L’état des relations entre l’Église et la nation dans le contexte du rapprochement entre les Églises orthodoxe grecque et anglicane
p. 37-48
Résumés
La littérature actuelle sur la question théologico-politique met l’accent sur le phénomène de sécularisation des États nationaux, passage d’une forme politique organisée autour de l’Église vers un ordre politique structuré autour des nations où toutes les parties de la nation, y compris les Églises, sont subsumées par l’intérêt national. En Angleterre, ce processus, initié contre une Église « supra-nationale », l’Église de Rome, fut mené jusqu’à son terme, en théorie chez Thomas Hobbes, et en pratique avec la création de l’Église anglicane qui était officiellement subordonnée à l’autorité et aux lois de l’État anglais. Le processus de nationalisation de l’Église de Grèce se développe avec l’apparition de l’État grec. En effet dès que celui-ci fut constitué, en 1830, l’administration de l’Église passe sous l’autorité des responsables politiques. Plus précisément, il s’agit du problème du passage d’une Église œcuménique – en l’occurrence le Patriarcat œcuménique – à des Églises nationales – en l’occurrence l’Église autocéphale de Grèce. Depuis la fin du XIXe siècle, et surtout pendant la période 1918-1923, ce processus de nationalisation des deux Églises – anglicane et orthodoxe grecque - connaît des développements plus aléatoires avec le projet de création d’une « papauté » gréco-anglicane ayant pour capitale la nouvelle Rome, c’est-à-dire Constantinople. C’est donc à partir de cette tentative de rapprochement entre orthodoxes et anglicans que se fait jour la relation d’éventuelle subordination qui se noue à l’époque, entre appartenance religieuse et religion nationale au sein de l’Empire britannique et de l’État grec.
The current literature, in its treatment of issues of politico-religious import, focuses on the phenomenon of the secularization of the Nation States as constituting the passage from an organized political form centred around the Church to a political order structured around the Nation in which all parts of the Nation, including churches, are subsumed under the rubric of national interest. In England this process, born in opposition against the "supra-national" Church of Rome, reached its logical conclusion, in matters theoretical in the work of Thomas Hobbes, and in practice with the creation of the Anglican Church which was officially subordinate to the authority and the laws of the English State. The process of the nationalization of the Church of Greece would come to realize its development at the same time as the emergence of the Greek State. As the Greek State was formed (1830), the Church administration came under political authority. More precisely, the Ecumenical Church—that is, the Ecumenical Patriarchate—transitioned into various National Churches—that is, in our case, the autocephalous Church of Greece. Since the late 19th century, and especially during the period from 1918-1923, the process of the nationalization of both churches - Anglican and Greek Orthodox - would be confronted with more unpredictable developments within the framework of a project for the creation of “greek-anglican papacy”, having as its Capital the New Rome, namely Constantinople. In this paper we intend to highlight the possible relationship of subordination that may have taken place during the period in question between religious identity on the one hand and the national religion of the British Empire and the Greek State on the other. An examination of the attempt at a rapprochement between the Anglican and Greek Orthodox churches will prove particularly revelatory in this light.
Texte intégral
1Au lendemain de la Grande Guerre, la chute des empires multinationaux entraîne la recomposition des frontières d’Europe et du-Moyen Orient. La religion et la confession, censées être des facteurs transcendants, jouent pourtant ici un rôle nouveau et significatif dans le cadre des alliances et des antagonismes. Les différentes Églises nationales sont instrumentalisées et reprennent un rôle politique afin de servir les intérêts de leurs États. Le rapprochement entre l’Église anglicane et l’Église orthodoxe grecque pendant la période de la dissolution de l’Empire ottoman s’inscrit dans cette logique. Michel d’Herbigny, jésuite et partisan de la supranationalité de l’Église catholique, affirme qu’une « confédération anglo-orthodoxe » est un « mouvement qui assurerait [au Royaume-Uni] l’hégémonie effective en Orient. Les Anglais comprennent quels vastes horizons s’ouvriraient à eux si l’Église nationale d’Angleterre s’unissait à l’Église nationale grecque1 ». Cette étude tente donc d’examiner la relation naissante entre nation et Église, au moment de la révision des frontières, suite à la Première Guerre mondiale. Il s’agit ici de se demander si l’observation de Michel D’Herbigny selon laquelle « le nationalisme religieux aboutit à l’hégémonie du pouvoir civil sur les affaires de l’Église2 » est justifiée.
Église et État en Angleterre pendant le xixe siècle
2Alexis de Tocqueville considère que « les Anglais forment un peuple naturellement religieux, la religion est rarement parmi eux une passion qui crée l’enthousiasme, mais c’est un sentiment profond qui résiste longtemps et ne lâche que très difficilement prise3 ». Bien évidemment, les débats politico-théologiques défraient la chronique tout au long de la période consécutive à la séparation de l’Église anglicane avec l’Église catholique. Les liens entre l’Église anglicane et la nation anglaise se resserrent alors du fait de la nationalisation de la religion. L’Acte de tolérance (Toleration Act – 1689)4 et l’Acte d’établissement (Establishment Act – 1701)5 placent l’Église anglicane dans le giron de l’État afin de l’instrumentaliser. C’est à partir du XIXe siècle que le développement de l’État-nation entraîne de profonds changements dans le plexus de relations qui lie l’État à la religion nationale, ici l’anglicanisme. Le processus de redéfinition de leurs relations est déterminé par deux évènements décisifs. Il s’agit tout d’abord de l’expansion évangélique qui accompagne la révolution industrielle, puis de l’affranchissement et de l’intégration progressive de la minorité catholique au sein de la société anglaise. En 1832, l’Acte de Reforme (Reform Act) donne finalement aux sujets non anglicans le droit à l’égalité politique et civique. Cette réforme relance pourtant le débat théologico-politique à propos de la relation spécifique entre l’Église et l’État au sein du Royaume.
3Cela est particulièrement visible dans les écrits de William Gladstone (1809-1898) lorsque celui-ci traite du problème politico-religieux anglais. Influencé par le livre de Samuel Taylor Coleridge (1772-1834) On the Constitution of the Church and the State6, il établit un lien étroit entre l’Église et l’État en attribuant à ce dernier une personnalité et des qualités morales. L’État, en tant que personne morale, doit, selon lui, reconnaître la vérité. Or, étant donné que l’Église d’Angleterre représente la vérité, l’État a le devoir moral de la reconnaître7.
4La théorie de l’État moral est aussi pour Thomas Arnold (1795-1842) « le fondement de la vérité politique »8. Dans son œuvre Principles of the Church Reform9, Arnold soutient que l’Église nationale est indispensable à l’État, qu’elle doit christianiser l’ensemble de la vie nationale afin que toutes ses manifestations, y compris économiques, soient menées selon les principes chrétiens. Mais, afin d’accomplir sa mission « christianisatrice » et civilisatrice, l’Église nationale doit se réformer de l’intérieur afin de conserver son influence sur la société anglaise.
5Ce désir de réformes est aussi partagé par les Clergymen du Mouvement d’Oxford10. Les Tractarians conduits sous l’égide de John Keble (1792-1866), John Henry Newman (1801-1890), et Edward Bouverie Pusey (1800-1882), commencent en 1833 par publier de petites brochures sous le titre de Tracts for our Times. Alors que ce mouvement renouvelle l’esprit de la Haute Église (High Church), il s’éloigne du puritanisme et de l’évangélisme de Gladstone et d’Arnold, mettant l’accent sur la succession apostolique et les doctrines des Pères de l’Église11. La sympathie que ce mouvement éprouve pour l’orthodoxie orientale, en parallèle avec la scission qui le traverse entre ceux qui restent anglicans et ceux qui se convertissent au catholicisme, remet en scène les Églises orthodoxes orientales au moment crucial où l’extension de l’Empire britannique s’accomplit au Moyen Orient.
Église et État après l’indépendance hellénique
6La nationalisation de l’Église grecque se produit selon des modalités différentes de celles de l’Église anglicane. Durant la période ottomane, le patriarche œcuménique de Constantinople et la hiérarchie ecclésiastique font partie du système ottoman. Cette hiérarchie intégrée dans la structure impériale transforme en même temps les anciennes structures byzantines afin d’étendre son pouvoir civil sur les orthodoxes, laïcs et prêtres. L’époque de la création des États-nations dans l’Orient orthodoxe remet en cause le caractère œcuménique du pouvoir exercé par le Patriarcat de Constantinople. La naissance de l’Église autocéphale de Grèce est largement conditionnée par les circonstances politiques liées à la lutte de libération nationale. Cette proclamation de l’autocéphalie dans le contexte du début du XIXe siècle marque une rupture. Celle-ci se traduit par le renversement de la tradition impériale, assumée auparavant par les sultans avec l’accord du Patriarcat de Constantinople et par la renégociation des relations entre l’Église et le pouvoir séculier dans des circonstances politiques entièrement nouvelles pour la région. La soumission de l’Église à l’État à travers l’autocéphalie signifie la sécularisation du politique et de l’espace public. En effet, l’État devient le seul pouvoir légitime à définir la nation aux niveaux réel et symbolique. L’État grec refuse la coopération de l’Église12, et exige sa soumission au pouvoir politique. Il fragilise l’institution ecclésiastique en ré-enracinant le religieux dans le politique.
7Dans ce contexte de relations entre l’Église et l’État en Angleterre et en Grèce, la soumission des Églises au pouvoir politique et le système Church and State13 permettent le rapprochement de l’Église anglicane et de l’Église orthodoxe grecque, dicté par le désir de l’unité chrétienne et la raison d’État. Celui-ci semble près de sa réalisation, juste après la Grande Guerre, en raison d’une activité interconfessionnelle intense aux plans politiques et ecclésiastiques.
État-nation et Église dans le cadre du projet d’une papauté anglo-orthodoxe
8À la fin de la Première Guerre mondiale, l’existence de l’Empire ottoman est menacée par les puissances victorieuses qui souhaitent s’arroger des sphères d’influence au Moyen Orient. La Grande-Bretagne compte renforcer ses intérêts stratégiques en Méditerranée orientale. En contrôlant les détroits du Bosphore et des Dardanelles, elle s’assure une hégémonie en Méditerranée et protège ainsi le Canal de Suez qui lui permet d’accéder aux Indes. La Grèce peut donc être une alternative sérieuse à l’Empire ottoman. Cette possibilité devient de plus en plus attrayante quand Eleftherios Venizelos (1864-1936), politicien pro-britannique, arrive au pouvoir en 191714.
9À l’époque, au sein du Foreign Office, un groupe important de philhellènes, parmi lesquels Sir Eyre Crowe (1864-1925), Reginald Leeper (1888-1968), Harold Nicolson (1886-1968) et Arnold Toynbee (1889-1975), promeut l’idée d’une Grèce qui soit une force régionale alliée à la Grande-Bretagne. C’est la première fois que les intérêts stratégiques de la Grande-Bretagne rejoignent les ambitions helléniques de la Grande Idée15 dont le rêve est que Constantinople redevienne une ville grecque et que Sainte-Sophie, devenue une mosquée depuis 1453, soit rendue au Patriarcat œcuménique. Pourtant, certains traités secrets, ainsi que la promesse faite par les Britanniques aux Italiens de concessions territoriales au sud-ouest de l’Anatolie et à Smyrne en échange de leur entrée dans la Guerre aux côtés de l’Entente, font obstacle à l’irrédentisme grec.
10En second lieu, l’effondrement de l’Empire ottoman ne rend que plus incertain l’avenir de sa capitale, ville symbolique tant pour les chrétiens que pour les musulmans. Ici, la situation est à bien des égards encore plus complexe, notamment en ce qui concerne la place de Sainte-Sophie dans le monde de l’après-guerre. Alors que les musulmans d’Inde pressent les représentants anglais d’Inde d’agir en faveur des Turcs contre la politique pro-grecque du premier ministre anglais Lloyd George(1863-1945), les puissances catholiques – la France, l’Italie et le Saint-Siège16 – refusent de voir Sainte-Sophie aux mains des dirigeants orthodoxes grecs.
11Au moment où s’organise en Angleterre un mouvement en faveur de la restitution de Sainte-Sophie au culte orthodoxe17, le Vatican revendique ce lieu pour les catholiques. La France soutient la position du Vatican, saisissant ainsi l’occasion de réaffirmer sa prépondérance au sein du monde catholique d’Orient. C’est pourquoi la diplomatie française revendique le rattachement de Sainte-Sophie au Protectorat catholique de France en Orient18.
12Au contraire, l’Église anglicane soutient les efforts grecs en faveur de la restitution de Sainte-Sophie au culte orthodoxe. Le 4 décembre 1918, après avoir rencontré l’archevêque d’Athènes Meletios Metaxakis (1871-1935) au Lambeth Palace à Londres19 et s’être entretenu avec lui des modalités de la mise en place d’une intercommunion, l’archevêque de Canterbury informe le Foreign Office de la signification symbolique et pragmatique de Sainte-Sophie aux yeux des Grecs20. Dans un autre rapport, Lord Granville (1872-1939), l’ambassadeur anglais à Athènes, informe le Foreign Office que la Russie, aux dires du prince Trubetskoy, n’a pas oublié le traité secret de 1915 qui prévoit de lui attribuer la direction de Constantinople, Sainte-Sophie comprise21. La résurgence des revendications slaves, liées à la volonté catholique de s’approprier l’église Sainte-Sophie, inquiète non seulement la diplomatie britannique, mais aussi l’Église anglicane.
13Le révérend Henry Joy Fynes-Clinton (1875-1959), un ecclésiastique anglican qui a ses entrées au Foreign Office, prend la direction du St Sophia Redemption Committee, qui promeut la rédemption de Sainte-Sophie et sa restitution à la Chrétienté. Un autre clergymen, le révérend John A. Douglas, connu pour sa sympathie à l’égard de l’orthodoxie grecque, est le secrétaire de ce comité. Tous deux ont travaillé depuis le début du siècle à la promotion des relations entre les Églises anglicane et orthodoxe et sont membres fondateurs de l’Anglican-Eastern Church Association22.
14Si l’intention du Saint Sophia Redemption Committee est de rendre Sainte-Sophie à la Chrétienté, ce comité ne parle cependant pas d’un retour de l’Église aux mains des orthodoxes grecs. L’utilisation du terme « Chrétienté » et non d’orthodoxie n’est donc pas anodine. Celui-ci désigne une confession plus étendue qui correspondrait à une confédération anglo-orthodoxe. Constantinople deviendrait ainsi la ville symbolique d’un nouveau patriarcat anglo-grec où les œcuménismes de l’orthodoxie et de l’Empire britannique s’identifieraient l’un à l’autre.
15Pourtant, les contradictions inextricables de ce projet dicté par les circonstances politiques, à l’initiative plutôt de la diplomatie anglaise et de l’État grec que du Patriarcat Œcuménique ou de l’Église anglicane, apparaissent alors que Constantinople, centre du pouvoir de l’empire et du patriarcat, s’internationalise. En effet, le traité de Sèvres d’août 1920 et l’installation des troupes alliées à Constantinople forment un nouveau statu quo. La présence d’un nouveau pouvoir neutralise l’action du sultan en tant que dépositaire du pouvoir ottoman. La chute du sultan entraîne alors une crise du pouvoir patriarcal car celui-ci s’appuyait sur l’édifice impérial ottoman23. Le patriarcat se trouve aussi menacé par les revendications de l’État grec qui aspire à jouer un rôle de premier plan dans la ville symbole de Constantinople.
16Face à cette situation, le patriarcat prend l’initiative de calquer son action sur celle de l’État grec en adoptant la Grande Idée et en se présentant comme détenteur du pouvoir sur les Grecs irrédimés. Sous le gouvernement de Venizélos, l’antagonisme entre les deux centres du pouvoir – l’État grec et le patriarcat – s’apaise, l’espace national se trouvant unifié. À partir du moment où Venizélos perd les élections en novembre 1920, le conflit sous-jacent réapparaît et est exploité, de sorte qu’il prend rapidement une nouvelle dimension, notamment pendant les élections patriarcales.
17La défaite électorale de Venizélos, divisant l’espace imaginaire de l’hellénisme en deux, Athènes et Constantinople, le patriarcat se retrouve piégé. S’il veut conserver son pouvoir sur les Grecs en dehors du royaume, il doit rompre cette relation. Les prélats du patriarcat se divisent aussi entre venizélistes et royalistes ; le schisme politique devient donc schisme ecclésiastique24. Cette rupture entre le monde hellénique et l’Église grecque rouvre le débat sur l’attitude à adopter vis-à-vis des anglicans. Les prélats venizélistes adoptent une position plutôt favorable au rapprochement des deux Églises alors que les royalistes y sont opposés.
18En raison de ces divisions, les élections patriarcales vont se dérouler dans un climat polémique. La participation des laïques qui sont en grande majorité partisans de Vénizélos alors que les prélats restent plutôt fidèles au centre d’Athènes, conduit à l’élection le 25 novembre 1921 d’un nouveau patriarche, Meletios Metaxakis. Cette élection n’est toutefois pas unanimement reconnue, ouvrant derechef l’outre d’Éole25.
19Meletios Metaxakis, peu après son élection, se rend en visite au Lambeth Palace où il doit rencontrer l’archevêque de Canterbury Randall Davidson (1848-1930) afin de renforcer leur relation et mettre en évidence les valeurs que partagent les deux Églises. Néanmoins, Davidson tente d’éviter une rencontre avec Meletios Metaxakis, prétextant qu’il est malade26. En effet, au même moment, l’évêque Chrysanthos (1841-1949), métropolite de Trebizonde, soutenu par le gouvernement royaliste d’Athènes pour l’obtention du Siège patriarcal, souhaite également s’entretenir avec Davidson, obligeant ce dernier à refuser de rencontrer les deux hommes, au motif qu’il ne veut pas s’ingérer dans les affaires d’une « Église sœur ». Toutefois, le Foreign Office insiste pour que cette rencontre ait lieu. En effet, Meletios Metaxakis est en bon terme avec Lloyd Georges, ce qui oblige finalement Davidson à le recevoir27. Suite à leur entrevue, les deux hommes affirment leur désir de voir Constantinople devenir la ville d’un nouveau patriarcat anglicano-orthodoxe28.
20Par ailleurs, l’Église anglicane est aussi divisée que l’Église grecque. À l’origine de l’intérêt de l’Église anglicane pour l’orthodoxie, se trouve le Mouvement d’Oxford qui remet en cause l’existence de l’Église anglicane elle-même. L’avènement de la démocratie libérale et sécularisée ébranle l’ordre théologico-politique qui existe en Angleterre depuis la séparation d’avec Rome et bouleverse profondément l’Église anglicane. Face aux contestations, l’Église anglicane s’efforce dans un premier temps d’inclure les dissenters29 tout en essayant de se rapprocher des courants plus traditionnalistes à l’instar de l’orthodoxie. Pourtant, un tel modus vivendi ne s’avère pas très efficace et des troubles persistent tout au long du XIXe siècle.
21Les évangéliques de la Basse Église qui s’organisent de manière locale, en assemblée de croyants, s’opposent aux anglo-catholiques de la Haute Église qui privilégient l’institution et sa hiérarchie et prétendent jouer un rôle dans la nation. Chacun des deux camps affirme représenter au sein de l’Église anglicane la majorité des fidèles. Cependant, aucun d’entre eux ne parvient à l’emporter, comme l’illustrent les propos de l’archevêque de Canterbury Cosmo Lang (1864-1945) : « la tradition évangélique est dans mes os, mais la tradition catholique agite mon imagination30. »
Conclusion
22Le projet de rapprochement entre les deux Églises joue un rôle majeur dans le nouveau contexte politique et ecclésiastique, tandis que le mouvement œcuménique se développe après la Grande Guerre. Cependant, cette alliance entre des Églises si différentes au point de vue théologique pouvait-elle être viable en dehors de tout intérêt politique ? La réponse aurait paradoxalement pu être positive. Les deux Églises, malgré leurs différences, sont confrontées aux mêmes problèmes ecclésiastiques. Les relations entre l’Église, l’État et la nation, l’érastianisme, la nécessité de constituer leurs Églises de façon autonome par rapport à l’État, l’éloignement de l’Église vis-à-vis des nouveaux problèmes de la société d’après-guerre, et la participation des laïcs aux plus hauts grades de la hiérarchie ecclésiastique constituent quelques-uns des principaux problèmes communs à l’Église anglicane et à l’Église orthodoxe. Pourtant, leurs divisions internes et leurs différences théologiques ne leur permettent pas de suivre un chemin identique. John Neville Figgis (1866-1919), anglican de la Haute Église, écrit « Quand les hommes essayent de sanctifier le monde et de l’élever au niveau de l’Église, ils ne réussissent le plus souvent qu’à abaisser la vie de l’Église pour l’accommoder aux pratiques du monde31 ».
Bibliographie
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Bibliographie indicative
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Notes de bas de page
1 D’Herbigny M., L’anglicanisme et l’orthodoxie grécoslave, Paris, Bloud et Gay, 1920, p. 5.
2 Ibid., p. 6.
3 De Tocqueville A., Œuvres complètes, t. 5, Paris, Gallimard, 1958, p. 24.
4 L’Acte de tolérance permet aux autres Églises et confessions chrétiennes du Royaume, à part l’Église catholique, de cœxister à côté de celles d’Angleterre et d’Écosse.
5 L’Acte d’établissement est le système ecclésiastique établi par la loi. Après la rupture avec Rome en 1534, ce terme désigne l’identification de l’État et de l’Église en la personne du souverain. L’Église d’Angleterre est encore aujourd’hui une Église établie.
6 Coleridge S. T., On the Constitution of the Church and the State, New Jersey, Princeton University Press, 1976 [1830]. Samuel Taylor Coleridge (17751834) est connu comme poète et pour sa sympathie envers les radicaux et la révolution française. Son livre de vieillesse On the Constitution of the Church and the State est pourtant un classique de la pensée contre-révolutionnaire.
7 Grimley M., Citizenship, Community, and the Church of England, Oxford, Oxford Historical Monographs, 2004, p. 30.
8 Id., Introductory Lectures in Modern History Delivered in Lent Term 1842, with the Inaugural Lecture Delivered in December 1841, Londres, B. Fellowes, 1842, p. 49.
9 Arnold T., Principles of the Church Reform, Londres, General Books Club, 2010 [1833].
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11 Bauberot J. et Mathieu S., Religion, modernité et culture au Royaume-Uni et en France (1800-1914), Paris, Seuil, 2002, p. 112.
12 Glycantzi-Arhweiller H., L’Idéologie politique de l’Empire byzantin, Paris, Puf, 1975, p. 148-168.
13 Il est préférable, dans ce passage qui vise à énoncer clairement la spécificité de la relation entre l’Église et l’État dans le contexte anglais, de conserver les termes Church and State.
14 Kitromilides P., Eleftherios Venizelos. The Trials of Statesmanship, Edimbourgh, Edinburgh University Press, 2006 ; Karamanlis K., Eleftherios Venizelos et les relations extérieures de la Grèce (1928-1930), Athènes, Papazisis’ Editions, 1995 [en grec] ; Personnaz C., Venizélos. Le fondateur de la Grèce moderne, Paris, Bernard Giovanangeli Éditeur, 2008.
15 Le terme est utilisé pour la première fois par le premier ministre du roi Otton (1815-1867), Ioannis Kolettis (1774-1847) en 1844. La Grande Idée s’appuie sur le sentiment national et vise à unir tous les Grecs qui vivent hors du Royaume. La Grande Idée domine toute la politique extérieure et intérieure du pays jusqu’à la défaite de l’armée grecque en Asie Mineure en 1923.
16 Le cardinal Gasparri (1852-1934), secrétaire d’État du Saint-Siège, s’oppose à la perspective de l’installation des Grecs à Constantinople. CROCE G., La badia greca di Grottaferrata e la rivista « Roma e l’Oriente ». Cattolicessimo e ortodossia fra unioniso ed ecusmenismo (1799-1923), Vol. II, Cité du Vatican, Libreria editrice vaticana, 1990.
17 Douglas J. A., The Redemption of Saint Sophia, Londres, The Faith Press, 1919.
18 Archives De L’archevêché Catholique De Paris (désormais AACP), Lettre de l’archevêque de Paris Amette à M. Jules Cambon (1845-1935) ; Archivio Secreto Vaticano (désormais ASV), Sacra Congregazione degli Affari Ecclesiastici Straordinari, Austria-Ungheria, Anno 1919-1920, Pos. 1384, Fasc. 549 ; Croce G., « Le Saint Siège, l’Église Orthodoxe et la Russie soviétique. Entre mission et diplomatie (1917-1922) », MEFRIM, Vol. CV, no 1, 1993, p. 267-297 ; Id., « Le Saint Siège et la conférence de la paix (1919). Diplomatie d’Église et diplomaties d’État », MEFRIM, Vol. CIX, no 2, 1997, p. 793-823 ; Goldstein E., « Holy Wisdom and the British Foreign Policy. The St. Sophie Redemption Agitation », Byzantine and Modern Greek Studies, Vol. XV, 1991, p. 36-65.
19 Meletios Metaxakis est certainement l’un des agents les plus controversés dans l’histoire ecclésiastique grecque du XXe siècle. En devenant Métropolite de Kition à Chypre, puis Métropolite d’Athènes, Patriarche de Constantinople et finalement Patriarche d’Alexandrie, c’est le personnage dans l’orthodoxie grecque qui occupe le plus de sièges différents et qui marque irréversiblement l’histoire ecclésiastique de l’entre deux-guerres.
20 Foreign Office Papers (désormais FO), 371/6466-E2712/1/44, Lettre de Granville à Curzon.
21 Trubetskoy N., Saint Sophia. Russia’s Hope and Calling, Londres, Faith Press, 1916.
22 L’Anglican-Eastern Church Association, initialement l’Anglican and Eastern Orthodox Churches Union, est fondée en 1864 par John Mason Neale afin de promouvoir la réunion entre l’Église anglicane et les Églises orthodoxes.
23 Anagnostopoulou S., The Passage from the Ottoman Empire to the Nation-States, Istanbul, Isis Press, 2004.
24 Au début de la Grande Guerre, la Grèce est neutre mais les grandes puissances la poussent à entrer dans le conflit. Venizélos souhaite que son pays s’engage aux côtés de l’Entente, pour garantir l’intégrité territoriale de la Grèce et, en cas de victoire, l’expansion du pays. La cour royale et surtout le roi Constantin sont en revanche germanophiles et penchent en faveur d’un soutien aux puissances centrales.
25 Nanakis A., Le Veuvage du Siège œcuménique et l’élection de Meletios Metaxakis (1918-1922), Thessalonique, Annuaire scientifique de la Faculté de Théologie – Université Aristote de Thessalonique, 1991, [en grec] ; Id., Église et Eleftherios Venizélos, Thessalonique, Vanias, 2008 [en grec] ; Mavropoulos D., Pages patriarcales. Le patriarcat œcuménique (1878-1949), Athènes, Ekdoseis Petsali, 1960 [en grec] ; Anagnostopoulou S., Asie Mineure (XIXe siècle-1919). Les communautés greco-orthodoxes, du millet de Rums à la nation grecque, Athènes, Ellinika Grammata, 1997. [en grec] ; Stavridis V., Patriarches Œcuméniques, (1860 – aujourd’hui), Athènes, Société des études macédoniennes, 1960. [en grec].
26 Lambeth Palace Archives (désormais LPA), Davidson Papers, Vol. XIV, Diary, 21 janvier 1921.
27 Ibid.
28 Ibid.
29 Les dissenters s’opposent à l’ingérence de l’État dans les affaires religieuses. Ils triomphent un temps lors du gouvernement de Cromwell, mais après la Restauration de la monarchie en 1660, l’épiscopat est rétabli et les droits civiques des dissenters limités par l’Act of Uniformity de 1662.
30 Lpa, Cosmo Gordon Lang Papers, Autobiography, Vol. CXCIV-CXCVIII.
31 Figgis J. N., Church in the Modern State, Londres, Longmans, 1913, p. 134.
Auteur
Doctorante (EHESS-CARE).
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2015
Le Président de la Ve République et les libertés
Xavier Bioy, Alain Laquièze, Thierry Rambaud et al. (dir.)
2017
De la volatilité comme paradigme
La politique étrangère des États-Unis vis-à-vis de l'Inde et du Pakistan dans les années 1970
Thomas Cavanna
2017
L'impossible Présidence impériale
Le contrôle législatif aux États-Unis
François Vergniolle de Chantal
2016
Sous les images, la politique…
Presse, cinéma, télévision, nouveaux médias (xxe-xxie siècle)
Isabelle Veyrat-Masson, Sébastien Denis et Claire Secail (dir.)
2014
Pratiquer les frontières
Jeunes migrants et descendants de migrants dans l’espace franco-maghrébin
Françoise Lorcerie (dir.)
2010