La culture générale face à l’information
p. 69-89
Note de l’éditeur
Inédit
Texte intégral
1Depuis de très nombreuses années, les acteurs des institutions, dont particulièrement ceux de l’école et de l’université, positionnent, forment, évaluent les individus au regard d’attentes et de représentations d’une supposée culture générale et d’une culture générique (définie par l’institution scolaire et/ou universitaire). À l’occasion de cette contribution, nous souhaitons questionner les liens de prescription, les ressentis, les articulations logiques entre cette même culture générale et la culture de l’information*. Plus précisément, les systèmes d’intentions sont-ils convergents entre la culture générale et la culture de l’information ? A-t-on affaire à des composantes proches, homologiques, voire différenciées ? Notre réflexion ne consiste pas à dissocier le monde professionnel du monde scolaire et des études, mais à poser le postulat que toute organisation ou institution est une « organisation apprenante », où les cultures en contexte se positionnent constamment par rapport à des supposés niveaux attendus par les acteurs de cette même organisation : collègues, chefs de service, manager, enseignants, etc.
2La culture générale, souvent choisie comme but à atteindre, revêt principalement deux acceptions (Forquin, 1989). Premièrement, l’acception « sociologique » qui concerne l’ensemble des pratiques, des valeurs et des représentations spontanées d’une population donnée, notamment en matière d’information ; les choix et intérêts autour de la culture informationnelle* des jeunes, des enseignants, des salariés, des professionnels de l’information s’inscrivent dans ce paysage-là. Deuxièmement, l’acception « patrimoniale transmissive », qui correspond alors à un ensemble émergent, non figé, de savoirs, d’usages, de valeurs, etc. qu’il conviendrait de transmettre et de faire construire dans une perspective éducative : la constitution des patrimoines éducatifs, informationnels, des méthodes, des contenus s’inscrit dans cette dimension visant in fine à atteindre des connaissances communes et partagées entre les individus d’une même société et/ou d’un espace social partagé. L’ensemble de ces connaissances est alors situé et supporté par des formes institutionnelles fortes, comme les programmes, les référentiels* ou encore les procédures de certification.
3Au cours de cette contribution, nous défendrons l’idée que la culture de l’information n’est pas une forme moderne et contemporaine de la culture générale. Pour cela, nous porterons un regard analytique sur la culture de l’information, soumise à des injonctions institutionnelles et sociétales fortes. Une culture de l’information qui fait l’objet d’un enseignement dont les modalités de mise en œuvre révèlent des tensions au sein des organisations, entre prescriptions et attentes sociales. Nous conclurons cette contribution par une focalisation sur cette culture de l’information « en action » au sein des organisations, scolaires mais aussi professionnelles, mettant à jour les liens ténus entre culture générale et culture de l’information.
Acquérir une culture de l’information : une injonction sociétale et institutionnelle
Des discours sociétaux
4La culture de l’information, exprimée sous des vocables divers (« maîtrise de l’information* », « intelligence informationnelle* »…), est en filigrane de nombreux discours sociétaux qui prônent, en lien avec les caractéristiques définies de la « société de l’information* », voire de la « société de la connaissance* », de savoir gérer le stock et le flux, d’être en mesure d’exercer un esprit critique face à la masse d’informations générées dans la société, et à la dilution du statut d’auteur allié à un renversement de la chaîne de validation documentaire (Serres, 2012). Cette approche de la culture de l’information considère également la nécessité de posséder une culture des techniques de l’information et de la communication, même si son acception ne peut se limiter à ce seul périmètre (Juanals, 2003).
5La culture de l’information est dès lors associée à un pouvoir d’action, permettant d’agir en toute conscience sur le monde, et se trouve constituée de « savoirs de réserve », pour reprendre l’expression de Gilles Deleuze (1995) : logique de stock, de mémorisations individuelle et collective des savoirs, et de contribution à une communication sociale forte (les pairs ou les réseaux socionumériques par exemple). Le dernier rapport du Conseil national du numérique (2013) intitulé « Citoyens d’une société numérique : accès, littératie*, médiations, pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion1 » est à ce titre tout à fait révélateur de cette prise de conscience d’une nécessaire culture de l’information pour exercer une action citoyenne et une pensée critique au sein de la société contemporaine.
Des discours institutionnels
6De la même manière, les discours prescriptifs, voire injonctifs, ne manquent pas au sein des institutions, et tout particulièrement de l’institution scolaire. Toutefois, si le concept de culture de l’information tend à s’imposer dans le monde scolaire, il n’est pas pour autant clarifié. Le terme semble usité au même titre que d’autres expressions, paraissant recouvrir les mêmes injonctions, mais scientifiquement distinctes. Se trouve désormais employée l’expression « éducation aux médias et à l’information* » (EMI), expression marquée par un flou définitionnel important, voire même une absence de définition, puisque seulement déclinée selon une liste de compétences à développer. Dans le même temps, le Référentiel de compétences professionnelles des métiers du professorat de l’éducation mentionne une « culture de l’information et des médias », là encore non définie de manière intrinsèque. L’on peut aisément craindre que l’absence de stabilité terminologique et définitionnelle de ce concept de culture de l’information nuise à sa compréhension et à sa prise en charge dans le monde scolaire, et au-delà, dans le paysage social et professionnel.
Entre accès et appropriation de l’information
7Quoi qu’il en soit, les préoccupations liées à la culture de l’information souffrent, au sein des discours injonctifs sociétaux comme institutionnels, d’une assimilation (voire d’une confusion) entre culture de l’accès et culture de l’appropriation de l’information (dont témoigne d’ailleurs avec force la reprise dans les discours du néologisme de Marc Prensky (2010) « digital natives », décliné sous moult vocables médiatiques tels « ultranautes » ou encore « enfants mutants »). Or, nombreuses sont les études qui insistent sur la distinction essentielle entre l’accès matériel à l’information et l’appropriation, à la fois technique et intellectuelle, de cette dernière. En effet, la culture de l’appropriation repose avant tout sur la capacité à être performant en lecture (texte, image) tout en sachant imprégner cognitivement puis mémoriser ces unités d’information avec son capital personnel de connaissances. Nous retrouvons là le principe de « savoirs de réserve » (Deleuze, 1995).
8Ainsi, la culture de l’appropriation anticipe et précède la supposée culture générale, qui, elle, repose sur la capacité à conserver en mémoire, dans la durée, ce que l’on a vu, lu, vécu par l’expérience. Développant l’idée d’encyclopédie personnelle de référence, Umberto Eco (1985) nous rappelle que celle-ci est intime, fabriquée à même ses expériences, ses hésitations et ses audaces. À chaque lecture, le lecteur pioche dans ce savoir personnel constitué pour comprendre ce qui se propose à lui. Autant la culture générale viserait l’imprégnation cognitive et la mémorisation des connaissances, autant la culture de l’information se centrerait sur la constitution de mémoires (numériques) personnelles, mémoires de travail et de l’expérience, ainsi que de l’organisation des accès à celles-ci. Notre hypothèse, dès lors, est que la culture de l’information ne serait pas une nouvelle forme de culture générale émergente notamment avec les développements des réseaux et du numérique, ou un modèle substitutif d’accès aux savoirs, mais un enrichissement à l’articulation de ces deux domaines.
9La réduction, par exemple, de la « fracture numérique », notamment au sein d’une même société, ou entre pays à économie avancée ou économie émergente, a certes permis à davantage d’individus d’accéder aux technologies de l’information et aux données, mais une fracture de second niveau se crée, entre ceux capables de s’approprier ces techniques, parce que dotés de clés de compréhension également héritées d’un milieu familial facilitateur, et ceux qui sont exclus d’une appréhension diversifiée de l’outil numérique (Hargittai, 2002).
10Cette confusion entre accès et appropriation de l’information donne lieu à une dérive fortement préjudiciable qui instaure une assimilation entre technologies de l’information et de la communication (Tic) et culture de l’information. En effet, une entrée technique est ainsi privilégiée, qui fait écran aux questions liées à l’appropriation conceptuelle, cognitive, des objets et problématiques informationnels. De même, nous assistons à une confusion entre la culture générale et la culture académique : la culture générale, comme nous l’avons évoqué précédemment, dépend d’intentions sociales fortes, alors que la culture académique vise la mise en conformité de soi à son environnement de proximité (scolaire, universitaire, professionnel). L’idée sous-jacente de performativité (scolaire, professionnelle) demeure souvent à l’articulation de la culture générale et académique, sans forcément encore prendre en considération la culture de l’information à l’articulation de la culture de l’accès et de l’appropriation.
Un objet d’enseignement en tension au sein de l’école
La place de la culture de l’information en milieu scolaire
11Au sein du système éducatif, la culture de l’information peine à trouver une place institutionnalisée, tout en étant progressivement intégrée dans les offres de formations et les discours des acteurs.
12Dans le monde scolaire, les pratiques révèlent une tension entre un discours volontariste autour de la culture de l’information et une tradition pédagogique centrée sur les contenus disciplinaires. Les enseignements liés aux problématiques informationnelles semblent minorés, ce que dénoncent notamment les professeurs documentalistes au sein des établissements scolaires, en charge de la formation à l’information (Cordier, 2011). Des professeurs documentalistes qui font part d’une nécessité de négocier des temps d’enseignement avec les enseignants de disciplines, et qui déplorent majoritairement un effacement systématique des savoirs info-documentaires au profit des savoirs disciplinaires traditionnels. Une tendance à l’instrumentation de la documentation est alors visible, lors de formations qui réduisent la culture de l’information à une simple méthodologie à acquérir pour accéder aux savoirs disciplinaires (logique d’accès).
13Cette difficulté de positionnement des savoirs liés à l’information dans le monde scolaire est reflétée dans les textes officiels eux-mêmes, qui prônent une responsabilité documentaire partagée, au risque d’une dissolution de cet enseignement dont la prise en charge effective est dès lors non assumée en établissement. En outre, plusieurs dispositifs* info-communicationnels porteurs d’une affirmation d’un enseignement pour le développement d’une culture de l’information, tels que les Itinéraires de découverte (IDD) en collège ou encore les Travaux personnels encadrés (TPE) en lycée général, sont l’objet, pour les premiers d’une disparition progressive dans la formation des élèves du secondaire, pour les autres d’une application relative, ne favorisant pas systématiquement la réflexion autour de l’information.
14Or, comme toute culture en émergence ou en action, la culture de l’information est tributaire du contexte d’exercice ; à l’école, celle-ci est dépendante du contexte d’exercice du métier d’élève (au sens de Perrenoud, 1994 ou La Borderie, 1999) comme dans tout autre contexte professionnel. Thomas Davenport2 (1997) souligne qu’il ne peut y avoir de culture de l’information dans l’absolu, et qu’elle dépend foncièrement de la capacité à s’adapter au contexte et aux situations. La culture de l’information influe sur les comportements informationnels, les pratiques d’information, notamment lorsqu’elles sont partagées, portées par les organisations. Elle constitue une des composantes directes de l’organisation et de ces modes de gestion de l’information. Ainsi, nous pourrions dire qu’autant la culture générale est socialement adaptative et intégrative, autant la culture de l’information l’est scolairement ou professionnellement.
Quand la culture de l’information interroge les pratiques d’accompagnement et de formation
15De manière générale, les pratiques de formation à la culture de l’information semblent avoir peu évolué. En 1997 déjà, Claude Morizio dressait le constat que les formations à l’information-documentation étaient marquées par une centration méthodologique forte, se focalisant davantage sur l’interrogation des outils que sur la compréhension des résultats obtenus. En 2011, de nouveaux travaux centrés sur les pratiques de formation à la culture de l’information en collège pointent un enseignement fortement méthodologique et instrumental, où la centration sur les modalités d’interrogation des outils numériques a toujours le pas sur le processus d’analyse et de traitement de l’information.
16Une « grammaire documentaire » est ainsi mise à jour, correspondant à des règles établies par les enseignants documentalistes pour conférer à la recherche d’information sur Internet une stabilité (Cordier, 2011) ainsi que des formes progressives d’organisation de scénarii d’apprentissage. In fine, les formations à la culture de l’information semblent encore peu aborder les problématiques culturelles, éthiques et économiques liées à l’information, au-delà de la transmission d’une pratique modèle de recherche et de prescriptions liée à la prudence requise sur les réseaux. De plus, ces formations désincarnées et décontextualisées ne lient pas les intentions de contenu avec les schémas cognitifs ou les trajectoires biographiques des acteurs.
17Au lycée, les pratiques de formation à la culture de l’information apparaissent différentes, ne serait-ce qu’en raison du temps institutionnel de formation à l’information laissé aux acteurs. Si les pratiques de formation tendent alors à s’éloigner de l’imposition d’un modèle de recherche d’information, la centration sur la maîtrise d’outils est pareillement forte. L’on observe dans le secondaire de nombreuses séances pédagogiques intitulées « Utiliser Pearltrees/Scoop-it… », témoignant de l’effacement de l’objectif intellectuel, cognitif, au profit d’objectifs procéduraux liés à la maîtrise technique d’un outil déterminé, émergent sur le marché de l’information. De tels choix, qui sont aussi explicables par les contraintes subies par les professionnels pour mener à bien l’enseignement de l’information-documentation au sein d’un contexte complexe, posent la question des transferts possibles de compétences et de connaissances d’une sphère de pratiques à l’autre.
La place des pratiques sociales de référence dans la formation à la culture de l’information
18La culture de l’information, au même titre que la culture générale, est transversale aux domaines de pratiques, d’usages et de connaissances, que convoque l’exploitation de l’information et de la communication dans notre société. Dès lors, la question laissée à la culture non formelle dans les formations à la culture de l’information est à soulever de manière prégnante. L’approche écologique (Davenport, 1997) des pratiques informationnelles qui est la nôtre ici permet de mettre en valeur le rôle fondamental de l’environnement dans lequel le sujet instaure sa relation à l’outil de recherche, notamment numérique.
19Relevant de l’action située, les pratiques non formelles dépendent ainsi fortement du contexte dans lequel elles s’inscrivent, et au sein duquel le sujet négocie son positionnement, son espace d’expression et d’appropriation. La sphère non formelle structure la relation à l’information, et à l’outil de recherche, notamment numérique. Les pratiques informationnelles déployées en dehors de l’institution scolaire méritent selon nous l’appellation de « non formelles », dans le sens où elles ont, pour leurs acteurs, une véritable légitimité, et sont considérées de surcroît par les individus comme efficaces au regard de leurs considérations.
20Les pratiques informationnelles sont légitimes pour les acteurs, quel que soit leur statut, d’autant plus qu’elles font l’objet d’une légitimation sociale forte au sein de la sphère familiale et affective. En outre, le déploiement de pratiques informationnelles au sein de la sphère familiale, amicale et de sociabilité, engendre des imaginaires de l’information, de l’activité de recherche d’information, et des outils de recherche, qui peuvent faire obstacle à l’apprentissage ensuite dispensé dans le cadre formel. D’où l’intérêt qu’il y a à étudier cette culture non formelle, structurée en dehors de l’institution, mais fortement constitutive de la culture de l’information propre à chaque individu (choix préférentiels de modes de navigation en ligne, recours à des modalités personnelles d’évaluation de l’information, etc.).
21Pourtant, lors des formations, la prise en compte de cette culture non formelle pose problème aux enseignants, qui ont eux-mêmes développé des imaginaires, souvent négatifs, à propos des pratiques informationnelles des élèves. Des tensions apparaissent ainsi, révélées dans les discours tenus aux enseignés, comme dans les pratiques de formation, marquées parfois par une forme de rigidité. Cette formalité imposante de la part des enseignants apparaît liée à une expertise personnelle questionnée. Ainsi les discours des professionnels et des médiateurs des savoirs sont particulièrement contradictoires : lorsqu’ils s’expriment en tant qu’individus sociaux, ils emploient des arguments proches de ceux de leurs élèves pour qualifier la recherche d’information sur Internet ; mais lorsqu’ils adoptent le point de vue de professionnels de l’information-documentation, le discours est radicalement différent, empreint de méfiance et de termes péjoratifs envers l’outil de recherche numérique (Cordier, 2011).
Dans les organisations, des acteurs qui « font avec »
22Nous souhaitons à présent évoquer les cultures de l’information, non plus sous leurs formes et modalités de formation, mais plutôt au sein même de contextes d’activités professionnelles. En effet, en captant un ensemble d’actions dans les organisations, des composantes de la culture de l’information se révèlent. Nous avons retenu le milieu des entreprises appartenant au secteur de l’éco-construction, notamment parce que dans ces petites structures (de deux à trois salariés dans le meilleur des cas), la gestion des informations incombe aux architectes et éco-constructeurs sans s’appuyer sur des professionnels de l’information et des gestionnaires de la documentation. À travers une série d’enquêtes et d’observations de pratiques informationnelles en situation3, nous avons constaté qu’il n’y avait, chez ces professionnels, aucune forme de médiation humaine documentaire : l’information recherchée, sélectionnée, stockée, appropriée l’est par le biais des démarches et de la conviction du professionnel de l’éco-construction à considérer l’information comme essentielle à sa démarche professionnelle et prospective.
Un objectif de performativité
23Au sein de ces organisations, la culture de l’information se déploie, marquée par un souci d’efficacité et d’amélioration de la pratique professionnelle. Les architectes et professionnels interrogés considèrent que la performativité informationnelle repose principalement sur trois types de performance.
24La performance économique, d’abord, où les acteurs lient la question des pratiques d’information à celle de la recherche d’informations leur permettant d’optimiser et d’améliorer leur recherche de marchés et de clientèles afin de se développer et de trouver de nouvelles perspectives de développement économique. Réfléchir, organiser, structurer les pratiques d’information n’auraient de sens, à leurs dires, qu’à la condition que ceci ait une incidence directe sur l’amélioration de leur chiffre d’affaire, de la croissance du dividende, etc. notamment vis-à-vis de leurs concurrents locaux directs. Ensuite, la performance environnementale, dans le sens où leurs pratiques professionnelles d’information devraient leur permettre à terme de réduire les coûts en matière énergétique, en consommation de fongibles, en abonnements à l’information (fort prohibitifs), etc. Enfin, la performance sociale, dans le sens où le renforcement des pratiques informationnelles devrait les rapprocher davantage des autres entreprises, des collectivités publiques, permettant ainsi de charpenter des communautés de praticiens, des réseaux informels de formation professionnelle mutuelle, d’échanges sur les pratiques innovantes, etc.
L’adaptabilité aux environnements
25Les acteurs sont confrontés sans cesse à la question de l’adaptabilité de leurs pratiques informationnelles aux offres et règles de l’organisation à laquelle ils appartiennent, et à la prise en compte, lors de leur activité, des contraintes organisationnelles. C’est ainsi que dans la sphère scolaire, les adolescents témoignent de pratiques différenciées selon les contextes (scolaire, domicile) retenus, montrant par là une capacité à adapter celles-ci en fonction des règles d’usages fixées par l’organisation. Certains travaux vont jusqu’à évoquer les usages spécifiques à un supposé « Internet scolaire » et un autre, un « Internet personnel », plus ouvert, adapté aux centres d’intérêts et aux réseaux personnels de sociabilité (Dioni, 2008).
26A contrario, les pratiques des professionnels de l’architecture éco-constructive observés et interrogés révèlent qu’ils conçoivent leurs activités informationnelles à mi-chemin entre des activités professionnelles fortement normalisées (normes et règlements, volet technique, aspect financier) et des pratiques artistiques s’appuyant sur des activités de lecture, de butinage, dans des littératures variées (sociologie, urbanisme, écologie, design, littératures, actualités). Leur culture de l’information dès lors tend à rapprocher des usages de l’organisation avec les usages plus personnels, voire intimes. Nous ajouterons que l’acception du vocable « information » est extrêmement ouverte pour eux, considérant autant les documents et gisements d’édition numérique que les formes tacites de connaissance (recueil de données, croquis et esquisses, carnet personnel, etc.). L’enjeu, à leurs yeux, est de taille car la culture de l’information reviendrait à identifier les tendances sociales, consuméristes, politiques, afin d’intégrer celles-ci dans les offres et les conceptions de l’architecture contemporaine. Ce qui incite à considérer les cultures de l’information comme des démarches intellectuelles tournées vers le monde social, appelées à capter pour nourrir ses propres engagements professionnels, sociaux et citoyens.
27Au moment même où nous assistons à de fortes confusions entre les formes de cultures en jeu dans les sphères sociales, professionnelles, scolaires et personnelles, force est de constater que l’approche par la culture de l’information ne vient pas se substituer à la culture générale. En effet, la culture de l’information ne peut être envisagée comme une nouvelle forme de culture générale. Elle reste foncièrement adossée à la recherche et l’évaluation de l’information, s’ancre également sur les démarches d’appropriation et d’analyse des situations (politique, économique, historique) de l’information, tout en reposant sur la possession de connaissances et de compétences techniques. Dès lors, elle ne peut et ne doit se faire au détriment des éléments fondamentaux constituant la culture générale, mais vient compléter et enrichir celle-ci.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Références bibliographiques
Cordier, Anne, Imaginaires, représentations, pratiques formelles et non formelles de la recherche d’information sur Internet : le cas d’élèves de 6ème et de professeurs documentalistes, Thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication, sous la direction de Éric Delamotte et Vincent Liquète, Université de Lille 3, 2011.
Disponible sur : <http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/73/76/37/PDF/THESE_Volume_1.pdf>
Davenport, Thomas H., Information Ecology : Mastering the Information and Knowledge Environment, New York, Oxford University Press, 1997.
Deleuze, Gilles, L’abécédaire de Gilles Deleuze. Entretiens filmés par Claire Parnet, Paris, Éditions Montparnasse, 1995.
Dioni, Christine, Métier d’élève, métier d’enseignant à l’ère numérique, Paris, INRP, 2008. En ligne : <http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/25/95/63/PDF/rapportrecherche0208.pdf>
Eco, Umberto, Lector in fabula. Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris, Librairie Générale Française, 1985.
Forquin, Jean-Claude, École et culture. Le point de vue des sociologues britanniques, Bruxelles, De Boeck, Paris, Éditions universitaires, 1989.
10.5210/fm.v7i4.942 :Hargittai, Eszter, « Second-Level Digital Divide : Differences in People’s Online Skills », First Monday, volume 7, no 14, avril 2002.
Disponible sur : <http://ojs-prod-lib.cc.uic.edu/ojs/index.php/fm/article/view/942/864>
Juanals, Brigitte, La culture de l’information, du livre au numérique, Paris, Hermès science publications/Lavoisier, 2003.
La Borderie, René, Le métier d’élève, Paris, Hachette, 1999.
Morizio, Claude, Les technologies de l’information au CDI, Paris, Hachette Éducation, 1997.
10.14375/NP.9782710124634 :Perrenoud, Philippe, Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 2000 (4e édition).
Prensky, Marc, Teaching Digital Natives : Partnering for Real Learning, Thousand Oaks, Corwim, 2010.
Serres, Alexandre, Dans le labyrinthe : évaluer l’information sur Internet, Caen, C&F éditions, 2012.
Notes de bas de page
1 « Citoyens d’une société numérique : accès, littératie, médiations, pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion », Rapport du Conseil national du numérique, Octobre 2013. Disponible sur : <http://www.cnnumerique.fr/wp-content/uploads/2013/11/CNNum_Rapport-inclusion-num%C3%A9rique_nov2013.pdf>
2 Thomas Davenport définit la culture de l’information ainsi : « By information culture, I mean the pattern of behaviors and attitudes that express an organization’s orientation toward information. Information cultures can be open or closed, factually oriented or rumor-and intuition-based, internally or externally focused, controlling or empowering. A company’s information culture can also include organizational preferences for certain types of information channels or media – for example, face-to-face communication vs. telephone or teleconferencing » (Davenport, 1997, p. 84).
3 Recherche GCCPA (Gestion de la connaissance dans des contextes professionnels d’apprentissage) (2013-2016) financée par le Conseil régional d’Aquitaine. Site en ligne : <http://gccpa.espe-aquitaine.fr/>
Auteurs
Maître de conférences en SIC à l’Université de Rouen, elle est responsable du Master MEEF-PRODOC. Ses travaux personnels portent sur les pratiques informationnelles considérées dans leurs processus à la fois individuel et social de construction, de développement, et de reconfiguration, les imaginaires de l’activité de recherche d’information et des lieux d’information, ainsi que les modalités pédagogiques d’enseignement des objets liés à l’Information-Documentation.
Professeur en SIC à l’Université de Bordeaux, directeur adjoint de l’ESPE d’Aquitaine. Il est chercheur à l’IMS CNRS (UMR 5218), équipe Cognitique et Ingénierie Humaine. Il dirige l’axe 2 « Méthodologie et recueils des données » de l’ANR Translit sur les translittéracies informationnelles. Ses travaux de recherche portent sur les cultures de l’information et les littéracies informationnelles, l’accompagnement des connaissances en contextes professionnels et la durabilité des pratiques d’information et documentaires.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.