La communication publique environnementale : un enjeu de développement durable pluriel et contingent
p. 219-232
Texte intégral
1La communication environnementale est souvent reliée au Développement durable et à la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE*). La prise en compte de l’environnement par les entreprises est largement traitée en SIC et sciences de gestion, mais il n’en va pas de même pour les administrations, avec des recherches encore peu développées. Les instruments informatifs et communicationnels (Lascoumes et Le Galès, 2004) renvoient au rôle de l’État et à des enjeux de légitimité révélateurs des transformations de l’action publique. En ce sens, la réflexion théorique pluridisciplinaire permet de relier « action », « institution » et « communication » (Bernard, 2010).
2L’objectif de cet article est de pointer la difficulté conceptuelle de la communication environnementale publique liée à une variété de niveaux d’échelle qu’elle recouvre dans « […] un mouvement étonnant qui fait circuler ce terme selon un mouvement descendant du haut vers le bas, du niveau des institutions internationales au niveau national, régional et local » (D’Almeida, 2005). Les lenteurs des procédures internationales et le caractère non impératif des décisions de l’ONU ont pu représenter un frein à ses mises en œuvre pratiques. Aujourd’hui, bien que la notion fasse toujours débat, l’environnement est une préoccupation intégrée dans les politiques publiques en France.
3Dès lors comment aborder cette communication ? Elle constitue un objet complexe articulant trois dimensions de la communication publique – contraindre, contrôler, convaincre (Le Net, 1993) – et représente une recherche contingente de symbiose entre politique publique, communication et mobilisation sur des problèmes globaux d’intérêt général.
L’international entraînant
4Du point de vue de la communication, les engagements internationaux ont contribué à forger un cadre pour les institutions publiques à différentes échelles.
La sphère publique supra nationale engageante
5L’influence des organisations publiques internationales est notable directement et par ses déclinaisons nationales.
6Après le rapport Brundtland1 de 1987 de l’ONU qui définit officiellement le développement durable, il faut attendre 1992 (« Sommet de la Terre* » de Rio de Janeiro) pour qu’émerge une communication au travers d’une déclaration de propositions : « L’Agenda 21* », programme d’action pour le xxie siècle. Elle officialise la volonté de 173 États d’intégrer les dimensions environnementales, sociales et économiques dans le développement aux échelles territoriales. Avec, pour la première fois, des actions de communication qui visent non plus seulement l’espace politico-institutionnel et les experts, mais la mobilisation et l’alerte des opinions publiques.
7Des exemples d’une organisation de la communication environnementale au niveau international révèlent des efforts de mobilisation, à l’instar de la « Galerie Créative sur les communications du développement durable2 » lancée en 2006 par le Programme des Nations unies pour l’environnement. C’est une base de données illustrant des exemples d’efficacité des campagnes de communication d’entreprises, d’ONG ou d’institutions publiques.
8L’Assemblée générale des Nations unies a déclaré 2010 « Année internationale de la biodiversité », transposée avec le label français officiel « 2010 Année de la biodiversité ». Le ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer a déployé, en partenariat avec de nombreuses associations et établissements publics, un large appel à projets à destination des associations, des collectivités, des établissements publics et scolaires, des entreprises. Afin de sensibiliser le grand public à la préservation de la biodiversité, la communication privilégiée est multimédia avec un site dédié3 qui informe le grand public des thématiques et recense les manifestations en régions (expositions, conférences, visites guidées). L’État joue ainsi un rôle moteur d’entraînement.
L’environnement publicisé dans la sphère étatique
9L’État agit comme une puissante instance de légitimation en reconnaissant récemment l’environnement au plus haut niveau juridique et administratif.
10La « Charte de l’Environnement4 » adoptée en 2004, texte à valeur constitutionnelle depuis 20055, reconnaît en particulier les droits de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, d’accéder à l’information détenue par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.
11Au plan législatif, communication et action en matière d’environnement sont loin d’apparaître sans arrières pensées ni calculs politiques, avancées et régressions. En témoigne le « Grenelle de l’environnement » à compter de septembre 2007 qui a correspondu à une priorité affichée médiatiquement. La terminologie choisie renvoie aux accords de Grenelle de mai 1968, symboles de la négociation entre l’État, les associations, les entreprises, les ONG… Des consultations et négociations au sein de groupes de travail (hommes politiques, experts, associations) ont conduit aux lois dites « Grenelle I » du 2 août 2009 et « Grenelle II » du 12 juillet 2010. Mais, lors du salon de l’agriculture de 2010, le président Sarkozy avait utilisé une « petite phrase » largement reprise dans les médias : « Je voudrais dire un mot de toutes ces questions d’environnement. Parce que là aussi, ça commence à bien faire », créditant ainsi le sentiment d’un retrait dans le volontarisme affiché jusqu’alors. À ce moment-là, la Fondation Nicolas Hulot s’est soustraite au processus au motif de l’abandon de la taxe carbone.
12Au plan administratif, les dénominations mêmes des ministères en charge de l’environnement sont révélatrices de la reconnaissance légitimatrice intrinsèque par l’État. En 2004, la création du ministère de l’Écologie et du Développement durable en France supplante l’appellation antérieure « Environnement ». Jusqu’au remaniement de février 2016 qui signe son retour avec un ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, toutefois référencé sur le Web avec le lien <http://www.developpement-durable.gouv.fr>. Tout se passe comme si l’appellation officielle témoignait d’une reconnaissance de l’environnement comme enjeu de présentation et de communication primordial, alors que la dimension technique était réservée à l’adresse du site web avec le terme « développement durable » reconnu internationalement. La légitimation étatique est manifeste dans les hiérarchies protocolaires avec le titre de ministre d’État, témoignant d’une importance en tête des préoccupations d’affichage de politiques publiques.
Les modalités particularistes de communication et d’incitation
13L’éparpillement des actions cadrant les communications publiques traduit des difficultés conceptuelles et pratiques.
Les modalités de communication casuistiques
14Ainsi en 2010, dans le cadre de l’Année internationale de la biodiversité et du 80e anniversaire de la loi de 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites, le ministère lance une campagne de communication grand public dans l’intention de faire connaître les politiques de sauvegarde des sites naturels classés labellisés6.
15Le slogan révèle à l’évidence un ton consensuel et vulgarisateur : « Grands sites : préserver des paysages d’exception, c’est aussi sauvegarder la biodiversité ». Le ministère a choisi de communiquer sur huit Grands sites où l’intégration de la gestion de la biodiversité et des paysages était notable avec des lieux présentant des paysages d’exception implantés sur des sites « Natura 2000 » (préservation de la faune, de la flore et des milieux naturels) mettant en valeur des activités agricoles, artisanales, etc.
16Le dispositif repose sur une exposition dédiée à chaque Grand site qui sera itinérante (mairies, écoles, services déconcentrés du ministère, etc.). Ainsi, neuf affiches ont été mises à disposition des Grands sites, des mairies, des offices du tourisme avec un site internet dédié, une brochure explicative pour le grand public et un livret destiné aux enfants « Paysage et nature à l’aventure » sur des parcours ludiques.
17Ensuite, Pierre Zémor (2009) souligne que « la pratique du développement durable exige une véritable communication de partage de l’information du savoir, d’échange des expériences et de débat public ». Ainsi, depuis 2002, le développement local a fait l’objet d’une communication approfondie à travers les Agendas 21 aux niveaux international, national et local (Theys, 2014). Les collectivités locales doivent veiller à mobiliser les populations afin de les inciter à participer à une concertation. Signataire de la Charte d’Aalborg issue de la Conférence européenne sur les villes durables en 1994, la ville d’Angers est un exemple révélateur. Sur le plan de la communication territoriale, elle crée en 2004 un Observatoire européen des bonnes pratiques afin de recenser et valoriser les actions locales en matière de développement durable. Une revue et des rencontres « Angers 21 » sont lancées et deviennent des outils de promotion au sein d’une ville vantée comme laboratoire du développement durable en 2008-2009. On mesure ici qu’il s’agit d’une norme politique de court terme (à l’horizon d’un mandat politique) face à des enjeux globaux à temps longs.
18De même, des conseils de quartiers, obligatoires dès 20 000 habitants, ont été institués en matière d’urbanisme (loi Vaillant du 27 février 2002). Ce sont des structures de concertation et de communication privilégiées en matière d’environnement et à maints égards des moyens d’éviter des contentieux. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 introduit les enquêtes publiques dont l’objet est d’assurer information et participation du public lors de l’élaboration des décisions susceptibles d’affecter l’environnement (eau, déchets, urbanisme, prévention des risques). À travers ces dispositifs, il s’agit d’informer, de sensibiliser et de recueillir l’adhésion, en particulier dans les projets urbains aux incidences environnementales, économiques ou sociales. On peut citer un exemple : celui de la campagne « Un tramway nommé désir » menée par les Mairies de Montfermeil et de Clichy-sous-Bois, où au travers d’un blog initié en 2009, les tendances de l’opinion locale ont pu être recueillies lors de la concertation globale dans l’objectif de peser pour aider à la construction de ce support de désenclavement, toujours en cours à ce jour.
19Enfin, des incitations d’origine étatiques visent, de leurs côtés, à changer durablement les comportements. On peut ainsi signaler le rôle de l’opérateur public Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie7) avec son guide de l’éco-communication8. L’objectif est d’aider les annonceurs ou agences à mettre en place des actions de communication « éco-conçues ». Les pistes d’action sont nombreuses : production de documents, signalétiques, dossiers de presse, objets promotionnels durables, transports pour un événementiel… Ainsi, souvent, aujourd’hui, les appels d’offre de communication publique indiquent pour les documents imprimés que le support de communication doit être recyclé et certifié FSC ou PEFC. Plus largement, on peut mesurer l’effet d’entraînement de l’opérateur public. Le syndicat professionnel AACC (Association des agences-conseils en communication) renvoie directement sur son site internet9 à trois « outils ». Deux liens mènent vers l’Ademe (Le livre « Guide de l’éco-communication » le « Portail Éco-communication »), le troisième étant un outil gratuit en ligne d’aide à l’écoconception des outils de communication <Comecoimpact.com>. Il semble que ces préoccupations se déploient auprès des agences et conseils en communication depuis 2006.
Des contraintes juridiques fortes pour des applications floues
20Sur le terrain des organisations, singulièrement des entreprises, la loi no 2001-420 du 15 mai 200110 relative aux nouvelles régulations économiques (dite NRE en vigueur en 2003) introduit l’obligation, pour les entreprises cotées en bourse, de publier dans leur rapport annuel, des données sur les conséquences environnementales et sociales de leurs activités, en plus des informations comptables et financières. La communication environnementale ne cesse de s’intensifier depuis les années 1990 (Milne et Grayand, 2007) parce que les actionnaires sont les lecteurs cibles des rapports annuels même si les dirigeants d’entreprises ont le choix des thèmes et des formes de mise en valeur. Mais, cette incitation étatique a par la suite été élargie au secteur public. Ainsi depuis quelques années, après une directive du premier ministre Fillon de 2010, les ministères ont été invités à établir un tel document vis-à-vis des parlementaires et de la presse. En particulier, ils doivent notamment retracer les résultats de l’exemplarité étatique en matière de développement durable. Toute proportion gardée, on peut mesurer une normalisation des communications organisationnelles au travers de supports comparables.
21Spécifiquement dans la sphère publique, l’insertion des préoccupations environnementales définies dans la circulaire du 22 novembre 2004 s’établit dans des partenariats entre maîtres d’ouvrage d’infrastructures routières et services de l’environnement. Le texte encourage également la mise en place d’une communication publique locale entre le maître d’ouvrage et les élus, représentants socio-économiques, associations, riverains et publics. Aucune indication n’est donnée dans la réglementation quant à la forme concrète que doivent prendre ces démarches de prise en compte de l’environnement, de concertation et d’évaluation, ni sur les méthodes et moyens mobilisés. Aussi, face à ces textes théoriques publiés par l’administration centrale, sur le terrain les services déconcentrés se retrouvent souvent désarmés, en termes de méthodes et de moyens, pour répondre à ces nouvelles exigences.
22La communication environnementale s’articule autour des notions de consensus, de dialogue, de partenariat et de pédagogie. Elle travaille sur l’image mais aussi sur le changement de comportement et doit tenir compte de la complexité, notamment de la multiplicité des acteurs et de leurs statuts, de la diversité de ses formes et modalités, entre incitations et contraintes. Le rôle de la communication vise, en général, à rendre clair et accessible l’organisation et les actions, singulièrement pour favoriser des échanges qui ne vont pas toujours de soi. La reconnaissance de l’environnement est croissante en termes de dénomination, de politique publique et de communication ministérielle ou d’opérateur public (Ademe), révélatrice d’enjeux politiques globaux sociétaux complexes. Ainsi la communication publique environnementale est protéiforme et polysémique, ce qui indique qu’elle n’est toujours pas stabilisée parce que marquée par sa récence. Or, la finalité et l’évaluation de la communication environnementale ont vocation à s’établir en fonction de changements de comportements durables des citoyens.
Bibliographie
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Références bibliographiques
10.4000/communicationorganisation.1275 :Bernard, Françoise, « Pratiques et problématiques de recherche et communication environnementale : explorer de nouvelles perspectives », Communication et organisation, no 37, 2010, p. 79-89.
D’Almeida, Nicole, « De l’environnement au développement durable, l’institution d’un objet et la configuration d’une question », Communication et organisation, no 26, 2005, p. 12-24.
10.3917/scpo.lasco.2005.01 :Lascoumes, Pierre et Le Galès, Patrick, Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004.
Le Net, Michel, Communication publique – Pratiques des campagnes d’Information, Paris, La Documentation française, 1993.
Milne, Markus J. et Gray, Robert, « Future Prospects for Sustainability Reporting », in Unerman, Jeffrey, Bebbington, Jan et O’Dwyer, Brendan (eds.), Sustainability Accounting and Accountability, Londres, Routledge, 2007, p. 184-208.
10.4000/developpementdurable.10196 :Theys, Jacques, « Le développement durable face à sa crise : un concept menacé, sous-exploité ou dépassé ? », Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 5, no 1, février 2014, mis en ligne le 4 février 2014, consulté le 6 mai 2016 : <http://developpementdurable.revues.org/10196>.
Zémor, Pierre, « Préface », in Cohen-Bacrie, Bruno, Communiquer efficacement autour du développement durable, Paris, Édition Démos, 2009.
Notes de bas de page
1 Disponible sur :<http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/sites/odysseedeveloppement-durable/files/5/rapport_brundtland.pdf>. « Le développement durable, c’est s’efforcer de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité de satisfaire ceux des générations futures. »
2 <http://www.unep.fr/shared/publications/pdf/WEBx0001xPA-EducationKitFR.pdf>.
3 <www.biodiversité2010.fr>.
4 <http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/spipwwwmedad/pdf/DICOM-Charte_Environnement_web_cle766cbf.pdf>.
5 Loi constitutionnelle no 2005-205, 1er mars 2005.
6 <http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/Brochure_GS_adultes_basse_def.pdf>.
7 Son rôle est large puisque c’est l’opérateur de l’État pour accompagner la transition écologique et énergétique. C’est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) : <www.ademe.fr>.
8 <http://www.centre.ademe.fr/sites/default/files/files/Médiathèque/Publications/guide-eco-communication.pdf>.
9 <http://communication-responsable.aacc.fr/page/ecocommunication>.
10 Obligation renforcée par la loi Grenelle II de 2010 et la loi Warsmann IV de 2012.
Auteur
Maître de conférences en SIC à l’Université Rennes 2 – PREFIcs (EA 42-46). Il a été créateur et responsable du master Communication publique puis du master Communication publique et corporate de Sciences Po Lille. Ses recherches portent sur la communication des organisations publiques (professionnalisation, modernisation, managérialisation), les enjeux de politique publique des TICE et les conditions de communication des écrits professionnels.
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