« Healing the community » : éthique et ancestralité dans la religion des orisha aux États-Unis
p. 181-203
Résumés
Cette contribution analysera les particularismes issus de la globalisation de la « religion des orisha » et les réinterprétations engendrées par la réappropriation de pratiques religieuses africaines et de leurs variantes latino-américaines par les African Americans aux États-Unis. Dans la réappropriation des pratiques constitutives de la religion des orisha, les initiés afro-américains mettent en avant la notion de healing qui fait référence à toute guérison, aussi bien physique que spirituelle ou morale. La religion des orisha a comme objectif ultime la « guérison » spirituelle, mais aussi sociale et culturelle, de la société afro-américaine, entraînant la solution des maux qui l’affligent, comme la violence et l’oubli de sa propre histoire. La « revitalisation » du culte des ancêtres vise alors à moraliser la communauté des descendants d’Africains en Amérique, à travers la découverte d’une éthique africaine dont les ancêtres sont les seuls garants.
This article focuses on local particularities resulting from the globalization of “orisha religion”, specifically novel interpretations of African religious practices and their Latin American variants generated by the reappropriation of these among African-American populations in the United States. In their version of orisha religious practices, African-American practitioners emphasize a conception of healing that refers to physical as well as spiritual or moral well-being. The ultimate goal of their religious practice is the spiritual – but also social and cultural – repair of African-American society, the healing of such debilitating ills as the violence and lost history that routinely trouble it. The revitalization of an ancestor cult within this context thus aims to create a new morality among American descendants of Africans through the discovery of a specifically African code of ethics that can only be assured by the ancestors.
Texte intégral
I am no longer deaf, dumb or blind. I am, by the inspiration of our Ancestors and the grace of our Creator, a New Afrikan!
The New Afrikan Creed, 1969
1La globalisation culturelle est souvent perçue comme étant un processus homogénéisateur qui viserait à imposer une culture « globale », issue de l’Occident, au reste du monde. Cette logique du « West and the Rest » est remise en question par les études sur la globalisation religieuse, qui montrent comment d’autres flux culturels – Sud-Sud et Sud-Nord – jouent aussi un rôle central dans ce que l’on appelle « mondialisation ». Cet article propose d’analyser les particularismes issus de la globalisation de la « religion des orisha »1 et les réinterprétations engendrées par la réappropriation de pratiques religieuses africaines et de leurs variantes latino-américaines par les African Americans aux États-Unis. Pour cela, je me propose de revenir sur les matériaux qui ont donné naissance à mon ouvrage sur les « Yoruba du Nouveau Monde » (Capone, 2005), en centrant mon attention sur le rôle de la « guérison » (healing) dans la pratique religieuse des Afro-Américains qui se sont convertis à la religion des orisha.
2Cette recherche a été inspirée par ma première rencontre avec Adefunmi, le fondateur d’Oyotunji Village, premier village « africain » sur le sol nord-américain, lors du 5e Congrès Mondial de la Tradition et Culture des Orisha (COMTOC), organisé en août 1997 à San Francisco. La multiplicité et la polysémie de la notion de tradition, qui était au centre de l’univers afro-brésilien, principal terrain de mes premiers travaux de recherche, et les différentes références à une « pureté africaine », préservée or en Afrique, or en Amérique grâce aux maisons de culte les plus « traditionnelles », était aussi à l’œuvre dans le contexte nord-américain. Était-il possible, comme le prônaient les défenseurs du mouvement de « réafricanisation » (cf. Capone, 1999), de revenir à une « pureté » des pratiques religieuses, en effaçant tous les éléments hétérogènes, et notamment les influences catholiques, censées être le produit d’une histoire de domination et de discrimination ? Qu’est-ce qu’entraînait, dans la pratique rituelle, le processus de réafricanisation ?
3Ma recherche sur le candomblé brésilien m’avait familiarisée avec les revendications d’une unité des cultes afro-brésiliens qui semblait, depuis toujours, vouée à l’échec. Les forums internationaux, et notamment les Congrès Mondiaux de la Tradition et Culture des Orisha (COMTOC), dans lesquels, depuis le début des années 1980, les pratiquants de différentes modalités de culte se réunissaient pour débattre de l’unification et de la préservation des pratiques religieuses d’origine africaine, constituaient, à mes yeux, le locus incontournable où se mettait en scène l’idée même d’une unité de fond de la culture africaine. J’y retrouvais l’opposition entre deux modèles de tradition : celui défendu par les maisons de culte « de la diaspora », qui se présentaient en tant que seules dépositaires d’un héritage et d’un savoir religieux, irrémédiablement perdu dans l’Afrique contemporaine ; et celui lié à la « Terre-mère », l’Afrique immémoriale qui continuait de subsister malgré les dégâts du colonialisme et qui légitimait le « retour aux racines » prôné par les maisons de culte « réafricanisées ». Le processus de formation de l’orisha-voodoo, à partir des années 1960, constituait, à mes yeux, un cas exemplaire de cette redécouverte des « racines africaines », dans un contexte où l’engagement religieux jouait aussi un rôle ouvertement politique.
4J’étais frappée par le fait que, dans leur réappropriation des pratiques constitutives de la religion des orisha, les initiés afro-américains mettaient constamment en avant la notion de healing. Cette notion, qui était déjà présente dans les Églises spiritualistes afro-américaines, fait référence à toute guérison aussi bien physique que spirituelle ou morale. La religion des orisha, selon l’interprétation donnée par les initiés afro-américains, aurait ainsi comme objectif ultime la « guérison » spirituelle, mais aussi sociale et culturelle, de la société afro-américaine, entraînant la solution des maux qui l’affligent, comme la violence, l’ignorance et l’oubli de sa propre histoire.
5Dans cet article, j’essayerai de montrer comment l’accent mis sur une éthique afro-américaine, dont les principes sont puisés dans le corpus de connaissance d’Ifá (le principal système divinatoire yoruba), et l’importance accordée au culte des ancêtres participent à la constitution d’une communauté de pratiquants qui se structure en « communauté ethnique ». Nous verrons que la revitalisation du culte des ancêtres vise à moraliser la communauté des descendants d’Africains en Amérique, à travers la découverte d’une éthique africaine dont les ancêtres sont les principaux garants. À la différence d’autres contextes régionaux comme le Brésil ou Cuba, la religion est ici intimement liée à la politique, puisque le développement des pratiques rituelles et culturelles vise la conscientisation des « Afrikans in America » en tant que membres d’une nation qui lutte pour son autodétermination.
De la guérison spirituelle à la redécouverte de sa véritable identité
6Dans les années soixante, avec les premières grandes vagues d’immigration cubaine en Amérique du Nord suite à la révolution castriste, de nouvelles pratiques religieuses, telles que la santería afro-cubaine, se sont implantées aux États-Unis. Cette religion, née de la rencontre des croyances des esclaves africains avec celles de leurs maîtres, vénérait des entités, pour la plupart d’origine africaine, qui étaient syncrétisées avec des saints catholiques. L’arrivée de spécialistes des rituels de la santería et d’autres religions afro-cubaines mettait, pour la première fois, les Noirs nord-américains en contact avec des pratiques religieuses qui soulignaient leur origine africaine. Quelques éléments du vodou, réduit à une pratique folklorique souvent discriminée, se retrouvaient dans les Églises spiritualistes de La Nouvelle-Orléans, créées au début du xxe siècle en Louisiane et devenues très populaires dans des grandes villes comme Chicago. Cependant, la plupart de ces Églises niait toute association avec la pratique du vodou, considéré comme de la sorcellerie. Des auteurs comme Zora Hurston (1931, 318-319) ont montré toutefois que les Églises spiritualistes offraient un réel écran protecteur aux « hoodoo doctors » et à leurs adeptes2. Comme dans le vodou, ces Églises mettaient l’accent sur l’importance des « mystères » et des « secrets » dans la religion. Elles étaient réputées pour la guérison (healing) et la prophétie (prophesy), considérées comme « two gifts of the spirit » (Jacobs, 2005, 333).
7Les Églises spiritualistes rassemblent différentes dénominations qui sont nées, par scission interne, d’une Église fondée à La Nouvelle-Orléans au début du xxe siècle par Mother Leafy Anderson. Ces Églises, qui se sont rapidement propagées dans le nord des États-Unis à l’époque de la Grande Dépression (Frazier, 1974, 67), proposent des consultations à leurs fidèles pour les aider à résoudre toutes sortes de problèmes. Ce processus est désigné par l’expression « healing advice », des recommandations qui guident le consultant sur le chemin de la guérison (Kaslow et Jacobs, 1981). Les Églises spiritualistes reproduisent les hymnes des baptistes et des méthodistes, tout en les associant à des symboles catholiques, comme les statues des saints et l’utilisation de cierges3. Dans les années cinquante et soixante, face à la ségrégation et aux possibilités réduites d’ascension sociale, ces Églises promettaient aux adeptes une amélioration de leur statut social par la réalisation de rituels spécifiques et un changement d’attitude fondamental – le « positive thinking ».
8La plupart des Églises spiritualistes étaient exclusivement noires, à l’exception de celles de New York, où les Portoricains et les Hispaniques avaient rejoint les Noirs nord-américains. La présence de médiums, aussi appelés « messagers », parmi les fidèles, rapprochait ces Églises du spiritisme blanc4. Les médiums possédaient le don de prophétie et ils avaient notamment la capacité de « lire » (read) les personnes, leur révélant des aspects de leur passé ou de leur avenir. Ils transmettaient des messages pendant des séances religieuses appelées « prophecy and healing services » (séances de prophéties et de guérison) ou « deliverance services » (séances de délivrance), et donnaient aussi des consultations privées à des personnes qui ne faisaient pas partie de l’Église, répondant à tout type de problème. Pendant les années trente et quarante, en réaction à la confusion entre ces Églises et le spiritisme, plusieurs groupes avaient changé leurs noms de « spiritualist » en « spiritual », afin de se différencier clairement des pratiques spirites (Baer et Singer, 1992, 196). Néanmoins, les ressemblances demeuraient très fortes, puisque, au moins dans les églises de La Nouvelle-Orléans, le médium pouvait être possédé, non seulement par le Saint-Esprit, mais aussi par une variété d’« esprits-guides », parmi lesquels on comptait « des parents décédés, des personnages de l’Ancien ou du Nouveau Testament » et même des esprits d’Amérindiens, comme l’« esprit-guide » Black Hawk (Jacobs, 1989, 47).
9L’action de ces esprits n’avait pas de portée collective ; les Églises spiritualistes ne prônaient pas une remise en question du statu quo et la guérison demeurait au niveau individuel. Le conflit politique était ainsi estompé par l’accent mis sur l’individu et ses relations avec son entourage. Les difficultés quotidiennes, endurées par les Noirs nord-américains, n’étaient plus le résultat d’un système pervers, comme celui de la ségrégation raciale, mais la conséquence du déséquilibre spirituel de l’individu. Sa responsabilité morale était ainsi directement engagée dans le traitement des problèmes à résoudre (Jacobs, 2005).
10D’autres Églises combinaient, à cette même époque, pratique religieuse et critique de fond du système américain. L’imbrication du religieux et du politique avait été, depuis le début, une des caractéristiques de la « Black Church », l’« Église noire » nord-américaine. Cependant, les dénominations protestantes ne permettaient guère de répondre aux questionnements identitaires qui travaillaient en profondeur la communauté afro-américaine. Ainsi, pour certains intellectuels noirs, comme Edward Blyden en 1887, les maux de la communauté afro-américaine ne pouvaient être guéris que par l’adoption de l’islam, considéré comme la religion « naturelle » des Africains et des Noirs « de la diaspora ». L’adoption de cette religion permettait de dissocier le Noir de l’image de « païen fétichiste » qui lui était couramment associée, tout en l’éloignant définitivement de la religion des anciens maîtres blancs.
11Avec des mouvements religieux comme les Black Jews et le Moorish Science Temple, l’engagement religieux avait commencé à être associé, au début du xxe siècle, à la quête de la véritable origine des Noirs nord-américains. La revendication d’une identité musulmane, menée par le Moorish Science Temple, permettait d’effacer le traumatisme de l’esclavage en retrouvant l’identité originale de l’homme africain : l’identité « afro-asiatique ». L’adhésion à l’islam constituait, pour les Noirs nord-américains, un pas en avant vers une remise en question totale de l’histoire afro-américaine. Ils n’étaient plus les descendants d’un peuple « inférieur », réduit en esclavage par les Blancs porteurs d’une civilisation supérieure, mais les membres d’un peuple libre, les musulmans d’Afrique du Nord. La religion musulmane devint ainsi la « religion originelle » du peuple noir, antérieure à l’esclavage et à la conversion forcée au christianisme. Pour la première fois, un mouvement religieux proposait à ses adeptes de refaire corps avec leur véritable origine, avec leur ancestralité, en adoptant un style de vie en harmonie avec leur « sang noir ».
12Le Moorish Science Temple fut le premier mouvement à prêcher un islam noir, ouvrant les portes à d’autres mouvements, tels que l’Ahmadyya Movement in America et la Nation of Islam de Fard Muhammad et Malcolm X (cf. Lincoln, 1961 ; Gardell, 1996). Or, les membres de la Nation of Islam, le plus connu de ces mouvements, ne revendiquaient pas, dans leur discours, une identité nouvellement inventée. Bien au contraire, ce que proposait le mouvement était davantage le retour à une identité que la domination des Blancs sur les Noirs avait placée entre parenthèses. Pour cela, il fallait abandonner tous les signes de l’identité américaine à commencer par les noms anglo-saxons, considérés comme le principal symbole de l’esclavage, en les changeant dans des cérémonies spécifiques. La critique de la société américaine et la revendication d’une nouvelle identité, plus proche de la réelle essence du peuple afro-américain, devint ainsi une constante dans les cercles du nationalisme noir nord-américain.
Oyotunji village ou un royaume yoruba aux États-Unis
13L’arrivée massive de Cubains aux États-Unis, à la suite de la révolution castriste, permit aux militants du nationalisme noir de s’identifier avec des dieux africains, des rois et des reines yoruba, en adoptant une identité religieuse qui renvoyait aux cultures sub-sahariennes, dont la plupart des esclaves nord-américains étaient issus. À partir des années soixante, des Afro-Américains rejoignirent progressivement les maisons de culte pratiquant la santería, d’abord à New York et ensuite sur l’ensemble du territoire nord-américain. À cette époque, le nationalisme culturel, prôné par des activistes tels que Maulana Karenga ou Amiri Baraka, défendait l’idée selon laquelle les Afro-Américains ne pouvaient se libérer du joug de l’oppression que s’ils redécouvraient leur culture originelle, c’est-à-dire leur culture africaine. Depuis la fin des années cinquante, la décolonisation de l’Afrique était devenue, dans les milieux activistes, le symbole de l’émancipation future de la communauté afro-américaine. L’identité « afro-asiatique », mise en avant, entre autres, par la Nation of Islam, trouvait ainsi son pendant dans la redécouverte des cultures africaines et le nouvel essor du panafricanisme, incarné par le nationalisme culturel afro-américain. Pour les membres de ce mouvement, les religions afro-cubaines constituaient une opportunité unique de redécouvrir des croyances africaines tombées dans l’oubli en Amérique du Nord.
14Le premier militant du nationalisme noir nord-américain à s’initier dans une religion afro-cubaine a été Walter « Serge » King (1928-2005), alias Baba Oseijeman Adelabu Adefunmi I, « roi » d’Oyotunji Village, le village « yoruba » qu’il fonda en 1970 en Caroline du Sud (Clarke, 2004 ; Capone, 2005). Né en 1928 à Détroit, depuis tout petit Walter King avait été encouragé par ses parents à étudier « la culture africaine », un intérêt qui était aussi le résultat de son immersion dans un milieu nationaliste. Son père, originaire de la Géorgie, était un militant du mouvement de Marcus Garvey et aussi un membre du Moorish Science Temple, ce mouvement religieux et nationaliste qui prêchait un islam noir adapté aux besoins des Afro-Américains. Dans les années cinquante, King commença à étudier la danse africaine, devenant membre de la troupe de Katherine Dunham, une grande danseuse américaine qui a joué un rôle très important dans la diffusion des pratiques religieuses afro-cubaines aux États-Unis (cf. Capone, 2005, 91-94). En 1952, King se rendit en Égypte « afin de redécouvrir les origines de la civilisation africaine » et, deux ans plus tard, visita Haïti. Au retour de ce voyage, il décida de fonder une société nommée l’Ordre de Damballah Hwedo, du nom du dieu serpent dans le vodou haïtien. Les membres de cette société, qui étaient surtout des nationalistes noirs, se réunissaient pour pratiquer « les religions akan et dahoméenne », des religions d’origine ghanéenne et béninoise. À cette époque, King changea son nom et se fit appeler Nana Oseijeman, où Nana est un titre akan qui signifie « honorable chef »5.
15À la fin des années cinquante commençaient à arriver à New York des Cubains pratiquant la santería, ainsi que d’autres religions afro-cubaines. King, qui était déjà très attiré par les religions d’origine africaine, se convainquit que, pour pouvoir exercer un véritable leadership au sein du mouvement nationaliste noir, il lui fallait refaire corps avec son origine, adoptant une identité culturelle africaine. Or, la seule religion qui soulignait son lien avec les cultures subsahariennes, et notamment la culture yoruba, était la santería cubaine, à la différence de ce qui était véhiculé par des mouvements religieux comme le Moorish Science Temple ou la Nation of Islam. Ces Églises mettaient en avant une identité qui ne renvoyait pas directement à l’Afrique noire, mais à une religion monothéiste, aussi légitime que le christianisme ou les autres grandes religions révélées.
16Une fois entré en contact avec des initiés dans la religion afro-cubaine, King décida de se rendre à Cuba, pour se faire initier. À cette époque, le mouvement des droits civiques était dirigé par des ministres des Églises chrétiennes noires. King, qui était un militant du nationalisme noir, pensait que seule son initiation dans une religion « africaine »6 pouvait l’autoriser à parler au nom des Afro-Américains, en exprimant « des questions ontologiques que le clergé chrétien ne pouvait pas comprendre ». Pour King comme pour ses compagnons d’aventure, la politique ne pouvait plus se faire sans un travail parallèle de « rédemption culturelle ». Le programme du nationalisme noir des années soixante incluait en effet trois points principaux : la rédemption culturelle des Noirs américains, le séparatisme racial comme seule solution au racisme et à la discrimination des Blancs, et la création d’un État noir indépendant sur le sol américain.
17Walter King fut initié le 26 août 1959 à Matanzas, à Cuba, par un santero appelé Sonagba, qui était membre du célèbre lignage religieux afro-cubain de Ferminita Gómez. À son retour à New York, il ouvrit un premier temple à Harlem, appelé le Shangó Temple, et quelques mois plus tard, en 1960, il inaugura le Yoruba Temple, toujours dans le même quartier new-yorkais. Au sein du Yoruba Temple, King, qui avait acquis le nom yoruba Adefunmi signifiant « la couronne m’a été donnée », développa un programme de formation de ses membres, fondé sur les liens historiques et culturels qui unissaient les Noirs nord-américains aux Africains, avec une attention toute particulière pour l’émergence du mouvement du nationalisme noir et de sa branche culturelle aux États-Unis, et pour la naissance des nations indépendantes en Afrique sub-saharienne. Pour souligner les liens entre les Afro-Américains et leurs frères d’Afrique, il fallait « redevenir » Africain, en adoptant, en outre, les coiffures afro et les vêtements africains. Les signes extérieurs de cette « africanité » devaient être ouvertement affichés et devenaient un acte politique. Le but était de faire prendre conscience aux Afro-Américains de leur héritage et de leur culture qui, aux yeux d’Adefunmi, étaient fondamentalement yoruba, en mettant fin à des siècles d’« amnésie culturelle ».
18Cette redécouverte de l’héritage culturel africain amena les membres du Yoruba Temple à renommer le quartier de Harlem « New Oyo », choisissant le principal symbole de la grandeur de l’ancien empire yoruba, sa capitale, Oyo, dont la chute, vers 1830, avait entraîné la réduction en esclavage de milliers de Yoruba. La création du Yoruba Temple constituait ainsi le premier pas vers la régénération de l’héritage culturel yoruba auquel s’identifiait une partie des militants du nationalisme culturel. Leur but était, avant tout, de rendre visible leur identité culturelle africaine : les membres du Yoruba Temple commencèrent à défiler dans les rues de Harlem, portant des vêtements africains et les statues des orisha, réalisant des cérémonies et jouant les tambours sacrés en public.
19Cette nouvelle visibilité des pratiques d’origine africaine ne pouvait que déranger les santeros cubains de New York, qui étaient habitués à garder secrètes leurs cérémonies. Au début des années soixante, il y avait à New York un nombre assez réduit de pratiquants, cubains et haïtiens, qui effectuaient des rituels pour les divinités de façon privée, dans leurs appartements. Les santeros craignaient une répression de la part du gouvernement américain, dirigée contre les Afro-Américains mais aussi contre les immigrés cubains. En revanche, les Afro-Américains voulaient proclamer haut et fort leur nouvelle identité et menaient une campagne de prosélytisme parfois assez agressive. Il fallait montrer aux frères et sœurs afro-américains qu’il était possible de refaire corps avec leur origine et « redevenir » Africains. La religion était une voie menant à la redécouverte de sa véritable identité culturelle.
Adapter les pratiques de la santería selon une logique afro-américaine
20Parmi les changements les plus importants apportés par les Afro-Américains aux pratiques religieuses de la santería, on compte la mise entre parenthèses du caractère secret des rituels et l’élimination de toute influence catholique. Pour que cette religion puisse être acceptée par les Afro-Américains, il fallait l’adapter à la culture protestante, et notamment à la religion baptiste, qui prédominait chez les Noirs nord-américains qui n’avaient pas abandonné le christianisme. Les saints catholiques, réduits à de simples masques blancs posés sur les visages des dieux noirs, n’avaient plus d’utilité dans ce nouveau contexte d’implantation, puisque le catholicisme n’était pas la religion dominante aux États-Unis et la religion africaine n’était plus obligée de se cacher comme pendant l’esclavage à Cuba.
21De plus, la pratique de la « religion africaine » fournissait aux militants du nationalisme noir des modèles pour l’action dans le monde. Rendre un culte à un orisha équivalait à vénérer « sa propre personnalité », en rétablissant une connexion étroite avec les forces cosmiques et les énergies qui structurent le monde, une connexion spirituelle qui allait entraîner le « spiritual healing », la « guérison spirituelle » et la réhabilitation du peuple afro-américain, en l’aidant à retrouver ses repères culturels et sociaux. Pour cela, il fallait ramener les pratiques religieuses apportées par les Cubains à leur « pureté » africaine, tout en sauvegardant le modèle dominant yoruba. Pour mieux marquer la rupture avec les santeros cubains, Adefunmi choisit ainsi un nouveau nom pour sa religion, qui soulignait les liens anciens entre les religions yoruba et dahoméenne : orisha-voodoo.
22Au Yoruba Temple, le premier pas pour renouer avec son origine et sa culture africaines consistait en la réalisation de la cérémonie du nom, qui impliquait l’acquisition d’un nouveau nom africain et l’abandon de son ancien nom « d’esclave ». Le changement de nom était déjà pratiqué par des mouvements religieux liés au nationalisme noir, comme la Nation of Islam. Après la cérémonie du nom, les nouveaux membres du temple acquéraient des vêtements africains et ceux qui voulaient poursuivre dans la voie spirituelle recevaient d’abord les elekes, les colliers sacrés de la santería cubaine, puis les « guerriers », c’est-à-dire les orisha Eleguá, Ogun, Oshosi et Osun, dans ce qui constitue le premier rituel santero pour la protection individuelle. Adefunmi affirmait que, s’il était naturel pour un descendant d’Européen de préserver et maintenir vivantes les traditions de sa Terre Mère, l’Afro-Américain avait le devoir de se libérer des signes extérieurs de sa soumission au Blanc, « réafricanisant » sa vie, ses coutumes, son nom, sa religion et ses vêtements7.
23Suite à la crise qui entraîna la fermeture du Yoruba Temple à la fin de 1965, Adefunmi commença à planifier la création d’un village africain en Caroline du Sud, dans un projet politique qui visait clairement la « restauration culturelle africaine ». En 1969, Adefunmi laissa New York pour s’installer en Caroline du Sud. Là, il décida de se consacrer complètement aux activités religieuses et, en avril 1970, initia pour la première fois des Afro-Américains qui, avec Adefunmi et sa famille, s’établirent dans une vieille ferme, où ils commencèrent à construire des autels pour les divinités. Le village fut bâti d’abord, en 1970, sur une des îles de la Caroline du Sud et, deux ans plus tard, fut transféré dans les environs de Sheldon, dans le comté de Beaufort. Il s’agissait de la première tentative de fonder un « territoire noir » sur le sol américain, complètement consacré au culte des dieux africains.
24Le choix de la Caroline du Sud était particulièrement significatif puisque cet État faisait partie du « territoire subjugué » que la Republic of New Africa, un gouvernement parallèle créé par les nationalistes noirs nord-américains dans les années soixante, aurait voulu libérer pour en faire une république noire. Adefunmi avait été nommé, en 1968, l’un des ministres de la Culture du « Gouvernement provisoire » de la Republic of New Africa. Ce mouvement politique proposait de rassembler cinq millions de Noirs américains sur un territoire comprenant les États de la Géorgie, de l’Alabama, du Mississippi, de la Louisiane et de la Caroline du Sud, en réparation des années d’esclavage et de discrimination. À ce programme indépendantiste était aussi associé le « Nouveau credo africain » qui préconisait la création de nouvelles relations sociales, fondées sur la fraternité, le respect mutuel et la mise en valeur d’un comportement exemplaire par lequel l’individu devenait le véritable miroir de sa communauté.
25Les défenseurs du New Afrikan Creed affirmaient qu’aucun peuple libre ne devait pratiquer la religion d’un autre peuple, ni accepter de plein gré une autre culture. La religion était intimement liée à l’histoire d’un peuple et il n’était donc pas possible de parler de religion « universelle ». Ainsi, le christianisme ne pouvait pas être considéré comme une religion universelle parce qu’il était le produit de l’histoire des Blancs et « de leurs heurts et guerres contre le peuple noir ». Les New Afrikans se devaient donc d’étudier la littérature sacrée de l’Afrique de l’Ouest et de maîtriser les rituels de ses systèmes de croyance, notamment le yoruba, le fon et l’akan, afin de renforcer les fondations morales et spirituelles de la « nation noire » qui luttait pour son autodétermination.
26En août 1972, Adefunmi fut invité par Nana Yao Oparebea Dinizulu, le père du mouvement akan aux États-Unis, à l’accompagner dans une tournée de son groupe de danse en Afrique. Cette invitation lui offrit l’occasion de « corriger » son destin. En effet, lors de son initiation à Matanzas (Cuba), l’odù d’Adefunmi – le signe du système d’Ifá qui révèle le destin individuel lors de la divination de l’itá, le troisième jour d’initiation – avait été Oshé Meji, dans une configuration négative (osogbo). Par conséquent, son initiateur cubain lui avait interdit d’initier d’autres personnes. Or, avec le début des initiations d’African Americans à Oyotunji Village, Adefunmi avait réinterprété cette interdiction comme étant l’expression de la discrimination des santeros cubains envers les Noirs nord-américains. Le voyage en Afrique lui permit de légitimer sa position vis-à-vis de la communauté des pratiquants de la religion des orisha aux États-Unis, approfondissant encore plus la fracture avec les Cubains. Adefunmi voyagea du Ghana au Nigeria, où il réalisa les initiations dans le culte d’Ifá, devenant un babalawo, spécialiste des rituels de divination. À son retour du Nigeria, Adefunmi fut couronné Oba (roi) d’Oyotunji Village, un nom qui signifie « la renaissance d’Oyo » (Òyó – tún – jí – Oyo à nouveau réveillé), mettant en avant, encore une fois, le principal symbole de la grandeur yoruba.
La redécouverte du culte des ancêtres, gardiens d’une éthique africaine
27Mais, le changement le plus significatif apporté à la pratique de la santería cubaine a été, sans doute, l’implantation du culte des ancêtres. La santería cubaine avait laissé un vide – celui du culte des ancêtres, tombé dans l’oubli à Cuba – que les pratiquants nord-américains pouvaient désormais combler. Pour les « Yoruba » d’Oyotunji Village, la plupart des problèmes auxquels étaient confrontés les Noirs nord-américains étaient le résultat direct de l’abandon du culte des ancêtres et du non accomplissement des rituels funéraires selon les coutumes africaines. Les ancêtres africains, qui n’avaient pas été admis dans le paradis chrétien, « réservé aux Blancs », demeuraient dans les limbes, ils n’étaient pas en paix et causaient toutes sortes de problèmes à leur descendance.
28En 1973, à la suite du voyage d’Adefunmi au Nigeria, une société Egungun fut créée dans le village avec les masques des ancêtres et, au début des années quatre-vingt, on commença à organiser un Egungun Festival8. Les cérémonies annuelles se terminaient par des offrandes, effectuées au bord de la mer, en l’honneur de tous ceux qui avaient péri lors du Middle Passage, le voyage entre l’Afrique et l’Amérique dans les navires négriers. Cette revitalisation du culte des ancêtres permettait d’établir une continuité entre le passé africain et le présent américain, recréant le lien avec les lignages africains et effaçant de façon symbolique la rupture fondatrice de l’histoire afro-américaine : la traite négrière et l’esclavage. Mais, la place centrale accordée à l’ancestralité justifiait aussi l’interprétation racialisée de la religion d’origine yoruba, une interprétation qui était déjà la norme dans le Yoruba Temple de New York et qui avait été l’une des causes de la séparation définitive d’avec les Cubains9.
29Or, la redécouverte de l’ancestralité et le culte rendu aux Egungun (ou Egun) sont à la base d’une réinterprétation de la « religion yoruba » qui met en avant la notion de « religious healing ». Ce lien entre la redécouverte de sa propre histoire, personnelle et collective, et la solution des problèmes entraînés par des siècles de violence, de discrimination et de racisme, n’est cependant pas limité à Oyotunji Village. Ainsi, lors du 5e Congrès Mondial sur la Tradition et la Culture des Orisha (COMTOC), réalisé à San Francisco en 1997, Michael d’Oshosi, un initié afro-américain dans la « religion yoruba », consacra son intervention à la question de l’ancestralité et à la présence des Blancs dans cette religion. Selon lui, il existerait un type spécifique d’orisha, l’« orisha gardien », différent de l’orisha « maître de la tête » auquel est normalement initié le novice. L’orisha « gardien », qui serait un ancêtre divinisé qui accompagne son descendant, transmettrait un type particulier d’ashé (l’énergie sacrée à la base de ces systèmes de croyance), appelé « ashé ancestral ». Seuls les Afro-Américains peuvent cumuler ce type d’ashé, puisqu’ils sont descendants d’Africains. Les Blancs peuvent être initiés dans la religion des orisha, mais ils ne peuvent pas atteindre des positions élevées dans la hiérarchie du culte puisqu’ils ne possèdent pas cet ashé ancestral. En réalité, les ancêtres des Blancs constituent des « Egun adversaires » (adversarial Egun), puisque ce sont les esprits des anciens maîtres d’esclaves qui ne peuvent pas être vénérés à côté des ancêtres africains, les bourreaux à côté de leurs victimes.
30L’importance attribuée aux liens avec les ancêtres s’avère ainsi fondamentale, puisqu’elle bouleverse en profondeur les rapports entre l’individu et la religion, des rapports qui deviennent désormais dépendants des liens généalogiques. Grâce à la revitalisation du culte des ancêtres, les Afro-Américains ont ainsi redécouvert la modalité africaine, qui avait été détruite par l’esclavage, de la transmission de la divinité protectrice au sein d’un même lignage. En effet, la santería, comme la plupart des autres cultes d’origine africaine dans les Amériques, a remplacé l’idilé (le lignage) par l’ilé (le groupe de culte)10, en substituant le lignage biologique par le lignage religieux. Mais recréer les liens avec son lignage africain impliquait aussi de redécouvrir son histoire familiale, ce qui a entraîné l’apparition, à Oyotunji Village, d’une nouvelle forme de divination, appelée la roots divination ou « divination des racines ».
31Lors de cette divination, qui n’est réalisée qu’une seule fois dans la vie du consultant, sont identifiés le lieu d’origine de son lignage africain, l’occupation principale et le nom de son clan, les facteurs qui ont causé la réduction en esclavage de ses ancêtres et les différentes expériences vécues lors de la traversée de l’océan Atlantique dans les navires négriers. La plupart des séances de divination des racines établissent une connexion directe avec l’Afrique, avec les Yoruba ou avec l’ancien royaume dahoméen, et aboutissent à la nécessité d’une « rédemption culturelle » yoruba (Clarke, 2004, 231-256).
32Si la divination des racines ou d’afa oro idilé11 s’est tellement répandue, c’est parce qu’il existait une demande réelle, au sein de la communauté afro-américaine, concernant le moyen de retrouver son héritage familial : « Avec le travail accompli par Adefunmi, nous pouvons à présent combler le vide laissé par la destruction de la structure familiale, entamée lors de la traite négrière et poursuivie tout le long de l’histoire afro-américaine, en nous rendant chez un prêtre des Egungun afin d’obtenir une meilleure compréhension des prédispositions génétiques au culte d’Ifá (genetic propensities to Ifá) » (Ifatunji, 2003). Lors d’une divination des racines, un consultant peut ainsi découvrir qu’il descend d’un lignage qui se consacrait au culte des orisha ou au culte d’Ifá, et qu’il est donc « génétiquement » prédisposé à s’engager spirituellement et à devenir prêtre ou prêtresse de la religion yoruba.
33La plupart des consultations visant à identifier le lignage africain se concluaient par une interprétation de l’esclavage qui était conçu comme le résultat d’un mauvais comportement au sein du clan d’origine. Les Africains devenaient ainsi, d’une certaine façon, coresponsables de la traite négrière puisqu’ils n’avaient pas respecté leurs propres traditions. Pour corriger les erreurs passées, ils devaient à présent revenir à leur propre culture et revitaliser les pratiques religieuses dont l’abandon avait causé la plus grande tragédie de l’histoire africaine : l’esclavage. Mais ce type de divination permettait aussi de formuler des revendications politiques contre les Cubains, puisque, par le rétablissement symbolique des liens avec les lignages traditionnels yoruba, les pratiquants afro-américains de la religion des orisha pouvaient revendiquer le monopole de la « véritable tradition yoruba » aux États-Unis, rendant réversible l’expérience de l’esclavage et délégitimant les pratiques de la santería cubaine. La divination des racines entraînait ainsi une refonte de l’histoire afro-américaine en amenant une « guérison », non plus individuelle, comme dans les Églises spiritualistes, mais collective. La guérison de tout un peuple, une guérison qui se voulait « raciale » puisqu’elle répondait aussi aux méfaits du racisme et de la discrimination au sein de la société américaine.
Du « religious » au « racial healing »
34Le lien entre religion et « healing » n’est pas nouveau aux États-Unis et ne se limite pas aux Églises spiritualistes. L’idée d’un impact thérapeutique des pratiques religieuses sur les croyants était déjà présente au sein du New Thought Movement et du Social Gospel à la fin du xixe siècle. Le New Thought Movement proposait de corriger la façon dans laquelle les adeptes appréhendaient la maladie ou l’infortune. Ces problèmes ne pouvaient être résolus qu’en comprenant que l’être humain était intimement lié à l’« Infinie Intelligence divine ». La guérison des maux, individuels ou collectifs, était ainsi la conséquence d’un changement d’attitude de la part du fidèle. La responsabilité de cette guérison était clairement placée sur l’individu.
35La croyance en la possibilité d’une guérison par la foi (faith healing) est également présente dans la plupart des dénominations protestantes, surtout dans celles qui pratiquent l’« imposition des mains » (laying of hands). Ainsi, les mouvements pentecôtistes et charismatiques ont attiré, au début du xxe siècle, des adeptes des Églises de la sainteté (Holiness Churches) et des Églises spiritualistes qui croyaient déjà en la guérison divine. De même, la Christian Science défend une vision de la guérison qui passe par la compréhension de la perfection de la création divine, en corrigeant la distorsion de la perception humaine de la réalité spirituelle. Pour les membres de cette Église, la souffrance n’est qu’illusion et la guérison dépend de l’acquisition d’une nouvelle façon d’appréhender la réalité. C’est la correction de la pensée qui entraîne la guérison, physique et spirituelle (Koliss, 2001).
36Parallèlement à l’essor, à partir des années soixante, des mouvements de développement personnel comme le New Age, des rituels de guérison – « healing services » et « healing circles » – se sont multipliés dans un grand nombre d’Églises nord-américaines (cf. Barnes et Sered, 2005 ; Mitchem et Townes, 2008). Les revues afro-américaines Essence et Ebony ont souvent relayé des versions « Afrocentric » de thérapies alternatives, comme le yoga ou les arts martiaux orientaux. Ainsi, l’Association internationale des professeurs de yoga noirs (International Association of Black Yoga Teachers) propose de voyager à Cuba pour y pratiquer le yoga, tout en y associant aussi la capoeira, une lutte dansée d’origine africaine pratiquée au Brésil. De même, la pratique de la méditation devient l’un des chemins possibles vers l’autoréalisation et la découverte de sa propre essence, tout en soulignant les liens avec l’ancienne Égypte et les glorieuses civilisations africaines.
37Or, la notion de healing ne renvoie pas seulement à une guérison physique. Si certaines Églises recherchent une guérison physique par des moyens spirituels, le cas d’Oyotunji Village met en avant une guérison spirituelle et morale qui doit être atteinte par des moyens spirituels, mais aussi politiques. Le processus de healing est ainsi en même temps individuel et collectif, puisque l’individu ne peut s’épanouir qu’au sein de sa communauté d’origine. Le New African Creed déclarait déjà en 1969 : « I believe in the family and the community and the community as a family, and I will work to make this concept live. I believe in the community as more important than the individual. » (http://www.webspawner.com/users/newafcreed) Pour « guérir » la communauté afro-américaine, il faut aussi redéfinir les rapports de pouvoir au sein de la société américaine. Le manque de contrôle sur leurs vies constituait la raison principale de l’oppression dont les Noirs étaient les victimes. La notion d’empowerment incarne ainsi cette tentative de « retrouver sa voix » (to regain one’s voice), de revendiquer son propre héritage culturel et social, sa propre histoire. Pour « guérir la communauté » (healing the community), il faut reconnaître les racines sociales et spirituelles de la maladie, rechercher un rapport holistique et équilibré avec soi-même et son entourage, tout en conquérant des espaces de liberté et de pouvoir pour regagner l’auto-estime et le respect au sein de la société américaine. Or, les Églises afro-américaines demeurent les seules institutions qui soient gérées et entièrement contrôlées par des African Americans. C’est donc au sein d’elles qu’il faut mener le combat pour le « racial healing », la « guérison raciale ».
38La notion de « racial healing » est mobilisée par plusieurs Églises nord-américaines, comme la Mennonite Church USA qui prône un processus de « guérison raciale », à savoir la solution des problèmes entraînés par le racisme, par le biais d’une « justice restauratrice ». Plus récemment, la W. K. Kellogg Foundation a lancé un programme de bourses, intitulé « Community– Based Racial Healing Grants », réservant 75 millions de dollars au lancement de son « America Healing Initiative ». Mais cette « guérison » n’est pas seulement individuelle ou collective, elle peut aussi viser le rééquilibrage des rapports entre l’homme et la nature, en restaurant un équilibre écologique fragile. C’est le cas des cérémonies organisées par des groupes de vodou de La Nouvelle-Orléans pour demander le pardon des esprits de l’Océan après la tragédie écologique provoquée par British Petroleum (BP) dans le Golfe du Mexique en 2010. Les rituels dédiés à Lasiren, la déesse de la mer, étaient ainsi interprétés par la principale officiante, la mambo Sallie Ann Glassman : « Maybe in healing her, we will heal ourselves. We are all connected. We are all in this together. » Cette prêtresse vodou de La Nouvelle-Orléans officie aussi des rituels de protection contre les ouragans, en invoquant un autre puissant loa, Erzulie Dantor. C’est cette déesse qui aurait détourné, à la dernière minute, l’ouragan Katrina, en évitant des dommages encore plus graves. Ce type de rituel est également très répandu parmi les santeros, comme lors du passage de l’ouragan Wilma, en octobre 2005, qui déclencha la réalisation de rituels propitiatoires pour protéger la population et la ville de Miami.
39La notion de healing renvoie ainsi à l’idée d’un équilibre renouvelé, avec soi-même et son entourage, mais aussi avec la société environnante et la nature dans laquelle on vit. Il signifie refaire le lien avec sa propre histoire, avec son passé, pour mieux préparer son futur. Mais, pour atteindre la « guérison raciale », il faut d’abord retrouver une éthique perdue, que seul le culte des ancêtres et l’étude du corpus de connaissances sacrées d’Ifá peuvent apporter aux « Africains en Amérique ».
Une éthique africaine pour « guérir » les maux de la communauté afro-américaine
40Un exemple du rôle central joué par l’ancestralité dans la découverte d’une éthique « africaine » est offert par l’intervention de Baba Ifatunji lors du 8e Congrès Mondial sur la Tradition et la Culture des Orisha, réalisé à La Havane en juillet 2003. Pour Baba Ifatunji, qui a été initié à Oyotunji Village et a fondé l’Ilé Ifá Jalumí de Chicago, le premier Egbé Egungun (société des ancêtres) aux États-Unis, l’histoire yoruba et les écritures d’Ifá permettent de comprendre les raisons de la perte de toute connexion culturelle avec l’Afrique chez « les Africains d’Amérique du Nord ». Ifatunji commença son intervention en citant l’odù Oturopon Meji, qui raconte l’histoire d’un Yoruba, Oyepolu, qui avait été séparé de ses parents lorsqu’il était très jeune et qui, pour cette raison, ne connaissait plus la culture, ni les rituels religieux de son peuple. La vie d’Oyepolu était très difficile. Mais lors d’une consultation, Ifá lui recommanda de se rendre sur les sépultures de ses ancêtres. Oyepolu le fit et sa vie s’améliora.
41L’histoire d’Oyepolu constitue une parfaite métaphore de l’histoire des African Americans aux États-Unis, permettant l’incorporation d’éléments issus de l’histoire afro-américaine dans l’interprétation des odùs, les « signes » ou configurations du système divinatoire d’Ifá. La connaissance de sa propre histoire devient ainsi le bien suprême auquel tout Afro-Américain doit aspirer. Le premier déchirement dont a souffert l’« Africain d’Amérique du Nord » a été la séparation de sa famille africaine sous le régime esclavagiste. Comme Oyepolu, le protagoniste de l’odù Oturopon Meji, l’Afro-Américain ne connaît pas son père, n’a plus ni famille ni repères. C’était l’imposition du modèle chrétien et occidental de la famille nucléaire qui avait produit cette configuration particulière appelée la « Black family », que les sociologues présentaient comme l’incarnation de la déchéance de la communauté afro-américaine. Pour Ifatunji, les Afro-Américains devaient vénérer leurs « Egungun culturels », c’est-à-dire les incarnations de l’« âme ancestrale » africaine. Or, pour se reconnecter avec eux, il est nécessaire de connaître sa propre culture, reprenant ainsi le drapeau du nationalisme noir : comme les militants du nationalisme noir qui se devaient d’étudier leur culture, leur héritage historique et « ethnique », le novice devait, lui aussi, s’imprégner de sa culture ancestrale.
42Cette redécouverte d’une ancestralité africaine est intimement liée à l’attribution d’un caractère éthique à la religion des orisha. Cela signifie changer en profondeur la pratique religieuse afro-cubaine, dans laquelle l’orisha-voodoo trouve son origine. En effet, à Cuba, les dieux de la santería ne sont pas nécessairement bons ou mauvais, puisque leur comportement vis-à-vis des hommes dépend toujours des actions de ces derniers. Toute transgression de l’alliance établie avec le dieu engendre une réaction négative, pouvant aller jusqu’au châtiment suprême : la maladie ou la mort. De plus, lorsqu’un orisha « travaille » pour son initié afin de résoudre ses problèmes quotidiens, il ne fait pas seulement le bien, puisque le bonheur de l’un peut entraîner le malheur d’un autre. C’est dans les patakís, les mythes liés au corpus de connaissances d’Ifá selon la tradition afro-cubaine, que l’on trouve les recommandations censées orienter la conduite de l’initié en société. Cependant, dans la pratique quotidienne des religions afro-cubaines, les préoccupations éthiques ne font pas forcément partie de l’apprentissage du nouvel initié.
43Chez les pratiquants de l’orisha-voodoo, l’éthique occupe, en revanche, une position centrale. Nous avons vu que l’un des buts principaux de l’élaboration d’une religion « yoruba » pour les Noirs nord-américains est la « guérison » (healing) de la société afro-américaine, c’est-à-dire la solution des maux qui l’affligent. Le culte des ancêtres, revitalisé à Oyotunji, a pour objectif de « moraliser » la communauté des descendants d’Africains en Amérique, puisque les ancêtres sont « les gardiens d’une éthique africaine ». Si le prêtre se doit d’être un chef communautaire, c’est parce que sans religion, sans éthique, il n’y a pas de communauté. Le rôle du prêtre « yoruba » dans la restructuration de sa communauté devient alors primordial. Il doit exercer un rôle de leader afin d’aider à reconstruire la culture et la société « africaines » sur le sol américain : « Le prêtre yoruba ne doit pas s’occuper que de lui-même. S’il n’a pas conscience de son histoire, il se trompera dans son diagnostic » (Ifatunji, 2003). Le diagnostic dont il est ici question est celui qui mène au « healing the community », à une « guérison spirituelle », mais aussi sociale et culturelle. Le sujet n’est plus l’individu, comme dans les religions afro-cubaines, mais la communauté tout entière.
44Pour accomplir ce travail de « guérison », il faut aussi encourager la réinterprétation des anciennes écritures sacrées yoruba – c’est-à-dire le corpus de connaissances d’Ifá – selon les besoins actuels de la communauté afro-américaine. Depuis quelques années, on est ainsi confronté à une prolifération d’ouvrages, écrits par des auteurs nord-américains ou par des Yoruba résidant aux États-Unis, qui proposent une sorte de « théologie indigène » à partir de la lecture des odùs, les signes du système divinatoire d’Ifá. La tradition orale yoruba est, en effet, inscrite dans la littérature divinatoire, et notamment dans les itán (histoires) d’Ifá qui servent de modèles à la communauté afro-américaine. Or, tout processus divinatoire donne lieu à de multiples interprétations. Certaines interprétations de ces textes sont considérées légitimes parce que produites par des Afro-Américains, de surcroît engagés dans la lutte pour la restauration de la culture africaine. C’est le cas de Maulana Karenga qui a élaboré une interprétation des odù Ifá selon les préceptes de la Kawaida, qu’il définit comme une « quête incessante d’alternatives et de modèles d’excellence au sein de notre culture par lesquels affirmer notre propre vérité culturelle et apporter notre particulière contribution à l’avancée de l’histoire de l’humanité » (Karenga, 1999, III). Son ouvrage a pour but de « présenter les enseignements éthiques de l’odù dans un langage moderne, tout en préservant sa différence en tant qu’ancien corpus de littérature morale, capable d’encadrer et d’inspirer une réflexion éthique et philosophique contemporaine » (ibid.). Suivant la « tradition de la Kawaida », l’auteur propose un dialogue avec « la culture africaine » pour mieux comprendre la portée de ses enseignements et leur importance pour la communauté afro-américaine. La tradition est ainsi pensée comme un processus constant de réinterprétation qui vise à sa compréhension, mais aussi à sa rationalisation afin que ses concepts puissent être opératoires dans le contexte actuel. Pour cela, Karenga propose « une variante Kawaida ou afro-américaine de la tradition d’Ifá » qui permet de passer d’une tradition purement divinatoire à une interprétation essentiellement éthique (ibid., IV-V). Une lecture du corpus de connaissances d’Ifá selon la philosophie de la Kawaida mettra alors en avant « les quatre piliers d’une plus vaste tradition éthique africaine » : la dignité et les droits humains ; le bien-être et l’épanouissement de la famille et de la communauté ; l’intégrité et l’importance de l’environnement ; la solidarité mutuelle et le bien commun pour l’ensemble de l’humanité (ibid., XI). Le corpus de connaissance d’Ifá est à présent devenu le Livre par excellence, le réservoir d’une éthique et d’un savoir ancestraux.
45De plus, être un initié de la religion des orisha implique, au moins aux États-Unis, de poursuivre un idéal : le développement de l’ìwà pèlé, le bon caractère. Avoir un ìwà pèlé signifie respecter ses aînés, ne pas rechercher l’enrichissement personnel, oublier ses intérêts personnels pour se consacrer au bien de la communauté. Cela signifie aussi renouer avec ses origines, redécouvrir un passé glorieux, instaurer un culte aux ancêtres, car sans ancêtres il n’y a pas de communauté possible de descendants d’Africains. Le rôle des prêtres et des prêtresses « yoruba » est ainsi autant religieux que politique. Pour Adefunmi, le politique et le religieux étaient fortement imbriqués, puisque « la politique est la forme la plus élevée de religion » (Adefunmi, 1993). La communauté afro-américaine a besoin d’être « guérie » et la religion est l’instrument de cette guérison, spirituelle et sociale. Mais la religion est, avant tout, un acte politique et c’est au niveau familial que se met en scène la rédemption culturelle qui préparera l’autonomie politique. La famille est l’une des préoccupations principales des pratiquants de l’orisha-voodoo, car c’est à travers elle qu’il devient possible de réorganiser la « nation noire » et de donner un sens au rêve d’une « communauté afro-américaine ».
Conclusions
46Nous avons vu que la notion de healing est particulièrement complexe au niveau sémantique, renvoyant autant à la guérison physique, qu’à la guérison morale et spirituelle. Elle peut ainsi désigner la guérison d’une maladie physique, avec la disparition définitive de ses symptômes, ou bien signifier l’acceptation de ce que l’on ne peut pas changer et avec lequel il faut apprendre à vivre, comme les traumatismes psychologiques ou les maladies incurables (Barnes et Sered, 2005, 10). La notion de healing renvoie également au rétablissement de la connexion entre tous les éléments de son être, du lien avec sa propre histoire et sa propre culture. « Guérir » signifie « réparer » les rapports avec les autres, avec sa famille, son entourage, ses ancêtres, sa communauté ou même sa planète. Barnes et Sered (ibid.) rappellent, à juste titre, que l’objectif du religious healing est souvent explicité en termes qui ne sont pas médicaux : le but d’un rituel n’est pas de « curer » (curing) mais de « guérir » (healing). La guérison est en effet le résultat d’un processus qui vise à réinterpréter les causes et le sens de la souffrance individuelle et collective. La réponse doit entraîner une restructuration en profondeur des rapports sociaux, par l’acceptation pleine d’une éthique qui puisse aider à combattre la « violence structurale » qui afflige, non seulement le corps individuel, mais aussi le corps social. La maladie est ainsi la manifestation directe des forces sociales et la guérison est une façon de contrer ces forces et leurs implications dans les vies individuelles.
47Pour les pratiquants afro-américains, ce qui importe dans la pratique religieuse n’est pas seulement la résolution des problèmes quotidiens, mais la réorganisation de leur vécu grâce à l’incorporation d’une nouvelle éthique, de valeurs et de principes africains qui vont permettre, en introduisant un nouveau cadre de références, une réinterprétation de leur place et de leur rôle dans la société américaine. Mais l’accent mis sur le développement d’une approche éthique des pratiques religieuses d’origine africaine s’inscrit également dans la continuité d’autres traditions afro-américaines qui visent à « moraliser » la vie des descendants d’Africains aux États-Unis, comme le rituel du Kwanzaa, créé en 1966 par Maulana Karenga, qui incarne bien ce désir d’établir une tradition religieuse, imprégnée de préceptes éthiques et complètement distincte des religions monothéistes, et notamment du christianisme (Karenga, 1988).
48En leur qualité de peuple « élu », parce que porteur d’une mission qui vise la rédemption de l’ensemble des descendants d’Africains « dans la diaspora », les « Yoruba-Américains » renouent avec une éthique qui était déjà à l’œuvre dans des mouvements comme la Nation of Islam, ainsi que dans des traditions afro-américaines telles que le rituel du Kwanzaa, dont l’élément principal est l’unité de la famille afro-américaine dans sa profondeur généalogique puisque « un peuple qui n’a pas de liens avec ses ancêtres ne peut pas œuvrer pour son avenir ». Le mouvement « yoruba-américain » s’inscrit ainsi dans la longue durée, dans l’histoire de la lutte du peuple afro-américain, puisque la revitalisation du culte des ancêtres permet d’instaurer une continuité entre un passé africain et un présent américain. C’est le processus de healing – spirituel et racial – qui permettra de « guérir » la communauté afro-américaine et, par cela, de remédier aux maux qui rongent l’Amérique.
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Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Je désigne par cette expression l’ensemble des modalités de culte qui vénèrent les orisha, les dieux yoruba, autant en Afrique que dans les Amériques. Cette expression a commencé à s’imposer lors des rencontres internationales organisées par les leaders des différentes traditions régionales (nigérianes, cubaines, brésiliennes, trinidadiennes…), et notamment les Congrès Mondiaux de la Tradition et Culture des Orisha (COMTOC ou World Yoruba Congress), au sein desquels on essaye d’élaborer une vision commune de la religion des orisha. Sur les COMTOC, voir Capone (2005, 283-297).
2 Le hoodoo est une autre dénomination du vodou en Louisiane. Sur le vodou à La Nouvelle-Orléans, voir aussi Tallant (1983 [1946]).
3 Selon la typologie de Baer et Singer (1992, 179), il s’agit d’Églises « thaumaturgiques », qui mettent l’accent sur le réordonnancement du vécu de l’adepte au moyen de rituels magico-religieux et d’un savoir ésotérique.
4 Il existe deux termes en anglais pour désigner le spiritisme : spiritualism et spiritism. Cela ne faisait qu’accroître la confusion entre les deux mouvements.
5 Les noms changent selon les initiations effectuées et les charges rituelles assumées. Le nouveau nom de King sera également modifié lors de l’initiation dans la santería et la fondation du Yoruba Temple, suivie par celle d’Oyotunji Village.
6 On est confronté là à un malentendu culturel qui a facilité l’adoption de ces religions par les Afro-Américains. Pour les Cubains, la santería était en effet, avant tout, une expression du patrimoine culturel cubain. Elle était une religion cubaine, latina. Pour les militants du nationalisme noir, la santería était, en revanche, une religion « africaine » et donc naturellement associée aux descendants d’Africains « dans la diaspora ». Cette différence d’interprétation sera à l’origine de la rupture avec les Cubains et la création d’Oyotunji Village.
7 J’ai analysé dans un autre travail (Capone, 1999) le mouvement de réafricanisation et ses enjeux politiques et rituels.
8 Le terme yoruba egúngún peut aussi être remplacé par sa contraction égún. Tous deux désignent les masques des ancêtres. Cependant, dans la santería cubaine, le terme egun (parfois orthographié, à la cubaine, avec un double g) fait aussi référence aux esprits des morts désincarnés qui ne font pas nécessairement partie de la famille biologique ou spirituelle.
9 Rappelons que la santería, tout comme le candomblé brésilien, n’est pas une religion « ethnique », mais est ouverte à tous, sans aucune discrimination d’origine « raciale » ou sociale.
10 Le terme yoruba ìdílé désigne le clan patrilinéaire, un groupe de personnes descendant d’un ancêtre commun. Chez les Yoruba, l’orisha est généralement hérité par l’individu au sein de son ìdílé. Le terme ilé désigne en revanche la maison et, par extension, dans l’usage cubain ou brésilien, la maison de culte.
11 De dáfá, « consulter l’oracle d’Ifá », et ìdílé, « lignage, descendance d’un même ancêtre » (cf. Abraham, 1958).
Auteur
Anthropologue, directrice de recherche au CNRS et membre du Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (Université Paris Ouest Nanterre La Défense). Ses recherches portent sur la transnationalisation des religions afro-américaines aux États-Unis, au Brésil et en Europe, ainsi que sur les liens entre reconstruction d’une mémoire africaine et réafricanisation rituelle. Elle est l’auteur, en outre, de La quête de l’Afrique dans le candomblé. Pouvoir et tradition au Brésil (Paris, Karthala, 1999), traduit en portugais (Brésil, Pallas/Contracapa, 2004) et en anglais (États-Unis, Duke University Press, 2010), ainsi que de Les Yoruba du Nouveau Monde. Religion, ethnicité et nationalisme noir aux États-Unis (Paris, Karthala, 2005), traduit en portugais (Pallas, 2011). Contact : stefania.capone@mae-u-paris10.fr.
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2017
De la volatilité comme paradigme
La politique étrangère des États-Unis vis-à-vis de l'Inde et du Pakistan dans les années 1970
Thomas Cavanna
2017
L'impossible Présidence impériale
Le contrôle législatif aux États-Unis
François Vergniolle de Chantal
2016
Sous les images, la politique…
Presse, cinéma, télévision, nouveaux médias (xxe-xxie siècle)
Isabelle Veyrat-Masson, Sébastien Denis et Claire Secail (dir.)
2014
Pratiquer les frontières
Jeunes migrants et descendants de migrants dans l’espace franco-maghrébin
Françoise Lorcerie (dir.)
2010