Hillsong, une Église musicale ?
p. 169-182
Résumés
Hillsong Church. Créée en août 1983 sous l’impulsion de Brian et Bobbie Houston, cette Église Pento-Charismatique issue des Assemblées de Dieu est la plus grande megachurch d’Australie. Elle possède 40 000 à 50 000 fidèles réguliers, une louange célèbre dans le monde chrétien et neuf églises qui siègent pour la plupart au sein de mégapoles internationales. Son objectif est clair : diffuser un message évangélique transnational via un matériel moderne, une musique pop rock et des prêches de type coaching spirituel valorisant une sociabilité intense et expressive ainsi que l’accomplissement de soi. Au sein de cette megachurch, la musique semble jouer un rôle prépondérant dont il sera question ici. Le nom évocateur d’Hillsong (colline et chant) et le second point de la Vision, texte révélé à Brian Houston et profession de foi de l’Église (« une Église dont les louanges et adorations qui viennent du cœur touchent le Paradis et changent la Terre, une adoration qui influence les populations de la Terre entière grâce à des chants puissants de foi et d’espoir ») suffisent à émettre l’hypothèse d’une Église musicale. L’article s’intéressera aux usages et fonctions de la louange pop rock comprise dans une perspective de glocalisation.
Created in August 1983 by Brian and Bobbie Houston, Hillsong is a Pentecostal and Charismatic Church member of the Assemblies of God, and the largest megachurch of Australia. It comprises of 40 000 to 50 000 regular believers, a well-known worship music within the Christian sphere and nine churches for the most part in international cities. Its goal is summarised in the following way : to diffuse a transnational evangelical message through modern equipment, pop-rock music and spiritual coaching sermons, promoting an intense and expressive sociability and self-achievement. The significant name of Hillsong and the second point of the Vision, revealed to Brian Houston and the statement of belief of the Church, - " I see a Church whose heartfelt praise and worship touches Heaven and changes earth ; worship which influences the praises of people throughout the earth, exalting Christ with powerful songs of faith and hope” -, attest to the music seems to play a predominant part. This is sufficient to hypothesize that this is a musical Church. The article will deal with the uses and functions ofpop-rock worship, analyzed through a transnationalization process.
Texte intégral
1Hillsong Church est une Église pentecôtiste1 australienne qui ne manque pas d’interpeller l’observateur. Signifiant littéralement « colline » et « chant », cette assemblée chrétienne annonce d’emblée un univers où la musicalité semble jouer un rôle fondamental. Le 14 août 1983, la megachurch2 susnommée officie son premier culte dans le hall d’une école publique à Baulkham Hills située au nord-ouest de Sydney. En référence à son emplacement géographique, elle prend à l’époque le nom de Hills Christian Life Centre3 (CLC). Quant à sa référence mélodique exposée par le suffixe « song », elle procède d’un long processus d’élaboration de onze ans. La colline devient chantante à partir de 1988, date à laquelle sa branche musicale commerciale, Hillsong Music Australia, voit le jour. Huit ans plus tard, une figure emblématique marque l’Église d’une pierre blanche. Le pasteur et fondateur Brian Houston intronise Darlène Zschech au rang de leader de la Worship Team (chef de l’équipe de louange et d’adorations) en 19964. Ladite responsable occupe cette fonction jusqu’en 2007 et dresse la louange en véritable mantra ecclésial. Mais c’est surtout en 1999 que l’assemblée chrétienne trouve sa forme définitive. À cette époque, Frank Houston remet à son fils la gérance de l’Église Sydney CLC (actuellement connue sous le nom d’Hillsong City Campus) ce qui l’amène à rebaptiser son Église Hills CLC en Hillsong Church.
2À la lumière de cette introduction liminaire, peut-on faire l’hypothèse d’un soubassement musical élémentaire à la constitution de l’Église ? Quel est le rôle de la louange pop rock5 dans la diffusion internationale du message ? En d’autres termes, l’article tentera de cerner les usages et fonctions de la musique dans une perspective de transnationalisation. Après avoir réfléchi sur la notion de louange transnationale, l’article exposera ses différentes logiques musicales : fédératrice, émotionnelle et régulatrice.
Introduction : Une louange transnationale ?
3Hillsong Church est considérée aujourd’hui comme « l’un des plus populaires groupes de louange au monde »6. Comment cette Église existe-t-elle7 ?
4La Vision d’Hillsong « The Church that I see » apporte un élément de réponse. Considérée comme une révélation divine inspirée à Brian Houston, la Vision est rapidement devenue le socle identitaire de l’Église. Énoncée en neuf points, cette profession de foi est synthétisée dans une formule résumant parfaitement la politique hillsongienne :
« Atteindre et influencer le monde en construisant une Église basée sur la Bible et centrée sur Jésus Christ, en changeant les mentalités, en équipant et en libérant les gens pour qu’ils puissent être des leaders et avoir un impact dans toutes les sphères de leur vie. »
5D’emblée, le premier point de sa Vision annonce une ambition expansionniste marquée :
« L’Église que je vois est une Église d’influence. Une Église si large en taille que ni les villes ni les nations ne peuvent l’ignorer. Une Église grandissant si rapidement que les bâtiments peineront à contenir son développement. »
6L’ordre est à la croissance par la visibilité. Comment y parvenir ? Le deuxième point y répond par la musique :
« Une Église dont les louanges et adorations qui viennent du cœur touchent le Paradis et changent la Terre, une adoration qui influence les populations de la Terre entière grâce à des chants puissants de foi et d’espoir. »
7Ces deux éléments théologiques offrent un aperçu du désir de développement et de rayonnement international, notamment par le biais de la musique8.
Une musique connue…
8La première expérience de cette Église passe le plus souvent par la découverte de sa musique. En effet, nombre de fidèles ont connu Hillsong via sa louange dont les témoignages ne manquent pas pour avaliser ce fait.
« Je suis venu à Hillsong Paris parce que je connaissais déjà leur musique. Je suis ougandaise et là bas y a plein d’Églises qui utilisent leurs chants pour leurs cultes » dit Myriam avant de laisser la parole à Michel qui explique en quoi le registre musical d’Hillsong fut déterminant dans son choix d’affiliation : « Moi je viens à Hillsong parce qu’il y a du rock et j’adore le rock, c’est ma musique préférée » (membres de la succursale parisienne en mars 2007).
9Ces déclarations, relativement récurrentes, attestent de l’aura musicale d’Hillsong. L’attractivité mélodique de cette Église s’explique entre autres par le succès mondial de son groupe australien de louange, United9. Avec plus de 2 340 699 « amis » sur Facebook10, des vidéos consultées des dizaines de millions de fois sur Youtube et des concerts à guichets fermés à chaque tournée internationale, ce groupe pop rock chrétien véhicule et exporte le modèle Hillsong tout en libérant un capital sympathie favorable à la diffusion du message.
10D’ailleurs, la représentativité musicale d’Hillsong est si forte qu’elle prête parfois à confusion. À titre d’exemple, l’inauguration de la succursale parisienne, en septembre 2005, a fait l’objet d’un malentendu dans la mesure où une bonne partie du public pensait assister à un concert de United. Si l’appréciation de la louange d’Hillsong par la doxa semble être un fait établi, il reste à connaître l’image qu’elle véhicule auprès des spécialistes de la musique.
… et reconnue
11Dès la fondation d’Hillsong Music Australia en 1988, un album intitulé « Spirit and Truth » est lancé. Depuis ce jour, la quasi-totalité des œuvres musicales rime avec succès commercial comme en atteste le chiffre impressionnant de plus de 11 millions d’albums vendus dans le monde11. Une des clefs de compréhension de cette success-story réside dans le caractère avant-gardiste de sa louange pop.
12Tout comme l’album « People Just Like Us » sorti en 1994 a été le premier album chrétien12 à obtenir un disque d’or en Australie et consécutivement un disque de platine13, Hillsong United a été le premier groupe chrétien à remplir le complexe sportif Staples Center à Los Angeles d’une capacité avoisinant les 20 000 places14. À chaque sortie d’album, Hillsong Music se retrouve dans le Top 10 du classement ARIA15, qui regroupe toutes les musiques séculières et dans le Top 3 US Billboard16 dans la catégorie Album chrétien et occupe les premières places du chart iTunes17.
13Régulièrement nominée au Gospel Music Associations Dove Awards de Nashville aux États-Unis, Hillsong devra cependant attendre les 41ème GMA 2009 pour remporter sa première récompense avec « Mighty to save »18 dans la catégorie « Worship song of the Year ». Aujourd’hui, Hillsong Music Australia produit plus 50 disques d’or et platines sur 107 albums créés, toutes catégories confondues. Les nominations récurrentes (1997, 1998, 2001, 2002, 2004, 2008, 2011) et sa récompense en 2009 font foi de la professionnalisation et de la qualité engagées dans la composition musicale.
14Shane Quick, vice-président de la maison de production Premier Productions et responsable de la division Concert décrit le groupe United, émissaire de l’Église Hillsong de la sorte :
« C’est plus qu’une équipe de louange. Chaque dimanche, les églises du monde entier chantent leurs compositions. Bref, jusqu’à récemment, très peu de chants joués pendant les soirées de Hillsong United passaient à la radio.[…] Sinon, ce groupe cherche vraiment à intégrer toutes les nationalités. Lorsque l’on assiste à un événement de Hillsong United, on aperçoit des blancs, des noirs, des Asiatiques et des latino-américains comme aucun autre groupe chrétien que j’ai vu. Ils se sont également investis du point de vue démographique en effectuant des tournées en Asie, en Amérique du Sud, en écrivant des chansons et en produisant des albums entièrement en espagnol. Ils ont de plus légué des chants d’adoration à des pays pour lesquels rien n’avait été fait jusqu’à maintenant.19 »
15Ce propos élogieux révèle à juste titre le caractère transnational des chants hillsongiens et souligne la force de son modèle cosmopolite.
16Ces quelques éléments éclairent les caractéristiques de sa louange aux frontières culturelles et sociales équivoques : à la fois reconnue comme louange chrétienne de qualité et musique pop rock séculière. Si la majorité des fidèles étiquettent les mélodies comme étant des manifestations de la louange, le monde séculier conçoit les productions musicales sous un autre angle. Pollstar, référence mondiale dans l’information de l’industrie des concerts, en fournit un exemple concret : Hillsong United est en page de couverture de la publication d’avril 2011.
Une force fédératrice
« On se retrouve entre potes tous les dimanches. On vient pour le message, mais j’avoue que c’est la louange qui nous botte le plus. Moi, perso, la musique a beaucoup d’effets sur moi. Elle permet de se défouler, s’éclater mais en même temps de décompresser, de se recueillir et tout ça avec des gens qu’on aime !20 »
17De ce fait, la Worship semble participer activement à la mise en place de sociabilités communautaires fédératrices. Ce phénomène n’est pas sans rappeler le concept de néotribalisme, cher au sociologue Michel Maffesoli qui se résume en trois éléments constitutifs de la megachurch australienne : « entraide, partage du sentiment, ambiance affectuelle »21.
18Les concerts du groupe United sont de bons indicateurs de cette logique. Régulièrement en tournée mondiale, le groupe pop rock met les fidèles dans un état d’ébullition collective intense, ce qui conduit à l’émergence d’une dynamique fédératrice double : cohésion socialisatrice à court terme durant la représentation et processus de fidélisation des participants à long terme.
19Ceci étant, les raisons de l’effet fédérateur diffèrent selon les croyants. Deux conceptions distinctes de la musicalité s’opposent. La première refuse le qualificatif de « musique » et parle de « louange ». Darlène Zschech consacre d’ailleurs un livre exclusivement sur ce sujet et affirme que :
« Chanter de merveilleux cantiques au sujet du Seigneur est fantastique, mais cela ne suffit pas. Adorer le Seigneur, c’est lui adresser des paroles vibrantes de louanges, c’est se prosterner devant lui, le révérer et être ébloui par sa beauté. Pour moi, l’adoration est un baiser vers le ciel […] L’adoration n’est ni une activité rituelle, ni une émotion musicale. Elle incarne et reflète la générosité désintéressée de Christ22. »
20La seconde vision inverse l’angle d’analyse et parle de la louange en des termes musicaux. « C’est ça le christianisme ? Je m’attendais à une église plus, enfin moins… remuante. C’est vraiment sympa, je ne me sentais pas dans une église, les gens sont souriants, il y a de la bonne musique » s’exclame un visiteur à la sortie d’un culte (21 mars 2008). Dit schématiquement, la première conception renvoie l’idée d’une louange fédérant les initiés et la seconde démontre le pouvoir attractif de la musique auprès des inconnus et néophytes. Ces quelques faits empiriques viennent corroborer la réflexion durkheimienne sur le rassemblement. Le père fondateur de la sociologie française rappelle que « le seul fait de l’agglomération agit comme un excitant exceptionnellement puissant. Une fois les individus assemblés, il se dégage de leur rapprochement une sorte d’électricité qui les transporte à un degré extraordinaire d’exaltation »23.
21Si la simple agrégation d’individus réunie vers une finalité commune (ici la croyance en Jésus Christ) en un lieu donné engendre un sentiment collectif intense tout à fait manifeste, il est indéniable que la musicalité est un puissant catalyseur de ce phénomène. En effet, les chiffres faisant état de l’internationalisation de l’Église (à titre d’exemple, la dernière conférence réservée pour les femmes, Colour Conference mentionnait l’enregistrement de 28 nationalités et 34 dénominations) s’expliquent entre autres par l’attractivité que représente la louange pop rock. Cette dernière participe activement au processus de labellisation de l’Église Hillsong qui débouche sur « une atmosphère, un caractère capable d’intégrer les gens à une communauté partageant une expérience commune »24.
22À l’instar des marques qualifiées de « reliques modernes » par Adam Ardvisson, Hillsong Church tente de diffuser un message chrétien expansionniste au-delà des frontières au moyen d’une politique proche du « cool hunting (prospection des tendances branchées) » incarnée par sa Worship et sa culture australienne de l’hospitalité. Fédérant ses membres autour d’une sociabilité intense et expressive de proximité régie selon une Vision et un ethos singulier, la megachurch n’en demeure pas moins globale. Reprenant la formule si éclairée de Jacques Ellul, « agir local, penser global », Sébastien Fath nous rappelle que les megachurches conçoivent l’« Église comme corps spirituel planétaire »25. Au travers de moyens financiers considérables favorisés par son statut tax-free, une cohorte de bénévoles prêts à servir et la maitrise des technologies numériques, Hillsong n’a rien à envier à la réussite des plus grandes firmes multinationales.
Un Pouvoir émotionnel
23La composante émotionnelle de l’Église s’inscrit dans un contexte occidental façonné par la « culture feeling » et dans un registre chrétien particulier, le pentecôtisme, souvent qualifié de « protestantisme émotionnel » en raison de l’effervescence de ses cultes26.
24Dans son ouvrage intitulé Bâtir sur le rock ? Les jeunes, la musique et Dieu, Philippe Berger expose les accointances entre le rock et la religion chrétienne, représentée arbitrairement ici par la mouvance pento-charismatique. L’auteur constate que ces deux univers, l’un musical et l’autre religieux, ont en commun une aversion pour la rationalité. Le « j’expérimente donc je suis » prévaut sur la réflexivité critique.
25Au-delà de cette conception idéal-typique volontairement réductrice, Philippe Berger remarque, à juste titre, que le rock (plus précisément le pop rock) et le pentecôtisme se fondent sur « une expérience brute, vécue sans avoir besoin de la réfléchir, de l’analyser, de la rationaliser ou de la référer aux institutions traditionnelles27. » Ce point se vérifie pleinement dans la liturgie hillsongienne où le rituel cérémonial se veut vivant, dynamique et enthousiaste. La communication avec Dieu s’effectue par un esthétisme cérémonial fonctionnant par « pléthore et anaphore.28 »
26La Worship d’Hillsong jongle entre les répertoires musicaux de la festivité et du recueillement. Extrêmement dynamiques sur scène, les chanteurs invitent les fidèles par le biais de chants énergiques, simples et réitératifs à participer activement durant le culte. Les mélodies performatives collaborent grandement à la fabrication des modes d’expressions corporelles (sauts, pleurs, rires, cris…). L’atmosphère enflammée des premiers chants vise à faire éclater les permanences ritualisées du quotidien par une extériorisation émotionnelle. Durant cette phase, le culte a un rôle cathartique manifeste.
27À titre d’exemple, voici le refrain du chant « Run » qui donne un aperçu de l’ambiance festive et de la détermination des fidèles.
« Nous courrons tous ensemble, le cœur embrasé, D’un feu qu’on ne peut maîtriser, Seigneur ton nom soit glorifié, nous courrons décidés, à répandre ton nom, notre désir est de te louer, Seigneur ton nom soit glorifié. »
28La seconde salve mélodique mise sur le recueillement. Les chants dits « doux » ont pour valeur de produire une atmosphère dans l’Église propice à la communion fraternelle et à la célébration de Dieu. Un court extrait du chant « C’est notre Dieu » illustre ce propos :
« Ta grâce infinie remplit ma vie, Oui je crois en Ta Parole, Je T’attendrai, Approche Toi, Saint Esprit renouvelle moi, Je me prosternerai, Je me prosternerai, Et je T’adorerai, Ta présence en moi est ma lumière, Par la force de Ta Parole, Tu me restaures, Tu me rachètes, Et Ton esprit me libère… »
29Les chants dynamiques ou doux répondent à l’appel émotionnel. « Les fidèles vont à l’église avec l’espoir que quelque chose va se passer »29 d’où la ferveur pré-cérémoniale perceptible chez les membres et favorisant la réception sonore. Ces derniers n’ont qu’une hâte, celle de retrouver leurs frères et sœurs en Christ afin de partager des moments de sociabilités intenses et émouvants. Cette impatience s’inscrit également dans une perspective méta-sociale. La cérémonie religieuse est le « moment où Dieu confirme Sa Parole à travers la prédication et la louange »30 et l’euphorie collective demeure un indicateur efficient pour mesurer la présence divine.
30Hillsong semble avoir compris que « les hommes d’aujourd’hui sont très sensibles à la dimension sonore et au-delà incitent à honorer d’une manière renouvelée la dignité de l’entendre dans les célébrations liturgiques »31. Ceci étant, si la force émotionnelle de la musique est aisément perceptible chez les croyants, son pouvoir structurant demeure en général méconnu. La méconnaissance de ce phénomène conforte l’état de fusion véhiculé par le modèle du cocooning selon lequel « l’entre-soi, le confort et la sécurité d’une fraternité élective»32 sont mis en avant pour faire face aux vicissitudes d’une vie sécularisée et désenchantée.
31À Hillsong, la quête de l’épanouissement personnel jointe au régime de performance et de succès matérialisé par le « dogme du leadership » font écho à un constat énoncé par Danièle Hervieu Léger : « plus le croire s’individualise, et plus il s’homogénéise33. » L’exportation transnationale de son message s’orchestre autour d’une standardisation fortement rationalisée de ses outils de communication dont la musique constitue le principal maestro.
Un instrument de régulation
32Analyser la musique en termes de rationalisation et de conditionnement s’avère particulièrement fonctionnel ici. Le culte hillsongien subit en toile de fond les cadences cœrcitives du métronome musical dont seule la prédication est exempte. Véritable fil d’Ariane, la louange tisse la cérémonie religieuse via une combinaison de mélodies adaptées à la situation, partitionnant ainsi la célébration en différentes étapes clefs. L’ordre des chants est primordial et y déroger altérerait l’efficacité de la louange. Une anecdote symptomatique fait, d’ailleurs magistralement, état de cette caractéristique. Lorsque Damien, le leader de la louange d’Hillsong Paris, tente de court-circuiter l’étape « électrique » du culte en commençant directement par un chant doux, habituellement joué lors de la seconde séquence musicale, celui-ci est « rappelé à l’ordre » par un propos humoristique du pasteur Brendan White : « Qui veut changer cette chanson ? Je veux que ça bouge moi ! »
33L’ambiance festive produite par les mélodies pop rock induit une représentation familière et chaleureuse de l’Église. Or, l’omniprésence musicale régulatrice transparaît rapidement. L’institution œuvre ardemment à peindre le tableau d’une Église personnifiée et émotionnelle au moyen d’un dispositif de rationalisation en amont. Yannick Fer qualifie ce phénomène de « travail institutionnel “invisible“ visant à « conforter les fidèles dans l’‘‘enchantement’’ d’une relation personnelle avec Dieu.34 »
34À ce titre, le Saint-Esprit, pourtant un habitué des lieux dans les assemblées pentecôtistes fait les frais de cette émotion institutionnalisée, réputée « froide ». La glossolalie et les cultes de guérisons sont absents dans les églises étudiées à Paris et à Londres. La louange s’inscrit dans un registre goffmanien35 qui lui permet d’anticiper d’éventuels débordements ou excès de l’expression sensible et par-delà facilite son adaptation dans les sociétés occidentalisées grâce à son caractère lisse et normalisé.
35Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, Hillsong est une « Église de l’émotion contrôlée » qui s’inscrit pleinement dans ce que Danièle Hervieu-Léger nomme la « domestication institutionnelle de l’émotion36.»
Conclusion
36Dans son article A Megachurch in a suburb of Sydney, John Connell décrit Hillsong comme étant une Église dont « le service et l’organisation sont technologiquement et matériellement modernes37 ». L’analyse de la louange fournit une illustration concrète de ce fait. Moderne et au registre pop rock, elle agit parfaitement en tant que vecteur transnational permettant de fédérer, émouvoir et réguler les individus culturellement proches de son credo occidentalo-centré. À certains égards, elle joue le rôle de chef d’orchestre dans cette symphonie du succès et parvient à s’exporter grâce à son message en accord avec les valeurs contemporaines d’une certaine jeunesse : divertissement et engagement.
37Cependant, le succès de sa Worship ne doit pas occulter les autres caractéristiques de cette assemblée pentecôtiste. Implantée sur les cinq continents, Hillsong totalise entre 40 000 et 50 000 fidèles réguliers et possède neuf succursales officielles.
38Cette Église revêt un certain nombre de traits distinctifs de notre époque ultramoderne38 qui méritent une attention particulière : accent sur l’épanouissement personnel de type Carpe diem, figure du croyant « connecté » à un réseau communautaire, culture de l’image et de l’émotion, liens étroits avec l’économie, utilisation maitrisée des NTIC (Nouvelles Technologies d’Informations et de Communications) et un investissement marqué dans le domaine social et humanitaire.
Bibliographie
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Bibliographie indicative
Bastian J-P., Champion F., Rousselet K. (dirs), La Globalisation du religieux, Paris, L’Harmattan, coll. « Religion et Sciences Humaines », 2001.
10.1080/00049180500325710 :Connell J., « Hillsong. A Megachurch in the Sydney Suburbs », Australian Geographer, Vol. XXXVI, no 3, p. 315-332.
10.3917/autre.fath.2008.01 :Fath S., Dieu XXL. La révolution des megachurches, Paris, Autrement, 2008.
Reymond B., Le protestantisme et la musique. Musicalités de la parole, Genève, Labor et Fides, 2002.
10.3917/puf.willa.2005.01 :Willaime J-P., Sociologie du protestantisme, Paris, Puf, coll. « Que sais-je ? », 2005.
Notes de bas de page
1 « Le pentecôtisme est un protestantisme émotionnel soulignant l’immédiateté de l’action divine et son efficacité, offrant une certaine plasticité doctrinale et liturgique et présentant une forte capacité d’interaction avec les cultures religieuses. Une expression religieuse qui, en fonction des moyens de communication qu’elle privilégie (hymnes, parlers en langues, rêves, formes spontanées de cultes) s’avère particulièrement apte à se couler dans des cultures et des langues très diverses permettant à des individus d’être pleinement eux-mêmes, tout en étant pentecôtistes. », Willaime J-P., « Le pentecôtisme. Contours et paradoxes d’un protestantisme émotionnel », Archives de Sciences Sociales des Religions, Vol. XLIV, no 105, 1999, p. 5.
2 Sébastien Fath définit une megachurch à partir de trois traits distinctifs : « une taille géante (au moins 2 000 fidèles chaque semaine), des activités extra-cultuelles très diverses et une structure à tendance autocéphale ». Fath S., Dieu XXL. La révolution des megachurches, Paris, Autrement, 2008, p. 177.
3 Fondé en 1977 par le néozélandais Frank Houston (père de Brian, le fondateur d’Hillsong) à Sydney, Christian Life Centre est un courant regroupant des églises pentecôtistes affiliées aux Assemblées de Dieu (ADD).
4 Pour des raisons pratiques, les termes de Worship et louange sont employés ici comme synonymes.
5 Souvent qualifiée à tort de rock, la louange d’Hillsong n’est pas caractérisée par son « refus des conformismes dominants et des contraintes sociales » (Bischoff J.-L., Tribus musicales, spiritualités et faits religieux, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 16). Elle s’affirme moins en tant qu’outil de subversion et de contestation que comme vecteur d’attestation, de communion et de partage. Ceci étant, elle garde un substrat rock faible, compris dans la « dépense immédiate et de l’expérience totale » et la recherche d’une fusion holistique émotionnelle. In fine, parce qu’elle est musicalement proche de l’adage de rhétorique « Docere, movere, placere » (instruire, émouvoir et plaire) afin d’atteindre le public le plus large, la Worship d’Hillsong s’inscrit dans le registre pop.
6 www.Christiantoday.com
7 Du latin existere, formé sur ex, « hors de » et sistere, « être placé », exister renvoie à une image identitaire dépendante de l’extériorité.
8 Zschech D., Explosion de Louanges Chailly-Montreux (Suisse), Éd. Ministères Multilangues, 2007.
9 Originairement United était un jeune groupe d’amis appartenant au ministère Powerhouse Youth. Le nom renvoit aux soirées United Night réunissant tous les soirs la totalité des ministères jeunes de l’Eglise Hillsong. Premier album officiel en 1999 intitulé « Everyday ».
10 Chiffre au 2011.
11 http://religion.blogs.cnn.com/2010/07/26/hillsong-live-long-popular-inchurch-tours-the-u-s/.
12 http://www.interlinc-online.com/artists/index.html?p=2&id=178.
13 Respectivement 30 000 et 70 000 albums vendus.
14 http://www.breathecast.com/Christian.Music.News-Hillsong.United.Is.Pollstar.Magazines..Hotstar..Cover.Feature;.Summer.Fall.2011.North.American.Tour.Announced/1_5034.htm.
15 http://www.aria.com.au: Australian Recording Industry Association.
16 http://www.billboard.com: Plateforme internationale de musique sur Internet.
17 http://www.higherrockmusic.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1082:hillsong-united-aftermath-debuts-at-no-1-on-multipleinternational-retail-charts&catid=42:christian&Itemid=94.
18 Chant écrit par Ben Fielding et Reuben Morgan.
19 http://www.pollstar.com/blogs/hotstar/archive_/2011/04/01/hotstar199084.aspx
20 David, juillet 2009.
21 Maffesoli M., Le Temps des tribus. Le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes, Paris, Éd. Le livre de poche, 1988.
22 Zschech D., Explosion…, op. cit., p. 25.
23 Durkheim E., Les Formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie. Paris, Puf, coll. « Quadridge », 2008 [1912], p. 308.
24 Arvidsson A., « Les marques sont des reliques modernes », Les grands dossiers des Sciences Humaines, no 22, 2011, p. 56-58.
25 Fath S., Dieu XXL..., op. cit., p. 103.
26 Willaime J.-P., Le pentecôtisme…, op. cit.
27 Berger P., Bâtir sur le rock ? Les jeunes, la musique et Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1997, p. 196.
28 Rouquette M.L., Croyance, raison et déraison, Paris, Odile Jacob, coll. « Collège de France », p. 199.
29 Fer Y., Pentecôtisme en Polynésie française. L’Évangile relationnel, Genève, Labor et Fides, 2005, p. 303.
30 Ibid.
31 Berger P., Bâtir sur le rock…, op. cit.
32 Fath S., Dieu XXL…, op. cit., p. 105.
33 Hervieu-Leger D., « Crise de l’universel et planétarisation culturelle. Les paradoxes de la “mondialisation” religieuse ? dans Jean-Pierre Bastian, Françoise Champion et Kathy Rousselet, La Globalisation du religieux, Paris, L’Harmattan, coll. « Religion et Sciences Humaines », 2001, p. 87.
34 Fer Y., « Genèse des émotions au sein des Assemblées de Dieu polynésiennes », Archives de sciences sociales des religions, Vol. L, no 131-132, p. 6.
35 Goffman E., La Mise en scène de la vie quotidienne. Présentation de soi, trad. de l’anglais par A. Accardo, Paris, Minuit, coll. « Le Sens Commun », 1996 [1959].
36 Champion F. et Hervieu-Leger D. (dirs), De l’émotion en religion. Renouveaux et traditions, Paris Centurion, 1990, p. 221.
37 Connell J., « Hillsong. A Megachurch in the Sydney Suburbs », Australian Geographer, Vol. XXXVI, no 3, p. 315-332.
38 « L’ultramodernité, c’est toujours la modernité, mais la modernité désenchantée, problématisée, autorelativisée […] c’est la désabsolutisation de tous les idéaux séculiers qui, dans un rapport critique au religieux, s’étaient érigés en nouvelles certitudes et avaient été de forts vecteurs de mobilisations sociales. », Willaime J.-P., Le Retour du religieux dans la sphère publique, Lyon, Éd. Olivétan, 2008, p. 18.
Auteur
Doctorant (EPHE-GSRL).
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2015
The Asian side of the world - II
Chronicles of Asia and the Pacific 2011-2013
Jean-François Sabouret (dir.)
2015
Le Président de la Ve République et les libertés
Xavier Bioy, Alain Laquièze, Thierry Rambaud et al. (dir.)
2017
De la volatilité comme paradigme
La politique étrangère des États-Unis vis-à-vis de l'Inde et du Pakistan dans les années 1970
Thomas Cavanna
2017
L'impossible Présidence impériale
Le contrôle législatif aux États-Unis
François Vergniolle de Chantal
2016
Sous les images, la politique…
Presse, cinéma, télévision, nouveaux médias (xxe-xxie siècle)
Isabelle Veyrat-Masson, Sébastien Denis et Claire Secail (dir.)
2014
Pratiquer les frontières
Jeunes migrants et descendants de migrants dans l’espace franco-maghrébin
Françoise Lorcerie (dir.)
2010