Chapitre 3. Empathie et narration : repenser la différence entre sciences naturelles et sciences humaines1
p. 253-279
Texte intégral
1Comme on le sait, la philosophie herméneutique (ou interprétativiste) des sciences sociales, a toujours soutenu une division méthodologique stricte entre sciences humaines et sociales, d’une part, et sciences naturelles, d’autre part. Ce dualisme méthodologique a été exprimé par Droysen dans des termes qui ont fait école, en affirmant que « la recherche historique ne cherche pas à expliquer, c’est-à-dire à déduire et à raisonner par inférence, mais à comprendre2 », et il en est de même dans la formule bien connue de Dilthey : « nous expliquons la nature, mais nous comprenons la vie de l’esprit3 ». Cependant, comprises de manière littérale et naïve, et qu’on connaisse réellement la philosophie des sciences et la philosophie des sciences sociales contemporaines ou pas, ces thèses ne paraissent pas plausibles. Elles semblent impliquer que les sciences naturelles visent toujours à tout « expliquer » mais jamais vraiment à rien « comprendre », tandis que les sciences humaines (et notamment l’histoire) chercheraient avec passion à tout comprendre, sans jamais prendre la peine de rien expliquer. Cependant, les historiens s’intéressent bel et bien à la question du pourquoi — comprise communément comme une recherche d’explications — par exemple : pourquoi la guerre civile a-t-elle eu lieu ? Pourquoi la Révolution française s’est-elle déclenchée ? Pourquoi G. W. Bush a-t-il déclaré la guerre à l’Irak ? etc. À l’inverse, les scientifiques paraissent également comprendre certaines choses, même s’ils ne comprennent pas tout. Par ailleurs, la philosophie des sciences et l’épistémologie ont commencé ces dernières années — ce qui constitue à mon sens un développement intéressant d’un point de vue philosophique — à traiter de la compréhension comme d’un objectif épistémique commun à tous les domaines d’investigation, sciences naturelles comprises4. Mais alors, si la philosophie des sciences contemporaine prétend que la compréhension peut constituer un but légitime pour les sciences naturelles, il semble qu’il faut réexaminer sérieusement la distinction traditionnelle entre compréhension et explication et se demander dans quelle mesure elle peut encore être employée pour distinguer de manière significative la méthodologie des sciences humaines et des sciences naturelles5.
2Comme je vais le soutenir dans ce chapitre, chercher une distinction méthodologique entre sciences humaines et sciences naturelles dans les termes des catégories générales de la compréhension et de l’explication est, en effet, une entreprise malheureuse. À mon sens, il ne fait pas de doute que les recherches en sciences humaines cherchent parfois tout autant que les sciences naturelles à obtenir des explications et une compréhension causale de leur objet. Mais je soutiendrai également que cette explication des actions humaines est, d’un point de vue épistémique, particulière, et doit être distinguée, dans la mesure où elle utilise le cadre théorique de la psychologie populaire (folk psychology)6 et doit donc être conçue comme une pratique explicative spécifique de ce qui est humain. Pour le dire autrement : tandis que les sciences naturelles adoptent une attitude explicative dans une perspective « détachée », autonome, les sciences humaines se constituent comme pratique explicative dans une perspective « engagée », c’est-à-dire dans une perspective qui dépend de manière étroite d’une capacité humaine que j’appelle la « reconstitution empathique [reenactive empathy] ». Si bien que je pense, en effet, que les sciences humaines — pour autant qu’elles restent attachées à l’explication des actions humaines individuelles dans le contexte de la psychologie populaire — peuvent être distinguées, d’un point de vue méthodologique, des sciences naturelles. Cependant, pour distinguer les sciences humaines des sciences naturelles, il faut employer bien plus de circonspection et de minutie que ne le fit traditionnellement la philosophie herméneutique.
3Dans la première partie du chapitre, je propose un aperçu historique plus développé de la manière dont Johann Gustav Droysen conçut initialement la distinction entre compréhension et explication puis j’examine son utilité philosophique dans la perspective de la philosophie des sciences contemporaine. Dans la seconde et la troisième partie, je défendrai de manière systématique ma conception de la perspective explicative, dans laquelle nous essayons de rendre compte des actions humaines, et je plaiderai ainsi pour la centralité épistémique de la reconstitution empathique dans la compréhension de la rationalité pratique des agents. Je comparerai plus particulièrement ma position à ce que je considère être la seule position alternative pour rendre compte de la spécificité épistémique des sciences humaines : la thèse selon laquelle la singularité des sciences humaines, et particulièrement l’histoire, serait due au rôle particulier qu’y joue la narration. En rappelant les débats autour de la narration menés dans le cadre de la philosophie de l’histoire et plus récemment dans le contexte de la théorie de l’esprit, je montrerai que le fait que notre appréhension des affaires humaines peut prendre une forme narrative ne fait en aucune manière disparaître le besoin d’empathie dans la compréhension de la rationalité pratique des agents. Plus encore, je soutiendrai que cette forme narrative ne suffit pas à établir une distinction épistémique significative entre les sciences humaines et les sciences naturelles.
Quelques perspectives historiques sur la distinction entre compréhension et explication
4L’herméneutique, comprise comme théorie de la compréhension et de l’interprétation, possède une histoire assez ancienne et particulière, liée notamment aux pratiques d’interprétation théologiques, juridiques et philologiques7. Dans ce contexte, la compréhension ne fut pas initialement considérée comme une capacité épistémique exclusivement associée aux sciences humaines. Au contraire, la réflexion sur la nature de la compréhension était envisagée comme une contribution à un organon général, qui devait articuler les formes et les normes fondamentales du raisonnement dans toutes les disciplines, y compris les sciences naturelles, dans la mesure où, en tant qu’entreprise collective, leur succès dépendait également d’une compréhension exacte des autres individus et de leurs écrits8. De même, il convient de ne pas oublier qu’aux commencements de la révolution scientifique, la science elle-même était considérée comme une pratique d’interprétation de l’un des livres divins (l’autre étant la Bible). Francis Bacon, par exemple, concevait sa méthode inductive comme une méthode d’interprétation. Dans cette perspective, la science permettait de lire le livre de la Nature parce qu’elle devait nous rendre capable de comprendre comment sa structure complexe est composée d’éléments finis, de même que nous comprenons les langues naturelles dans la mesure où nous saisissons la manière dont la signification des expressions complexes repose sur la signification de leurs éléments9. Ce n’est que lorsque l’historiographie commença à se considérer comme une discipline académique autonome, à l’instar des sciences naturelles, qu’on se mit à associer le terme de compréhension exclusivement aux sciences humaines. Pour mieux saisir le concept de compréhension, je propose ainsi de m’attarder un peu plus en détail sur la manière dont Droysen caractérise la compréhension dans son ouvrage Historik10.
5Pourquoi Droysen pense-t-il que l’histoire est tellement différente des sciences naturelles ? L’intuition fondamentale qui préside à sa distinction entre explication et compréhension est l’idée que les objets fondamentaux des investigations historiques sont les traces, les sources et les monuments qui attestent de l’activité humaine de différentes périodes. Ils ne sont pas des choses « inanimées », mais les expressions des pensées et des idées d’êtres humains, à qui nous pouvons nous rapporter comme au sujet de pensées similaires aux nôtres. Les saisir de manière appropriée comme des expressions d’une activité humaine spirituelle requiert donc une approche méthodologique très différente de celle qui préside à la découverte de la manière dont la nature inanimée fonctionne.
6En ce qui concerne la méthodologie, Droysen développe son intuition dans deux directions qui ne sont, du reste, pas toujours compatibles et qu’il ne distingua pas, malheureusement, avec une clarté suffisante. Dans un premier temps, il appréhende la compréhension de manière psychologique, comme une prise de perspective empathique, dans la mesure où nous comprenons les esprits des autres agents en nous imaginant adopter leur point de vue afin de comprendre pourquoi ils ont agi de telle ou telle manière. Jusqu’à un certain point, Droysen est bien conscient du fait qu’une telle conception psychologique de la compréhension — ce qu’il nomma encore, à la suite de Schleiermacher11, l’interprétation psychologique — n’est valable que pour comprendre certains aspects particuliers de l’agentivité (agency)12 humaine. En complément d’une telle interprétation psychologique, Droysen évoque donc également une interprétation pragmatique — l’interprétation du contexte et des idées —, qui est également nécessaire à la pleine compréhension des événements historiques. Droysen sait bien, en effet, que ces derniers ne peuvent être pleinement expliqués à la seule lumière de ce qui se passe dans l’esprit d’un individu, dans la mesure où des conséquences involontaires et l’action d’autres individus y jouent également un rôle important13. En définitive, un historien ne peut vraiment rendre compte des actions humaines qu’en les situant dans le contexte de structures sociales et éthiques de niveau supérieur, telles que sa famille, son voisinage, son peuple, son statut, sa langue, etc. En ce second sens, plus « compréhensif », la compréhension ne peut donc pas être caractérisée d’une manière psychologique. Au contraire, dans cette perspective, elle doit être conçue comme un acte cognitif qui facilite l’appréhension du sens d’un événement singulier en le replaçant dans le contexte de son rôle dans un ensemble plus large. On ne peut ainsi, par exemple saisir la signification historique de l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand à Sarajevo en 1914 que si l’on y voit l’amorce d’un événement historique d’échelle plus vaste, qu’on désigne communément du nom de Première Guerre mondiale.
7Certes, on doit admettre que Droysen, de même que le jeune Dilthey, tend tout de même à concevoir la compréhension essentiellement d’une manière psychologique et à saisir les faits et événements doués de sens comme une expression d’événements mentaux sousjacents. Pour rendre compte de cette tendance, le mieux est de se rappeler pourquoi Droysen et Dilthey estiment que la méthodologie historique est si radicalement différente de la méthodologie des sciences naturelles. Pour eux, les sciences naturelles procèdent en essayant de rendre compte des phénomènes naturels par l’analyse de la nature, et de ses phénomènes complexes, en éléments simples et en rapports réguliers entre ces éléments. Mais les sciences humaines, elles, doivent traiter de faits qui ont un sens. Or saisir le sens de faits ou d’événements isolés n’est possible que si on les recontextualise dans un ensemble plus large. Comprendre le sens d’une action nécessite ainsi de se placer dans un contexte social et historique plus général, de même qu’appréhender le sens d’un fait mental, reconnaître la signification d’une expression linguistique ou saisir le contenu d’une pensée, nécessitent de concevoir leur relation avec d’autres pensées, etc. Des faits dotés de sens, qu’ils soient mentaux ou pas, sont, comme on le dirait volontiers aujourd’hui, constitués de manière « holistique », dans la mesure où nous ne pouvons appréhender le sens des pensées d’une autre personne que dans leur relation avec d’autres pensées. Ce qui engage donc irréductiblement le chercheur dans la structure de ce qu’on appelle « le cercle herméneutique ». C’est pour cette raison que Droysen et le jeune Dilthey sont enclins à identifier la compréhension en général avec la compréhension de l’esprit d’autrui, précisément parce que notre appréhension du sens, dans le domaine de l’esprit, procède toujours déjà de manière holistique14.
8Je ne m’engagerai pas, pour ma part, dans la défense de cette identification malheureuse de deux aspects très différents du concept de compréhension, identification qui a du reste été clairement rejetée par l’herméneutique philosophique ultérieure. Comme on le sait, Gada mer15, par exemple, conçut la compréhension d’une manière entièrement non psychologique, en soulignant notamment le caractère holistique des faits dotés de sens16. En même temps, il convient d’insister sur le fait qu’il serait erroné et peu charitable, en dépit de quelques citations isolées et trompeuses, d’interpréter les textes de Droysen, tel qu’on le fit parfois, comme ayant suggéré que la compréhension est une identification directe et mystérieuse avec l’esprit de l’agent historique. En tant qu’historien, Droysen ne fut jamais aussi naïf d’un point de vue épistémique et il insistait au contraire sur le fait que la compréhension implique toujours une activité de critique et d’interprétation rigoureuse. À ce titre, ce à quoi Droysen s’employait, c’était bien à « une compréhension par les moyens de la recherche17 » plutôt qu’à une forme de connaissance intuitive.
9J’aimerais cependant faire remarquer que l’herméneutique philosophique, en s’attachant essentiellement, pour rendre compte de la compréhension, à la constitution holistique des faits dotés de sens, avance désormais en terrain miné si elle veut proposer, en termes de compréhension et d’explication, une distinction unique et suffisante entre les sciences humaines et les sciences naturelles. Une telle distinction pouvait bien faire sens dans le contexte d’une conception positiviste des sciences naturelles. Cependant, l’idée que la formation et la confirmation des théories scientifiques procèdent également d’une manière holistique vient précisément tout juste, semble-t-il, d’être acquise et communément admise dans la philosophie des sciences contemporaines. Il semble en effet aujourd’hui que la science elle-même soit une entreprise interprétative, bien que plus rigoureuse d’un point de vue mathématique18.
10Le fait que certains philosophes des sciences et, plus récemment encore, des épistémologues contemporains aient également redécouvert le concept de compréhension dans le cadre de leurs recherche, devrait nous inciter à cesser d’utiliser la distinction traditionnelle entre compréhension et explication pour déterminer une différence univoque entre sciences naturelles et sciences humaines. Il est intéressant à cet égard de noter qu’au temps du positivisme, les philosophes de la science tardèrent, dans l’ensemble, à concevoir les sciences naturelles comme une entreprise explicative. Tandis que des philosophes des sciences humaines comme Droysen et Dilthey, sans doute du fait de leurs scrupules métaphysiques, concevaient les sciences naturelles comme un discours ne proposant que des explications, les philosophes positivistes, eux, n’allaient pas jusque là. Néanmoins, étant donné leur postulat d’une unité de la science ainsi que, à partir du début du xx siècle, leur inclination au behaviorisme, ils n’étaient en réalité pas non plus ouverts à l’idée que la compréhension puisse jouer quelque rôle épistémique que ce soit dans une discipline scientifique et ils rejetaient ardemment l’idée que les sciences humaines et les sciences naturelles puissent être opposées d’un point de vue méthodologique19. Pour eux, la finalité d’une science, quelle qu’elle soit, était de fournir « des descriptions les plus synthétiques et économiques possibles20 » ainsi que des moyens de prédiction fiables21.
11Ce n’est qu’avec les écrits de Hempel — à partir notamment de son « The Function of general law in History » — et sa théorie déductive-nomologique de l’explication scientifique que les philosophes empiriques purent, sans craindre de retomber dans une quelconque métaphysique, concevoir la science comme une pratique explicative. Par là même, Hempel rétablissait l’explication comme un concept épistémique central pour concevoir la science, tandis qu’il dévalorisait le statut épistémique de la compréhension empathique22. Il considérait la compréhension plutôt comme une béquille heuristique dans le contexte de la découverte, mais il ne lui attribuait aucune valeur épistémique dans le contexte de la justification23. Dans les quelques rares passages où Hempel mentionne en effet une forme de compréhension scientifique24, il semble l’identifier à la possession d’une explication scientifique25.
12Suite au déclin du positivisme, et surtout, plus récemment et de manière plus décisive, au rejet de l’orthodoxie hempelienne dans la conception de la nature des explications scientifiques26, la philosophie des sciences a commencé à reconsidérer la valeur épistémique de la compréhension dans les pratiques scientifiques27. Le plus souvent, les philosophes des sciences contemporains considèrent la compréhension comme un bénéfice cognitif collatéral ou bien comme une capacité à trouver des explications scientifiques. Quand ils traitent du concept de compréhension, ils se concentrent surtout sur les aspects des théories scientifiques qu’ils peuvent invoquer pour proposer une alternative à la manière dont Hempel rend compte de l’explication scientifique (c’est-à-dire sur l’unification des théories et les mécanismes de causalité). Si on les suit, les explications scientifiques ne deviennent possibles qu’à la lumière des informations fournies, d’un côté, par des théories compréhensives du monde et, de l’autre, par la connaissance des mécanismes de causalité. Et l’explication d’un fait spécifique mène à sa compréhension dans la mesure où elle nous permet de l’ancrer « dans un schéma général des choses, c’est-à-dire dans une image scientifique du monde28. » La compréhension scientifique elle-même s’intègre ainsi, en une herméneutique vertueuse, comme une partie dans un tout et, en ce sens, elle peut à la fois expliquer ses applications et proposer une compréhension de sa propre existence.
13J’ai donc proposé, pour résumer cette longue histoire, un bref survol des concepts de compréhension et d’explication dans la philosophie des sciences humaines et des sciences naturelles, afin d’essayer d’établir que la distinction traditionnelle entre les concepts de compréhension et d’explication n’est pas adéquate pour déterminer une différence générale entre les divers domaines d’investigation scientifiques. En conséquence, si nous pouvons espérer maintenir une différenciation méthodologique entre les sciences humaines et les sciences sociales, nous devons à cette fin faire appel à d’autres concepts. Dans la deuxième partie, je traiterai donc, à la lumière des débats en philosophie de l’histoire et en philosophie de l’esprit, de ce que je considère constituer les deux seules solutions possibles : les concepts de narration et d’empathie. J’opterai pour ma part pour l’empathie et défendrai ma position à trois niveaux. Je proposerai tout d’abord un aperçu de ce que les défenseurs du concept de narration en philosophie de l’histoire ont à dire de « la narration comme instrument cognitif irremplaçable ». Je montrerai notamment que, même si on accepte ce dernier argument, la narration n’est pas un instrument qui appartient de manière exclusive au domaine des sciences humaines. Je présenterai ensuite synthétiquement les raisons pour lesquelles je pense que l’empathie est une capacité centrale, d’un point de vue épistémique, pour la compréhension des actions humaines. Enfin, dans la dernière partie, je défendrai ma thèse contre ce que, dans les débats contemporains autour de la théorie de l’esprit, on appelle la « critique narrativiste ».
L’empathie contre la narration : pourquoi l’empathie est un instrument cognitif irremplaçable pour comprendre la rationalité pratique
14Afin de clarifier mon propos d’emblée, je tiens à dire que, dans mon examen critique de la narration, je n’ai en aucune manière l’intention de débattre de la question de l’objectivité et de la véridicité de la narration. On sait que des réponses spécifiques à cette question opposent les « narrativistes » réalistes et les antiréalistes. À la différence des réalistes, les antiréalistes nient que le récit des affaires humaines puisse jamais décrire une réalité indépendante de sa narration. Pour eux, les récits sont « dits et non pas vécus29 ». Les antiréalistes peuvent donc être tentés de tracer une distinction fondamentale entre les sciences humaines, qui utilisent de manière centrale les structures narratives pour présenter leurs résultats, et les sciences de la nature, en suggérant notamment que seules les sciences naturelles peuvent être interprétées d’une manière réaliste30. Mais dans la mesure où je pense que la position antiréaliste, dans l’ensemble, manque d’arguments, je ne pense pas que cette manière de tracer une distinction entre sciences naturelles et sciences humaines puisse être couronnée de succès31. Je suis plus intéressé, en revanche, par la question de savoir si, indépendamment de la question de l’objectivité du récit, ce narrativisme propose ou implique bien un mode de compréhension épistémique exclusif. Louis Mink, notamment, a affirmé que la compréhension narrative est une « compréhension configurative », qu’il distingue de la modalité théorique de la compréhension qu’on observe le plus souvent dans les sciences naturelles32. Dans sa perspective, il paraît décisif que ce mode de compréhension permette de proposer une certaine appréhension de la nature d’un événement singulier (ou d’une entité spécifique) qui montre « en quoi il appartient à une configuration particulière d’événements, comme la pièce d’un puzzle33 ».
15À ce niveau d’abstraction, son explication de la manière dont le récit fournit un instrument cognitif privilégié et exclusif ne paraît pas très différente de celle que l’herméneutique propose pour la compréhension. Or, dans la partie précédente, j’ai précisément soutenu que cette position, et son insistance sur la constitution holistique des faits dotés de sens, est insuffisante pour éclairer la distinction entre les sciences naturelles et les sciences humaines.
16Si bien qu’on est en droit d’exiger une conception plus précise de la nature de la narration, du moins si l’on veut absolument recourir à ce concept pour saisir la spécificité épistémique des sciences humaines. Un récit ne fait pas, en effet, que situer une entité singulière dans un tout de niveau supérieur, mais généralement il le fait d’une manière bien spécifique. Une narration propose certes un compte rendu d’un événement ou d’un fait, mais en le rapportant à une séquence particulière d’événements que le narrateur considère particulièrement significatifs pour la finalité du récit. Plus précisément, la narration installe une séquence particulière d’événements, qui comportent un début, un milieu et une fin, pour reprendre l’analyse d’Aristote dans la Poétique. On considère par exemple que l’histoire du IIIe Reich commence avec la nomination d’Hitler au poste de chancelier et se clôt avec la capitulation allemande en 1945. Le début de la Seconde Guerre mondiale, en 1939, est habituellement considéré comme le milieu de cette épouvantable narration. Le récit cependant, ne désigne pas des événements particuliers en tant qu’ils sont subsumables sous les catégories formelles de début, de milieu et de fin, mais ils sont plutôt considérés en tant qu’ils ont joué un certain rôle dans la manière dont le récit est construit ou énoncé. Le récit assigne ces rôles en expliquant la manière précise dont ces divers éléments de l’histoire entretiennent des relations de causalité les uns aux autres, de telle manière que le lecteur puisse saisir comment l’épilogue d’une histoire est relié à son prologue. On comprend mieux ce qu’est un récit si on pose qu’il présente une « vue d’ensemble » ou un panorama d’un processus historique particulier — ce qu’indique le titre d’ouvrages tels que The Rise and Fall of the Third Reich34 —, ainsi qu’une « perspective interne » qui s’attache à montrer la causalité qui relie les divers événements mentionnés dans l’histoire35. C’est la perspective générale ou la vue d’ensemble qui conduit l’auteur de la narration à décider quels événements sont significatifs et doivent être mentionnés, et comment il doit les décrire. Cependant, un récit est encore autre chose et plus qu’une série d’événements mis en ordre chronologique. Il doit aussi indiquer en quoi ces divers événements sont cohérents, et lesquels des événements antérieurs « conduisent » aux événements ultérieurs, jusqu’à faire culminer la série dans le dénouement de l’histoire. À l’instar de Noël Carroll36, je suis enclin à penser que, pour proposer le récit détaillé de ces réseaux d’événements, l’auteur ne fait que s’appuyer implicitement sur notre compréhension commune et sur la compréhension scientifique de ce que sont la causalité ainsi que les mécanismes et les facteurs déterminants de la causalité en général37.
17Le mode de compréhension et de présentation narratif est indéniablement central dans notre compréhension des agents et des personnes et aussi dans la réponse à des questions qui nous concernent nous-mêmes, comme par exemple, comment ou pourquoi moi (Karsten Stueber) j’en suis venu à enseigner aux États-Unis, etc. Cependant, dans le contexte de ce chapitre, nous devons nous centrer sur la question de savoir si, bien qu’il soit avéré qu’il est en effet propre aux êtres humains de raconter leur propre histoire à la première personne38, cette forme narrative relève vraiment de manière exclusive du domaine des sciences humaines. Il ne fait pas de doute qu’elle est rarement employée en physique ou en chimie. Cependant, la forme narrative de compréhension semble parfois se déployer dans des sciences comme la biologie évolutionniste, la géologie ou même l’astronomie et la cosmologie, toutes sciences qui cherchent à rendre compte de séquences d’événements diachroniques de large échelle. Si vous demandez à un géologue pourquoi le cap Cod au Massachusetts (ou encore son équivalent géologique en Allemagne, l’île de Sylt, en mer du Nord) a de si belles plages, il ou elle vous narrera un récit géologique passionnant au sujet de l’âge des glaces et de ses conséquences qui expliquent bien, sur un mode narratif, pourquoi les plages du cap Cod sont si belles. C’est une des raisons pour lesquelles le fait que les récits prévalent en effet dans les sciences historiques et les sciences humaines ne peut en aucun cas être invoqué pour tracer une distinction nette et significative entre les sciences naturelles et les sciences humaines.
18Au contraire, je suggère que les sciences humaines ne sont pas singulières uniquement parce qu’elles reposent sur un mode de compréhension ou de présentation de type narratif. Je pense au contraire que leur singularité tient au fait que, dans leurs récits, les sciences humaines ont affaire essentiellement à des agents rationnels qui ont certaines raisons d’agir. Les sciences humaines sont épistémiquement irréductibles dans la mesure où elles doivent s’appuyer sur le répertoire conceptuel de la psychologie populaire afin de saisir les raisons que les individus ont eues d’agir comme ils l’ont fait. Plus encore, dans le contexte de la psychologie populaire, les raisons d’un agent ne peuvent être appréhendées qu’au moyen de ce que j’ai appelé la reconstitution empathique [reenactive empathy]. Dans cette perspective, les sciences humaines ne sont pas singulières parce qu’elles inscrivent dans leur récit des séquences d’événements à partir de ce que j’ai désigné sous le terme de « vue d’ensemble ». Mais elles sont singulières dans la mesure où — pour tisser, à partir de cette vue d’ensemble, une trame causale entre des événements qui impliquent des actions humaines — leurs récits s’appuient implicitement sur nos conceptions, qui relèvent de la psychologie populaire, de ce qu’est un individu qui agit pour certaines raisons.
19Les agents rationnels ne peuvent pas être considérés seulement comme des créatures qui agissent parce que quelque chose se passe en eux. C’est pourquoi on distingue un comportement (l’éternuement par exemple) d’une action. Tandis que l’éternuement est sans doute causé par quelque chose qui se passe en moi, sa cause ne constitue pas une raison d’éternuer, à la différence d’états mentaux comme les croyances ou les désirs. En fait, nous n’employons pas non plus les notions de la psychologie populaire pour rendre compte des simples causes mentales internes, qui peuvent tout aussi bien être activer leur efficace causale en dehors du domaine de l’attention consciente, sans que la conscience y ait accès39. Nous recourons à des états mentaux relevant de la psychologie populaire comme les croyances ou les désirs précisément pour exprimer ces aspects de notre propre vie mentale et de celle des autres qui constituent des raisons d’agir. Dans cette perspective, des agents pleinement rationnels doivent être considérés comme doués de réflexivité et, en quelque sorte, conscients d’eux-mêmes comme d’agents, de telle manière qu’ils sont capables expliquer leurs propres actions au moyen de raisons d’agir. Ainsi, ils agissent parce qu’ils comprennent leurs propres désirs ainsi que certaines situations du monde comme des raisons d’agir, c’est-à-dire comme des choses qui leur permettent de se réapproprier leur propre comportement dans la mesure où elles rendent leurs actions intelligibles et appropriées de leur point de vue. Mais de tels agents doivent posséder alors plus qu’une simple conscience minimale des désirs qu’ils cherchent à réaliser. Reconnaître que j’ai certains désirs et que j’agis en conséquence ne suffit pas à faire de ces désirs mes propres raisons d’agir. Le kleptomane compulsif peut bien avoir connaissance de son désir de voler et le considérer comme la cause de son comportement. Mais en même temps, ses actions ne sont pas intelligibles à ses propres yeux à la seule lumière de ses désirs, comme quelque chose qu’il voudrait vraiment faire. Si c’était là tout ce que nous pouvions dire au sujet de nos actions (à savoir que quelque désir ou état interne nous a conduit à agir ainsi), nous ne serions pas des agents, mais plutôt des enfants immatures, agissant de manière gratuite, à la dérive dans la vie comme le serait un autostoppeur sur une route qui ne mènerait nulle part, et qui monterait dans toute voiture voulant bien s’arrêter, sans se soucier de connaître sa destination.
20Pour être un agent pleinement rationnel, il ne suffit pas d’être seulement conscient de ses propres désirs, il faut aussi dire et être capable de dire quelque chose à l’appui de ses désirs, notamment s’ils sont ceux que nous cherchons actuellement à réaliser. Un agent, au sens plein du terme, n’a pas seulement des désirs, mais adopte également certaines attitudes à l’égard de ses désirs, ou possède du moins la capacité de le faire. Harry Frankfurt caractérise ces attitudes significatives à l’égard de ses propres désirs comme des volitions de second ordre, c’est-à-dire des désirs de second ordre au regard desquels les désirs de premier ordre sont censés déterminés la volonté d’agir40. Cependant, insister sur de telles attitudes de second ordre à l’égard des désirs spécifiques du premier ordre ne suffit pas à répondre à la question de savoir comment il se fait que j’ai agi sur l’un de ses désirs plutôt que sur un autre ou bien pourquoi j’ai identifié tel désir, plutôt que tel autre, à ma raison d’agir. En dernière instance, la réponse à de telles questions doit se fonder dans ce que Anscombe nomme les « caractères de désirabilité [characters of desirability]41 » des objets de nos désirs, c’est-à-dire, par exemple, l’estimation de la compatibilité de leur satisfaction avec d’autres désirs qu’on aimerait pouvoir également satisfaire, ou encore avec nos plans à long terme, nos croyances au sujet du monde, nos engagements éthiques et moraux, etc. C’est à la lumière de ces considérations que nos actions deviennent intelligibles à nos propres yeux et que nos propres croyances et désirs peuvent être pleinement compris comme des raisons d’agir. Ce sont elles qui nous permettent de nous approprier nos actions, en les rendant compatibles avec la vision plus large et compréhensive que nous avons de nous-mêmes42.
21L’agentivité rationnelle, du reste, n’apparaît que dans des contextes très particuliers. Pour pouvoir agir de manière appropriée, l’agent doit avoir au moins la capacité de déterminer lesquelles des nombreuses pensées et règles dans lesquelles il se trouve engagé sont pertinentes dans une situation particulière. Certes, comme la persistance du problème du cadre [frame-problem]43 dans les sciences cognitives le suggère, il est tout à fait improbable que les agents possèdent eux-mêmes une telle théorie générale de la manière de répondre à des situations spécifiques. Plus encore, une telle théorie devrait également rendre compte en termes généraux de la manière dont nous décidons lesquelles de nos diverses pensées et normes sont pertinentes dans tel ou tel contexte. Pour pouvoir appliquer une telle théorie, il nous faudrait en outre être capable de décider quelle partie de la théorie est pertinente dans tel contexte spécifique44…
22Il faut remarquer encore autre chose : les critères normatifs auxquels les agents tiennent ont tendance à être formulés de manière très générale. Comme Aristote et Wittgenstein, notamment, y ont insisté, il n’est pas plausible de soutenir que nous pouvons alors recourir à une théorie générale énonçant comment appliquer les règles générales à des cas particuliers, puisque, précisément, une telle théorie ne pourrait être formulée qu’à un niveau général. Si bien qu’il revient en réalité à l’agent, et à ses schémas pratiques (à sa phronesis, au sens d’Aristote), de saisir les traits saillants de la situation dans laquelle il se trouve, afin de pouvoir répondre de manière rationnelle aux exigences de la situation, et ceci à la lumière des diverses valeurs auxquelles il peut être par ailleurs attaché. Ainsi, si la propreté est certainement une vertu, elle peut aussi, dans certains contextes, être considérée comme une obsession. Il en va de même pour la politesse : ce n’est pas parce qu’elle est normalement une vertu admirable qu’on peut pour autant laisser une autre personne tirer un avantage injuste de sa propre obligeance. Comme Aristote l’exprimerait : être un agent rationnel requiert de trouver le juste moyen dans un contexte spécifique. C’est précisément pourquoi il est tout à fait improbable que chacun de nous possède de manière implicite une théorie qui lui permette de comprendre de quelle manière les pensées et désirs des autres, ainsi que leur attachement à certaines valeurs et règles générales, jouent le rôle de raisons d’agir dans un contexte donné. Notre seul recours, en l’occurrence, est d’activer ce que j’appelle notre capacité de reconstitution empathique [reenactive empathy] : nous considérons l’action d’autrui comme une action rationnellement guidée parce que nous pouvons appréhender ses pensées comme des raisons d’agir, en nous mettant à sa place, en imaginant la situation à laquelle il est confronté et en reconstituant ses processus de pensées dans notre propre esprit. Ce geste ne concerne pas seulement, du reste, les pensées et les désirs, mais aussi la sélection de celui de nos nombreux désirs qu’il est pertinent d’essayer de réaliser, et auquel on peut le mieux s’identifier au regard de nos valeurs et de désirs à plus terme, etc. Étant donnée la centralité épistémique de la reconstitution empathique dans la compréhension psychologique quotidienne [folk psychological understanding] des autres agents, je considère donc également la pratique explicative des sciences humaines, qui utilise le répertoire de la psychologie populaire pour expliquer les actions rationnelles, comme singulière et suffisante d’un point de vue épistémique. Si bien que les sciences humaines et les sciences naturelles ne doivent plus être distinguées strictement au moyen des concepts de compréhension et d’explication. On rend mieux compte de ces deux pratiques scientifiques en les considérant comme des pratiques explicatives visant à fournir une compréhension d’états de choses complexes. Cependant, elles peuvent être distinguées dans la mesure où seules les sciences humaines accordent un rôle épistémique central à la reconstitution empathique dans cette recherche d’une explication compréhensive.
La reconstitution empathique et sa critique narrativiste dans les controverses contemporaines en théorie de l’esprit
23Je propose de conclure ce chapitre en traitant brièvement d’une objection à la thèse que je viens de présenter — et de la défendre concernant la singularité des sciences humaines —, récusation qui émerge des développements récents de ce qu’on appelle la théorie de l’esprit [ theory of mind debates], et des controverses pour savoir quelle est la meilleure façon de comprendre la cognition sociale45. C’est évidemment important pour moi, dans la mesure où je considère la reconstitution empathique comme une forme de simulation au niveau personnel46. Ceux qu’on appelle les « narrativistes », tels que Shaun Gallagher ou Daniel Hutto, soutiennent en effet que les positions orthodoxes dans le débat en théorie de l’esprit, c’est-à-dire « la théorie de la théorie » et « la théorie de la simulation », déforment totalement la manière réelle dont nous comprenons les autres personnes et nous rapportons à elles dans le domaine social.
24Cependant, avant d’examiner directement leurs arguments, il me semble important d’insister sur un aspect central de la théorie de la simulation. En rejetant la position de la théorie de la théorie, les théoriciens de la simulation ont essentiellement défendu l’idée que notre compréhension psychologique quotidienne des autres agents implique de manière centrale une procédure de simulation. Mais ils ne soutiennent en aucun cas que la compréhension d’autrui requiert exclusivement la simulation et qu’elle n’implique aucune autre connaissance ou information de type propositionnel47. Ils s’emploient cependant à défendre l’idée que si une telle information est requise, elle ne rend pas la simulation superflue pour comprendre les autres esprits. Plus précisément, les théoriciens de la simulation affirment que la simulation, de manière schématique, s’effectue en trois étapes. Tout d’abord, première étape, nous devons adopter la perspective d’autrui (son regard spécifique sur le monde) en alimentant notre propre système cognitif avec des croyances, des désirs, des attachements, etc. simulés. Ensuite, deuxième étape, nous simulons en imagination la manière dont nous réfléchirions, délibérerions, et déciderions si nous possédions de tels désirs et croyances, etc. tout en nous assurant que nous mettons bien entre parenthèses celles de nos propres pensées que nous savons ne pas être partagées par la cible de notre procédure de simulation. Enfin, troisième et dernière étape, nous nous détachons d’une telle simulation (imaginative) et nous employons la connaissance obtenue dans la deuxième étape pour décrire et expliquer le comportement d’autrui, dans les termes de la psychologie populaire48.
25C’est pourquoi les théoriciens de la simulation n’ont pas besoin de nier que nous avons également besoin d’informations propositionnelles, voire même théoriques, supplémentaires au sujet des différences pertinentes entre l’agent et la cible de la compréhension, précisément afin d’amorcer la simulation et d’appréhender leurs raisons d’agir. Mais cette information n’intervient qu’à la première étape. Les théoriciens de la simulation sont bien connus pour avoir soutenu qu’indépendamment des informations en effet requises à la première (et éventuellement à la troisième) étape, nous ne pouvons saisir ce qui se passe dans l’esprit d’une autre personne sans simuler en imagination ses processus de pensée (deuxième étape). J’ai pour ma part affirmé qu’une des fonctions de la narration historique est précisément de nous fournir les informations et l’arrière-plan requis pour saisir les différences significatives entre les environnements sociaux, culturels et historiques de l’interprète et de celui qu’il essaie de comprendre, justement en resituant ce dernier dans son contexte social spécifique49. Par la même, ils nous permettent d’effectuer des conjectures éclairées sur la manière dont tel agent singulier envisageait sa propre situation. De cette manière, les récits nous permettent de comprendre comment les différents événements impliquant des agents rationnels sont causalement reliés, dans la mesure où ils nous rendent capables d’adopter la perspective adéquate à partir de laquelle nous pourrons simuler en imagination et reconstituer les processus de pensée des autres agents, et donc saisir leurs raisons d’agir50.
26Une autre avertissement doit être ajouté : le terme de « narrativisme », dans le contexte de la théorie de l’esprit, est en réalité trompeur. Le « narrativisme » doit être compris comme une position générale qui insiste sur un défaut présumé dans les théories dominantes de la cognition sociale plutôt que comme une position théorique spécifique, dont la portée critique se fonderait dans une analyse approfondie de la structure de la narration et de la compréhension narrative. C’est dans cette première perspective qu’il faut comprendre le fait que les narrativistes mettent en relief, à titre de source principale de la cognition sociale, la perspective en seconde personne et qu’ils s’opposent à l’insistance sur les perspectives en première et en troisième personnes qu’ils attribuent respectivement à la théorie de la simulation et à la théorie de la théorie51.
27Il en va de même de la critique que propose Shaun Gallagher de la théorie de la simulation, comprise comme une explication de nos capacités avancées de cognition sociale. Sa critique doit être considérée comme une version de la critique herméneutique de la conception psychologique de la compréhension ainsi que de l’identification des concepts de compréhension et d’empathie. S’inspirant de Heidegger et de Gadamer, il exprime clairement, dans le contexte philosophique contemporain, la thèse selon laquelle la compréhension d’autrui ne peut pas être conçue essentiellement comme une compréhension de leurs contenus mentaux. Comme la plupart des penseurs de l’herméneutique au xxe siècle, Gallagher considère notre compréhension de la signification et du sens d’actions et d’événements singuliers comme une capacité à reconnaître leur rôle dans un contexte culturel et social plus large. C’est pourquoi il soutient que les explications en termes d’états mentaux effectués par la psychologie populaire sont des exceptions à la règle, et n’apparaissent que lorsque des modes de compréhension plus ordinaires sont mises en défaut. Notre compréhension des actions d’un individu serait en réalité normalement accomplie par notre capacité à ancrer de manière appropriée une action dans un contexte plus large, à la lumière d’un arrière-plan culturel partagé. C’est ainsi que nous comprendrions, par exemple, ce qui se passe dans une salle de lecture à l’université ou au lycée, lorsque nous voyons un orateur, posté derrière un lutrin, en train de s’adresser avec ardeur à un vaste auditoire. Nous comprenons ce qui se passe parce que nous savons, de manière générale, ce qu’il en est de l’université et quels rôles les étudiants et les professeurs jouent dans ce contexte.
28Je pense que Gallagher met bien ainsi en relief une dimension importante de la compréhension. Il insiste sur ces informations que nous devons avoir quand nous essayer de reconstituer les pensées d’autres personnes, dans la mesure où c’est à la lumière d’une telle connaissance culturelle que nous pouvons en effet faire des conjectures éclairées au sujet des croyances, désirs et valeurs d’autrui52. Ce qui n’empêche pas que nous devons être prudent en la matière. La manière de concevoir la compréhension normale que propose Gallagher explique bien comment nous comprenons ce que tel individu est en train de faire dans un contexte particulier. Mais elle ne nous fournit pas une pleine compréhension des raisons pour lesquelles cette personne agit, qui plus est de la manière particulière qui est la sienne. Pourquoi, par exemple, cet orateur critique-t-il si ardemment les théoriciens de la théorie comme les défenseurs de la perspective en seconde personne ?
29Bien entendu, notre compréhension de ce qu’une personne est en train de faire étant acquise, nous pouvons également ne pas nous intéresser aux raisons de son action. Cependant, je répondrai qu’alors nous ne nous intéressons à lui qu’à titre d’agent stéréotypé — un professeur ou un étudiant — et non à titre d’individu concret. Quoi qu’il en soit, il est clair que nous n’approfondissons vraiment notre compréhension et n’acquérons une réelle explication compréhensive de son action que si nous cherchons et trouvons en effet les raisons de son action. Or c’est précisément dans ce genre de contextes que nous devons recourir au vocabulaire de la psychologie populaire ainsi qu’à notre capacité de reconstitution empathique, afin de comprendre les états mentaux d’autrui comme des raisons d’agir. Pour la question que nous examinons, et pour autant que nous traitons bien de l’agentivité rationnelle dans le strict contexte des sciences humaines, c’est bien ce type d’interrogations concernant le pourquoi des actions qui nous intéresse, plutôt que des interrogations sur ce que les agents font.
30Mais il pourrait bien se trouver des narrativistes, tels Dan Hutto, pour objecter qu’il n’en reste pas moins vrai que les théoriciens de la simulation et moi-même nous trompons, dans la mesure où nous négligeons le fait que la compréhension des raisons d’agir requiert une compétence, même minimale, liée à des concepts et attitude propositionnels tels que les croyances et les désirs. Tout comme moi, Hutto souligne le fait que, dans la perspective de la psychologie populaire, les croyances et les désirs sont attribués aux autres à titre de raisons d’agir53. Mais, en contradiction avec ma position, Hutto ne semble pas penser qu’une telle compréhension dépende de la reconstitution empathique ou de la simulation. Au contraire, c’est selon lui au moyen de l’exposition du récit (il prend l’exemple de l’histoire du petit chaperon rouge) ainsi que de l’acquisition de compétences qui concernent la compréhension et la construction narratives de séquences temporelles d’actions et d’interactions, que se développerait notre capacité à rendre compte des actions et des raisons d’agir. De cette manière, Hutto transforme un savoir-faire élémentaire qui concerne les attitudes et concepts propositionnels en une pleine compréhension des raisons d’agir. Selon lui, ce serait en étant exposé à des « principes » narratifs que l’enfant apprendrait comment les diverses attitudes propositionnelles interagissent dans des contextes spécifiques et « comment le caractère, l’histoire, et d’autres facteurs, déterminent les raisons pour lesquelles les individus agissent54 ».
31J’ai déjà accordé à la narration le rôle décisif qu’elle peut jouer pour nous fournir des informations au sujet des différences entre le sujet et la cible de l’interprétation, notamment dans le cas où une distance temporelle et culturelle importante les sépare. Mais en aucun cas cela ne démontre que posséder de telles informations rend la reconstitution empathique superflue. Par ailleurs, j’ai également montré dans la partie précédente que la construction et la compréhension de la narration requièrent une compréhension de la manière dont les événements se rapportent les uns aux autres dans le récit, et notamment comme son début est relié à sa fin. Mais cela ne rend pas pour autant plausible la thèse selon laquelle la narration suffirait à elle seule à nous fournir une compréhension générale du concept de causalité. Au contraire, la compréhension d’un récit en tant que récit présuppose une appréhension préalable de la nature des relations causales entre les événements. C’est seulement à la lumière d’une telle compréhension préalable des relations causales en général, ainsi que des informations concernant les particularités des diverses situations présentées par la narration elle-même, que nous pouvons comprendre comment la trame narrative entre les événements est tissée. Au sujet d’événements qui impliquent une agentivité individuelle et rationnelle, cela requiert donc de pouvoir comprendre les raisons d’agir d’une personne, et présuppose donc notre capacité de reconstitution empathique. C’est précisément ici que ma position se sépare de celle que défend Hutto55.
32Dan Hutto serait sans doute en désaccord avec ma caractérisation de la nature de la narration. Malheureusement, dans sa défense de la position narrativiste, Hutto n’examine jamais en détail la nature de la narration, pas plus qu’il ne traite de la manière dont il conçoit la nature de la « connexion narrative » entre les événements constitutifs du récit. Plus encore, Hutto semble admettre que notre compréhension de la narration dépend de notre capacité à imaginer prendre la perspective d’autrui56 et accorde même que notre capacité à comprendre des processus de pensée rationnels requiert ce que Jane Heal57 nomme la « co-cognition58 » (et que je comprends pour ma part comme une dimension centrale de la reconstitution empathique). C’est-à-dire qu’en définitive Hutto semble bien accorder le fait que la compréhension narrative repose sur l’emploi des capacités d’imagination qui ont été mises en relief par les théoriciens de la simulation dans leurs critiques de la théorie de la théorie. Néanmoins, Hutto s’obstine à affirmer que de telles capacités d’imagination ne peuvent pas rendre compte de notre compréhension des raisons d’agir, dans la mesure où elle « requiert, même de manière minimale, la manipulation de croyances et de désirs de forme propositionnelle, et pas seulement de pensées59 ».
33Finalement, je ne suis pas certain de saisir pourquoi Hutto pense que la compréhension de telles interactions ne peut être accomplie que sur la base de « principes » acquis, d’une manière ou d’une autre, par le biais de la narration, pas plus que je ne comprends vraiment pourquoi des croyances et des désirs simulés ne feraient pas l’affaire. Plus encore, comme je l’ai indiqué précédemment, notre compréhension des désirs comme de raisons d’agir est elle-même sujette au problème de leur propre pertinence. Nous ne pouvons considérer le désir d’un agent comme une partie de ses raisons d’agir que pour autant que nous saisissons comment il s’intègre dans l’ensemble de son système de valeurs, dans son appréhension des conséquences de ses actions ainsi que dans la trame de ses désirs à long terme, etc. Qu’on nous explique, par exemple, qu’un étudiant a tiré à bout portant sur son professeur… parce qu’il désirait le faire, ne nous permet pas de saisir ce désir comme une raison de son action, à moins qu’on nous en dise bien plus au sujet de cet étudiant, de ses croyances, valeurs, espérances et rêves d’avenir, etc. Mais cela requiert alors, du moins en ce qui me concerne, la capacité à reconstituer en imagination ses pensées, désirs et valeurs, etc., en prenant en compte les différences significatives entre moi-même et la personne que je recherche à comprendre, tout en mettant entre parenthèses, dans cette reconstitution, mes propres croyances et valeurs.
34En définitive, la critique narrativiste de la théorie de la simulation, telle qu’énoncée dans le contexte des controverses autour de la théorie de l’esprit, ne parvient pas à invalider ma thèse selon laquelle la simulation et la reconstitution empathiques sont centrales, d’un point de vue épistémique, dans la compréhension des raisons d’agir. C’est précisément pour cette raison que nous devons distinguer les sciences naturelles des sciences humaines, dans la mesure où ces dernières font un usage tout à fait singulier et privilégié de telles stratégies d’explication, et les emploient à titre de pratiques explicatives spécifiques.
Notes de bas de page
1 Traduit de l’anglais par Alexis Cukier.
2 Droysen J.G., 1977, Historik, p. 144.
3 Dilthey W., 1961, Gesammelte Schriften, vol. 5, p. 144.
4 Pour une revue, voir Grimm S., sous presse, « Understanding ».
5 Voir les prémisses d’un tel doute chez Føllesdal D., 1979, « Hermeneutics and the Hypothetico-Deductive Method ».
6 [Note du traducteur] Parfois traduite également par « psychologie naïve », la folk psychology désigne la manière dont les sujets élaborent eux-mêmes des connaissances « non théoriques » sur autrui, sur leur manière de raisonner et de se conduire, qui se distinguent des théories psychologiques scientifiques. Stueber signifie donc ici que les sciences humaines doivent prendre en compte cette compréhension commune, et donc « comprendre la compréhension » des agents, ce qui la distingue des sciences naturelles. Voir, à ce sujet, et en complément des analyses présentées dans ce chapitre, Stueber K., 2006, Rediscovering empathy. Agency, Folk psychology, and the Human sciences. Voir également, en rapport avec la théorie de la simulation : Davies M. et Stone T., 1998, « Folk psychology and mental simulation ».
7 Voir, Grondin J., 1994, Introduction to Philosophical Hermeneutics.
8 Beetz M., 1981, « Nachgeholte Hermeneutik : Zum Verhältnis von Interpretations-und Logiklehren in Barock und Aufklärung. » et Boeckh A., 1886, Encyklopädie und Methologie der Philologischen Wissenschaften.
9 Bacon F., 2000, The New Organon.
10 Droysen J.G., Historik, op. cit.
11 Schleiermacher F., 1977, Hermeneutik und Kritik.
12 [Note du traducteur] Nous avons décidé de ne traduire le terme anglais agency par le terme technique d’« agentivité » que lorsqu’il est employé en un sens technique et que d’autres tournures équivalentes (employant l’adjectif « pratique » ou le substantif « agent », notamment) n’auraient pas permis de saisir la dimension de compétence (rationnelle et pratique) qu’il sert parfois, comme ici, à promouvoir.
13 Droysen, J.G., Historik, op. cit.
14 À ce sujet, voir ibid, p. 423-424.
15 Gadamer, H.G., 1960/1986, Wahrheit und Methode.
16 Voir à ce sujet l’introduction de Kögler H.-H. et Stueber K., 2000. Empathy and Agency : The Problem of Understanding in the Human Sciences et Stueber K., Rediscovering empathy : Agency, folk psychology, and the human science, op. cit.
17 Droysen, J. G., Historik, p. 398.
18 À ce sujet, voir, notamment, Stegmüller W., 1986, « Walther von der Vogelweides Lied von der Traumliebe und Quasar 3 C 273. Betrachtungen zum sogenannten Zirkel des Verstehens und zur sogenannten Theoriebeladenheit der Beobachtungen », et le débat entre Dreyfus (Dreyfus H., 1980, « Holism and Hermeneutics), Taylor (Taylor C., 1980, « Understanding in the Human Science » et Rorty, (Rorty R., 1980. « A Reply to Dreyfus and Taylor »).
19 Uebel Th., 2010, « Opposition to “Verstehen” in Orthodox Logical Empiricism ».
20 Pearson, cité dans Salmon W., 1998, Causality and Explanation, p. 80.
21 Voir à ce sujet, également, Carnap R., 1966, Philosophical Foundations of Physics, p. 12 et suivantes.
22 Pour un résumé synthétique de la critique empiriste du concept de compréhension, voir aussi Abel T., 1948, « The Operation Called Verstehen ».
23 Cf. Kögler H.-H. et Stueber K., op. cit. et Stueber K., 2006, op. cit., chap. 6.
24 Voir, par exemple, Hempel C., 1965, Aspects of Scientific Explanations, p. 240.
25 Pour une revue du concept de compréhension dans la philosophie des sciences contemporaines, voir aussi l’introduction de De Regt H. W., Leonelli S. et Eigner K., 2009, Scientific Understanding. Pour une exception, historiquement précoce, à cette dévalorisation de la compréhension dans la philosophie analytique des sciences, cf. Friedman M., 1974, « Explanation and Scientific Understanding ».
26 Salmon, W. 1998, op. cit.
27 Voir à ce sujet, De Regt H.W., Leonelli S. et Eigner K., 2009, op. cit.
28 Salmon, W. 1998, op. cit., p. 87.
29 Mink L., 1998, « History and Fiction as Modes of Comprehension », p. 135.
30 Voir, cependant, Roth P., 2000, « The Object of Understanding ».
31 Stueber K., 2004, « Agency and the Objectivity of Historical Narratives » et Stueber K., 2009, « Intentionalism, intentional realism, and empathy ».
32 Cependant, Mink reste assez ambigu quand il s’agit de savoir si cette compréhension configurative relève exclusivement des sciences humaines ou si on peut la trouver également dans certaines sciences naturelles, comme la biologie (cf. Mink L., 1998, op. cit., p. 30).
33 Ibid., p. 129.
34 [Note du traducteur] L’auteur fait ici référence à l’ouvrage du journaliste et historien Shirer W.L., The Rise and Fall of the Third Reich, A History of Nazi Germany, New York, Simon and Schuster, 1960, traduit en français sous le titre Le Troisième Reich des origines à la chute, traduction non attribuée, Paris, Stock, 1961.
35 Stueber K., 2009, op. cit.
36 Carroll N., 2001, « On the Narrative Connection », p. 118-133 et Carroll N., 2007, « Narrative Closure ».
37 À l’inverse, David Velleman suggère que l’essence de la narration repose sur la capacité à faire apparaître et disparaître des structures et des rythmes d’émotions chez le récepteur (Velleman J. D., 2003, « Narrative Explanation »). La compréhension narrative serait donc accomplie par notre capacité à rapporter les événements d’une histoire à « un schéma général de la manière dont on ressent les choses ». Mais je suis enclin à penser, comme N. Carrol, que la référence à de tels rythmes émotionnels nous permet seulement de distinguer entre un récit intéressant et un récit ennuyeux (Carroll N., 2007, « Narrative Closure »). En fait, je pense qu’il ne faut pas essayer d’identifier l’essence de la narration avec cette capacité à produire des réactions émotionnelles. Quoi qu’il en soit, il est intéressant de se demander pourquoi les récits qui entrent chez nous en résonance émotionnelle nous intéressent tout particulièrement, et pourquoi nous estimons important d’écrire ou de partager ces histoires. Malheureusement, je ne peux traiter de cette importante question dans l’espace de cette contribution, et je la réserve pour une prochaine occasion.
38 Voir, à ce sujet, Carr D., 1986, Time, Narrative, and History.
39 Je considère cette distinction comme l’objectif principal des réflexions d’Anscombe dans Intention (Anscombe E., 1957/2000, Intention). En l’occurrence, elle ne fait alors que s’opposer à l’idée selon laquelle les raisons d’agir seraient ce qu’elle appelle de simples « causes mentales ». Ses positions dans cet ouvrage me semblent compatibles avec l’idée que les raisons d’agir sont aussi des causes de l’action, mais précisément pas de simples causes. Ce n’est que dans ses écrits ultérieurs qu’Anscombe semble s’opposer directement à toute interprétation causaliste de l’explication par les raisons. À ce sujet, voir aussi Setiya K., 2009, « Reasons and Causes ».
40 Frankfurt H., 1982, « Freedom of the Will and the Concept of a Person ».
41 Anscombe E., Intention, op. cit.
42 Velleman J. D., 2000, The Possibility of Practical Reason, et Velleman J. D., 2009, How We Get Along.
43 [Note du traducteur] Le frame-problem, initialement formalisé en logique et utilisé surtout dans le cadre des recherches sur l’intelligence artificielle, renvoie, dans la philosophie contemporaine des sciences cognitives, au problème plus général de l’explication de la manière dont nous pouvons appliquer (et modifier) de manière sélective des connaissances appropriées à des situations particulières, afin de sélectionner des solutions pratiques. Voir, pour une présentation générale et un examen critique, en rapport avec les questions épistémologiques liées à la possession de désirs et de croyances, Heindrick S., 2006, « The frame problem and theories of belief ».
44 Cf. Heal J., 2003, Mind, reason and imagination, chap. 4, et Stueber K., 2006, op. cit., chap. 4.
45 Stueber K., à paraître, « Varieties of Empathy, Neuroscience, and the Narrativist Challenge to the Contemporary Theory of Mind Debate » et Stueber K., à paraître, « Social Cognition and the Allure of the Second Person Perspective ».
46 Stueber K., 2006, op. cit.
47 Hutto D., 2008, Folk psychological narratives : The sociocultural basis of understanding reasons, p. 17.
48 Il faut insister, bien entendu, sur le fait que, dans nos interactions quotidiennes avec les autres personnes, une telle prise de perspective a lieu essentiellement de manière automatique. Cependant, dans le contexte des sciences humaines, et notamment de l’histoire et de l’anthropologie, nous devons employer nos schèmes de prise de perspective d’une manière plus consciente et méthodologiquement rigoureuse. Pour un examen des limites de l’empathie, voir Stueber K., 2006, op. cit., chap. 6 et Stueber K., à paraître, « Imagination, Empathy, and Moral Deliberation : The Case of Imaginative Resistance ».
49 Voir Stueber K., 2008, « Reasons, generalizations, empathy, and narratives : The epistemic structure of action explanation », p. 41-42.
50 Évidemment, ma position présuppose une compréhension causaliste des explications ordinaires effectuées par la psychologie populaire, hypothèse qui a été pour le moins contestée récemment. Je ne manquerai pas d’examiner ces objections récentes à la thèse causaliste dans un avenir proche.
51 Voir Stueber K., à paraître, « Social Cognition and the Allure of the Second Person Perspective ».
52 Stueber K., 2008, op. cit.
53 Voir Stueber K., 2006 et 2008, op. cit., et Hutto D., 2008, op. cit., chap. 2.
54 Ibid., p. 18.
55 Je partage également l’analyse de Marc Slors, qui pense que la position narrativiste de Hutto, s’il est vrai que l’objectif primordial de la narration consiste à fournir des informations au sujet des principes selon lesquels les attitudes propositionnelles interagissent dans telle ou telle situation, risque de nous faire retomber dans une version de la théorie de la théorie (Slors M., 2009, « The Narrative Practice Hypothesis and the Externalist Theory Theory : For Compatibility, against Collapse »).
56 Hutto D., 2008, op. cit, p. 136 et suivantes.
57 Heal J., 2003, op. cit., chap. 6.
58 [Note du traducteur] La « co-cognition » défendue par Jane Heal propose d’éclairer la compréhension interindividuelle à la lumière de l’expérience quotidienne dans laquelle nous « pensons à la même chose », sur la base de compétences, de schèmes de pensée et de causalité pratiques, partagées. La cocognition constitue le concept principal de la version spécifique de la théorie de la simulation proposée par Jane Heal (ibid., notamment p. 97 et suivantes).
59 Hutto D., 2008, op. cit, p. 141.
Auteurs
Professeur de philosophie au College of the Holy Cross, à Worcester, aux États-Unis.
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