Controverses autour des nouvelles technologies dans l’annonce des résultats sportifs Le cas de l’escalade
p. 133-138
Note de l’éditeur
Inédit
Texte intégral
La « fabrique » du sport moderne est en corrélation avec les médias notamment en ce qui concerne l’expansion et la diffusion du phénomène sportif (Clastres et Méadel, 2007) ou la convergence d’intérêts économiques (Bourg et Gouget, 2012). Au cours du temps, les métamorphoses technologiques des médias ont accompagné l’évolution du système sportif (systématisation du modèle compétitif, prolifération des sponsors, développement de nouvelles rencontres sportives, modifications règlementaires, transformations de techniques sportives, communication et visibilité, etc.). Les supports médiatiques sont variés et nous nous proposons de nous arrêter sur les Technologies de l’information et de la communication (TICs) afin de montrer que ces dernières ne sont pas seulement utilisées pour informer ou communiquer, mais peuvent également devenir un support de dialogue sur la pratique sportive. Ainsi, les différentes plateformes des TICs (blogs, forums, magazines numériques, réseaux sociaux) peuvent permettre d’aborder la réalité sportive comme validée, non seulement par l’institution sportive – qui est chargée d’entériner les résultats sportifs –, mais également par les acteurs de la pratique – sportifs, supporters, commentateurs – qui débattent sur les modalités d’accomplissement de ces exploits. Dès lors, nous envisageons d’interroger ce postulat au regard de la pratique de l’escalade.
Les TICs permettent à chaque sportif une appropriation subjective de sa pratique en facilitant notamment le partage d’opinions, la confrontation des manières de penser et la diffusion d’informations. À titre d’illustration, nous avons noté, sur différents supports (forums ou e-magazines) des polémiques accompagnant les annonces de réalisation de voie par des grimpeurs professionnels.
En escalade, il existe deux types de compétition : la première, officielle, est organisée institutionnellement par la fédération qui classe les performances réalisées par les grimpeurs sur des structures artificielles ; la seconde, davantage informelle, repose sur les prestations effectuées en falaises, et sont généralement mises en avant par la sphère médiatique (TICs, sponsors, équipementiers, etc.). Nous proposons de nous intéresser ici à cette dernière. Ces exploits informels sont alors annoncés au travers de supports médiatiques divers qui participent à la création de controverses constituant des « actions collectives conduisant à la transformation du monde social » (Lemieux, 2007). Comme l’explique Bourgeois (1995), les médias ont installé le sport* professionnel dans la culture populaire et « tout ceci a contribué à la construction d’un “univers du sport” à l’intérieur duquel le partisan est un spectateur d’évènements sportifs qui s’identifie à une équipe et des joueurs et qui participe à la circulation de connaissances et à l’animation de débat sur le sport. Ceci concourt aussi à un “système d’information sportif” dans lequel la dissémination d’informations et d’images favorise l’éclosion de communautés d’intérêts et d’allégeance regroupant des individus socialement et géographiquement dispersés ». Les communautés virtuelles (Marcotte, 1997) qui se créent sur Internet sont nombreuses concernant l’escalade. Il existe de nombreux forums (comme camptocamp), des magazines numériques (comme Vertical, Grimper ou Kairn), des sites pour faire état de ses performances (8a. nu pour les prestations en falaises, bleau. info pour celles en bloc). Ces plateformes mériteraient d’être analysées à l’aide d’une approche théorique pragmatique concernant les justifications échangées à propos de la pratique.
Les annonces effectuées par les grimpeurs sur ces plateformes sont ainsi observées, discutées et disséquées. Tout un chacun peut alors donner son avis, nous permettant d’avoir un point de vue global sur l’escalade, principalement sur la question des cotations qui reste l’un des aspects importants de la pratique – notamment lorsqu’il s’agit de donner ou d’évaluer le niveau de la voie réalisée.
La logique interne* de l’activité escalade renforce l’idée que les TICs autorisent les individus à batailler sur les performances des grimpeurs. L’incertitude des réalisations notamment en falaises – où les critères sont de l’ordre du tacite – est plus proche du jugement, comme dans les activités artistiques, que de la mesure comme dans les sports institutionnalisés. C’est ce qui différencie l’escalade de pratiques sportives où la mesure performe et hiérarchise le résultat – soit par des scores bruts, soit par un classement plaçant les différents compétiteurs selon un protocole ordonné. C’est ainsi que dans les premières constatations effectuées, nous avons observé des grimpeurs tentant de convaincre les lecteurs du forum de la véracité de leurs performances en proposant, par exemple, des vidéos de leur réalisation quelque temps après leurs déclarations pour lesquelles les magazines numériques ou les forums doutent de l’exploit.
Ainsi, les participants du forum prennent part et alimentent le débat dont ils deviennent acteurs. C’est un des paradoxes mis en avant par P. Duret et P. Trabal (2001) : « la compétition sportive peut tout à la fois produire des résultats indiscutables et offrir un espace d’interminables interprétations si l’on s’attache à la manière dont ils sont obtenus ». Le traitement des performances par les différents médias possibles informe de la réalisation mais laisse également la place au doute chez les initiés. L’information sportive relayée par le discours médiatique devient ainsi réellement l’objet qui est jugé comme réel et véridique. Si des soupçons persistent, des voix s’élèvent au travers de ces médias communautaires pour réclamer la vérité et pousser le sportif à communiquer sur l’affaire.
Comme tout groupe social, les individus participant à un forum tendent à réguler et à s’accorder sur une certaine vision de l’activité. Cela peut être parfois sur le ton de l’humour, mais il est possible de rendre compte d’une certaine définition de ce qu’est l’escalade aux yeux des communicants. Finalement la controverse tient un rôle social important dans l’activité, permettant la mise en lumière des interactions entre individus et en nous renseignant ainsi sur la dynamique actuelle de l’escalade. Selon G. Simmel (1995), le conflit est socialisant, et les affaires, disputes ou querelles, nous renseignent sur la manière dont le monde social s’organise et sur la façon dont les individus agissent sur et avec lui. En quelque sorte, les TICs permettent de renouveler la valeur des résultats qui ne sont plus seulement validés ou invalidés par l’institution sportive mais bien par l’ensemble des individus concernés par la pratique, compétiteurs comme spectateurs.
Bibliographie
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Références bibliographiques
10.3917/dec.bourg.2012.01 :Bourg, Jean-François et Gouget, Jean-Jacques, Économie du sport, Paris, La Découverte, 2012.
10.7202/001090ar :Bourgeois, Normand, « Le sport, les médias et la marchandisation des identités », Sociologies et sociétés, vol. 27, no 1, 1995, p. 151-163.
Clastres, Patrick et Méadel, Cécile, « “Présentation” Quelle fabrique du sport ? Quelques éléments introductifs », Le temps des médias, no 9, 2007, p. 6-18.
Disponible sur : <http://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-le-temps-desmedias-2007-2.htm>.
Duret, Pascal et Trabal, Patrick, Le sport et ses affaires, une sociologie de la justice de l’épreuve sportive, Paris, Métaillé, 2001.
10.3917/mnc.025.0191 :Lemieux, Cyril, « À quoi sert l’analyse des controverses ? », Mil neuf cent, no 25, 2007, p. 191-212.
Marcotte, Jean-François, Les communautés virtuelles, 1997. [En ligne]
Disponible sur : <;http://jfm.ovh.org/communautes-virtuelles/communautes.html>.
Simmel, Georg, Le conflit, Strasbourg, Circé, 1995.
Auteur
Docteure en sciences sociales du sport de l’Université Paris Descartes. Elle a étudié, dans le cadre de sa thèse, les représentations sociales portant sur l’institutionnalisation sportive en basketball, escalade et paintball. Elle travaille maintenant à la Fédération sportive et gymnique du travail, sur le développement de la politique sportive autour des enfants et des familles.
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