Le parking, drôle de lieu pour des rencontres
p. 83-85
Note de l’éditeur
Inédit
Texte intégral
Il y a des lieux destinés à la communication et d’autres où celle-ci semble improbable. Pourtant le parking du grand ensemble n’est pas seulement un endroit où l’on stocke les voitures, mais un lieu de sociabilités actives, contrairement à l’idée reçue qui l’associe aux violences et à l’insécurité. Squatté par les jeunes, il devient une salle de rencontres en plein l’air. Les jeunes de la cité s’y replient lorsque les résidants s’exaspèrent de leur présence au pied des immeubles ! Espace de reflux, propre à contenir ou circonscrire l’activité d’adolescents « rouillant » dans l’espace public, le parking occupé en dessous du logement des parents – sur un autre, les locataires pourraient croire qu’ils convoitent leur voiture ! – se présente comme un espace de régulation d’un conflit qui tend, à l’extérieur comme à l’intérieur, à faire s’opposer les jeunes et les adultes. La voiture apporte son lot d’animations. Vécue de manière collective sur le mode du territoire, elle n’en est pas moins un bien individualisé, en laquelle on est autorisé à monter pour s’asseoir ou faire un tour.
L’homme adulte s’y active en solitaire ou en compagnie de quelques proches et transforme le parking en véritable atelier de mécanique ou de bricolage. Les quartiers sont parsemés d’épaves en attente de réparation au nombre desquelles peut être comptée également la « voiture-remise à outils ». Vieille ou amochée, toujours immobile, elle abrite, à l’instar de la remise ou du petit cabanon, quantités d’outils et pièces détachées. Domaine masculin, le parking tend à reconduire un mode traditionnel sexué de l’espace. L’harmonie entre les classes d’âges mais aussi les sexes peut tirer partie de la présence de ce lieu de retrait en lequel la femme n’a pas sa place. Mais celle-ci n’en est pas pour autant absente, si l’on s’arrête sur l’utilisation d’un box (mais rares en possèdent) et plus fréquemment d’un coffre de voiture converti en placard d’appoint de la cuisine (les bouteilles d’eau, les packs de lait longue durée et de bière, les réserves de café, de sucre, les couches du bébé…).
Lieu de « mixité sociale », repère dans la résidence
Le parking est vécu un peu à la manière du jardin ou du garage dans les quartiers pavillonnaires, comme un intérieur. Mais cet intérieur s’inscrit à l’extérieur. L’individu qui y bricole, côtoie d’autres individus ou groupes. La mécanique, passion masculine invite aux partages et bavardages entre des personnes qui autrement ne se parleraient guère. Cet espace passant attire aussi ceux pour qui le parking fonctionne comme un seuil : comme ceux qui venant garer leur véhicule en rentrant du travail, s’accordent une halte en rendant visite aux bricoleurs qu’ils connaissent ou ceux qui, désireux de sortir de chez eux, se saisissent de l’alibi d’une réparation à faire pour rejoindre les mécaniciens, afin surtout de discuter tout en travaillant. Car le travail est la norme qui régule le mode de présence de chacun dans l’espace public. En somme le travail attire le travailleur au nombre duquel peut figurer un ou deux commerçants ambulants. Ces derniers, dont la viabilité du commerce tient justement à leur mobilité et à leur aptitude à sillonner non pas un seul mais plusieurs quartiers, tirent parti de ce lieu de rencontres. Le parking leur permet de croiser deux types de clients : des mécaniciens-résidants et des personnes extérieures à la résidence ou au quartier, mais qui y travaillent, tous concernés par l’absence de commerces de proximité. Le parking, qui met en présence des gens très différents, s’affiche alors comme un lieu de mixité sociale. Il se substitue à l’ancien café (dorénavant déserté, car coûteux), aux supérettes difficiles à implanter comme repère d’une sociabilité potentielle. En cela, le parking fait office d’espace public.
Bibliographie
Référence bibliographique
Lefrançois, Dominique, Le parking dans les grands ensembles, Paris, Les éditions de La Villette, 2014.
Auteur
Sociologue et urbaniste, enseigne à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-la-Villette et travaille sur les questions des grands ensembles, de l’espace public et de l’insécurité. Elle a notamment co-écrit avec Alessandro Giacone Jean Millier, un hussard de l’architecture (AAM, 2008) et avec Paul Landauer une monographie consacrée à l’architecte Émile Aillaud : Émile Aillaud, architecte (Éditions du Patrimoine, in Folio, 2011)
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