Chapitre XX. Étude géoarchéologique de la plaine de Thessalonique (Grèce)
Un exemple d’adaptation des sociétés humaines à la mobilité holocène du trait de côte
p. 271-279
Texte intégral
Introduction
1La plaine de Thessalonique (également appelée plaine de Macédoine centrale) est localisée au nord de la Grèce (Fig. 1) et a été une importante aire de peuplement depuis le Néolithique, période datée aux alentours du milieu du VIIe millénaire av. J.-C. pour la Macédoine (Demoule et Perlès, 1993 ; Grammenos, 1997 ; Perlès, 2001). De nombreux sites d’occupation humaine se sont d’abord établis à l’ouest de la plaine actuelle, sur les contreforts des monts du Vermion (Rodden et Wardle, 1996). Des populations agricoles ont été les premières à occuper cet espace, puis, au cours des millénaires, des royaumes et des empires ont tour à tour occupé et « maîtrisé » cette région en constante évolution morphologique entre les époques macédonienne et ottomane. Le royaume de Macédoine, avec à sa tête les rois Philippe II et Alexandre Le Grand (Alexandre III), a laissé dans le paysage de nombreux jalons archéologiques tels que des villes et des routes, témoins privilégiés de la mobilité des paysages de la région. Dans les années 1960, la découverte des ruines de Pella (l’ancienne capitale des rois de Macédoine) par Photios Petsas (Petsas, 1978 ; Akamitis et al., 2004) et des tombes de Vergina par Andronikos à la fin des années 1970 (Andronikos, 1984, 1993), a permis de mettre en évidence la modification morphologique de l’actuelle plaine de Macédoine centrale à l’Holocène. Pour tenter une reconstitution des différentes phases d’avancée du littoral, certains auteurs contemporains (Strück, 1908 ; Hammond, 1972 ; Bottema, 1974 ; Bintliff, 1976) ont en grande partie fondé leurs modèles sur l’exégèse des sources écrites anciennes, principalement l’œuvre de Thucydide, d’Hérodote, de Strabon et de Tite-Live (Fig. 1). L’interprétation de ces documents demeure très subjective et leur confrontation révèle de nombreuses contradictions. De récentes recherches géoarchéologiques ont permis de fournir des données chronostratigraphiques de référence dans le but de mieux cerner la mobilité des paysages de la plaine de Thessalonique en lien avec l’histoire de l’occupation humaine (Ghilardi, 2007 ; Ghilardi et al., 2008 a et b ; Ghilardi, 2010 ; Ghilardi et al., 2010, 2012). Ces travaux permettent ainsi de proposer de nouvelles pistes de recherches pluridisciplinaires et de remettre en contexte paysager les sites archéologiques de la région.
Contextes géologique et géomorphologique
2La plaine de Thessalonique est la plus grande aire deltaïque de Grèce (~ 2 200 km²). Elle est localisée sur la marge septentrionale du golfe Thermaïque (Fig. 1) et est enserrée par des chaînes de montagne (Fig. 1 et Fig. 2) : on observe vers l’ouest, la chaîne du Vermion (altitude maximum : 2 050 m) modelées dans des calcaires d’âge secondaire, vers le nord, le Païkon (altitude max. 1 650 m) formé de roches calcaires également d’âge secondaire, enfin vers le sud et l’est les collines néogènes de Piérie (altitude max. 1 750 m) et du Chortiatis (altitude max. 1 050 m) qui limitent le secteur deltaïque. À l’image d’un amphithéâtre où les gradins seraient matérialisés par les chaînes de montagne et où la scène principale serait représentée par la plaine de Thessalonique, cette région se caractérise par un relief fortement contrasté.
3Au cours du Néogène, la plaine de Macédoine centrale et l’actuel golfe Thermaïque formaient une dépression tectonique (graben) de direction NNW-SSE dénommée « dépression Axios-Thermaïque » (Syrides, 1990 ; Dinter et Royden, 1993). Ce vaste bassin, affecté par la subsidence, a été progressivement comblé par des dépôts clastiques (conglomérats, sables et argiles) et plus localement par des sédiments carbonatés (marnes et calcaires). La succession de faciès variés témoigne des différents paléoenvironnements au cours du Miocène (fluvial, saumâtre, etc.), du Pliocène (fluvio-lacustre, lacustre, etc.) et du Pléistocène (fluvial). Vers le sud-est, le golfe Thermaïque voit la coalescence des deux principaux deltas (Fig. 1), ceux de l’Aliakmon et de l’Axios. Ce golfe fait partie de la mer Egée et reçoit de l’eau douce de quatre fleuves principaux : l’Aliakmon, l’Axios, le Gallikos et le Loudias (Poulos et al., 2000 ; Lykousis et al., 2005). La superficie totale des bassins versants de ces quatre fleuves représente environ 35 000 km² (Ghilardi, 2010). Dans les années 1920, afin d’éviter les inondations pendant les épisodes de fortes pluies, d’importants aménagements hydrauliques ont été réalisés par la New York Foundation Company, tels que des digues et des chenaux de drainage (Ancel, 1930). En conséquence, la topographie et la morphologie de la plaine ont été profondément modifiées et artificialisées. Seuls quelques méandres abandonnés situés en rive gauche de l’Aliakmon et présentant une courbure très prononcée subsistent dans le paysage de la plaine et constituent les derniers héritages morphoclimatiques visibles du Petit Âge Glaciaire. Le lac de Giannitsa (appelé Borboros Limen et lac Loudias dans l’Antiquité) a été totalement drainé dans les années 1920 pour permettre le développement agricole de la province de Macédoine centrale. La plaine de Thessalonique constitue l’une des plus vastes zones agricoles irriguées de Grèce (Füldner, 1967), et cela n’a pas été sans entraîner une forte réduction du débit des fleuves Aliakmon et Axios dont plusieurs barrages retiennent des volumes considérables d’eau et de sédiments, régulant ainsi fortement les écoulements. Dans les années 1960-1970, la NEDECO a réalisé 200 forages dans les parties centrale et orientale de la plaine (profondeur maximale de 12 m) et les résultats ont montré que les sédiments avaient été déposés dans des environnements marins et lagunaires au cours de l’Holocène (Bottema, 1974). Dans le secteur proche de Pella, les dépôts marins sont présents vers 10 m de profondeur et sont successivement recouverts par des sédiments lagunaires, lacustres et fluviatiles. Ces derniers furent principalement apportés par l’Axios dans le secteur de l’ancienne capitale macédonienne et par l’Aliakmon vers l’ouest et le sud de l’actuelle plaine (Ghilardi, 2007). Bien que les travaux de la NEDECO soient d’une importance capitale pour restituer les environnements de dépôt à l’Holocène, les étapes du remblaiement de l’ancienne baie marine qui occupait l’actuelle plaine de Macédoine centrale n’ont pas été précisées, ni même étudiées. En effet, aucune datation par le radiocarbone n’avait permis de dater les phases de sédimentation marine, lagunaire et lacustre. Depuis une dizaine d’années, les études des conséquences morphologiques de la remontée relative du niveau de la mer depuis la fin de la dernière période froide du Quaternaire dans ce secteur septentrional de la Mer Egée se sont multipliées (Lykousis et al., 2005 ; Vouvalidis et al., 2005). La datation par le radiocarbone de nombreuses coquilles marines a permis d’établir une courbe de remontée du niveau marin, comparable à celles déjà établies en Méditerranée et dans le reste de la planète (Pirazzoli, 1996 ; Bruse et al., 2001).
L’occupation humaine depuis le Néolithique en Macédoine centrale : présence de sites archéologiques majeurs et questions géoarchéologiques associées
4Dans la plaine de Macédoine, les plus anciens restes archéologiques sont datés de la période néolithique. Des fouilles réalisées dans les années 1960 sur le site de Nea Nikomedeia (Fig. 1 et Fig. 2) par une équipe de chercheurs de Cambridge et d’Harvard et dirigée par Robert Rodden, a permis d’émettre l’hypothèse selon laquelle des populations d’agriculteurs se sont installées à proximité d’un lac ou de la mer. La plus ancienne phase d’occupation du site est datée vers 6500-6400 av. J.-C. (Néolithique ancien) et on observe une réoccupation du site vers 5500-5300 av. J.-C. (Bintliff, 1976 ; Rodden et Wardle, 1996). Le type d’habitat révélé lors des recherches archéologiques effectuées sur le tumulus indique que les matériaux utilisés pour confectionner les maisons provenaient certainement d’un gisement local et incluaient des roseaux et des argiles très imbibées (Rodden et Wardle, 1996). De nombreux débris de coquilles marines et lagunaires retrouvés dans les strates étudiées permirent à Robert J. Rodden et à son équipe de conclure que Nea Nikomedeia devait être situé au bord d’une étendue lacustre marécageuse pendant sa phase d’occupation la plus ancienne (Rodden et Wardle, 1996). N. Shackleton (1970) étudia l’ensemble des mollusques trouvés et datés par R.J. Rodden et W.A. Wardle (1996) et confirma la proximité du site avec un environnement saumâtre. N.G.L. Hammond (1991), archéologue de la Macédoine antique, considéra que la plaine de Macédoine centrale fut également habitée à la fin de l’Âge du Bronze ; cependant, peu de sources bibliographiques viennent confirmer cette hypothèse. Pendant l’époque romaine, des évidences archéologiques permettent de juger d’une nouvelle étape dans l’aménagement de la plaine de Thessalonique, sur laquelle deux routes ont été construites. La première, appelée Early Roman Road, parcourt le piémont du Vermion et passe par les villes de Veria, de Pella et de Thessalonique. Elle fut construite aux environs du ier s. av. J.-C. tandis que la Macédoine devenait une province de Rome. La seconde route, dénommée Late Roman Road, a été édifiée au iiie s. apr. J.-C. (Bintlif, 1976) et passe pour la première fois au milieu de la plaine nouvellement formée, reliant ainsi Methoni à Thessalonique, sans passer par Pella (Fig. 1). Vestige de cette ancienne voie de communication et localisée non loin de l’autoroute moderne reliant Athènes à Thessalonique (à 400 m à l’ouest du fleuve Loudias), l’arche du pont romain de Klidhi (N40 34’434/E22 37’352) est un témoin évident de la mobilité holocène des paysages deltaïques de la région. Elle fut probablement la 3e ou la 4e arche d’un pont qui devait en comporter 8 à 10 et dont la longueur totale devait avoisiner 187-190 m (Delacoulonche, 1859). De nos jours, aucun cours d’eau ne s’écoule sous cette arche. A. Strück (1908) et J. Bintliff (1976) ont émis l’hypothèse que ce pont avait été construit pour enjamber le fleuve Aliakmon ou la confluence entre ce dernier et le fleuve Loudias. Cependant, aucune source ancienne et très peu de documents archéologiques n’ont permis de vérifier cette hypothèse jusqu’à de récents travaux (Ghilardi et al., 2010). Une seule mention de ce pont fait état de la présence des armées de l’Empereur byzantin Alexis Comnène en 1078 à proximité des arches (Delacoulonche, 1859 ; Bintliff, 1976).
Méthodes d’étude des paléoenvironnements deltaïques
5Vingt carottages (Fig. 2) ont été réalisés entre septembre 2004 et avril 2008 dans la partie occidentale de la plaine de Thessalonique (à l’ouest du tracé actuel du fleuve Axios), révélant de manière précise la lithostratigraphie des dépôts jusqu’à une profondeur de 11 m (Ghilardi, 2007 ; Ghilardi et al., 2008 a et b, 2010, 2012). En se fondant sur les travaux de la NEDECO (1970), l’emplacement des carottages a été choisi en fonction de problématiques géoarchéologiques visant à reconstituer les paysages autour des sites archéologiques majeurs de la plaine de Macédoine centrale. Notre travail repose sur une étude et une datation systématiques des phases de transition entre environnements laguno-marins et continentaux. Tous les échantillons prélevés ont été tamisés à 0,40 mm. Les restes ont ensuite été récupérés pour une étude malacologique sous microscope (collaboration avec l’université Aristote de Thessalonique, Pr. George Syrides) afin de déterminer les différents faciès de dépôt (marin, lagunaire et lacustre principalement). La chronostratigraphie des carottages a été rendue possible grâce à 27 datations par le radiocarbone réalisées sur des mollusques préservés dans leur milieu de vie, dans des passées riches en matière organique de type tourbe (Ghilardi, 2007 ; Ghilardi et al., 2010, 2012). L’analyse granulométrique des sédiments a été effectuée par méthode laser dans le but de caractériser l’énergie de transport et le mode de dépôt des sédiments. Les études de susceptibilité magnétique ont été en partie réalisées au CEREGE et au laboratoire de Géographie physique de Meudon dans le but de caractériser les apports des différents bassins versants (principalement ceux de l’Aliakmon et de l’Axios) présentant des lithologies et des cortèges minéralogiques différents. Les échantillons étudiés ont été prélevés tous les 5 cm (sauf dans les niveaux remaniés) et environ 500 échantillons ont été analysés. En plus des mesures à basse fréquence (976 Hz), les mesures ont été réalisées en très haute fréquence pour le MFK1 (15 616 Hz) et la résolution ainsi obtenue est de ~ 3 x 10-8 SI à 976 Hz en fréquence. En complément de ces analyses sédimentologiques, des mesures géochimiques ont été effectuées et comprennent des études isotopiques (13C et 18O) et de diffraction des rayons X (XRD) dont le but est d’identifier des phases humides/sèches au cours de l’Holocène et déterminer la composition minéralogique des dépôts carbonatés d’origine lacustre. Le but de ces analyses est de proposer une reconstitution paléoclimatique en distinguant des phases climatiques humides et/ou arides observées pendant l’Holocène et de mettre ces résultats dans une perspective régionale comparative (Psomiadis et al., 2009).
Reconstitution paléogéographique de la plaine de Thessalonique à l’Holocène
6Les résultats des analyses isotopiques révèlent un apport important d’eau douce à la base du carottage NN2 (Fig. 2, Ghilardi et al., 2012) et suggèrent qu’un lac d’eau douce peu profond occupait la partie occidentale de l’actuelle plaine de Thessalonique, dans les environs du site néolithique de Nea Nikomedeia, et a existé entre le Younger Dryas et l’Holocène ancien, soit vers 8000-7500 av. J.-C. (Fig. 3). Les alluvions riches en carbonates, observées dans le carottage NN1 (Fig. 2), démontrent que des cours d’eau provenant de la chaîne du Vermion et présentant une forte activité (en contexte climatique fini-tardiglaciaire) devaient avoir pour exutoire ce lac d’eau douce. Cette information, pionnière à l’échelle de la Macédoine centrale, s’accorde parfaitement avec les reconstitutions climatiques régionales. En effet, la base de données relatives au niveau des lacs européens (Harrison et al., 1991) indique la présence de conditions climatiques plus humides qu’aujourd’hui dans le sud de l’Europe qui s’accompagnent d’un haut niveau des lacs vers 10 000 BP, soit environ 8000 av. J.-C. En parallèle à ces modifications climatiques, des changements de végétation sont également relevés dans le nord de la Grèce où l’on observe une transition de paysages influencés par des dynamiques morphologiques en contexte glaciaire il y a 20 000 ans vers un espace progressivement recouvert par des forêts au cours des 15 000 dernières années (Lawson et al., 2004). Bien que des passages riches en sédiments lacustres carbonatés soient enregistrés dans deux carottages (Ghilardi et al., 2012), l’extension précise de ce paléolac peu profond datant du début de l’Holocène est très difficile à évaluer. En effet, la surface pré-transgressive n’a pas été reconnue ni datée dans le reste des carottages réalisés dans la plaine (Fig. 2). L’existence de cette ancienne étendue d’eau lacustre peut être attribuée à différents paramètres tels que la forte activité hydrologique de sources localisées dans les dépôts travertineux du Vermion dont on retrouve d’imposants affleurements dans les régions de Veria, de Naoussa et d’Edessa (Faugères, 1978). Ces concrétions carbonatées se sont formées pendant le Quaternaire à la faveur d’un écoulement important de petits cours d’eau (rivières et torrents) sur des roches calcaires (Faugères, 1978). En raison de la remontée rapide du niveau de la Mer Egée, les eaux marines ont progressivement envahi l’actuelle plaine de Macédoine centrale en suivant une direction SE/NW (Lykousis et al., 2005 ; Ghilardi, 2007 ; Ghilardi et al., 2008 a et b, 2012). L’extension marine s’est faite jusque dans les environs du site de Nea Nikomedeia et a été précisément datée vers 6000-5800 av. J.-C. (Ghilardi et al., 2012). L’intrusion répétée d’eau marine et saumâtre dans l’étendue lacustre a largement contribué à modifier la salinité du milieu. Le carottage NN4 (Fig. 2) indique la présence d’un environnement saumâtre, daté du début du VIe millénaire av. J.-C. Cette arrivée d’eau saumâtre peut être reliée à la phase d’abandon du site de Nea Nikomedeia. L’étude des carottages NN5 et NN6 (Fig. 2) indique qu’un environnement lagunomarin s’est développé dans le centre de l’actuelle plaine entre ~ 5800 av. J.-C. et ~ 4100 av. J.-C. (Fig. 3). Par la suite, une nouvelle phase de sédimentation lacustre est observée à partir de ~ 4100 av. J.-C. avec un important développement tourbeux entre 2000 et 1500 av. J.-C. (Ghilardi et al., 2008b, 2012). Ce dernier phénomène est en lien direct avec l’évolution climatique régionale où une phase aride prononcée est datée vers 1600-1400 av. J.-C. ; cette dernière est notamment enregistrée dans les lacs africains où un bas niveau des eaux est attesté (Gasse, 2000 ; Drysdale et al., 2006 ; Zhornyak et al., 2008). Cette phase d’aridité a d’ailleurs été considérée comme responsable du déclin de certaines civilisations sur le pourtour méditerranéen (Drysdale et al., 2006). Les travaux récemment menés dans la partie terminale du complexe deltaïque Aliakmon-Axios, dans le secteur de l’arche du pont romain de Klidhi (Ghilardi et al., 2008 a et b, 2010), révèlent que ce secteur était encore un environnement marin pendant les périodes archaïque et classique (entre les viie et ive s. av. J.-C. ; Hérodote, Histoires, livre VII, fragments 123, 124 et 127). Au début de l’époque romaine, un phénomène majeur de progradation deltaïque est confirmé et Strabon relate ainsi que Pella était distante de la mer de 22,2 km (Strabon, Géographies, livre VII, fragments 20 et 22) mais toujours accessible par bateau après avoir emprunté un étroit chenal peu profond. Les recherches menées par M. Ghilardi et al. (2008a, 2010) ont permis de préciser la position du trait de côte dans les premières décennies de l’époque impériale : un environnement marin peu profond devait exister dans les environs du pont de Klidhi. En termes de composition paysagère, aucun auteur ancien (Tite-Live, Histoire de Rome, livres 44 et 46 ; Strabon, Géographies, livre VII, fragments 20 et 22) ne mentionne l’existence d’une route traversant la plaine. Progressivement, et en raison de l’alluvionnement important des fleuves Aliakmon et Axios favorisant la progradation du delta, des lagunes se sont succédé en repoussant toujours plus vers le sud-est l’embouchure des cours d’eau. D’après les études menées par la NEDECO (1970), les alluvions apportées en masse dans le golfe Thermaïque ont contribué à édifier des barrières littorales (celle localisée à proximité du pont de Klidhi s’appelle Klidhi-Kimina-Chalastra-Sindos ; NEDECO, 1970) qui ont pu localement créer des lagunes plus ou moins connectées à la mer. Certaines de ces dépressions d’eau saumâtre étaient toujours en contact avec la mer. C’est dans ce contexte morphologique que le pont romain de Klidhi a été construit pour favoriser le passage d’une route au milieu de la plaine, enjambant graus et embouchures deltaïques. Les études de malacologie et de sédimentologie réalisées sur les carottages effectués autour de l’arche de Klidhi (Fig. 2) permettent de constater la présence de deux lagunes séparées par un cordon sableux (Ghilardi et al., 2010). D’après les dernières recherches (Ghilardi et al., 2010), il est possible de confirmer la présence d’une route romaine plus courte, passant par Klidhi et reliant Thessalonique via la Via Egnatia depuis Pydna. Cette voie de circulation a été établie dans un contexte environnemental où de nombreuses lagunes deltaïques existaient et où la présence d’un cordon sableux littoral a permis l’édification d’une route par les ingénieurs romains dans la basse plaine de Macédoine centrale. Vers le xve s. apr. J.-C. (transition entre les périodes byzantine et ottomane), on observe le passage d’un environnement lagunaire à un milieu fortement marqué par l’alluvionnement d’un (voire deux) cours d’eau. En effet, les résultats des analyses de susceptibilité magnétique permettent de distinguer clairement deux cortèges minéralogiques liés à des apports de bassins versants différents. Lors des carottages, un fragment (de grande dimension) de bois de type Quercus sp. [partie du pont probablement effondrée (Bintliff, 1976) en raison d’épisodes de crue violents datés du début du Petit Âge Glaciaire] a été retrouvé puis daté alors qu’il était localisé en pleine phase de transition entre dépôts de cordon littoral et alluvions.
Conclusion
7Depuis la fin de la dernière période glaciaire et la remontée rapide du niveau marin, la paléogéographie de la plaine de Thessalonique a été marquée par la progradation rapide des deltas de l’Aliakmon et de l’Axios dans ce qui était, il y a environ 7 500 ans, un vaste golfe marin peu profond. Nos récentes recherches géoarchéologiques dans la région de Macédoine centrale permettent de proposer un nouveau schéma d’évolution des paysages dans une région intensément occupée depuis le Néolithique. Les résultats qui ont été acquis lors de récentes missions de carottages permettent d’obtenir une séquence chronostratigraphique de référence dans la plaine pour les 10 000 dernières années. La réalisation de vingt carottages a notamment permis de reconstituer les différentes étapes de l’avancée du littoral en relation avec l’occupation humaine (Ghilardi, 2007, 2010 ; Ghilardi et al., 2008 a et b, 2010, 2012). Ainsi Hérodote, Thucydide, Eschine et Aristote voyaient au pied de la ville de Pella une vaste étendue d’eau correspondant au prolongement vers le nord de la Mer Egée mais il s’agissait en fait d’un vaste lac aux eaux parfois saumâtres, s’étendant depuis la partie basse de l’ancienne capitale des rois de Macédoine jusqu’au site néolithique de Nea Nikomedeia. Le pont de Klidhi dont il ne reste plus aujourd’hui qu’une seule arche, n’a jamais fait l’objet d’une étude archéologique précise alors qu’il est aujourd’hui l’un des rares exemples de pont romain construit dans une basse plaine deltaïque méditerranéenne. Alors que Pella était considérée comme une ville portuaire maritime pendant l’Antiquité grecque (qu’elle n’était donc pas puisque les études paléoenvironnementales démontrent qu’elle était située au bord d’une étendue saumâtre), les sources écrites anciennes indiquent qu’à la fin de l’époque romaine (intervalle de temps de cinq siècles à peine), l’ancienne capitale macédonienne était localisée à 28 km du trait de côte ! Notre travail constitue donc une base de réflexion pour la compréhension des mécanismes de mobilité des paysages littoraux à l’Holocène en Grèce, où les sociétés humaines ont été fortement contraintes par un trait de côte en constante mobilité.
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Références
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Auteur
Chargé de recherche, Unité Mixte de Recherche (UMR 7330) CNRS/Aix-Marseille Université/IRD (Centre Européen de Recherche et d’Enseignement des Géosciences de l’Environnement – CEREGE), Aix-en-Provence, France (ghilardi@cerege.fr).
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