entre les investisseurs, banques, agences immobilières, grands propriétaires fonciers et opérateurs pour fluidifier le marché foncier et immobilier : création d’un Observatoire du foncier et de l’immobilier », ainsi que le renforcement de « la qualité des espaces de représentation de la capitale par l’adoption d’une politique touristique fondée sur la préservation et la mise en valeur du patrimoine archéologique, historique et par l’adoption du Plan paysager et la mise en place d’un important service des espaces verts11 ».
75Les recommandations concernant la sauvegarde du patrimoine et sa mise en valeur obéissent effectivement à cette même logique d’intégration des normes internationales de l’aménagement urbain, tout en assurant la protection de l’agglomération à l’encontre des impacts spatiaux négatifs résultant des logiques d’investissement. Le Livre Blanc insiste notamment sur l’intérêt touristique que représente Phnom Penh, du fait de la qualité du traitement architectural et urbanistique dont la capitale a bénéficié, sous le Protectorat et dans les années pionnières de l’Indépendance. Se référant à la Loi sur le patrimoine national de 1996, il souligne la nécessité de mettre en œuvre une véritable politique dans ce domaine. Sont particulièrement concernés les principaux monuments et édifices, tels que les pagodes anciennes : Vat Phnom, Vat Ounalom, le Palais Royal, le « Stade Olympique », le marché central Phsar Thmei, la Gare centrale, ainsi que les sites qui leur sont associés et le riche patrimoine paysager.
76Cependant, l’aménagement des sites majeurs, comme celui de la confluence des Quatre-Bras, ou la préservation du centre historique supposent la maîtrise de la dynamique urbaine. Or, le contexte de spéculation foncière et immobilière incite les particuliers, mais aussi les administrations publiques, à se débarrasser des immeubles anciens (y compris en opérant des démolitions, en prétextant d’un risque souvent hypothétique pour la population), afin d’échapper aux servitudes prévues par la législation, de tirer le meilleur prix de la revente des terrains ainsi « libérés » ou de pouvoir les affecter à des utilisations plus rentables (Chapman, 2002). Si l’on s’en tient aux chiffres officiels, depuis le milieu des années 1990, plus de la moitié des 350 bâtiments identifiés par la Municipalité comme relevant du patrimoine architectural à conserver, ont fait l’objet de programmes de réhabilitation avec l’assistance de l’aide étrangère : Ambassade de France, Agence Française de Développement et Ville de Paris pour le marché central Phsar Thmei ; Agence allemande d’assistance technique GTZ (Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit) pour le Vat Phnom, par exemple – ces actions participant, de fait, de l’internationalisation de la production urbaine. Mais 8 % des bâtiments inventoriés ont été détruits, tels les bâtiments du Génie militaire français en 2003, avant la vente du terrain pour l’extension de l’hôpital Kanta Bopha au nord-ouest du Vat Phnom, ceux de l’ensemble du Cercle sportif au sud du Phnom pour la construction de la nouvelle ambassade des États-Unis ou, plus récemment, l’édifice colonial abritant l’office municipal du tourisme. Ces approches contradictoires sont révélatrices des tensions que suscitent les démarches de réhabilitation et de sauvegarde, celles-ci conduisant à soustraire au marché des biens publics que d’aucuns – usant de certaines positions de pouvoir – entendent gérer dans le sens d’une prise de profit personnel.
77Plus globalement, l’élaboration de l’avant-projet de schéma directeur met ainsi en relief le double processus de privatisation qui, en l’attente de l’entrée en vigueur de ce dispositif de régulation et d’orientation, préside à la production urbaine dans le contexte de Phnom Penh. Un premier processus est impulsé par les acteurs (publics et privés) locaux : construction d’habitations individuelles, de compartiments commerciaux, de marchés, ainsi que (pour partie) des équipements et infrastructures associés ; un second processus est activé par des investisseurs souvent porteurs de capitaux extérieurs, à l’origine de réalisations exclusives, tels qu’hôtels internationaux, immeubles de bureaux, zones d’activités, quartiers résidentiels sécurisés (gated communities) auxquels sont fréquemment intégrés des écoles internationales et des équipements de loisirs (terrains de golf, waterparks). En l’absence de réglementation effective de l’affectation des sols, ce double processus active la compétition pour la prise de contrôle des terrains urbains ou « urbanisables », nourrissant un climat de spéculation (et d’exclusion) foncière qui vient encore complexifier la réponse aux besoins croissants en logement des habitants de la capitale, en particulier pour les couches les plus pauvres de la population citadine.
78On ne saurait ignorer l’intensification des problèmes sociaux (accès au logement, aux lieux d’emploi, aux services urbains…) résultant de la pression foncière (entre dépossession et accaparement) induite par les conditions spécifiques dont procède l’adaptation de la capitale aux contraintes et exigences de l’internationalisation de l’économie urbaine dans un contexte d’instauration brutale d’une nouvelle hiérarchie sociale citadine. Or, en l’état actuel du Cambodge, le traitement de ces problèmes socio-spatiaux repose également, pour une part importante, sur les apports de l’aide publique au développement, la coopération, la solidarité et l’expertise internationales dans le champ urbain. Ces aides sont attendues pour la prise en charge technique et financière des fonctions de structuration et de régulation du développement urbain, voire des dispositifs visant à en atténuer les effets sociaux. Par ailleurs, tandis que les fonds d’aide internationaux tendent à être orientés, sur le plan sectoriel, vers des actions structurantes (ainsi de l’appui de la coopération française pour l’élaboration des schémas directeurs de drainage et d’assainissement à l’horizon 2020 par la Municipalité de Phnom Penh), la tendance est à recourir aux opérateurs privés pour la réalisation et la gestion des principaux équipements d’infrastructure, sous la forme de projets assortis de diverses formes contractuelles de délégation (le contrat de concession en BOT [Build – Operate – Transfer] le plus important, dans la dernière décennie, concernant la reconstruction et la gestion de l’aéroport international de Phnom Penh-Pochentong, sur financement d’un consortium majoritairement contrôlé par le groupe français Vinci). Il en va actuellement de même pour la construction privée de ponts sur le Tonlé Sap et sur le Mékong, le franchissement des fleuves assurant la liaison des routes nationales moyennant péage (comme à Kop Srov, à 17 kilomètres du centre de Phnom Penh) tout en favorisant l’extension du marché immobilier urbain aux zones rendues ainsi aisément accessibles depuis la capitale. Ces actions et projets apparaissent, d’une certaine manière, comme une stratégie municipale déléguée, quand ils ne constituent pas, comme pour les ponts, une forme de « corridors sauvages » éventuellement assortie de péage, enregistrée a posteriori par le schéma directeur. Ils ouvrent de fait l’espace urbain ou « urbanisable » qu’ils valorisent aux opportunités foncières à l’avantage des spéculateurs ou investisseurs privés ; ils contribuent paradoxalement à produire les obstacles qu’ils sont, dans le cadre du schéma directeur, censés lever (Goldblum, 2002). Autrement dit, ces processus d’internationalisation de la production urbaine ne font pas qu’obéir aux contraintes techniques, ou répondre aux impératifs de la croissance économique. Leur transcription foncière (notamment le « troc » de terrains auquel donnent lieu certaines transactions sur les biens et équipements publics) témoigne d’autres logiques associant investissements externes et « connexions » internes au plus haut niveau, caractéristiques, selon David Chandler, des rapports de pouvoir au sein de la société cambodgienne (Osborne, 2008, p. 204).
79L’entrée dans le champ de la métropolisation signifie également cela : la mise à l’épreuve des systèmes urbains en transition quant à leurs capacités non seulement à concevoir et à développer des projets, mais aussi à établir les régulations et gérer les structures urbaines (économiques, sociales, institutionnelles) propres à les accueillir.
Échelles de planification et gouvernance des grands projets urbains
80Pour l’heure, force est de constater que les conditions et capacités d’action de la Municipalité de Phnom Penh sont limitées et ambiguës en matière de planification comme de gestion urbaine. La position du Bureau des Affaires Urbaines (BAU) auprès de la municipalité est révélatrice de ce point de vue, car si – comme nous l’observions plus haut – l’initiative de sa création relève d’une haute instance nationale, son instauration effective relève quant à elle de la coopération internationale, à savoir la coopération bilatérale française, par l’intermédiaire de l’Agence Française de Développement, en association avec la Ville de Paris et l’Union européenne12.
81Outil potentiellement efficace et doté d’importantes responsabilités (il est notamment en charge de la conception et de l’élaboration des documents de planification, avec une extension de son champ d’activité assorti du renforcement de son équipe à partir de 1995), le BAU souffre cependant d’un double handicap sur le plan de l’urbanisme opérationnel. D’une part, il est tributaire de la coopération internationale et de ses aléas pour son financement (Ville de Paris, Union européenne, AsiaUrbs, Fonds de solidarité prioritaire du Gouvernement français – FSP). D’autre part, si le fait de ne pas disposer d’un véritable statut officiel lui permet, pour partie, d’échapper aux contraintes du jeu politique, voire à celles relatives aux délimitations territoriales de la Municipalité et à celles des domaines de compétences qui leur sont associés, l’absence d’autorité propre expose ses activités comme ses missions aux aléas de l’approbation institutionnelle (Blancot 2001, p. 24-27). Ainsi, bien qu’il soit accueilli dans les bureaux de la Municipalité et qu’il collabore très directement avec ses services techniques, le Bureau des Affaires Urbaines ne dépend pas statutairement de celle-ci, mais du ministère de l’Aménagement du territoire, de l’urbanisme, de la construction (MATUC).
82Ces questions relèvent largement de ce qu’il est désormais convenu de désigner sous l’expression de « gouvernance urbaine » (Goldblum et Osmont, 2008). Elles concernent la nature des dispositifs en charge de l’aménagement, leurs attributions et compétences tant sur le plan de l’étendue territoriale concernée que du point de vue de l’utilisation des sols – de la politique foncière à la maintenance des réseaux faisant l’objet de modernisation – dans un contexte où la spéculation et la corruption vont de pair avec une nouvelle donne quant à la distribution des pouvoirs, des positions sociales et des sources de richesse.
83Cette même fragilité, et cette même ambiguïté entre maîtrise et laisser-faire, rejaillissent sur l’avant-projet de schéma directeur que le BAU a eu en charge d’élaborer, au titre d’un programme d’Assistance à la maîtrise d’ouvrage en gestion et développement urbain, également dans le cadre du Fonds de solidarité prioritaire de la coopération bilatérale française. L’existence même d’un tel document, préalable au schéma directeur d’urbanisme de la Municipalité de Phnom Penh à l’horizon 2020, traduit à la fois l’importance des enjeux du développement de la capitale cambodgienne et les limites quant aux capacités propres de maîtrise de ses vecteurs comme de ses effets. Avant-projet élaboré dans le cadre d’une coopération bilatérale (cf. note 1), le Livre Blanc qui lui sert de support n’a formellement pas d’autre valeur juridique que celle que les autorités légitimes sont disposées à lui reconnaître, même si ses différentes étapes et points majeurs ont été « actés » dans le cadre de réunions officielles.
84En dépit des assurances d’efficacité et de stabilité qu’entendait donner l’énoncé, par le Premier ministre, de la « stratégie rectangulaire13 » de croissance économique pour 2004-2008, ainsi que le vote de la loi organique du 24 mai 2008 relative à la décentralisation administrative14, le contexte dans lequel s’inscrivent la planification urbaine et les actions de développement territorial demeure donc pour le moins aléatoire. Ce trait caractéristique de ce que nous nommons la « métropolisation dépendante » concerne les secteurs de base de l’économie urbaine (industrie de la confection, tourisme et construction) qui, tributaires de l’économie mondiale pour partie régionalisée, connaissent un fort ralentissement en 2009. Dans le domaine particulier des opérations d’aménagement, alors que les projets de grande envergure se multiplient dans la capitale (les compétences du gouverneur quant à la délivrance des permis de construire étant cependant limitées aux bâtiments de moins de 3 000 m ²), sur la quinzaine de tours en projet à partir de 2005, seules deux d’entre elles : Canadia Tower et Camko City, étaient effectivement réalisées à la fin de la décennie (Apur, 2009-2010, p. 21 ; Jammes, 2009, p. 133-137). À cet égard, la récente mise en place des Plans de développement urbain, alors que le Schéma directeur était encore en instance d’approbation, ne traduit pas une simple application localisée des recommandations du Livre blanc ; elle privilégie, dans son principe, un retour à une échelle urbaine jugée plus maîtrisable et répond à un souci d’efficacité opérationnelle. Pensé comme un « document évolutif », le plan de développement urbain « doit être adaptable en permanence » (Apur, 2009-2010, p. 14 ; 100). Prenant en compte la rapidité de la croissance dans la périphérie nord sous l’effet des grands projets résidentiels (Camko City, Grand City Phnom Penh et lotissements de villas) et du développement industriel (pôle de 44 usines – de confection principalement – représentant 37 000 employés dans la seule commune de Tuol Sangké), le choix s’est porté sur le district (khan) de Russei Keo (140 000 habitants en 1998 ; plus de 250 000 en 2008) comme terrain d’une première mise en œuvre des directives d’urbanisme. Ce choix a aussi pour effet de placer le Boeung Kak et la partie nord du boulevard Monivong en position de futur hypercentre de l’agglomération étendue.
85L’exercice n’en demeure pas moins délicat. En l’attente de l’approbation formelle du schéma d’ensemble – qui, de fait, intervient plutôt comme « plan-guide », base de négociation avec les opérateurs et investisseurs –, ce nouveau dispositif manifeste la nécessité de doter la capitale d’outils opérationnels. Il entre ainsi en phase avec un ensemble de dispositions institutionnelles relatives à la planification urbaine, à l’échelle nationale comme à l’échelle de la capitale. Il s’agit d’abord d’un renforcement des moyens d’action du ministère en charge de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, de la construction (MATUC) avec le projet de loi sur la « Stratégie nationale de développement urbain ». Il s’agit ensuite pour la capitale, désormais pourvue d’un conseil municipal, de la création d’une nouvelle sous-direction en charge de la gestion du schéma directeur, de l’élaboration et du suivi des plans de développement au sein du Département de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, de la construction et du cadastre (DATUCC). Ce dernier se voit, en principe, doté d’un pouvoir de négociation avec les promoteurs privés quant à l’affectation des parcelles – pouvoir que la loi sur la Stratégie nationale de développement urbain devrait entériner en prévoyant l’obligation, pour les opérations de promotion privée, de réserver des terrains pour les équipements et l’habitat social (Apur, 2009-2010, p. 38-41, 100). C’est aussi dans la logique opérationnelle de ces plans de développement localisés que se manifeste la nécessité de mettre en place un établissement public en charge des problèmes de transport urbain, groupant des représentants des ministères et de la municipalité. Observons, à cet égard, que l’absence de transport public de type métro aérien ou skytrain porte la marque d’une métropolisation inaccomplie (Apur, 2009-2010, p. 31).
86En raison des singularités de l’histoire politique récente du Cambodge (Chandler, 1991 ; Forest, 2008), la reconstruction physique de sa capitale se double donc de sa reconstruction institutionnelle. Ce qui relève des conditions instauratrices du fonctionnement urbain (mise en place des institutions en charge de la politique urbaine ou d’un aspect sectoriel de celle-ci, élaboration d’une réglementation urbaine ou de documents d’urbanisme, formalisation du marché foncier et immobilier urbain avec établissement d’un cadastre…) interfère avec les conditions de mise aux normes métropolitaines. Cette interférence soulève des problèmes particuliers, tant sur le plan de la gestion urbaine que sur celui de la compréhension des mécanismes complexes de développement urbain et des obstacles auxquels celui-ci se trouve confronté, en dépit, voire en raison des appuis internationaux exceptionnels dont le pays dispose. Face aux effets combinés des investissements directs étrangers et des grandes manœuvres supranationales d’une mondialisation régionalisée, orchestrant – dans un climat fortement spéculatif – la mise en place des infrastructures d’une « métropolisation dépendante », ce qui est ici en question, ce ne sont pas les seuls aléas relatifs aux processus d’internationalisation de l’économie et de la production urbaines, mais bien la capacité du Cambodge, dans sa phase de reconstruction actuelle, de tenir ensemble la construction d’un État de droit moderne et la production spatialement et institutionnellement maîtrisée d’une capitale sud-est asiatique.
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Notes de bas de page
1 Le présent article prend notamment appui sur une contribution aux travaux préparatoires pour le Livre blanc du développement et de l’aménagement de Phnom Penh. Diagnostic économique, social et environnemental : tendances, prospective et orientations. Avant-projet de schéma directeur d’urbanisme de Phnom Penh 2020. Rapport final (Municipalité de Phnom Penh, octobre 2007). L’élaboration de cet avant-projet a fait l’objet d’une convention de financement entre le Royaume du Cambodge et la République française signée le 7 mars 2002 avec un engagement sur trois ans. Avant même d’être officiellement approuvé, cet avant-projet du Schéma directeur a reçu (en décembre 2005) le prix de la réhabilitation urbaine du World Leadership Award à Londres.
2 Estimations établies à partir de données du recensement 1998-2008. L’Institut national de la statistique – Royaume du Cambodge – fournit pour Phnom Penh un chiffre de population de 1 165 000 habitants considéré, par certains experts, comme sous-évalué.
3 Selon les projections établies par JICA (2003), ces villes devraient prochainement rejoindre le groupe des villes secondaires de plus de 100 000 habitants. En outre, une dizaine d’autres villes se trouvent dans la catégorie des villes de 25 000 à 60 000 habitants. Toutes ces villes secondaires ont pour caractéristique de se situer sur les quelques axes majeurs.
4 En vertu d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 21 octobre 1981 confirmant le Kampuchea démocratique (régime khmer rouge) comme seul représentant légitime du Cambodge (Jennar, 1995, p. 86).
5 Sources : Municipalité de phnom penh, 2007, p. 43, d’après : Bureau des Affaires urbaines, Municipalité de Phnom Penh et JICA, 2001a. Study for the Transportation Master Plan for Phnom Penh Municipality, JICA, 2001 ; Vernet, 2008-2009, p. 79-80.
6 Engagées dès 1992, les interventions concernant les infrastructures (notamment l’adduction d’eau, l’électricité, les transports et les télécommunications) ont été formalisées dans le cadre du Programme national pour la réhabilitation et le développement du Cambodge (PNRD 1994-1995) ; ce dernier, bénéficiant des aides bilatérales (Japon et France) et multilatérales (Banque Mondiale et Banque Asiatique de Développement), ouvre la voie aux « méga-projets » financés par les bailleurs de fonds internationaux (Municipalité, 2007, p. 163sq).
7 En l’état actuel des réseaux d’infrastructure, l’absence de liaisons ferroviaires et fluviales de Phnom Penh avec le Viêt Nam trouve sa contrepartie dans la prépondérance de ses liaisons routières (RN1 vers Hô Chi Minh-Ville et RN2 vers le delta du Mékong) par rapport à ses liaisons avec les deux autres pays limitrophes, Thaïlande et Laos (JICA, 2001a).
8 Avec les liaisons entre les métropoles méridionales de la péninsule, Hô Chi Minh-Ville et Bangkok (via RN 1 et RN 5), mais aussi, la nouvelle liaison littorale en voie d’achèvement qui met en relation Bangkok et Ca Mau via Trat, Sihanoukville, Kampot et Rach Gia (liaison appelée à bénéficier de l’exploitation pétrolière offshore autorisée par l’accord signé entre le Cambodge et la Thaïlande), le réseau cambodgien devrait comporter deux corridors d’axe est-ouest recoupés par un corridor d’axe nord-sud, Phnom Penh se situant à leur intersection. Observons qu’à l’échelle régionale, la mise en place des « corridors » de la Région du Grand Mékong (RGM) conduit à une autre forme d’organisation spatiale que la triangulation identifiée à l’échelle nationale. Ce sont en fait des logiques d’organisation distinctes qui semblent prévaloir aux deux échelles considérées : la « triangulation » obéit à une logique d’attraction des investissements (extérieurs) vers des espaces présentant un fort potentiel économique à l’échelle nationale – dans une économie ouverte, l’attente à l’égard des programmes d’infrastructures de transport concerne leur rôle de « facilitateur » ; en revanche, la stratégie des « corridors » obéit à une dynamique des infrastructures portée par une logique régionale ; elle privilégie la liaison entre les grands pôles économiques régionaux – plaçant le Cambodge non en position de destinataire principal, mais de « capteur » d’opportunités de branchement, démarche que les ZES paraissent esquisser.
9 Vann Molyvann, grand architecte et important ministre, a été et demeure un acteur majeur du développement de la capitale au cours de deux phases cruciales pour le Cambodge et pour sa capitale : celle des années pionnières de l’Indépendance – ère du Sangkum – et celle de la reconstruction post-Khmers rouges (avec, entre-temps, une fonction d’expert auprès de l’ONU-Habitat). Après avoir joué un rôle éminent de « passeur » dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme moderne – dont témoignent encore ses réalisations dans le Phnom Penh des années 1960 (tels : le « Stade Olympique », le Monument de l’Indépendance, le centre de conférences Chaktomuk, la résidence princière de Chamcar Mon, parmi celles mentionnées dans le présent article), il met son excellente connaissance des expériences et des arcanes de la coopération internationale dans le domaine de l’urbanisme au service de l’aménagement urbain et territorial (d’abord comme ministre d’État, puis comme conseiller du Gouvernement royal du Cambodge) (Grant Ross and Collins, 2006).
10 « Le schéma directeur d’urbanisme de Phnom Penh est conçu comme un document à caractère stratégique qui traduit dans l’espace les ambitions du développement urbain à l’horizon 2020 et propose un cadre de cohérence global pour ce développement » (Municipalité : 2007 : 266 Rubrique B2 – Avant-projet de schéma directeur d’urbanisme de Phnom Penh 2020. Un document à caractère stratégique).
11 L’ensemble de la partie B du Livre Blanc intitulée « Orientations stratégiques. Avant-projet du schéma directeur d’urbanisme de Phnom Penh à l’horizon 2020 » (p. 245-311), s’inscrit dans l’optique de la métropolisation qui transparaît dans les principales entrées de l’exposé des motifs (B1 : Orientations stratégiques de développement et d’aménagement, p. 246-265) : « – Fonctions principales pour Phnom Penh – renforcer les atouts d’attractivité et de compétitivité de Phnom Penh. – Quel territoire de planification, quel mode de gouvernance ? – La première échelle de l’aménagement : l’inscription dans l’espace régional. L’accueil et la gestion des flux externes. – L’organisation du développement métropolitain. – Patrimoine, sites exceptionnels et image de la ville. – Quelle politique foncière et immobilière ? »
12 Outre l’élaboration de documents d’urbanisme, en particulier celle du Livre Blanc dans la perspective du Schéma Directeur du Grand Phnom Penh, le BAU assure des actions de formation notamment en liaison avec l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) et sur financement européen (pour le programme mené par une équipe permanente d’assistance de 1995 à 1997), participe à des opération d’urbanisme (aménagement des boeung dans le cadre de programme AsiaUrbs avec l’université d’architecture de Venise) et supervise l’action des ONG dont on connaît le rôle de palliatif à des manques institutionnels et organisationnels et dont certaines se situent sur des terrains urbains (approches sectorielles foncières, eau, logement). Par ailleurs, les organisations internationales sont également engagées dans des programmes de développement avec la Municipalité de Phnom Penh : le PNUD depuis les années 1990 au titre des schémas d’aménagement sectoriels ; Cities Alliance depuis 2005 au titre d’une City Development Strategy (CDS 2005-2015).
13 Se donnant pour référence les « objectifs du millénaire » promus par les organisations internationales, et prenant pour principe central la « bonne gouvernance », cette stratégie repose sur quatre « rectangles de croissance », à savoir : la mise en valeur du secteur agricole ; la réhabilitation et construction de nouvelles infrastructures ; la croissance du secteur privé et du marché de l’emploi ; le renforcement et développement des ressources humaines. Sources : Royaume du Cambodge, Rapport du Conseil pour le Développement du Cambodge (CDC) – Conseil de réhabilitation et de développement du Cambodge (CRDC), novembre 2004 (Introduction : point 7), http://www.cdc-crdb.gov.kh. (Voir également Richer, 2009, p. 176-177.)
14 La loi organique concerne les processus de décentralisation et de déconcentration, donnés comme priorités du Gouvernement royal. Elle définit « les rôles et responsabilités des structures administratives au niveau des districts et des provinces pour accélérer le processus de délégation des responsabilités des ministères centraux vers les structures locales et les provinces ». Source : Royaume du Cambodge, Rapport du Conseil pour le Développement du Cambodge (CDC) – Conseil de réhabilitation et de développement du Cambodge (CRDC), novembre 2004 (Introduction : point 60 portant l’annonce de l’élaboration de la loi organique) http://www.cdc-crdb.gov.kh.
Auteur
Professeur émérite, urbaniste, Université Paris-VIII et Institut Français d’Urbanisme, AUSSER.
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