Football en noir et blanc
p. 67-78
Note de l’éditeur
Inédit
Texte intégral
1Sport* et médias ont toujours tissé des liens étroits. Les exploits, les duels, les chutes, les défaillances des champions sont encensés ou brocardés par la presse. Cette dernière est même à l’origine de certaines manifestations sportives, dont notamment le Tour de France. Et comme le montrent les quelques exemples ci-dessous, le football n’est pas en reste. Ainsi Robert Guérin, journaliste au Matin, a fondé la Fédération internationale de football association (FIFA), en 1904. Gabriel Hanot, ancien joueur de football et journaliste à L’Auto, au Miroir des sports et à L’Équipe est devenu le sélectionneur de l’équipe de France de football entre 1945 et 1949. Le 21 juin 1949, il demandera même sa propre démission du poste de sélectionneur, en rédigeant un édito publié en une de L’Équipe. La première partie du xxe siècle semble donc marquée par la confusion des genres. Alfred Wahl (1990, p. 103) écrit, à ce sujet, que football et presse sportive « s’interpénètrent ».
2Pendant l’âge d’or de la retransmission radiophonique (1925-1960), des relations fortes entre le sport et les médias se nouent et se solidifient. Les meilleurs matches de boxe et de football sont retransmis et suivis en direct, avec passion. Les reporters brésiliens symbolisent cette folie quand, après un but marqué, ils hurlent pendant une minute « Goal, Gooooooooal… » ! Au-delà de ces exemples révélateurs de relations fusionnelles entre médias et sport, cet article se focalise sur la rencontre entre la télévision en noir et blanc et le football des années 1950 à 1970. Les premières retransmissions en direct interrogent le spectacle sportif. L’enjeu est désormais de séduire les téléspectateurs, sans pour autant détourner les spectateurs des stades.
3Les premiers pas du football à la télévision ressemblent à un parcours d’obstacles. Il fut d’abord nécessaire de développer un réseau de diffusion sur l’ensemble du territoire. L’enjeu était ensuite de convaincre les acteurs du football de l’opportunité de retransmettre un match en direct. Enfin, les défis technologiques à relever dans l’optique de rendre ce spectacle télévisuel attrayant étaient nombreux. Ces premiers pas contrastent avec l’époque actuelle, où le football télévisé oscille entre hyper-médiatisation et overdose, avec des droits de retransmission qui représentent plus de la moitié (58 % en 2011) du budget des clubs de football de Ligue 1.
Premières diffusions… et premières difficultés
4Dans les années 1930, les balbutiements de la télévision coïncident avec les premières retransmissions sportives. Ainsi, en avril 1938, la British broadcasting corporation (BBC) diffuse le match de football Angleterre-Écosse et la finale de la Cup (Diestchy, 2010, p. 446). Mais il faut attendre le début des années 1950 pour discourir sur la diffusion du football.
5En France, la diffusion via l’émetteur de la tour Eiffel, installé en novembre 1935, couvre seulement 10 % du territoire et les statistiques avancent un poste de télévision pour 10 000 habitants en 1950. Selon le rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation la science et la culture (Unesco, Rapports et études statistiques, 1963), les années 1950 sont marquées par un développement exponentiel des émetteurs de télédiffusion en Europe : 33 en 1953, contre 1 270 en 1960. Le nombre de foyers équipés d’un téléviseur en noir et blanc est multiplié par 100 en France entre 1952 et 1966 (60 000 à 6 000 000). Des chiffres très inférieurs à ceux du Royaume-Uni. En 1953, la finale de la Cup, en Angleterre, rassemble plus de 10 millions de téléspectateurs qui visionnent sur des postes achetés la même année pour le couronnement de la reine Elisabeth II. En 1954, la France compte 108 000 téléviseurs contre quatre millions en Angleterre. Ce retard est un frein au développement du football cathodique en France.
6« Chez vous dans votre fauteuil, vous serez mieux placé que l’arbitre. » Cet extrait d’une publicité parue dans le journal L’Équipe du 16 juin 1954 incite le futur téléspectateur à acheter un téléviseur… ou à se débrouiller pour voir le match. Le parc est encore si peu développé en France que quatre ans plus tard, à la veille de la demi-finale de la Coupe du monde 1958 (France-Brésil : 2-5), le journal L’Équipe demande aux marchands d’électroménager de laisser les postes allumés dans leur vitrine ! En effet, si de nombreux Français ont la possibilité d’écouter le match sur l’un des dix millions de transistors radio, seul un million de foyers possède la télévision.
Des résistances à diffuser des matches en direct
7Les rencontres internationales seront les premiers matches retransmis fréquemment en raison de leurs qualités et intérêts sportifs, mais surtout parce qu’ils ne concurrencent pas d’autres matches officiels. En France, il s’agit du France-Allemagne du 5 octobre 1952 (L’Équipe, 6 octobre 1952). Le premier souci des organisateurs des compétitions consiste à remplir les stades. Ainsi, pour la Coupe du monde 1958 en Suède, le comité d’organisation décide de filmer les matches à condition que la réservation des tickets soit un succès (Dietchy, 2010, p. 448). Au final, dix matches sur les trente-deux joués, dont les demi-finales et la finale, seront diffusés dans sept pays européens.
8Au niveau national, le premier direct concerne un match se jouant traditionnellement à guichet fermé, la finale de Coupe de France le 4 mai 1952 (OGC Nice-Girondins de Bordeaux : 5-3). Pierre Miquel (1984, p. 195) affirme que 1 000 téléviseurs ont été vendus la veille de la finale. Mais les présidents de clubs ne sont guère favorables à la diffusion d’un match de championnat qui entre en concurrence avec d’autres rencontres le même jour. Ainsi, le 4 décembre 1954, la Fédération française de football interdit les retransmissions. Face à cette décision, la télévision réplique en refusant de communiquer les résultats à l’antenne. Cette opposition durera deux ans, jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé entre les deux parties, avec une compensation financière pour le club correspondant à la diminution réelle des recettes. Ainsi, la première rencontre de championnat diffusée en direct, le 29 décembre 1956, est le match Reims-Metz, pour lequel la Radio Télévision Française (1949-1964) règle à Reims la différence entre la recette aux guichets du jour et la recette moyenne sur une saison.
9À cette époque, avec un potentiel de 700 000 récepteurs, il n’est pas encore question de gagner de l’argent avec la télévision mais tout simplement de ne pas en perdre et de jouer devant des spectateurs ! En fait, regarder un match en direct dans les années 1950-1970 est un fait rarissime. Pour voir de vrais résumés de match de dix minutes, il faut attendre 1977 avec la création de Télé Foot 1 (émission rebaptisée Télé Foot en 1982), puis 1992 pour vivre l’intégralité de la journée de championnat en direct à la télévision grâce au multiplex de Canal+.
10Cette résistance des institutions est particulièrement virulente en Angleterre. Lors de sa réunion annuelle du 8 juin 1960, à St Andrews en Écosse, l’International football association board limite considérablement les possibilités de diffusion en direct de la BBC. Ainsi, les retransmissions de matches à la télévision sont interdites dans leur ensemble ou en partie, en direct ou différé, avant 17 heures le samedi pour tous les matches du championnat. La BBC est donc priée de patienter deux heures après le coup d’envoi pour diffuser les premières images. Ce n’est que 23 ans plus tard, le 2 octobre 1983, que le premier match de championnat, opposant Tottenham et Nottingham Forest, a été intégralement retransmis en direct. Le contraste est saisissant avec la période actuelle où les téléspectateurs du monde entier peuvent regarder, chaque week-end, quatre ou cinq matches de la Premier League en direct.
À la conquête du direct !
11À partir du moment où la FIFA signe un contrat concernant l’exclusivité des droits de retransmission avec une chaîne de diffusion, l’objectif de cette dernière est de stimuler son audience en diffusant un nombre important de matches, en direct, à des horaires stratégiques. Ainsi, le contrat signé en 1962 par la FIFA et l’Union européenne de radiodiffusion prévoyait, par exemple, pour les quarts de finale de la Coupe du monde au Chili, de ne pas disputer plus de deux matches par jour et à des heures qui ne se chevauchent pas. Les demi-finales devaient obligatoirement ne pas être jouées le même jour. Dans la même optique, le match d’ouverture de la Coupe du monde en 1966 et les rencontres jouées par les Britanniques ont été décalés.
12De plus, pour permettre au téléspectateur européen de voir les matches en fin d’après-midi, la FIFA recommande de faire jouer des matches à midi (heure locale) lorsque la Coupe du monde est organisée sur le continent américain, ce qui est le cas en 1970 au Mexique. Paul Dietschy (2010, p. 455) précise qu’« en février 1968, il fut donc décidé que le coup d’envoi des rencontres disputées le dimanche, soit deux quarts de finale et la finale, serait donné à midi sous un soleil brûlant ». Mais jouer à l’heure de la plus forte chaleur a des conséquences à la fois sur le rythme des matches et sur les organismes. Ainsi, par exemple, Bobby Charlton perdit quatre kilos au cours de cette compétition. Les conséquences de ces modifications des horaires sont d’ordre qualitatif. Mais l’équité sportive est également questionnée. Ne pas jouer à la même heure fait bénéficier certaines équipes d’un temps de récupération supérieur.
Football cathodique et défis technologiques
13Pour promouvoir un spectacle sportif de qualité, les contraintes de la FIFA aux pays organisateurs de la Coupe du monde imposent de prévoir des dimensions minimales pour l’aire de jeu et de garantir une capacité de 50 000 places pour les spectateurs. Puis, comme le souligne Fabio Chisari (2006), à partir de 1962 au Chili, la télévision fait son apparition dans le cahier des charges de l’organisation. En effet, l’espace destiné aux médias (presse, radio et télévision) devient un critère indispensable pour la désignation des enceintes sportives. En 1966, dans les stades anglais, le minimum requis était de 15 places pour la radio et 15 places pour la télévision. Les reporters radio devaient être placés dans les meilleures conditions possibles pour observer et commenter le match. En 1966, quatre caméras étaient installées pour le direct sur une plateforme surplombant la ligne médiane. Aux yeux de la FIFA, l’ampleur du succès est dorénavant conditionnée par les retransmissions télévisées.
14À partir du spectacle originel du terrain, la télévision crée un nouveau spectacle permettant de revoir les actions déterminantes, sous un angle différent… et même au ralenti. En effet, peu avant la Coupe du monde 1966, les ingénieurs de la BBC inventèrent un magnétoscope « capable d’envoyer le fragment enregistré qu’on voulait revoir sur un disque magnétique qui multipliait chaque image par quatre pour produire l’effet de ralenti » (Chisari, 2006, p. 231). Cette innovation révolutionnaire permet de diffuser quasi instantanément des flashbacks du spectacle sportif. Dès 1966, une des caméras était spécialement destinée à suivre le ballon au plus près pour fournir les gros plans sur des phases statiques et des ralentis éventuels. Cette loupe permet théoriquement de savoir, par exemple, si la faute est réelle ou si le ballon a vraiment franchi la ligne de but. Un luxe pour les commentateurs et les téléspectateurs qui vont avoir la chance d’observer la séquence disséquée image par image.
15Dès 1966, le défi de filmer un match destiné à des téléspectateurs était déjà relevé. Le second défi technologique consistait ensuite à retransmettre les images filmées, si possible dans le monde entier via un satellite de communication. Si les États-Unis peuvent regarder la finale de 1966 en direct, tout comme 400 millions de téléspectateurs, c’est grâce au premier satellite Early Bird placé sur orbite géosynchrone le 6 octobre 1965 qui permet de diffuser les images en mondovision. Les images sont disponibles mais en 1966, l’Allemagne de l’Ouest est le seul pays qui fait le choix de diffuser tous les matches de la Coupe du monde en direct ou en différé.
La fin des matches d’antan en noir et blanc
16Si les finales de Coupe de France et les matches de l’équipe de France sont régulièrement diffusés, regarder un match à la télévision dans les années 1950-1960 demeure un fait rarissime. Les compensations financières n’enchantent pas les présidents de clubs qui préfèrent remplir leurs stades de spectateurs. Comme le souligne Paul Dietschy (2010, p. 447), « les progrès du football cathodique se mesurèrent d’abord dans les compétitions internationales ». À ce titre, la Coupe du monde 1966 mérite d’être considérée comme un moment clef du processus de mondialisation du football (Chisari, 2006, p. 222), même si les résistances à l’encontre de la diffusion des matches nationaux, en direct, vont perdurer jusqu’à la fin des années 1970.
17Une nouvelle révolution technologique va asseoir et optimiser les retransmissions du spectacle sportif. Avant les Jeux olympiques de Mexico, en 1968, ce sont encore les ingénieurs de la BBC qui inventèrent le convertisseur couleur. Dès la Coupe du monde 1970 au Mexique, le téléspectateur a la possibilité de voir un spectacle haut en couleur… Alfred Wahl (1990, p. 107) souligne que « l’avènement de la couleur, au début des années 1970 a marqué le triomphe de la télévision ». En effet, la plupart des équipes jouaient avec des maillots clairs et des shorts foncés. Difficile avec des récepteurs en noir et blanc de distinguer les équipes ! À l’époque, l’immense majorité des postes ne sont encore que des téléviseurs noir et blanc, mais en 1970, il se vend déjà en France autant de télévisions noir et blanc que de postes couleur. Cette révolution technologique gagne du terrain et le parc télévisuel va se renouveler progressivement. Les conditions sont favorables à un engouement des téléspectateurs. Et c’est un pari gagné grâce aux campagnes européennes de Saint-Étienne entre 1974 et 1976 qui vont faire vibrer la France.
18Le football cathodique est à l’origine de nouvelles contraintes, spatiales et temporelles, pour les organisateurs du spectacle sportif. Ainsi, la télévision s’immisce dans le sportif dès les années 1960. En effet, la modification des horaires des matches peut avoir des incidences sur l’équité sportive et la qualité du spectacle. Ce dernier aspect est tout particulièrement interrogé avec l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Si cette décision contestée est maintenue, pour éviter de jouer sous des chaleurs accablantes, il est question de réfrigérer les stades ou de jouer pour la première fois cette Coupe du monde en hiver ! Une attribution qui modifierait provisoirement ou définitivement le calendrier de tous les championnats nationaux avec des saisons calendaires européennes !
Bibliographie
Références bibliographiques
Chisari, Fabio, « Quand le football s’est mondialisé : la retransmission télévisée de la Coupe du monde en 1966 », Revue Européenne d’histoire sociale, no 18-19, 2006, p. 221-237.
Dietschy, Paul, Histoire du football, Paris, Perrin, 2010.
Miquel, Pierre, Histoire de la radio et de la télévision, Paris, Perrin, 1984.
Unesco, « Statistiques de la radiodiffusion et de la télévision 1950-1960 », Rapports et études statistiques, Paris, Ateliers de l’Unesco, 1963.
Wahl, Alfred, La balle au pied. Histoire du football, Paris, Gallimard, 1990.
Auteurs
Professeur agrégé d’éducation physique et sportive à l’UFR STAPS Paris Descartes. Ses activités de recherche portent principalement sur l’histoire du football. En 2011, il a soutenu sa thèse de doctorat consacrée à l’« Histoire du Football, Histoire du Board, les lois du jeu depuis 1886 ». Pour ce travail lui a été décerné le « Prix spécial du jury de l’Union des clubs professionnels de football » en 2013. Il a publié des articles dans plusieurs revues comme International Review on Sport and Violence ou encore Jurisport.
Docteure en STAPS, rattachée au laboratoire Techniques et enjeux du corps de l’Université Paris Descartes. Ses activités de recherche portent sur l’intégration sensorielle dans le contrôle postural. Elle s’intéresse à la prise en compte des différences interindividuelles. Elle a notamment publié deux articles dans la revue Perceptual and Motor Skills.
Maître de conférences en sociologie à l’UFR STAPS de l’Université Paris Descartes et collaboratrice scientifique à la cellule recherche de la Fédération française de rugby. Elle fait partie du laboratoire Techniques et enjeux du corps (EA 3625). Établir les identités – culturelles mais aussi de genre – et comprendre les parcours (adhésion, abandon) des licenciés sportifs, en France, constituent les objectifs principaux de ses activités de recherche. Elle est l’auteure de plusieurs articles dans des revues comme International Review for the Sociology of Sport, International Journal of Sport Science and Physical Education ou encore Les Cahiers internationaux de psychologie sociale.
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