Présentation générale. La bande dessinée numérique en questions…
p. 9-29
Texte intégral
1Le numérique possède une véritable capacité à simuler l’ensemble des outils inventés jusque-là pour produire un travail intellectuel (Robert, 2010), qu’ils soient narratifs ou formels : articles, récits sous les formes les plus variées (mythes, romans etc.), tableaux (de peinture ou de données), courbes, cartes, livres, bibliothèques… ou bandes dessinées. Mais s’il peut les restituer dans sa propre raison, le numérique en vient également à les questionner, les déplacer, les inquiéter, à moins qu’il ne se contente de les reproduire et de les diffuser tels quels, sans grands changements.
2C’est dire que la question du support, quelle que soit l’activité intellectuelle, est absolument fondamentale : une peinture sur tableau ou sur fresque, ce n’est pas la même chose, on y peint à l’huile d’un côté et à l’eau de l’autre, on y a droit au repentir d’un côté, tout doit être saisi rapidement de l’autre et le style, ce qu’il est possible de donner à voir, s’en ressent, inévitablement. Il en va de même avec la bande dessinée et ses différents supports, papier ou numérique.
3Le numérique propose un ensemble de propriétés qui sont différentes de celles du papier : nous allons donc revenir aux propriétés du papier pour mieux comprendre celles du numérique. La bande dessinée n’est pas indépendante des supports sur lesquels elle se présente, se construit et se transforme. C’est pourquoi cette introduction va tout d’abord poser la question de l’évolution des supports, dont le numérique n’est que le dernier avatar. Puis nous verrons que la bande dessinée repose sur sa capacité à « gérer » une série de paradoxes que le numérique a tendance à effacer.
4Ne convient-il pas également de renverser le questionnement et de nous demander en quoi la bande dessinée et ses plus de 180 ans d’expérience et de savoir-faire dans un art singulier de raconter des histoires en images peuvent questionner à leur tour le tout jeune numérique : n’aurait-elle pas également quelque chose à lui apprendre ? Voilà quelques unes des questions que nous voudrions explorer dans cette présentation générale avant de présenter les interventions des spécialistes qui ont accepté de participer à cet ouvrage, avec d’emblée un remerciement tout particulier à Martin Guillaumie qui a su émailler ce livre d’une dizaine de dessins qui prêtent autant à réfléchir qu’à sourire.
La bande dessinée : une question de supports
5La bande dessinée est née sur support papier, voire même du support papier, si l’on veut souligner combien le développement de ses formes elles-mêmes a dépendu des déclinaisons sur lesquelles elles pouvaient à la fois s’inscrire et s’inventer : presse grand public ou spécialisée, livres bon marché ou luxueux, etc. (Robert, 2015a). Car la bande dessinée possède une double naissance : suisse et américaine. Suisse, avec R. Töpffer qui, dès le premier tiers du xixe siècle, crée de petits albums à l’italienne dans lesquels il raconte ce qu’il appelle des « histoires en estampes ».
6Grâce à la technique de l’autographie1, les dessins conservent toute leur vivacité et si l’on ne connaît pas encore la bulle, on inscrit sous la case, déjà de taille variable, des textes écrits à la main, ce qui en conserve toute la « spontanéité ».
7Naissance américaine également, mais vers la fin du siècle cette fois et dans les journaux de masse. Dans la guerre qui oppose les deux magnats de la presse américaine, R. Hearst contre J. Pulitzer, la bande dessinée est une arme parmi d’autres – une arme bientôt en couleur, pleine page dans un cahier spécial le week end. On y lira les Katzenjammer Kids de Dirks (les célèbres Pim, Pam, Poum en français) mais aussi les plus subtils Little Nemo de W. Mc Cay ou Crazy Kat de G. Herriman.
8Puis la bande dessinée, en Europe et singulièrement en France, migrera du journal à l’album, dès l’entre-deux-guerres avec Tintin avant d’osciller entre les deux à la fin des années 1950 et surtout dans les années 1960 : Astérix ou Blueberry naissent dans le journal Pilote avant d’être édités en albums… dans une collection griffée « Pilote ». De nouveaux journaux vont prendre en main le destin de la bande dessinée dans les années 1970-1980 avant que leur disparition ne signe l’avènement du tout-album.
9Depuis le début des années 2000 notamment, émerge une bande dessinée aux formes numériques. Changement potentiellement assez radical, puisque pour la première fois la bande dessinée est amenée à adopter un support véritablement nouveau. Or, paraître sur tel ou tel support papier n’était déjà en rien neutre pour la bande dessinée, ni sur le plan sémiotique ni sur le plan sociologique : pour ne prendre qu’un exemple récent, accepter de publier des feuilletons longs, à l’instar de la revue À suivre dans les années 1970-1980, incitera les éditeurs à se lancer dans la publication de « romans » qui ont changé le format des bandes dessinées, car désormais il est possible de sortir du 48 pages CC (cartonné-couleur, pour reprendre l’expression de J.C Menu2) pour s’étendre sur 100, 150, voire 200 pages. Faut-il souligner que faire de la couleur ou du noir et blanc, que ce soit par nécessité économique ou par choix d’ailleurs, ce n’est jamais la même chose ?
10Bref, la bande dessinée a dépendu jusque là de manière étroite de son support et l’avènement du support numérique, bien plus radicalement nouveau que ne l’était le passage de la revue à l’album par exemple, ne peut pas ne pas profondément questionner ce que « faire de la bande dessinée » veut dire. Autrement dit, ce support numérique vient à la fois s’inscrire dans une tradition d’adaptation de la bande dessinée à différents supports tout en en proposant un qui, pour la première fois, nous allons y revenir, possède une base technique et des propriétés profondément nouvelles (Robert, 2010) qui renvoient à un véritable changement de régime de matérialité3.
Une logique des paradoxes
11La bande dessinée repose sur sa capacité à relâcher quatre paradoxes (Robert, 2014 et 2016) :
- raconter des histoires de manière privilégiée en images (sans forcément renier le texte cependant) ;
- raconter des histoires dynamiques avec des images fixes ;
- raconter des histoires en images sur un support a priori privé de son ;
- raconter des histoires en projetant un espace 3D sur un espace 2D (celui de la feuille), en privilégiant l’espace sur le temps.
12Remarquons d’emblée qu’il s’agit bien, et la répétition n’est pas un effet du hasard, de raconter des histoires et non de jouer : la bande dessinée est récit, porté par un ou des auteurs qui ont quelque chose à dire et le disent d’une certaine manière. Elle n’est donc pas un espace de jeu et encore moins de jeu interactif, quand bien même possède-t-elle de réelles capacités à impliquer son lecteur4.
13La bande dessinée a affronté ces paradoxes en inventant un dispositif sémiotique singulier qui lui permet de répondre aux défis qu’ils proposent :
- par un usage de cadres de surfaces variables, les cases, séparées par des espaces intericoniques, enchainés les uns aux autres dans un multicadre (Van lier, in Peeters, 2002), la planche ; les dessins, dans ces cases, sont moins là pour eux-mêmes que pour ceux qui les accompagnent en amont et en aval (Peeters, 2002), voire pensés au niveau de la planche elle-même (dont ils ne sont plus dès lors que le découpage) ; un dessin qui prend (progressivement5) le dessus sur le texte qui n’intervient qu’en amont (scénario) ou que ponctuellement (dans les bulles ou les cartouches d’articulation spatio-temporelle) ;
- en inventant ou en reprenant au cinéma (les deux naissent sensiblement à la même époque si l’on prend comme point de départ la naissance américaine de la bande dessinée : 1895/1896) des types de plans qui permettent de donner une impression de mouvement, alors que tout reste fixe ; lorsqu’ils courent, les personnages sont dans des positions de déséquilibre qui accentuent l’impression de vitesse ; on peut les accompagner de traits qui donnent littéralement à voir ce que l’on ne voit pas dans la vie et rarement au cinéma : le mouvement lui-même, comme ces traits dits « idéographiques6 » qui strient la page du manga* ou cette boucle qui accompagne les engins et les personnes chez Hergé ou ces traits qui accompagnent un geste vif comme les déséquilibres de Prunelle dans Gaston ;
- la bande dessinée, d’emblée privée de bande son (Robert, 2015b) doit se débrouiller pour restituer l’ambiance sonore à un support qui en est intrinsèquement dépourvu : son des paroles, son des bruits. La bulle est une « solution », que la bande dessinée a systématisée sans l’inventer, pour donner la parole aux protagonistes ; les onomatopées accompagnent les coups à la porte, les rugissements de moteurs ou les coups de feu, etc. ;
- enfin, la bande dessinée doit, notamment, raconter des histoires d’aventure qui traversent volontiers des espaces immenses sur un format somme toute réduit (feuille de journal, album ou magazine), ce qui n’est pas forcément évident ; or, elle possède cette capacité à véritablement projeter au travers de la page elle-même, espace en 2D, un espace en 3D auquel elle donne accès par le truchement de cases et que le lecteur participe à explorer et à reconstruire ; quelle que soit l’immensité de cet espace, il est accessible via une/des planches (et des cases) qui représentent un espace fini ; autrement dit, un espace somme toute restreint ouvre sur un espace potentiellement plus vaste, sauf à volontairement le réduire (Robert, 2011).
14Bref, la bande dessinée a su inventer tout un ensemble de solutions sémiotiques qui lui ont permis de faire face à ces paradoxes et de les desserrer : certes, rien ne bouge ni ne parle ou ne fait réellement de bruit, mais le (bon) lecteur de bande dessinée sait traduire (sans les lire bien évidemment) ces dispositifs et ces signes comme du « vrai » son, du « vrai » mouvement, un « véritable » espace (aussi grand ou aussi petit que l’on veut) et des « vraies » histoires qui fonctionnent avec une rare économie de mots, sans être pour autant une réplique du réel (comme peut l’être la photo ou le cinéma)… car tout est dessiné en bande dessinée, tout est artificiel d’une certaine manière. On a du mal à définir formellement la bande dessinée, mais ce travail sur les paradoxes en offre peut être la définition la plus probante : ne plus être dans la situation où l’on parvient à gérer ces contraintes sur le mode d’une sémiotique graphique, c’est peut être sortir de l’univers de la bande dessinée justement.
15Or, le numérique, par ses propriétés singulières (Robert, 2010) propose un support qui permet de simuler aussi bien l’image que le texte, le fixe que le mobile, le temps que l’espace, le muet que le sonorisé sur fond d’un espace d’inscription potentiellement « infini » à en croire S. McCloud (2002) : dès lors la « bande dessinée », inscrite sur ce support, peut très bien assumer partiellement ou totalement le mouvement, elle peut être partiellement ou totalement sonorisée, elle peut substituer à la logique d’abord spatiale de la bande dessinée (cases, planches et espace 3D simulé) une logique plutôt temporelle de la succession, quitte à se replier sur la transformation de la seule case, voire oublier la planche qui peut très bien, dès lors, ne plus être présente a priori, mais seulement advenir a posteriori… À ce prix là – et compte tenu de l’approche présentée plus haut –, on peut se demander si l’on est encore en face d’une bande dessinée. Inversement, que gagne-t‑on à la reprise homothétique (c’est-à-dire, sans modification) d’une planche sans autre valeur ajoutée ou presque (un effet de zoom par exemple), alors même que l’on y perd le véritable feuilletage et la profondeur apportée par l’épaisseur même de l’album (qui est lui-même une sorte de « grotte » à explorer) ?
Et si l’on inversait la perspective ?
16C’est à se demander, en définitive, s’il ne convient pas d’inverser la perspective : la bande dessinée n’aurait-elle pas également quelques leçons à donner au numérique ? Autrement dit, en poussant l’hypothèse à la limite, ne faudrait-il pas faire moins de la bande dessinée sur le Web que de faire du Web une bande dessinée ?
17Après tout, la bande dessinée est une sorte d’ingénierie des cadres peaufinée depuis presque deux siècles maintenant : elle sait raconter comme on n’a jamais su le faire des histoires en images7. Il y a là un savoir-faire qu’il conviendrait peut être d’analyser en tant que tel et que l’on pourrait mettre au service d’un univers numérique encore tout récent, certes fort bien équipé techniquement, mais qui ne peut inventer de propositions qu’articulées à la culture existante : on pense alors volontiers à la métaphore du bureau, mais n’oublions pas que la logique du lien hypertextuel habite déjà le livre, à l’instar de la note de bas de page ou de la référence bibliographique, en tant que concept « virtuel » bien avant de le concrétiser techniquement grâce à l’informatique. Le numérique utilise aussi beaucoup les cadres, mais rien ne nous dit qu’il le fasse de manière efficace et qu’il n’aurait rien à apprendre de la manière dont la bande dessinée sait les mobiliser pour raconter une histoire ou présenter un sujet/problème (car elle sait également se théoriser8). À défaut de proposer des clés précises nous ne pouvons ici que lancer l’idée et ouvrir la piste…
18La bande dessinée est d’emblée un jeu aux contraintes considérables : celles que déterminent les paradoxes justement et auxquelles le dispositif de la bande dessinée devait/doit trouver les réponses d’une sémiotique graphique. Sémiotique graphique, car autrement, justement, ce serait sortir du jeu : imaginons inséré dans la couverture de l’album un dispositif électronique qui émettrait des sons au moment voulu, ce serait faire un hors jeu, car ce serait trouver une « solution » au problème du son hors du système sémiotique de la bande dessinée lui-même, purement graphique (avec les « toc toc », « vraoumm » et autre « driing »). Imaginer un dispositif qui mettrait en mouvement les images, ce serait là encore déroger au système de contraintes : n’est-ce pas ce que fait le dessin animé qui, justement, n’est pas de la bande dessinée ?
19Qu’arrive-t-il avec le numérique ? Il est ce que l’on peut appeler un « moteur d’inférence et de gestion de formes » (Robert, 2010) et en ce sens, il « libère » de toutes les contraintes que fixent les paradoxes que nous avons rencontrés : ce qui équivaut à sortir du jeu de la bande dessinée, car comment faire encore de la bande dessinée sans jouer, et ce sur le seul mode de la sémiotique graphique, contre le système de contraintes que déploient les paradoxes ? Voilà le problème que le numérique pose, lui, à la bande dessinée : c’est de faire sauter les contraintes qui la déterminaient dans les solutions sémiotiques qu’elle proposait et qui permettaient de l’explorer et de la construire tout à la fois.
20En ce sens, on ne pourra, à l’inverse, faire de la bande dessinée numérique qu’à condition de respecter le système sémiotique mis en place par la bande dessinée pour répondre à un système de contraintes ; si l’on veut poursuivre l’invention de la bande dessinée sur support numérique alors il faut réintroduire, artificiellement (puisqu’il n’y existe pas de manière intrinsèque), ce système de contraintes pour pouvoir continuer à faire de la bande dessinée tout en inventant de nouvelles solutions sémiotiques graphiques, liées au numérique, sans passer par la facilité de restituer des images en mouvement ou du son. La réintroduction des contraintes a d’ailleurs pour partie déjà été effectuée :
- soit, dans une version faible en reproduisant telle quelle (de manière homothétique dit-on) la planche papier (à l’instar de la pratique d’Izneo9), manière de neutraliser en quelque sorte les effets singuliers du numérique (à celui du zoom prêt, indispensable néanmoins sur une tablette au format inférieur à celui de la page papier),
- soit, version plus forte ou plus complexe, avec ce que l’on appelle le turbomédia* (cf. la démonstration originelle de Balak de 200910 et le site de MediaEntity11) qui, par exemple, inscrit le son sous forme graphique, mais autour de la case, hors case, dans l’espace de l’écran, ce qui est à la fois en continuité avec la bande dessinée papier, puisque l’on ne passe pas au son en tant que tel, mais apporte une inflexion puisque la représentation dessinée du son n’est pas positionnée de la même manière dans ce qui n’est plus l’espace d’une page/planche, mais d’un écran ; le turbomédia conserve pleinement la case, qui devient d’ailleurs le principal véhicule de la BD, mais élimine la planche ou la réduit considérablement ; inversement, il offre la possibilité de jouer la simultanéité de deux actions qui évoluent en même temps, ce que ne permet pas ou de manière peut-être moins convaincante la BD papier12, figée en quelque sorte ; enfin, s’il joue la carte de la temporalité dans la succession des cases qui se substituent les unes aux autres, il perd largement la planche comme mémoire-tampon.
21Je ne peux ici que lancer à nouveau une piste, qu’il revient d’ailleurs aux auteurs de creuser, d’explorer et de construire : puisque le numérique travaille d’abord le temps et secondairement l’espace, alors même que la bande dessinée travaille d’abord l’espace et secondairement le temps, il convient donc d’inverser les priorités au sein même du numérique, contre sa ligne de pente « naturelle » si l’on veut. Dès lors, on reconstitue l’une des contraintes de fond de la bande dessinée et l’on cherche ensuite une solution sémiotique graphique numérique pour y répondre : on pourra alors faire de la bande dessinée numérique en conjuguant les solutions graphiques numériques aux contraintes ainsi fixées. Sinon, on fera autre chose que de la bande dessinée… et pourquoi pas ?
La logique de cet Essentiel
22Une perspective traverse cet ouvrage : aborder la bande dessinée à travers la question du support, c’est-à-dire aussi celle du changement de support, que ce soit le passage du papier au support numérique ou le glissement d’un type de support numérique à un autre (passer du CD-ROM à Internet par exemple).
23Un type de bande dessinée est toujours une conjugaison entre un support (presse ou album ou numérique) et la proposition d’un dispositif sémiotique (une planche régulière, aux cases de même dimension ou une planche totalement éclatée, etc.) sur fond d’une époque (qu’elle participe, en retour, à produire). Qu’en est-il aujourd’hui avec l’avènement du support numérique, ou plutôt de nouveaux supports au pluriel ? Invente(nt)-t-il(s) de nouvelles formules sémiotiques, de nouveaux lecteurs ou de nouvelles lectures ? Qu’en pensent les auteurs et les éditeurs ? Voilà quelques unes des questions que veut aborder cet Essentiel.
24Nous allons tout d’abord commencer par un panorama du développement de la bande dessinée numérique tant dans l’espace que dans le temps : Julien Baudry jettera ainsi une perspective historique sur le numérique accompagnée d’un encadré sur l’informatisation du processus de production de la bande dessinée papier ; cette histoire, sans s’y réduire, est bien aussi celle des changements de supports et de leurs conséquences dans ce qu’il devient possible de faire ou non et comment l’exploitent les pionniers. La bande dessinée papier n’est pas seulement européenne, elle possède également une longue tradition aux États-Unis et en Asie : que devient-elle avec le numérique, est-elle porteuse d’innovation ? Julien Baudry et Philippe Paolucci nous inviterons alors à découvrir ce qui se passe en matière de bande dessinée numérique dans ces autres régions du monde.
25Puis nous verrons comment les propriétés des différents supports techniques de la bande dessinée numérique travaillent les différentes déclinaisons de ses formes sémiotiques : Magali Boudissa proposera alors une typologie des configurations de la bande dessinée numérique dans ses différents supports et Anthony Rageul un encadré sur les proximités avec les jeux vidéo et l’art numérique. Si la bande dessinée papier s’appuyait, à en croire B. Peeters, largement sur le tryptique case, planche et récit, Julia Bonaccorsi offrira les clés d’une analyse sémiotique de la bande dessinée numérique en interrogeant ce qu’il devient avec le nouveau support numérique.
26Nous aborderons ensuite la sociologie de la bande dessinée numérique : la bande dessinée papier était appréhendée à travers des cadres de référence lentement acquis, que se passe-t-il avec le numérique ? Sont-ils reconduits ou d’autres cadres interviennent-ils ?
27Pour répondre à cette question, Julien Falgas présentera une sociologie des usages et de l’innovation narrative au travers de deux expériences récentes de bande dessinée numérique. Christophe Evans poursuivra par une sociologie de la lecture numérique de la bande dessinée : de la lecture de la bande dessinée papier à la lecture de la bande dessinée numérique, qu’est-ce qui change avec le changement de support ?
28Enfin, nous terminerons avec le point de vue des auteurs et des éditeurs : en effet, des entretiens nous permettrons de découvrir ce que pensent les auteurs, qu’ils soient plutôt militants, tels que Balak et Simon, un peu plus distanciés comme Marc-Antoine Mathieu ou plus critiques à l’instar d’Olivier Jouvray ; on s’attardera pour finir, avec Benoît Berthou, sur l’écart qui sépare les points de vue des éditeurs et des auteurs de bande dessinée à travers la question, controversée sur Internet, d’une supposée « indifférence du support ».
29La bande dessinée numérique est encore bien jeune. Cet Essentiel n’a pas pour vocation d’apporter des réponses définitives, bien évidemment, mais de faire le tour de la question en l’état actuel des choses afin de pouvoir un peu mieux cadrer, grâce aux perspectives géo-historique, sémiotique et sociologique un monde en évolution. Mais il n’est en rien militant, il essaie de discerner un phénomène et non de servir une cause, c’est d’ailleurs pourquoi il ne donnera pas forcément une définition unique et comme gravée dans le marbre de la bande dessinée numérique. En revanche, il essaie de déployer des points de vue à la fois différents et complémentaires et donc de donner à ses lecteurs des outils pour réfléchir et construire leur propre opinion.
30En ce sens, cet Essentiel poursuit la réflexion engagée sur la bande dessinée par le numéro 54 de la revue Hermès, « La bande dessinée, art reconnu, média méconnu » (Dacheux, Dutel et Le Pontois, 2009) et par un premier Essentiel consacré à la problématique de la bande dessinée comme élément de lien social (Dacheux, 2014).
Bibliographie
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Références bibliographiques
10.4000/books.editionscnrs.19887 :Dacheux, Éric (dir), Bande dessinée et lien social, Paris, CNRS Éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2014.
Dacheux, Éric, Dutel, Jérôme et Le pontois, Sandrine (dir), Hermès, no 54, « La bande dessinée, art reconnu, média méconnu », 2009.
Groensteen, Thierry et Peeters, Benoît, Töpffer : l’invention de la bande dessinée, Paris, Hermann, 1994.
McCloud, Scott, Réinventer la bande dessinée, Vertige Graphic, 2002 (Reinventing Comics : How Imagination and Technology are Revolutionizing an Art Form, New York, Perennial, 2000).
10.3406/colan.2004.3268 :Robert, Pascal, « Critique de la dématérialisation », Communication et Langages, no 140, juin 2004, p. 55-68.
–, Mnémotechnologies, une théorie générale critique des technologies intellectuelles, Paris, Hermès/Lavoisier, coll. « Communication, médiations et construits sociaux », 2010.
–, « De la “subversion sémiotique” comme mode d’existence matériel de la bande dessinée », Communication et Langages, no 167, 2011, p. 53-71. Disponible sur : <http://www.necplus.eu/action/displayAbstract?fromPage=online&aid=2433156>.
–, « La bande dessinée entre paradoxes et subversion sémiotique », in Dacheux, Éric (dir), Bande dessinée et lien social, Paris, CNRS Éditions, coll. « Les Essentiels d’Hermès », 2014, p. 167-186.
–, « La bande dessinée, une subversion sémiotique des supports de l’intermédialité ? », Communication et Langages, no 182, 2015a, p. 45-59.
–, « Vraoum, dring, toc et plouf, le son en bande dessinée, entre texte et image », BBF, no 6, 2015b. [En ligne] : <http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2015-06-0022-003>.
–, La bande dessinée, une intelligence subversive, Lyon, Presses de l’enssib, 2016 (à paraître).
Notes de bas de page
1 « Une variante du procédé lithographique, […] l’usage du papier de report (qui est le trait distinctif de l’autographie par rapport au procédé lithographique traditionnel, où le dessin est exécuté directement sur la pierre) permet à l’artiste de dessiner “à l’endroit”, puisque l’image, au terme d’une double inversion, est finalement rétablie dans son orientation première » (Groensteen et Peeters, 1994, p. 88-89). « Elle permet également d’inclure le texte manuscrit dans l’image » (ibid., p. 90).
2 Jean-Christophe Menu est l’un des co-fondateurs de la maison d’édition l’Association en 1990. Il prône une bande dessinée alternative à celle des grands éditeurs, une bande dessinée différente tant dans sa forme (ses formats et souvent le noir et blanc), son fond (un message qui se veut critique, voire politique, qui aborde de nouveaux sujets et stimule la réflexion en tout cas) que dans son édition (loin de l’album le plus souvent afin d’en revenir à un livre comme les autres).
3 Car le numérique n’est en rien immatériel comme on le dit trop souvent (Robert, 2004).
4 Sur cette question, que nous ne pouvons creuser ici, voir Robert, 2016.
5 Progressivement, car le texte reste parfois encore très présent dans l’entre-deux-guerres notamment, aux États-Unis dans des bandes dessinées comme Prince Valiant ou Flash Gordon.
6 Les signes idéographiques permettent en bande dessinée de rendre visible l’invisible : le mouvement, le son, les pensées personnelles, etc.
7 On n’a bien évidemment pas attendu l’éclosion de la bande dessinée pour raconter des histoires en images, mais son dispositif est, quant à lui, original et plus efficace, semble-t-il, que les autres « solutions » : égyptiennes, romaines (colonne Trajane), médiévales (tapisserie de Bayeux), renaissantes (Piero della Francesca à Arezzo), Hogarth au xviiie, jusqu’aux images d’Épinal au xixe siècle.
8 Papier ou numérique accueillent une bande dessinée qui, d’emblée a su se théoriser : théorie de Rodolphe Töpffer (Groensteen et Peeters, 1994), dès les débuts de la bande dessinée papier, théorie de Scott McCloud (2002), dès les premiers balbutiements de la bande dessinée numérique (cf. Robert, 2016).
9 <http://www.izneo.com/>.
10 <http://www.catsuka.com/interf/tmp/bdnumerik_by_balak.html>.
11 <http://www.mediaentity.net/>, onglet épisodes.
12 Dans le premier épisode turbomedia de MediaEntity on voit ainsi se dérouler l’action concomitante et visuellement superposée du regard de la secrétaire qui voit le « héros » sortir et celui-ci presser le pas.
Auteur
Professeur des universités à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (enssib) et membre du laboratoire Elico. Ses travaux visent, d’une part à décrypter les enjeux politiques et cognitifs de l’informatisation de la société, et d’autre part à l’élaboration d’une anthropologie du document et des images. Il a récemment publié Polyptyque, pour une anthropologie communicationnelle des images chez Hermann (2015). Auteur d’une douzaine d’articles sur la bande dessinée, il dirige le séminaire de l’enssib « La bande dessinée en questions ». Il va publier fin 2016 un livre théorique sur la bande dessinée aux Presses de l’enssib intitulé La bande dessinée, une intelligence subversive.
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