Le non-programme de format court : vers un nouveau paradigme communicationnel et ses enjeux théoriques
p. 101-117
Texte intégral
1La télévision produit de la répétition. Pour trouver et maintenir leur public, il est nécessaire que les programmes aient – entre autres – une périodicité régulière. Autre constat : dans l’économie de la chaîne, plus le format du programme est court [nous reviendrons infra sur la notion de format court], plus le nombre d’annonceurs potentiels encadrant le programme est important et plus la grille de la chaîne est rentabilisée. C’est ce second constat qui sert de point de départ pour nourrir une réflexion sur les caractéristiques des non-programmes1 télévisuels de format court diffusés actuellement.
2Sur quel substrat télévisuel se sont-ils construits ? Pourquoi sont-ils présents à certains créneaux de la journée ; quelles relations particulières entretiennent-ils avec la chaîne ? Quelles sont leurs visées, leurs stratégies discursives ? Qu’est ce qui prévaut dans ces programmes d’un nouveau « genre » : la diégétique, la visée discursive, le parrainage avec des annonceurs ? Faut-il y voir un rôle accru des annonceurs au point de se demander si c’est le programme qui est enrobé d’annonceurs ou si c’est l’annonceur qui est enrobé de programmes. La télévision aurait alors comme mission non plus seulement d’offrir à un public donné des programmes mais de vendre également des cibles de consommateurs aux publicitaires et aux annonceurs2.
3Telles sont les questions que nous aborderons tout au long de ce chapitre. Après quelques considérations liminaires (substrat télévisuel, format vs forme brève et stratégie discursive), nous aborderons le cœur de ce travail en tentant de définir le non-programme par rapport à la notion de genre et nous dégagerons les évolutions et les implications en termes d’appareillages théoriques.
Substrat télévisuel favorable
4Deux principales raisons ont favorisé, à nos yeux, l’émergence des programmes de format court à la télévision. La première relève d’un succès indiscutable de la série fictionnelle narrative comme genre télévisuel majeur3, qu’il s’agisse de la série de 45 mn (24 heures Chrono, Sex in the city, Nip/Tuck, Desesperate Housewives, Lost, Urgences, etc.), de 20 à 26 minutes (Plus belle la vie (France 3), Friends, etc.) et de 2 à 7 minutes (Les Deschiens (Canal+), Un gars, une fille (France 2), Caméra café (M6), Kaamelott (M6), Que du bonheur (TF1)). La diffusion de ces programmes sur plusieurs années a marqué une époque et a, en conséquence, constitué des lignes de force dans leur forme constitutive pour façonner d’autres programmes postérieurs faisant évoluer le genre notamment dans le format court, voire très court.
5La seconde relève d’une disposition du législateur visant à supprimer la publicité sur les chaînes publiques entre 20 heures et 6 heures (article 18 de la loi sur la réforme de l’audiovisuel promulguée le 5 janvier 2009) ; des stratégies de contournements pour les publicitaires doivent alors être inventées.
Entre format vs formes brèves et stratégies discursives particulières
6La notion de format recouvre de nombreuses acceptions et engage des usages différents selon le médium auquel ce format se rapporte.
7Au cinéma, le format peut désigner une dimension technique équivalant à la « durée du film », les conditions de production (film fabriqué de manière artisanale, documentaire autoproduit, produit sans l’aide des chaînes hertziennes) ou une lecture formelle et évaluative (absence de regard, sujets sur-traités, d’autres pas assez). Soulez considère que le format « permet de mettre en mots un certain type de lecture orientée par la connaissance et la reconnaissance des standards audio-visuels et idéologiques » (Soulez, 2009 : 256).
8À la télévision, Jost définit le format de la façon suivante :
« Qu’est-ce qu’un format ? Une liste de contraintes qui définissent un programme et assurent sa “substance” globalisable, au-delà des “accidents” locaux que sont les multiples variantes qu’il peut subir sans perdre son identité. Le format permet de décliner des “concepts” qui fonctionnent et traduisent les aspirations du public que nous venons d’évoquer. Ainsi, à partir de l’idée de l’observation quotidienne de quelques personnes enfermées dans un studio, plusieurs déclinaisons sont possibles : les candidats peuvent être inconnus et condamnés à l’exclusion jusqu’au dernier Big Brother, obligés de former un couple Loft story, choisis dans différents pays parmi le milieu étudiant Nice people ou répartis entre deux appartements Les colocataires. » (Jost, 2010 : 22)
9Dans la même lignée, Chambat-Houillon précise que :
« Le “concept” d’émission se distingue du format dont la fonction devient la mise en forme télévisuelle dudit “concept”. Le format est donc une modalité de représentation audiovisuelle du concept de l’émission. Il permet de fixer l’intelligible par un régime de visibilité […] Un concept peut donner naissance à plusieurs formats possibles qui engendreront ensuite plusieurs émissions : Star Académie, La Nouvelle Star, Pop Star ont tous en commun de suivre des jeunes chanteurs dans leur parcours jusqu’à leur réussite. Or, bien que ces émissions apparaissent comme très similaires en raison de leur proximité conceptuelle et quelque parenté thématique […], les formats retenus font qu’à l’arrivée le téléspectateur a bien affaire à des programmes perçus comme différents. » (Chambat-Houillon, 2009 : 244)
10Dans l’industrie du marketing des produits médiatiques, Martel, au travers d’une étude sur les produits culturels qui plaisent à tout le monde, constate que pour pénétrer un marché difficile, il faut passer par des coproductions avec des sociétés publiques locales. Si cette forme ne fonctionne pas, on privilégie la vente de formats (au pluriel) :
« Sous copyright, un format, c’est plus qu’une idée mais moins qu’un produit fini. En acquérant des droits, un producteur peut refaire la série, reprendre son intrigue, ses personnages, tout en ayant la liberté, bien encadrée dans le contrat, de l’adapter localement pour la rendre compatible aux valeurs locales, avec des acteurs nationaux et qui parlent la langue du pays. […] et ce qui est fascinant, c’est la mondialisation de ces formats et leur marché. » (Martel, 2010 : 272)
11À la notion de forme brève utilisée dans le titre de l’ouvrage mais ne mettant l’accent que sur la durée, nous privilégions ici la notion de format court, plus riche sémantiquement parce qu’elle implique la mise en image d’un concept à travers une forte contrainte temporelle.
12La télévision est un dispositif de médiation et, à ce titre, elle contraint la production discursive à la fois dans la médiation visuelle (nombre de caméras, types de plans, regard caméra, etc.) et dans la durée (90 secondes environ pour les programmes qui nous intéressent ici). Par exemple, les stratégies discursives mobilisées pour un format de vingt minutes ne sont pas les mêmes que pour un format de quelques minutes seulement. À nos yeux, deux stratégies surplombantes sont nécessairement présentes : celle qui exprime la précision/concision permettant à la fois d’entrer dans l’interaction et d’en identifier la teneur (évocation immédiate du contexte économique ou écologique du moment présent dans la mémoire collective, etc.) ; et celle qui exprime l’économie permettant de construire un message en peu de mots (procédés recourant à la construction infinitive volontairement injonctive, par exemple).
13Ces stratégies discursives surplombantes se construisent avec des sous-stratégies qui peuvent être du dire de faire, du dire pour faire, du dire pour informer, pour sensibiliser, pour vendre, etc.
Le non-programme : vers un nouveau genre télévisuel ?
14La notion de genre est problématique dans les sciences humaines. Depuis trente ans environ, le genre est tombé dans le domaine du discours. On a vu apparaître des réflexions sur la construction et ses critères de reconnaissances dans les études littéraires (Bakhtine, 1965 ; Schaeffer, 1989 ; Maingueneau, 1991 ; Bronckart, 1996 ; Adam, 1997, etc.). En dehors des études littéraires, mais s’inspirant fortement de ces critères de reconnaissance et/ou de la méthodologie, le genre est également abordé dès lors que l’on travaille sur les médias (Metz, 1990 ; Charaudeau, 1997 ; Jost, 1997 ; Von Munchow, 2004, etc.).
15Pour commencer, nous définirons le genre comme un système de normes et/ou de critères qui rassemblent plusieurs programmes entre la production et la réception-interprétation4. De façon à caractériser ce genre, nous extrairons les deux variables les plus saillantes de ces émissions : la durée (90 secondes environ) et la visée pragmatique (assurer un service, jouer, se cultiver, générer, susciter une attente, informer, conseiller, sensibiliser, etc.), ce qui nous amène à la typologie située ci-après (cf. tableau no 1).
16Parmi les programmes qui figurent dans cet inventaire, nous nous centrerons sur ceux qui visent à informer, conseiller, sensibiliser (cf. tableau no 2 ci-après) et porteront la désignation de non-programmes. Cette désignation s’opère principalement par le caractère feint/non feint de la visée pragmatique. En effet, on constate que ces non-programmes sont également associés à des annonceurs ; derrière le désir d’informer ou de conseiller, il y a avant toute chose le désir de parler d’un annonceur ou d’une marque8. Pour les autres programmes (visant à assurer un service, jouer, se cultiver ou à susciter une attente), la promesse annoncée est bien celle qui est présente dans le programme : Info trafic (TF1, France 2, France 3) renseigne sur l’état de la circulation à un moment et un lieu donnés ; les bandes annonces suscitent une attente bienveillante pour inciter les téléspectateurs à se rendre dans les salles obscures ; D’Art, d’art (France 2) est une lucarne permettant de faire le point sur l’histoire d’une œuvre d’art, etc.
Esquisse de caractéristiques à travers l’exemple de quelques non-programmes
17Ils sont principalement diffusés sur les chaînes hertziennes (cf. tableau no 3 ci-après) avant ou après les journaux télévisés de la mi-journée (13 h-13 h 30) ou du début de soirée (20 h-20 h 35), c’est-à-dire aux heures de grande écoute. Par ailleurs, la durée varie selon le moment de diffusion : par exemple, Soyons claire (France 2) a une durée d’une minute quand il est diffusé à 13 h 30 et de cinq minutes quand il est diffusé à 12 h 45.
18Ces non-programmes sont également entourés par un annonceur. L’enchaînement narratif respecte le schéma suivant : annonceur qui s’associe au programme + générique de début + narration avec des formes diégétiques peu variées + générique de fin + annonceur qui remercie le téléspectateur.
19Notons également que ces non-programmes ne sont pas annoncés dans la plupart des programmes de télévision : on ne les regarde que si l’on tombe dessus, au hasard du zapping. Le caractère itératif de certains d’entre eux (Les gestes qui rassurent, Du côté de chez vous) sur une durée assez longue crée néanmoins un rendez-vous, ce qui participe à faire évoluer la réception non-intentionnelle en réception intentionnelle.
20Notons enfin que ces non-programmes sont peu présents sur Canal+ et sur Arte/France 5, le discours de la chaîne9 n’y étant pas de prime abord commercial.
Champ d’intervention | Informer, conseiller, sensibiliser faire découvrir |
Économie | La minute de l’économie (M6) |
Écologie | C’est ma terre (TF1) |
Secteurs professionnels en crise : la gastronomie | Petits plats en équilibre (TF1) |
Des secteurs professionnels en expansion | La minute épique (France 3), |
Aménagement de la maison et décoration | Du côté de chez vous (TF1) |
Sécurité | Les gestes qui rassurent (M6) |
Professions médicales/paramédicales | C’est pas du bidon (M6) |
Mode | Leçon de style (TF1) |
Aspects pratiques de la vie quotidienne | Soyons claire (France 2) |
Témoignages | Un jour une histoire (M6) |
21Nous prendrons appui sur cinq émissions, C’est ma terre (TF1), Les gestes qui rassurent (France 2), Émission de solutions (France 2), Du côté de chez vous (TF1), et La minute de l’économie (M6), pour alimenter la réflexion sur ce non-programme télévisuel. Nous retenons volontairement les émissions (chacune d’elle sera présentée ci-après) renvoyant en creux à une utilité publique.
C’est ma terre10
22Un premier plan présente une skipper qui se déplace sur un voilier dans un port de plaisance et qui fait mine de se diriger vers la caméra. Alors qu’une voix off évoque l’annonceur Renault et ses véhicules électriques Renault ZE, le logo de TF1 est présent à l’écran sur un fond musical de R & B avec les paroles suivantes : « C’est ma Terre où je m’assoie, qu’on y touche pas ! ». Ce programme met à l’honneur des installations collectives visant à faire des économies d’énergie, à diminuer l’émission de CO² ou à recycler. Dans la partie droite en bas de l’écran, une Terre omniprésente tout au long du programme apparaît en tournant sur elle-même. La construction narrative est traitée de manière identique quelle que soit la thématique abordée. Des plans en extérieur alternent avec des plans en intérieur. Ainsi, deux fragments d’interview avec une personne faisant autorité dans la mise en place d’une de ces mesures pour préserver la planète alternent avec deux plans commentés par une voix off féminine11.
23La fin du programme est annoncée par cette même voix off avec « Un geste de plus pour sauver la planète » présentant simultanément une incrustation sur écran avec le gain chiffré participant à préserver la planète.
24Le générique de fin reprend la même bande son que le générique du début. Un écran sur la société P. Prod. qui réalise ce programme précède le déplacement de la skipper sur le voilier. Vient ensuite le plan final sur un écran montrant la planète Terre sur fond bleu avec une incrustation en blanc, « c’est ma Terre ».
Les gestes qui rassurent12
25Le programme Les gestes qui rassurent est parrainé et produit par les assurances AXA SANTÉ et vise à informer les téléspectateurs sur les premiers réflexes à avoir, en cas de morsure d’un chien par exemple. Le discours est volontairement procédural pour que les premiers gestes soient efficaces et que le rôle de conseil de cette marque d’assurance soit renforcé.
26Le générique de début comprend l’habillage de la chaîne France 2, suivi de celui de l’annonceur dont la médiation visuelle se compose d’une page blanche, au centre de laquelle se trouvent le logo, le nom de l’annonceur AXA SANTÉ et le slogan de l’émission. La médiation verbale de l’annonceur se compose d’une musique et d’une voix off disant : « Découvrez Les gestes qui rassurent avec Axa Santé ».
27La médiation visuelle présente un premier plan en images de synthèse mobiles, avec un cœur à l’intérieur duquel apparaît le nom du programme, « Les gestes qui rassurent ». À un plan large puis serré sur un quinquagénaire qui raconte son témoignage malheureux (il s’est fait mordre par le chien de son voisin en attendant l’ascenseur), succède une voix off informant sur des données statistiques se rapportant à ce type d’accident. Un écran blanc avec des données chiffrées en plan fixe renforce le message verbal de cette voix off.
28Ensuite, le plan général puis serré sur le médecin urgentiste permet de comprendre que la voix off est celle de la figure de l’expert, de celui qui va prodiguer les premiers gestes à accomplir en cas de morsures, à l’aide de schémas, avec un discours procédural. Il suffit de relever les tournures infinitives ayant une valeur injonctive : « immobiliser le membre », « désinfecter le bras », « allez consulter » et « amenez le carnet de vaccination de l’animal ». Un rappel didactique vient conclure le programme avec, à la fois, un plan sur le médecin urgentiste (souriant) et une inscription sur écran de la procédure avec les mêmes verbes/actions.
29Le programme se termine sur un autre plan en images de synthèse mobiles, avec un cœur à l’intérieur duquel apparaît à nouveau le nom du programme.
30Le générique de fin se compose de la même page blanche (avec le logo et l’annonceur AXA SANTÉ) tandis que l’on entend la même musique et une voix off disant : « C’étaient Les gestes qui rassurent, avec Axa Santé ».
Émission de solutions – Roulons pour l’avenir13 (France 2)
31Le programme Émission de solutions – Roulons pour l’avenir est parrainé par la Macif. Le générique présente, en plan rapproché, l’œil d’une femme dont la pupille représente la Terre. Un clignement d’œil permet de passer au contenu narratif. Comme pour le programme C’est ma terre, c’est sur le registre du témoignage que repose la narration de ce non-programme. Ici, il s’agit de Christian Puech, créateur d’une entreprise qui monte des chapiteaux en bambou ; il vante les avantages de ce végétal en tant que « cadeau de la nature », ultra léger et résistant en compression. Ce chef d’entreprise nous est présenté en tenue professionnelle, dans une forêt de bambous, en train de monter puis de démonter un chapiteau… avec du bambou en guise de support pour remplacer l’acier.
32Le générique est minimaliste. Ainsi, après un écran sur la société de production TIP/TOP, une voix off énonce : « C’était Émission de solutions avec la Macif ».
Du côté de chez vous14
33Le programme Du côté de chez vous est parrainé et produit par la chaîne de magasins Leroy Merlin. Il vise à informer le téléspectateur sur les différents arrangements intérieurs et extérieurs de l’habitat, rendus possibles par la marque à laquelle il est associé.
34Un seul point de vue est donné, celui d’une voix off féminine qui explique les choix de la construction d’une maison écologique avec un jardin en ville (bois de mélèze non traité [donc écologique], panneaux solaires et système de puits canadiens) et tous ses bienfaits. On découvre rapidement que la voix off est celle de la maîtresse de maison qui nous donne à connaître son habitat (et, par la même occasion, sa famille, ses deux enfants, son mari et son chat).
35Le générique de début présente le logo de la chaîne et celui de l’annonceur (quatre plans portant sur des personnages qui aménagent leur intérieur en images graphiques). La médiation visuelle du programme apparaît à travers une alternance de plans d’intérieurs (bureau, salon, cuisine, salle de bain, escalier, cuisine) et d’extérieurs (plan d’ensemble sur la maison, plan sur le toit pour montrer les fenêtres laissant passer la lumière, terrasses) et une alternance de plans fixes et d’autres non fixes (léger travelling, plan en contre-plongée). Le générique de fin, au travers de sa voix off féminine, ponctue le programme avec un slogan « Les envies prennent vie », le gimmick verbal, le logo et l’adresse du site de l’annonceur.
La minute de l’économie15 (M6)
36Le programme est parrainé par la chaîne M6 et par les assurances Gan. Après le jingle de la chaîne, des images de synthèse apparaissent sur une voix off qui donne le ton au téléspectateur : « Faites avancer vos projets en regardant La minute de l’économie avec Gan assureur pour les particuliers et les professionnels ».
37On devine que ce programme se situe dans le prolongement de Capital, programme économique phare de la chaîne, par sa thématique, sa similitude dans le générique (défilement des lettres et musique identiques) et son présentateur Guy Largarche qui débute le programme en annonçant que « les ampoules traditionnelles à incandescence seront supprimées en 2012. Que faut-il savoir pour maîtriser ce nouvel éclairage ? Réponse en une minute ». Après cette annonce, une voix off masculine présente d’une manière didactique la manière de remplacer une ampoule à filament16. La fin du programme se présente avec une page qui renseigne sur la société de production avant de retrouver, sur les images de synthèse, la voix off : « C’était La minute de l’économie avec Gan assureur pour les particuliers et les professionnels ».
Les caractéristiques les plus saillantes
38Six caractéristiques semblent nécessaires à nos yeux pour que la désignation non-programme soit valide : le fait que l’origine émane de la proposition d’un annonceur (et non d’un professionnel de flux par exemple), ce qui engendre un parrainage et une relation gagnant-gagnant (entre l’annonceur-programme et la chaîne). La visée discursive est volontairement ambiguë en recourant au témoignage avec une voix off. Après la diffusion à la télévision, le non-programme se prolonge sur Internet renvoyant à une sorte de nébuleuse ; il subit enfin une évolution dans la forme et dans le temps.
En amont du programme
39Ce type de non-programme n’est pas le résultat d’une demande de la chaîne, d’une proposition d’une société de production d’émissions ou de flux mais d’une marque pour que le non-programme serve au mieux ses intérêts en termes d’image et de notoriété sur un segment donné. Ces programmes informatifs, développés sur mesure pour servir les intérêts d’un annonceur, vont bien au-delà de la simple association d’une valeur à un programme, comme c’était le cas jusqu’à présent17. Ces annonceurs, qui génèrent de nouveaux financements et qui sont présents hors écrans publicitaires, ne sont donc pas perçus comme une communication marchande, ce qui les rend moins agressifs et plus mémorisables, installant ainsi la marque dans la réalité et le quotidien du téléspectateur.
Le parrainage dans la relation annonceur/programme
40Le non-programme sériel à visée informative est présenté par un ou des annonceurs (nom d’une marque et nom de la chaîne de télévision) en recourant visuellement au logotype et à une voix off pendant les génériques. Au cours du générique de début, la voix off verbalise le fait qu’elle associe son image à celle du programme ; au cours du générique de fin, elle remercie le téléspectateur d’avoir regardé le programme. Ce parrainage se poursuit ensuite sur le portail Internet du programme.
Une visée discursive volontairement ambigüe
41La visée discursive de ces programmes de format court se situe au carrefour d’un discours avec une dominante informative (dire pour faire), didactique (dire comment faire pour tirer des enseignements), explicative (dire comment faire) et, bien sûr, promotionnelle (dire pour faire vendre et/ou consommer). Contrairement aux écrans publicitaires clairement identifiés par le téléspectateur, on constate que, pour ce type de programme de format court, la visée promotionnelle sous-jacente n’est pas toujours perçue comme telle, ce qui évite le zapping et qui constitue une nouvelle forme de publicité.
Le registre du témoignage et le recours à la voix off
42La construction narrative repose sur un montage faisant alterner l’entretien avec un/le locuteur légitime (la parole de ce locuteur consiste par exemple à justifier du thème traité ou à exposer quels sont les gains à utiliser tel ou tel nouveau dispositif). Le registre du témoignage se centre sur l’expression d’un « je » évoquant une expérience de vie qui sert d’exemple ou de modèle possible. Et une voix off complète le discours par des données chiffrées (statistiques, croquis, etc.), explicatives, pédagogiques, etc.
Le renvoi à une nébuleuse
43C’est au cours du générique de fin que des phénomènes de renvoi s’opèrent comme si le programme se prolongeait sur internet. Le générique fait référence à un jeu concours permettant de gagner voyages ou produits de l’annonceur grâce à l’envoi de SMS ; il renvoie au portail rassemblant un ensemble de services ou de ressources susceptibles d’intéresser les internautes (contact, courrier électronique, forum, anciens épisodes, mise en exergue des épisodes les plus vus, les plus commentés, jeux, espaces de publication, moteurs de recherche, etc.) et met en lumière les bienfaits de l’annonceur.
44Notons également que l’URL du programme est volontairement descriptive avec une charge évocatrice importante ne faisant pas toujours apparaître de lien direct avec l’annonceur (www.roulonspourlavenir [la Macif], www.ducotedechezvous [Leroy Merlin], www.cestmaterre [Renault], www.laminutedeleconomie [Gan] et www.dungestealautre [Axa]).
Une évolution dans la forme et dans la durée
45Au fur et à mesure que des non-programmes apparaissent, d’autres disparaissent, d’autres encore évoluent. Cette évolution dans la forme et dans la durée se manifeste également dans la saisonnalité puisque leur présence à l’antenne varie de quinze jours à six mois18. Ils se multiplient et se calquent sur l’actualité sportive, les fêtes du calendrier (ainsi Moments de Bonheur a-t-il comme annonceur Interflora pour la fête des mères) ou sur les sorties cinéma (Il était une fois un rêve a accompagné le lancement de Peter Pan par Walt Disney).
Implications dans l’appareillage théorique et nouveaux enjeux
46Alors que la notion de série, telle qu’elle a été pensée par Blanchi et Chaniac (1989) ainsi que par Benassi (2000), est valide pour les programmes sériels de format court à visée ludique où il y a une diégétique (Kaamelott, Un gars une fille, Les Deschiens, Caméra café), elle est invalide pour les formats courts à visée informative puisque ce qui prévaut ne porte pas sur la manière dont l’histoire est racontée mais sur l’information pratique transmise et, en creux, de parler de l’annonceur. On constate alors un appauvrissement de la notion, au profit seulement de son caractère itératif.
47Les nouveaux programmes font également évoluer les notions de téléspectateur et de réception. Peut-on encore attendre du téléspectateur qu’il soit modèle (Eco, 1979)19 quand le programme n’est pas annoncé dans la presse spécialisée pour créer un rendez-vous, quand la relation programme-téléspectateur n’est plus narrative mais marchande sous couvert de transmettre des informations pratiques ? On note toutefois que l’ancienneté du programme (Du côté de chez vous par exemple) et la régularité dans le créneau horaire de diffusion ont modifié le statut de la réception : on est passé d’une réception non-intentionnelle à une réception intentionnelle au fil du temps.
48Ces aspects entraînent à réexaminer et à redéfinir la notion de publicité. Est-elle perçue comme telle ? La publicité ne constitue-t-elle pas un prétexte pour enrober un programme, ce qui donne une toute puissance à la première plaçant le programme au second plan ?
49Enfin, une voix off omniprésente implique de nouveaux enjeux. Outre le fait d’apporter des données chiffrées ayant une forte valeur argumentative, la voix off accompagne le témoignage du locuteur et fait le lien avec l’annonceur (c’est elle qui annonce le programme puis qui remercie le téléspectateur d’avoir regardé le programme avec le nom de l’annonceur).
Éléments de conclusion
50La désignation de non-programme pour les programmes télévisuels de format court à visée informative se justifie, à nos yeux, parce qu’il ne s’agit pas de programmes faits en amont puis vendus à une chaîne de télévision, mais de commandes, de programmes faits par l’annonceur pour remplir et rentabiliser la grille des programmes d’une chaîne. Le programme se décline alors en durée selon les besoins de la chaîne, à la manière du publi-reportage tel que Lehu le définit :
[Le Publi-reportage est] « un dossier ou article publicitaire rédigé de concert entre l’annonceur ou son agence de communication et le support dans lequel il est destiné à être inséré. Il utilise, en général, le format, la mise en page, la police et la taille des caractères du support, pour mieux se fondre dans le reste du rédactionnel. » (Lehu, 2004 : 664)
51La conséquence de ce modus operandi repose sur le fait que ce qui prévaut n’est plus le programme en lui-même, mais une fenêtre d’une minute environ pour évoquer les bienfaits d’un annonceur.
52Revenons également à la question du genre. Le non-programme est-il un genre ou un sous-genre ? Comment se construisent les non-programmes par rapport aux autres programmes de format court cités supra ?
53On postule que les émissions citées supra relèvent toutes du genre « programmes de forme brève », le non-programme étant par conséquent un sous-genre, au même titre que les programmes courts à visée culturelle (D’Art d’art), ludique, (le Loto ; le Tiercé), pratique (Conso-mag, Info-Trafic), etc. La différence par la visée nous semble pertinente parce qu’elle rejoint la promesse de la chaîne. Lorsqu’on regarde D’Art d’art, on s’attend à ce qu’on nous raconte l’histoire d’une œuvre d’art. En revanche, quand on regarde Du côté de chez vous, on est informé sur différentes manières d’aménager son logement certes, mais c’est avant tout un espace de communication publicitaire déguisé.
54Enfin, il est fort probable que le non-programme en tant que sous-genre évolue dans sa forme d’une façon encore plus marquée qu’elle ne l’est actuellement pour répondre aux demandes des publicitaires ou des annonceurs.
Bibliographie
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Ouvrages cités
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U. Eco, 1979, Lector in Fabula, Paris, Éditions Grasset et Fasquelle.
10.3406/reso.1997.2883 :F. Jost, 1997, « La promesse des genres », Réseaux no 81, Paris, Université Paris-Est : 13-31.
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G. Lochard et H. Boyer, 1995, Notre écran quotidien. Une radiographie du télévisuel, Paris, Dunod.
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P. Munchow (VON), 2004, Les journaux télévisés en France et en Allemagne : plaisir de voir ou devoir de s’informer, Paris, PSN hors collection.
F. Pugnière-Saavedra, 2007, Analyse descriptive des déclencheurs de l’humour à travers deux programmes télévisuels sériels de format court : « Les Deschiens » et « Caméra Café », thèse de doctorat, S. Moirand (dir.), Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle, 2 vol. : 662 p..
F. Pugnière-Saavedra, 2011, Le phénomène Deschiens à la télévision. De la genèse du programme sériel à la manifestation de l’humour, Paris, L’Harmattan.
J.-M. Schaeffer, 1989, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ? Paris, Le Seuil.
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M. Winckler, 2002, Les Miroirs de la vie. Histoire des séries américaines, Paris, Le Passage.
Revue et encyclopédie :
J.-M. Lehu, 2004, L’encyclopédie du marketing, Paris, Éditions d’Organisation.
Notes de bas de page
1 Nous ne donnerons pas de définition a priori du non-programme, elle s’élaborera au fil du chapitre.
2 Dans cette perspective, les propos malheureux de Patrick le Lay prennent tout leur sens : « Pour qu’un message soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » (11 juillet 2004)
3 Rappelons que la série en tant que genre télévisuel a fait l’objet de nombreuses études allant d’écrits destinés au grand public (Winckler, 2002 ; Boutet, 2009) aux écrits faisant autorité (Blanchi et Chaniac, 1989 ; Benassi, 2000), en passant par des écrits portant plus généralement sur les études télévisuelles (Jost et Leblanc, 1984 ; Charaudeau, 1997 ; Lochard et Boyer, 1995 ; Pugnière-Saavedra, 2007, 2011).
4 Nous préciserons cette définition au fil du texte.
5 Contrairement à tous les autres non-programmes de cette catégorie, La minute épique n’est pas diffusée avant ou après le journal télévisé de la mi-journée ou du 20 heures, elle est diffusée sur France 3 aux alentours de 22 h 30 avant le Soir 3.
6 Notons la déliaison de ce programme court qui était, il y a 10 ans, la dernière rubrique du journal télévisé.
7 Précisons que cet inventaire est le résultat d’une observation empirique depuis 18 mois environ sur les chaînes hertziennes. Nous avons tout à fait conscience du caractère non-exhaustif de ce corpus à partir duquel nous travaillons puisque, alors que certaines émissions voient le jour, d’autres disparaissent.
8 D’autres caractéristiques mineures seront abordées infra 3.2 et participeront à les distinguer des autres programmes de format court.
9 Canal+ est plutôt une chaîne pour les cinéphiles et les sportifs, France 5 (appartenant au groupe France Télévisions), une chaîne avec de nombreux reportages et Arte, une chaîne franco-allemande assez confidentielle.
10 http://cestmaterre.renault-eco2.com/#/CMaTerre_Episodes/. Date de dernière consultation : le 5 août 2011.
11 On obtient la structure suivante : générique de début, plan avec interview, plan avec voix off, plan avec interview, plan avec voix off, générique de fin.
12 http://www.dailymotion.com/video/xaf4jb_les-gestes-qui-rassurent-morsured_lifestyle. Date de dernière consultation : le 4 mai 2011.
13 http://www.roulonspourlavenir.com/emission_de_solution.php?id_vid=152. Date de dernière consultation : le 5 août 2011.
14 http://www.ducotedechezvous.com/mpng2-front/pre?zone=dcdcv&renderall=on&idLSPub=1228214418&videoid=~CH0Y9OK_syw. Date de dernière consultation : le 30 avril 2011.
15 http://www.youtube.com/watch?v=JbMEiVHxgp4. Date de dernière consultation : le 4 mai 2011.
16 « Les nouvelles normes basses consommation ne dépassent pas 28 watts. Fort heureusement, les fabricants indiquent sur l’emballage l’équivalence entre ancienne et nouvelle technologie avec des exemples à l’appui. Des nouvelles unités sont à intégrer : le Lumen désignant la qualité de lumière produite, le Kelvin, désignant la température de couleur, etc. Seulement les ampoules basse consommation sont plus chères à l’achat (+12 % par rapport à une ampoule ordinaire) mais assurent 85 % d’économie d’énergie. »
17 Rappelons-nous par exemple le programme narratif de format court Caméra café qui a été parrainé par Carte noire et par Vediorbis. On voit clairement le prolongement sémantique entre le café, l’agence d’interim et la mise en scène narrative des salariés qui passent par l’espace détente de l’entreprise pour faire une pause.
18 Certains sont cependant plus anciens comme Du côté de chez vous par exemple.
19 On transpose ici au lecteur modèle (qui se définit selon le type d’opérations interprétatives qu’il sera censé accomplir à un moment donné de la lecture [1979 : 69]) le téléspectateur modèle que l’on définira également par le type d’opérations interprétatives qu’il sera censé accomplir à un moment donné de la diffusion du programme.
Auteur
Université de Bretagne-Sud, PREFIcs
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