La révolte anticitadine de Malo (territoire de Vicence, 27 décembre 1552)*
p. 55-65
Texte intégral
1La présente recherche met en lumière deux traits de la société vénitienne : l’injustice et la violence qui, dans le cadre de l’événement de 1552, se conjuguent dans un mélange funeste et sont à l’origine de la rébellion. Les révoltes et les révolutions du passé plaisent aux historiens, car ceux-ci peuvent laisser libre cours à leur fantaisie en cherchant l’étiologie, mais elles séduisent encore plus les lecteurs, parce que ces derniers tendent à s’identifier soit dans les révoltés, soit dans les réactionnaires.
2L’histoire de Malo, dont la révolte est aujourd’hui la plus connue de la République de Venise au xvie siècle, mérite d’être reproposée à l’analyse. Qui sont les protagonistes de cet événement survenu dans une localité située au nord de la province de Vicence ? Il y a les comtes vicentins tués lors du tumulte, Marco Cavazzolo, Francesco Cavazzolo et Antonio Losco ; le sicaire (« bravo ») Battista Cignan de Brescia, mort également à cette occasion ; Bartolamio Cadin et ses fils, Alessandro et Giorio, des commerçants de la communauté. Les autres personnages sont les « puaréti », les pauvres qui subissent tous les mauvais traitements. Parmi les si nombreux malheureux figurent les « puaréte » qui sont, par antonomase, les femmes. Les sources permettent de dégager un rapport entre le témoignage documentaire – qu’il soit ou non narratif – et la réalité testimoniale, un rapport jusqu’à ce jour analysé par étape1, ayant cependant donné, à mon avis, de bons résultats pour la recherche, du moins en ce qui concerne les informations livrées involontairement2.
Genèse d’un conflit : l’eau de Malo
3Les Cavazzolo, accompagnés du bandit Battista Cignan – leur ami de Brescia –, pour assouvir leur effréné appétit sexuel, jettent dans le puits de la commune quelques animaux morts (un chien et même la moitié d’un cheval !). L’eau est infectée et, en conséquence, imbuvable. C’est ainsi que les femmes doivent aller en chercher dans les puits de propriété nobiliaire. De là, elles sont prises imprudemment et enfermées dans une maison, traînées dans des pièces des étages inférieurs, ensuite violentées3. Les femmes n’auraient jamais parlé à cause de la honte subie, mais elles auraient fait seulement quelques brèves remarques à leurs filles. Ces maniaques parviennent même à contrôler les fontaines les plus isolées. Pour tendre le piège aux jeunes filles, probablement averties par leurs mères de se tenir éloignées des réservoirs privés, ils se cachent et attendent qu’elles viennent se rafraîchir.
4Ce sont les Cavazzolo qui sont à l’origine d’une telle colère. Ils demeurent, à leur tour, sous la tutelle d’autres citadins, les Muzzan, une noble et ancienne famille de Vicence, qui provient cependant de Malo, figure comme la famille la plus riche de cette communauté et détient un rôle prééminent. En l’occurrence, deux de ses membres, Troilo et Silla déclenchent des conflits si durs que ceux-ci nécessitent l’intervention de certaines magistratures vénitiennes. Dès les années 1550, alors que les oppositions se durcissent avec la communauté, les Muzzan sont élus, de façon presque ininterrompue, par le conseil citadin de Vicence à la charge de vicaire4 de Malo. Le chef de famille, Antonio Muzzan, la nuit même de la révolte, dans l’intention de mieux contrôler la situation, appelle un consul5 vicentin, un membre de sa parenté, en l’induisant à interroger des témoins qu’il s’est plu à intimider. Ces habitants du village sont épouvantés et, ainsi, préfèrent ne pas dénoncer, au début, les abus commis : c’est la dimension de l’honneur compris comme « status » et préséance sociale sur laquelle il convient d’insister. L’audition des témoins rappelle nécessairement la mémoire et la culture de celui qui la véhicule, dans la mesure où il s’approprie des codes culturels de la communauté et les diffuse (honneur, dignité, respect de certains rôles, etc.). Aussi y a-t-il une forte connotation anthropologique qui implique une sélection des informations par les déposants et un trait univoque à leurs discours qui négligent des éléments souvent pertinents pour l’instruction du procès. La hiérarchie de l’honneur coïncide avec la hiérarchie sociale : celui qui se place au bas de l’échelle sociale doit accepter, comme une donnée de fait, la structure hiérarchique existante, reconnaître son propre « status » inférieur et ne pas accuser celui qui se situe au-dessus. Il se produit ainsi un déséquilibre entre un code de l’honneur, supposé, tenu pour déjà acquis (par la naissance, par la position sociale, etc.), et une conception de l’honneur individuel conférée par la conscience de disposer de vertus ou de critères spécifiques. Le code de l’honneur devient de la sorte le fondement de la préséance sociale qui se reflète dans les rituels et les cérémonies publiques. Il existe donc un lien étroit entre l’honneur et le pouvoir, une réalité compréhensible si l’on s’attache à la question de la violence et du rapport entre l’honneur et la loi. Le recours à la loi est, sur le fond, étranger au code de l’honneur, car celui qui y fait appel prouve ouvertement l’affront subi, ainsi que sa vulnérabilité et sa faiblesse.
5L’avant-dernier événement que les Cavazzolo et leurs amis provoquent, avant la révolte de 1552, survient à la fin du mois de décembre. Dans cette affaire, l’eau est encore le protagoniste. Dans la nuit de Noël, ils s’arrêtent devant le bénitier et commencent à jeter « avec la main, l’eau sainte au visage des filles et des femmes mariées6. » Et ensuite, dans les environs de l’église, ils les palpent et leur font d’autres malhonnêtetés. Eux, sans aucune crainte de Dieu, ni de la communauté, abusent d’elles, même dans le lieu le plus sacré, sans scrupules ou sans peur aucune.
6Ils commettent de nombreux autres maux à Malo comme dans d’autres localités : un cas est même vérifié dans un village qui n’est pas si proche, comme Santorso7. Quoique les informations livrées soient peu nombreuses, elles sont néanmoins suffisantes pour permettre de saisir la situation difficile dans laquelle se trouve la communauté villageoise. Peut-être que la leur est déjà au bord de la crise et tout prétexte est opportun pour que soit revendiqué un droit de résistance « ante litteram8 » contre un mal à extirper. On peut soulever l’hypothèse que la dernière attaque contre les femmes dans le lieu le plus sacré de la communauté a créé un présupposé pour agir contre les citoyens nobles de Vicence. L’étincelle qui fait éclater le conflit n’est pas des moindres : l’événement allume littéralement aussi bien les âmes que le village dans un incendie qui n’est pas gérable. Ce qui reste dans la mémoire collective pendant plusieurs années survient un après-midi, trois jours après le dernier scandale survenu aux portes de l’église.
L’événement de décembre 1552
7Tout commence le 27 décembre 1552, un jour consacré à saint Jean. Les citoyens comtes Cavazzolo et leurs alliés (Cignan et Losco) marchent par les rues du village. L’histoire ne naît pas, comme cela s’était produit auparavant, de désirs morbides causés par la volonté de séduire des filles ou par la pire habitude de les violenter, mais plutôt par la rupture des équilibres subtils existant avec une des familles les plus en vue dans le quartier situé au sud de la localité. La conséquence est le meurtre des Cavazzolo. Ces derniers, avec Losco et le brigand Cignan, se rendent dans une petite aire au sud du village, appelée Lovara. À l’époque, celle-ci représente la limite urbaine avec les bois et la zone cultivée en prairie9. Les édifices du quartier de Lovara avaient été érigés entre la fin du xive et le xve siècle. Des familles, qui s’y étaient établies à la fin du xve siècle, figurent parmi les plus influentes de la communauté au milieu du xvie siècle. Quoiqu’elles aient été au début étrangères, elles réussissent cependant à s’intégrer dans le monde de Malo, en augmentant leur rôle économique et en commençant ainsi une politique matrimoniale avisée, souvent réalisée à l’intérieur de leur propre quartier, par l’obtention de prestigieuses charges au sein de la vie politique. En plus de représenter un croisement physique, l’aire de Lovara constitue aussi un village à l’intérieur du village lui-même. Les habitants de ce quartier, demeurant aux limites de l’ancien bourg et probablement ignorés par les résidants des zones les plus centrales (Barbè, Borgo, Villa), ont créé un système d’alliances complexe. Parmi les patronymes qui ont survécu à ce jour, voici la nombreuse famille des Finozzi et les Negroponte. Le syndic de la révolte de 1552 est Zuandomenego Negroponte. Dans la même zone vivent les procureurs notaires Pasqualin10 ; les Canati organisent leur commerce de la soie ; les riches Zachelon et Cadin y habitent. La noblesse s’élève contre les mêmes Cadin. Le chef de famille, un certain Bartolamio Cadin, avait deux fils, Giorio et Alessandro11. N’importe quel fait survenu entre les Cadin et les Cavazzolo est, sans conteste, inférieur à ce qui succède.
8Le contrôle juridictionnel pratiqué par la ville sur le territoire affaiblit la gestion autonome des conflits de la part des parentèles paysannes, tandis que les familles de l’aristocratie peuvent exercer et étendre leurs propres contestations, en recourant aux procédures complexes prévues par les magistratures citadines, dans lesquelles12 opèrent les juges et les avocats, issus de la même classe sociale. L’existence d’un groupe de juristes d’origine noble facilite, en outre, le recours à des formes de pacification et de compromis.
9À Malo se met en place un conflit dirigé non seulement vers la gestion des ressources économiques, mais aussi vers le contrôle de certaines valeurs culturelles tenues pour fondamentales (par exemple, l’honneur). Dans le cadre de ce phénomène, certaines conséquences particulièrement diffuses sont marquées par des actions violentes commises par des membres de l’aristocratie contre des représentants de la « bourgeoisie » rurale13 qui ambitionnent de se créer un espace politique et économique propre, en mettant en discussion le contrôle des clientèles traditionnelles pratiqué par les familles nobles. Mais, à cette occasion, les membres de la communauté de Malo ne sont pas disposés à céder.
10Le début de la révolte en 1552 exprime, en arrière-fond, des tensions fortes que l’on commence à enregistrer dans différentes provinces (« contadi »14) de la Terre Ferme vénitienne au sujet des questions de nature économique et fiscale. L’émergence de groupes sociaux qui ne sont plus étroitement dépendants de l’aristocratie, résolument portés à poursuivre une visibilité politique et l’obtention d’un « status » honorable, reflète, en définitive, la crise d’un système juridique traditionnel et la prééminence politique des villes sur leurs « contadi15 ».
11Les Cadin gagnent en importance et en dignité dans la communauté, et entretiennent évidemment des rapports intenses avec les plus grandes familles du quartier, en particulier avec Bartolamio Pasqualin, un procureur souvent opposé aux nobles. Ils ont des contacts réguliers avec les paysans grâce à leurs activités dans le négoce familial. En outre, en 1551, il est probable que, le chef de famille ayant obtenu la charge d’estimateur et de procureur de la communauté, ils se trouvent en conflit avec les Cavazzolo pour leurs vols. Encore en 1558 et en 1559, les estimateurs locaux connaissent un différend avec les nobles Muzzan16. Aussi les difficultés rencontrées avec les estimateurs, qui quantifient les dommages des vols, doivent-elles être considérées comme assez fréquentes.
12Ainsi, pour des raisons inconnues, après l’habituelle salutation entre les Cadin et les Cavazzolo, commence, de façon inopinée, un petit combat familial assez tendu. Même si le conflit s’achève rapidement, il est néanmoins tenu par les personnes présentes pour une affaire de vengeance familiale – une « faida » –, car il y a, d’un côté, les Cavazzolo, Losco et le sicaire de Brescia, alors que, de l’autre, se trouvent les fils de Cadin, Alessandro et Giorio. Après quelques escarmouches, au moyen d’armes blanches, les fils de Cadin sont vite en grandes difficultés en raison soit de leur jeunesse, soit de leur inexpérience dans l’emploi des armes. Par chance, la population de Lovara, par esprit de piété ou par amitié pour eux, les reçoit à la maison, en verrouillant les portes. On réussit, de cette façon, à sauver le fils le plus âgé. Pour le plus jeune, Giorio, grièvement blessé, le temps est compté.
13Les Cadin, ou ceux ayant osé défier les nobles, ont compris le message. Alors que les Cavazzolo, avec leurs acolytes (Losco et Cignan), s’en retournent vers la place du village, une rumeur se diffuse à Malo. Tel un grand oiseau, une furie, qui crie une funeste nouvelle, survole le village : les fils de Cadin sont morts. De maison en maison, un murmure continu et foudroyant se propage dans toute la communauté. Des projets de vengeance sont envisagés. La coupe est pleine. En ce moment, le cri augmente et la fureur redouble. Ce ne fut que plus tard que l’on apprit qu’il s’agissait d’un mensonge. Personne ne s’attend à la plus terrible des issues.
Le village en révolte
14Les esprits sont échauffés. Les Cavazzolo et leurs amis marchent, tranquillement, vers leur demeure. La rumeur continue à se propager de maison en maison. Il est probable qu’un quelconque pressentiment commence à être soupçonné par eux. À un certain point, dans la place du village, face à la « Loggia », rangés de façon compacte, ils rencontrent le premier groupe d’amis et de parents des Cadin. Ils en viennent tout de suite aux mains et les parents les accusent en leur disant : « Ah ! Traîtres, vous avez tué ces pauvres enfants17 ! »
15La foule est peut-être nombreuse et divisée en deux groupes principaux, à la poursuite des Cavazzolo, désireux de les encercler et de les ramener sur la place. Les seigneurs - tyrans - citoyens de Vicence ont déjà rejoint leur maison, appelée la « Loggia », qui se trouve face à la place du village. De là, ils réussissent finalement à entrer dans leurs propriétés. Tout se serait sans doute achevé à ce moment, si un des membres de la famille Cavazzolo n’avait pas tiré un coup de feu dans la place dominée par le tumulte. Et celui-ci, à cette heure, doit vraiment être très grand. Il n’est plus possible de calmer la foule.
16Un colombier (« colombara »), contigu au groupe de maisons qui font face à la place, sert de cachette pour les amis bannis des Cavazzolo, lesquels ont même secrètement hébergé leur dernier sicaire de Brescia, Battista Cignan, qui ne faisait pas preuve d’une attention particulière à l’honneur des femmes du village, ni de respect aux chars des hommes, trop souvent assaillis tôt le matin. Le colombier représente ainsi la tyrannie. Il s’agit d’une construction située au centre du village, trop ostentatoire et trop fière pour ne pas paraître aux habitants comme le siège de la dépravation et de tous les maux. Associé à l’étranger de Brescia, ce colombier est souvent cité dans les documents, à l’instar du sicaire qui, accompagné de ses chefs, avaient tyrannisé les habitants du lieu. L’occasion est arrivée pour donner le dernier mot : « là ils coururent derrière jusqu’au colombier et un enfant courut vers le campanile et sonna la cloche avec le marteau18. » Au son de la cloche, utilisée lors de la convocation de réunions et de dangers imminents, la partie de la communauté qui ne s’est pas rendue compte du soulèvement rejoint le groupe initial.
17Marco Cavazzolo, Francesco Cavazzolo, Antonio Losco comprennent et ont peur. Ils demandent avec courtoisie de suspendre les hostilités. Mais c’est trop tard. La foule en furie prépare de
« la paille mouillée pour enfumer les tyrans. Et eux, croyant que ce fut le feu, sautèrent des balcons et furent tués. Et dans cette tuerie, la paille prit feu et embrasa une partie du colombier et de la maison, mais toutes les personnes qui s’y trouvèrent accoururent pour prendre de l’eau et aider à écarter le feu et à sauver les biens qui furent tous sauvés19. »
18En revanche, les nobles de Malo ne comprennent pas l’avertissement. Le jour suivant, les Muzzan, une famille qui commande également les Cavazzolo, cherchent à faire venir un consul, qui fait partie de leur parenté, afin de faire débuter l’enquête et de donner une leçon aux artisans et aux paysans de Malo. Après avoir considéré ce qui s’est produit, le consul saisit que l’événement connaît des conséquences disproportionnées. La gravité de l’épisode, probablement déjà signalée à Venise par le podestat de Vicence20, est rapportée également au Conseil des Dix, la plus grande institution de nature politique et juridique de la République21.
19Dans les reconstructions successives de l’événement, la classe dirigeante de la ville de Vicence, toujours prête à défendre ses citoyens contre les ruraux, insiste sur le nombre des participants à la sédition et sur la mort féroce de ses nobles. Dès les premiers jours, de sévères accusations de témérité sont adressées à la communauté de Malo pour avoir intentionnellement voulu battre la cloche avec le marteau et avoir soulevé « plus de deux cents hommes » pour tuer les citoyens. N’ayant pas pu les tuer avant, selon l’accusation formulée, ils sont parvenus à brûler jusqu’aux fondements du colombier, où les quatre hommes s’étaient cachés. L’incendie dure cinq heures et la cloche, durant ce laps de temps, continue de battre. La recomposition du récit s’achève avec le nombre de coups de couteau : en tout « avec 92 blessures, c’est-à-dire Marco avec 14 blessures, Francesco 36 et. Antonio Losco 42 et ledit Battista blessé à mort sur la tête22 » Il est probable que le nombre des membres ayant participé au soulèvement est inférieur à celui qu’avance le discours officiel. Néanmoins, celui-ci est certainement une des plus cruelles insurrections qu’ait connues la Sérénissime République au xvie siècle.
20Dix-neuf jours après le tumulte, le 16 janvier 1553, le Conseil des Dix entame une procédure contre quarante habitants de Malo qui doivent subir l’arrestation ou, comme alternative, être « proclamés » à se présenter immédiatement au tribunal suprême. Certains se présentent à la justice, d’autres préfèrent gagner le maquis. Deux de ces derniers, tombés entre les mains des sbires (« sbirri »), sont respectivement condamnés à la décapitation et à la peine de galère à vie. Les autres en fuite sont bannis ; il est même décidé de séquestrer les biens de certains.
21L’histoire se conclut, d’un point de vue judiciaire, en octobre 1553, avec l’arrivée à Malo d’un notaire de Venise chargé d’évaluer les dommages causés au colombier des Cavazzolo et d’effectuer la séquestration des biens de ceux ayant pris part à l’insurrection lors de la fête de saint Jean. De nombreux représentants de la communauté sont ainsi tombés dans le réseau lancé sans hésitation par l’aristocratie vicentine et ont dû subir un procès humiliant et coûteux, mais ils se sont finalement sauvés dans la mesure où le Conseil des Dix laissa clairement entendre qu’il voulait se limiter dans les peines à infliger.
22Le dernier document trouvé relatif à la révolte est rédigé en décembre 1579, écrit par un des membres de la communauté. Après un quart de siècle, le très grave excès est à nouveau justifié par « une rage injuste et désespérée ». Le tumulte a marqué Malo et, depuis lors, quiconque veut signaler son propre talent pour la politique, le commerce et les mariages doit d’abord faire les comptes avec sa propre mémoire. Tous ont quelque chose à cacher et tous, avant d’intervenir dans une quelconque affaire (matrimoniale ou économique), sont tenus de mieux évaluer comment et avec qui il est possible d’envisager des projets, afin d’éviter une autre révolte et de ne pas se retrouver du mauvais côté.
Notes de bas de page
1 Ginzburg C., Il filo e le tracce. Vero, falso, finto, Milan, Mondadori, 2006, p. 8.
2 Bloch M., Apologia della storia o Mestiere di storico, Turin, Einaudi, 1998, p. 50-51.
3 Archivio Comunale de Malo [désormais ACM], Documenti, carton [désormais c.] VI (1571-1584), Insulti fati…, affaire no 16.
4 Le vicaire est un membre de la noblesse citadine qui a la tâche de représenter le chef-lieu (en l’occurrence, Vicence) dans les communautés du territoire. Il s’installe en novembre, et sa charge dure habituellement une année. Il doit présider les assemblées de la communauté du territoire, dont il est en charge, et tirer profit des décisions. Il s’agit d’une forme de contrôle importante de la ville sur la province et, en effet, cette fonction est traditionnellement assumée par des membres des localités – groupes nobiliaires qui, ainsi, peuvent tirer avantage des vicariats, où ils possèdent des biens fonciers.
5 Magistrature communale ancienne, le Consulat a été maintenu dans quelques villes de la Terre Ferme, comme à Vicence, au temps de la dédition à la Sérénissime (premières années du XVe siècle). Le consul est secondé par le podestat et la Cour prétorienne lors de l’expédition des procès criminels instruits avec l’autorité ordinaire du recteur au cours de son mandat, moment pendant lequel il peut jouer un rôle décisif : dans les affaires d’homicide, il incombe uniquement à un des consuls en charge de s’assurer des faits et de l’audition des premiers témoignages, comme c’est le cas à Malo. À Vicence, les consuls sont au nombre de douze, des nobles élus par le Grand Conseil citadin. Povolo C., L’intrigo dell’Onore. Poteri e istituzioni nella Repubblica di Venezia tra Cinque e Seicento, Vérone, Cierre, 1997, passim ; Faggion L., Les Seigneurs du droit dans la République de Venise. Collège des Juges et société à Vicence à l’époque moderne (1530-1730 env.), Genève, Slatkine, 1998, passim ; Lavarda S., « Politica e giustizia nella Terraferma veneta del Seicento. Il Tribunale vicentino del Consolato (1640– 1690 circa) », Archivio Veneto, 163 (2004), p. 53-83.
6 ACM, Documenti, c. VI (1571-1584), Insulti fati…, affaire no 30.
7 ACM, Documenti, c. VI (1571-1584), Insulti fati…, affaire no 21.
8 De Benedictis A., Politica, governo e istituzioni nell’Europa moderna, Bologne, Il Mulino, 2001.
9 Il est possible, aujourd’hui, de reconnaître ce lieu dans une partie du croisement, face à la Bibliothèque communale, la Villa Clementi qui devait, à l’époque, exister.
10 Povolo C., L’uomo che pretendeva l’onore. Storia di Bortolamio Pasqualin da Malo (1502-1591), Venise, Marsilio, 2010.
11 Archivio di Stato de Venise [désormais ASV], Avogaria di Comun, c. 3767, fascicule 16. Le frère Giorio Cadin réapparaît dans la communauté pour la première fois en qualité de conseiller en 1557 et comme exacteur en 1558.
12 Quoique sur une autre aire géographique, voir Raggio O., Faide e parentele. Lo stato genovese visto dalla Fontanabuona, Turin, Einaudi, 1990.
13 La définition géographique et politique du territoire est considérée différemment sur le plan juridictionnel par la ville. Une juridiction qui, dans le cas de la ville de Vicence, a été sanctionnée par la dédition à Venise en 1404. Dès 1551, la province acquiert une pertinence politique nouvelle et plus significative grâce à l’institution du Corps Territorial ou Territoire.
14 Un groupe social différemment composé de familles et d’individus qui se distinguent d’une grande partie de la population paysanne et qui, tout en n’appartenant pas aux secteurs les plus élevés de la société, ne travaillent pas directement la terre. Nombreux parmi eux exercent des professions qui, à l’instar du notaire et de l’avocat, leur attribuent, en tout cas, une caractéristique sociale distinctive et socialement pertinente.
15 L’exemple de Malo nous incite à réfléchir sur le sujet de la micro histoire : voir les travaux d’E. Grendi, B. Palombo, R. Ago, A. Torre, dans Revel J. (dir.), Giochi di scala. La microstoria alla prova dell’esperienza, Rome, Viella, 2006, p. 227-301 [précédemment publié en français, Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard-Seuil, 1996] ; Pastore A., « Storia locale, storia regionale, storia generale : intrecci e divergenze », Quaderni di Archivio Bergamasco, 3 (2009), p. 9-24.
16 Pour les années 1558-1559, voir une de mes études sur la « mariganza » (en cours de rédaction), qui a fait l’objet d’une exposition à un colloque international tenu à Messine, intitulé « Gli spazi della polizia », sous la direction du professeur Livio Antonielli, de l’Università degli Studi de Milan.
17 ACM, Documenti, c. VI (1571-1584), Insulti fati…, f° 5v°.
18 ACM, Documenti, c. VI (1571-1584), Insulti fati…, f° 5v°.
19 ACM, Documenti, c. VI (1571-1584), Insulti fati…, f° 5v°.
20 Le podestat est un patricien vénitien envoyé périodiquement à gouverner les villes de la Terre Ferme vénitienne. En revanche, le consul est un noble vicentin élu par le Conseil citadin : cf. à cet égard, Cozzi G., Knapton M., Storia della Repubblica di Venezia dalla guerra di Chioggia alla riconquista della Terraferma, Turin, UTET, 1986, p. 205sq. En ce qui concerne le Consulat de Vicence, quoique l’étude se rapporte à une période ultérieure, cf. Lavarda S., « Politica e giustizia nella Terraferma veneta del Seicento... ».
21 Povolo C., L’uomo che pretendeva l’onore, op. cit.
22 ACM, Documenti, c. VI (1571-1584), Insulti fati…, f° 5v°.
Notes de fin
* L’article a été traduit de l’italien par Lucien Faggion
Auteur
Università degli Studi de Vérone
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