Communication et changements climatiques : le cas du GIEC
p. 145-152
Note de l’auteur
Les auteurs remercient Philippe Marbaix et Jonathan Lynn pour leurs utiles suggestions.
Texte intégral
Les changements climatiques sont un des sujets autour desquels la communication est parfois difficile. Ceci est notamment lié à la complexité des sciences du climat, au caractère lointain des conséquences des changements climatiques et aux efforts délibérés de certains pour « semer le doute » sur le sujet. L’habitabilité même d’une partie de notre planète est pourtant en jeu, et il importe donc de mettre les résultats de la recherche climatique au service de la société et de les communiquer clairement. Nous examinons ici le rôle particulier du GIEC à cet égard.
Le GIEC
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été créé par les Nations unies en 1988 en vue de fournir des évaluations objectives et rigoureuses de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socioéconomiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade2. Le GIEC est « un lien entre la science des changements climatiques et les politiques publiques » (Somerville et Hassol, 2011, p. 49). Les rapports d’évaluation du GIEC sont devenus une référence internationale essentielle. Un défi pour le GIEC depuis son premier rapport est de se faire comprendre clairement par des non-spécialistes (y compris les décideurs politiques). Le GIEC a reçu le prix Nobel de la Paix en 2007 conjointement avec Al Gore pour ses « efforts pour établir et diffuser une meilleure connaissance des changements climatiques d’origine humaine, et pour fournir les fondations des mesures destinées à agir contre ces changements3 ». D’une certaine manière, l’adoption à la COP21 de l’Accord de Paris, largement basé sur la science, montre que le GIEC a réussi à faire passer ses messages principaux auprès des décideurs et des négociateurs climatiques. Néanmoins, les efforts du GIEC n’ont pas toujours été un long fleuve tranquille. Même si de nombreuses controverses entretenues par les lobbies des combustibles fossiles avaient déjà eu lieu autour des rapports du GIEC avant le prix Nobel (Bolin, 2007 ; Oreskes et Conway, 2012 ; Zaccai et al., 2012), ce dernier a placé le GIEC encore davantage au centre de la cible des « semeurs de confusion » (appelés « climatosceptiques4 » par certains).
La crise de 2009-2010
La première attaque, indirecte, eut lieu juste avant la Conférence de Copenhague (COP15), qui aurait dû accoucher d’un nouveau traité international prenant le relais du Protocole de Kyoto. Une série de courriels échangés entre auteurs du GIEC fut publiée suite à la violation d’un serveur universitaire. En sortant de leur contexte ces conversations privées entre chercheurs, il fut facile aux « semeurs de confusion » de ternir l’image de l’instance censée fournir les bases scientifiques de la COP15. Dépourvu de stratégie et d’équipe sérieuse de communication, le GIEC eut de la peine à limiter les dégâts de ce « climategate* ».
L’attaque frontale commença quelques semaines plus tard dans le Sunday Times du 17 janvier 2010. Le prétexte était un paragraphe erroné relatif à la fonte annoncée des glaciers himalayens dans le volume II de son 4e rapport d’évaluation.
Un mois avant, le 12 décembre 2009, Jean-Pascal van Ypersele avait pourtant alerté l’équipe de direction du GIEC sur les critiques circulant dans la communauté des glaciologues à propos de ce paragraphe. Il avait suggéré que le GIEC se penche rapidement sur ce point, et publie ensuite une correction avant que certains médias n’en profitent pour décrédibiliser davantage le GIEC.
Le président du GIEC à ce moment-là, R.K. Pachauri (Inde) était opposé à ce que le GIEC admette une erreur à propos de ces glaciers indiens et la corrige. Ce qui devait arriver arriva donc… Ce fut la curée de la presse mondiale contre le GIEC, entrainée par la presse du groupe Murdoch, qui publiait chaque semaine un article sur une nouvelle erreur de détail enfouie dans les 3 000 pages du rapport du GIEC.
Un éditorial de la revue Nature, daté du 21 janvier 2010, appelle alors le GIEC à se doter d’une véritable stratégie de communication, y compris en cas de crise. Son équipe dirigeante n’était effectivement pas préparée à une telle situation, et certains croyaient qu’il suffisait de donner quelques explications rassurantes pour calmer le jeu. L’attitude du GIEC était à cette période peu proactive et très défensive.
La crise ne faisant que s’amplifier, le secrétaire général des Nations unies demanda un audit du GIEC au « InterAcademy Council – IAC ». Une des recommandations majeures du rapport publié quelques mois plus tard par l’IAC fut justement d’établir une stratégie de communication, avec un plan et des moyens de mise en œuvre.
Un nouveau départ
Une stratégie de communication (IPCC, 2012a) fut adoptée par le GIEC en 2011 suite à un travail fait au sein de l’assemblée plénière du GIEC, et son plan de mise en œuvre (IPCC, 2012b) préparé par un groupe de travail présidé par Jean-Pascal van Ypersele, alors vice-président du GIEC, fut adopté en 2012. Cette stratégie de communication a deux objectifs : communiquer une information claire et équilibrée à propos des changements climatiques et des conclusions et méthodes du GIEC, et expliquer comment le GIEC travaille, choisit ses auteurs et relecteurs, et produit ses rapports. Le GIEC visait ainsi une meilleure compréhension de ses rapports, et la fondation de la réputation du GIEC comme celle d’une instance scientifique crédible, transparente, équilibrée et qui fait autorité.
Le GIEC a ainsi pu faire oublier la mauvaise passe de 2009-2010. L’équipe de communication du GIEC comporte aujourd’hui un chef très expérimenté (il a notamment une longue carrière chez Reuters) et trois assistantes. Un budget substantiel a été consacré à des dizaines d’événements de communication autour des rapports et activités du GIEC. Ce dernier a diversifié ses outils de communication, produit des vidéos et développé sa présence sur les réseaux sociaux. Les relations avec les médias sont beaucoup plus fluides, avec notamment un usage de l’embargo5 pour faciliter le travail des journalistes lors de la publication des nouveaux rapports du GIEC.
Alors que le sixième cycle d’évaluation (l’AR6) se prépare, le GIEC s’est interrogé quant aux améliorations qu’il pouvait apporter à sa stratégie de communication. Une réunion d’experts sur la communication (IPCC, 2016a) a eu lieu au début de 2016 pour considérer l’expérience acquise dans le passé et fournir des recommandations utiles pour l’AR6. Les recommandations issues de cette réunion ont été largement entérinées lors de la 43e plénière du GIEC en avril 2016 (IPCC, 2016b, p. 19).
Les principales décisions concernent : une plus grande et rapide implication des gouvernements et des autres parties prenantes dans le processus de cadrage (scoping) du prochain rapport ; des mesures – bien nécessaires (Barkemeyer et al., 2016 ; van Ypersele, 2015), pour améliorer la lisibilité des résumés pour les décideurs ; la participation de spécialistes compétents en communication dans le processus d’écriture du rapport, l’organisation d’une nouvelle réunion d’experts sur la science de la communication relative aux changements climatiques au début du cycle de l’AR6, et enfin la mise à jour de la stratégie de communication et de son plan de mise en œuvre.
Les années qui viennent seront riches de défis pour le GIEC, notamment suite à l’adoption de l’Accord de Paris (COP21). Il lui faudra rester dynamique et proactif pour contribuer à réduire l’écart « science – action » (Moser et Dilling, 2011) que l’humanité peut de moins en moins se permettre.
Bibliographie
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Références bibliographiques
[Anonyme], « The Nobel Peace Prize 2007 », Nobelprize. org. [En ligne] : <www.nobelprize.org/nobel_prizes/peace/laureates/2007/>, consulté le 2 juin 2016.
[Anonyme], « Climate of Suspicion », Editorial, Nature, no 463, 2010, p. 269. Disponible sur : <http://www.nature.com/nature/journal/v463/n7279/full/463269a.html>.
10.1038/nclimate2824 :Barkemeyer, Ralph, Dessai, Suraje, Monge-Sanz, Beatriz, Renzi, Barbara G. et Napolitano, Giulio, « Linguistic Analysis of IPCC Summaries for Policymakers and Associated Coverage », Nature Climate Change, vol. 6, 2016.
Bolin, Bert, A History of the Science and Politics of Climate Change – The Role of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge, Cambridge University Press, 2007.
InterAcademy Council, « Climate Change Assessments, Review of the Processes and Procedures of the IPCC », Committee to Review the Intergovernmental Panel on Climate Change, octobre 2010. Disponible sur : <https://www.ipcc.ch/pdf/IAC_report/IAC%20Report.pdf>.
IPCC,« Communications Strategy », Thirty-Fifth Session of theIPCC, Geneva, Switzerland, 6-9 June 2012 (2012a). Disponible sur : <http://www.ipcc.ch/meetings/session35/IAC_CommunicationStrategy.pdf>.
—, « A Communications Strategy for the IPCC – Implementation Plan », 17 septembre 2012 (2012b). Disponible sur : <http://ipcc.ch/meeting_documentation/pdf/Communication/IPCC_Communication_Strategy_Implementation_Plan.pdf>.
—, « Meeting Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change Expert Meeting on Communication », Oslo, Norvège, 9-10 février 2016 (2016a). Disponible sur : <http://www.ipcc.ch/pdf/supporting-material/EMR_COM_full_report.pdf>.
—, « Decisions Adopted by the Panel », 43rd Session of the IPCC, Nairobi, Kenya 11-13 avril 2016 (2016b). Disponible sur : <http://www.ipcc.ch/meetings/session43/p43_decisions.pdf>.
Moser, Susanne C. et Dilling, Lisa, « Communicating Climate Change : Opportunities and Challenges for Closing the Science- Action Gap », in Norgaard, Richard, Schlosberg, David et Dryzek, John (eds.), The Oxford Handbook of Climate Change and Society, Oxford, Oxford university Press, 2011.
Oreskes, Naomi et Conway, Erik M., Les marchands de doute, Paris, éditions Le Pommier, 2012.
10.1063/PT.3.1296 :Somerville, Richard C. J. et Hassol, Susan. J., « Communicating the Science of Climate Change », Physics Today, octobre 2011, p. 48-53.
van Ypersele, Jean-Pascal, « Le GIEC : la meilleure façon d’évaluer la science du climat », Programme électoral de candidature à la présidence du GIEC, 2015. Disponible sur : <http://www.elic.ucl.ac.be/modx/jvp/assets/teclim/vanyp/docs/platform/JPvY_platform_FR.pdf>.
van Ypersele, Jean-Pascal, Libaert, Thierry et Lamotte, Philippe, Une vie au cœur des turbulences climatiques, Paris, De Boeck supérieur, 2015.
Zaccai, Edwin, Gemenne, François et Decroly, Jean-Michel (dir.), Controverses climatiques, sciences et politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2012.
Notes de bas de page
2 Voir <http://www.ipcc.ch/home_languages_main_french.shtml>.
3 The Nobel Peace Prize 2007.
4 Voir van Ypersele, Libaert et Lamotte, 2015, p. 92, note 3 : « Cette expression m’a été suggérée par Kees van der Leun (@Sustainable2050 sur Twitter) après que j’ai expliqué que je me refusais à parler de “négationnistes du climat” (“climate deniers”), par respect pour les victimes de l’Holocauste. »
5 Lors de la publication du résumé d’un rapport d’un groupe de travail ou du rapport de synthèse, ces rapports ainsi que le communiqué de presse relatif, sont mis à disposition des médias sous « embargo » quelques heures ou un jour avant, pour leur permettre de préparer les articles en ayant le temps d’analyser le contenu de façon plus détaillée. Cette formule a été fort appréciée par les médias lors de sa mise en pratique.
Auteurs
Docteur en sciences physiques de l’Université catholique de Louvain (UCL), climatologue, professeur de climatologie et de sciences de l’environnement à l’UCL, membre du Centre de recherche sur la Terre et le climat Georges Lemaître. Il était vice-président du groupe de travail II du GIEC lorsque celui-ci a obtenu, simultanément à Al Gore, le prix Nobel de la Paix 2007 pour ses travaux sur les changements climatiques. Il a ensuite été vice-président du GIEC de 2008 à 2015. Il est membre depuis 1993 du Conseil fédéral belge du développement durable et en préside depuis 1998 le groupe de travail Énergie et climat. Il est membre depuis 2009 de l’Académie royale de Belgique.
Docteur en sciences, assistante de recherche à l’Université catholique de Louvain (UCL), membre du Centre de recherche sur la Terre et le climat Georges Lemaître.
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