Les limites des reconstructions linguistiques
p. 331-341
Texte intégral
1En décidant à partir de 1975 [Harnad et al. 1976] de rouvrir le débat sur l’origine des langues, les chercheurs ont fait preuve d’une grande désinvolture envers l’histoire de la discipline, notamment envers le fameux interdit de l’article 2 des premiers statuts de la Société de linguistique de Paris, qui refusait de prendre en compte quelque mémoire que ce fût sur le sujet. À leurs yeux, en effet, les conditions scientifiques auraient profondément changé et les nouvelles méthodes rendraient caduque la décision d’un groupe d’intellectuels parisiens. L’attitude de la Société de linguistique n’était pourtant pas isolée ; elle entérinait le fondement même de la grammaire comparée indo-européenne et intervenait tardivement après de vives discussions qui la conduisirent à rejeter toute une famille de programmes philologiques destinés à reconstruire la « langue mère de l’humanité » à partir d’une comparaison multilatérale des langues du monde. Il s’agissait notamment du programme de Court de Gébelin1, qui s’intéressait aux familles de mots et s’autorisait tous les rapprochements possibles en changeant arbitrairement les sons ou les significations d’un même mot [sur l’histoire de ces discussions, on se reportera à Auroux 2007 ; voir également Auroux et Boès 1981]. Dans sa préface à la première grande grammaire comparée des langues indo-européennes, le célèbre Franz Bopp faisait déjà un sort à la question : « Il n’y a que le mystère des racines ou, en d’autres termes, la cause pour laquelle telle conception primitive est marquée par tel son et non par tel autre, que nous nous abstenons de pénétrer » [Bopp 1866, p. 12].
2Toutefois, malgré l’influence de la linguistique européenne allemande sur Boas ou Bloomfield3, l’histoire originale des recherches linguistiques menées aux États-Unis appartient à une autre tradition : la grande question est la classification des langues amérindiennes pour lesquelles – contrairement aux langues indo-européennes – nous ne disposons pas de documentation historique. Jusqu’au début de la seconde moitié du xxe siècle, qui verra la diffusion de la grammaire générative, les chaires de linguistique seront souvent abritées dans des départements d’anthropologie.
3Les linguistes de la tradition américaine ont tenté d’apporter une contribution proprement linguistique à la préhistoire du langage. On doit à Swadesh [1951 ; id. 1959] la méthode mathématique connue sous le nom de « glottochronologie4 ». Cette méthode5 naît et se développe autant sous l’effet des limitations de la linguistique historique concernant les langues sans écriture que des progrès considérables accomplis dans la connaissance empirique de la diversité des langues du monde et des difficultés à les regrouper par familles (Amériques, Afrique, Asie). On retrouve, systématisée et appuyée sur un nombre sans précédent de données, la démarche lexicostatistique de Dumont d’Urville (1834) et de Broca (1863)6. Les hypothèses qu’ils formulent sont très fortes :
- existence d’un vocabulaire de base universel (environ deux cents mots) plus résistant que le reste aux emprunts7 ;
- fiabilité des données et de la reconnaissance des ressemblances ;
- constance historique du taux d’usure et universalité de ce taux, sur toutes les familles linguistiques notamment.
4En dépit de multiples exposés de la méthode8 et du fait que, dans bien des cas (langues amérindiennes ou africaines), on ne dispose guère d’autre moyen pour proposer des datations, chacun de ces points a fait l’objet de violentes contestations. Le choix du vocabulaire et son exploitation ont été critiqués ; la fiabilité a été prise en défaut ; « on a montré statistiquement qu’en l’absence d’autres critères, la technique d’apparentement par le vocabulaire ne donnait pas de meilleurs résultats que des rapprochements aléatoires » [Ringe 1992]. Compte tenu de la lenteur de la séparation éventuelle, la datation que l’on donne, forcément ponctuelle, est celle de quelque chose – la « séparation de deux langues » ou la « naissance » de chacune d’elles – qui n’existe pas. L’idée d’un taux constant gomme complètement les aléas de l’histoire. Enfin, dans tous les cas où l’on disposait d’autres méthodes de datation, notamment parce qu’il s’agissait de langues écrites pour lesquelles il existait une documentation historique (langues indo-européennes, langues romanes, langues slaves, etc.), les datations données par la glottochronologie ne sont pas validées, ce qui ressemble fort à une réfutation empirique. Même si l’idée de relier la similarité entre langues et leur proximité généalogique paraît relativement évidente9, au mieux la fiabilité des méthodes proposées n’est pas satisfaisante, sans qu’il soit possible de l’améliorer [Fox 1995, p. 290], au pire elles relèvent d’un fantasme pseudo-scientifique totalement étranger à la nature du langage humain.
5Largement discréditée dès les années 1970, la glottochronologie a pourtant connu des raffinements ultérieurs [Trask 1996]. Nichols en a proposé une variante significative, qui admet dès le départ que la vitesse du taux de remplacement et de ses variations n’est pas une question linguistique, mais dépend de « facteurs géographiques et économiques » [Nichols 1998, p. 136]. Elle admet également que la piste du vocabulaire ne permet guère d’aller au-delà de la période historique10. C’est pourquoi elle propose une méthode de calcul fondée sur le nombre de langues que l’on reconnaît descendre d’un ancêtre commun11. On parvient ainsi à 132 000 ans pour « l’âge linguistique du monde » dans l’hypothèse monogénétique [ ibid., p. 139] et à 100 000 dans une hypothèse polygénétique comportant dix familles primitives [ ibid., p. 165]. En admettant que la méthode puisse donner des ordres de grandeur, elle est largement arbitraire. Si une migration que nous ne connaissons pas a rajouté des langues apparentées, cela rallonge la période ; dans le cas contraire de la disparition de langues inconnues, elle s’en trouve raccourcie. Ces deux facteurs permettent d’expliquer les nombreux cas où les données archéologiques ne concordent pas avec le calcul qui, dès lors, devient d’autant plus infalsifiable (on ne peut lui trouver de contre-exemple) que l’on a retiré de son domaine le cas bien documenté des langues indo-européennes.
6Greenberg n’a jamais proposé une méthode de datation ; il s’est concentré sur l’utilisation des vocabulaires pour améliorer les classifications linguistiques (méthode dite « multilatérale »). En 1987, il propose de réduire les langues amérindiennes à trois familles : eskimo-aléoute, na-dene, amerind. Les critiques [Campbell 1988] ont été largement les mêmes que pour la glottochronologie12 [Métoz 2005, p. 245-381] ; elles portent d’autant plus qu’il n’a pas donné le matériel qui a servi de base aux regroupements et que ses carnets de notes sont inexploitables, donnant l’impression qu’il a tenté de justifier une hypothèse a priori. Son élève M. Ruhlen a porté la méthode de comparaison multilatérale à son paroxysme en défendant à toutes forces le monogénétisme.
7Pour comprendre l’enjeu de la méthodologie proposée par Ruhlen (« l’étymologie globale »), il faut revenir aux origines de la grammaire comparée et aux principes fondateurs du comparatisme ; ce sont eux que refuse l’étymologie globale : elle choisit le mot plutôt que les correspondances phonétiques ; les changements ne sont pas orientés (refus des lois phonétiques) ; la comparaison n’est limitée par aucun principe ; enfin, on accorde un sens aux rapprochements singuliers, ce qui est contraire autant aux méthodes de la statistique qu’à celles de la linguistique (la langue n’est pas considérée comme un système).
8Rulhen soutient que les correspondances phonétiques ne viennent qu’après l’apparentement sur la base du vocabulaire de base [Rulhen 1994a, p. 20513] et que ce ne sont pas elles qui prouvent l’apparentement. Il se gausse de correspondances contre-intuitives, comme le fameux *dw>erk14 [ibid., p. 39], qui n’auraient jamais joué aucun rôle dans la classification des langues indo-européennes, et invoque les « changements sporadiques » des néogrammairiens, qui n’obéissent pas à la régularité des correspondances et donnent donc des raisons de préférer le mot15. La première affirmation peut se soutenir, au moins partiellement, sur les bases de nos connaissances de l’histoire du comparatisme. La seconde est extrêmement discutable. D’abord, les correspondances phonétiques ont l’immense avantage de nous débarrasser des acrobaties sémantiques autorisées par les reconstructions à la Court de Gébelin. Elles réduisent d’autant les effets du hasard ou des emprunts qui peuvent perturber nos apparentements sur la seule base du vocabulaire. Elles ont, enfin, une puissance de généralisation incomparable, au point de permettre l’anticipation dans la classification des faits inconnus16. Dans ces conditions, le travail de Ruhlen fait souvent appel à des faits d’apparentement isolés sur les langues du monde (« global cognates ») : la racine TIK (« doigt », « un »), ou encore MALIQ’A (« gosier »), que l’on retrouverait en Afrique du Nord, Eurasie, Amériques du Nord et du Sud [Ruhlen 1994b], etc. ; il s’appuie également sur des discussions anecdotiques et non probantes17.
9Bien qu’il s’agisse d’un livre de vulgarisation18, contrairement à Greenberg [1987], Ruhlen [1994a] fournit un matériel linguistique. Il s’agit d’une trentaine de mots (les vingt-sept « racines mondiales ») pris dans une douzaine de familles linguistiques représentant les quelque cinq mille langues qui existent aujourd’hui. Les transformations phonétiques autorisées sont nombreuses et les variations sémantiques excèdent la dizaine (la moyenne serait de vingt-quatre, selon Métoz [2005, p. 405]). Ainsi, la racine TIK (« doigt », « un ») se retrouve sous différentes formes phonétiques avec les « significations » suivantes : ongle, premier, cinq, pied, main, index, plusieurs, seulement, paume, patte, dix, désigner, dire, montrer, chose, orteil ! On peut légitimement se demander quels concepts de « mot », « signification », « racine » ou « langue » il y a derrière tout ce fatras !
10La réception chez les linguistes a été assez dure19. Les chercheurs de l’Institut de la communication parlée (Grenoble) ont monté un programme de simulation statistique de la méthode utilisée. Les résultats sont écrasants et définitifs : dès que l’on utilise plus de deux changements sémantiques, la probabilité que les rapprochements soient dus au hasard avoisine 1 [Bessière et al. 2003]. Nous retrouvons la critique, classique au début du xixe siècle, que les chercheurs opposaient au programme de recherche de la « langue mère ».
11La façon dont Ruhlen utilise la phonétique ne le met pas en meilleure posture : inversion des correspondances de la loi de Grimm [Métoz 2005, p. 417], autrement dit utilisation réversible des correspondances, étroitesse du matériel phonétique (moins de trois mille formes différentes, K et ses équivalents représentent 80 % de toutes les consonnes dans les référents principaux), tout conduit à rejoindre le rapprochement aléatoire. On est retourné aux vieux démons d’avant Bopp et Grimm.
12Ruhlen ne semble pas bien comprendre le problème. Dans le texte qu’il a rédigé pour la réédition en livre de poche de la traduction française de son ouvrage [Ruhlen 2007], il se pose la question de savoir combien de preuves il faut, combien de mots issus de la même racine, pour prouver que deux langues sont apparentées. La réponse minimale est « 1 » ; ilcite W. Jones, qui a brillamment admis les parentés sur la comparaison de quelques mots20 ; il se gausse de l’indo-européaniste Watkins, qui exige les correspondances régulières et la reconstruction des racines sur toute la langue pour atteindre la confirmation. Il ne comprend pas qu’une forme considérée en dehors du contexte d’une langue n’a rigoureusement aucune valeur, qu’elle peut être n’importe quoi : l’« intuition » peut rapprocher le français feu et l’allemand Feuer, seule l’analyse du contexte peut mener au résultat bien connu montrant que les deux mots ne proviennent pas d’une racine commune.
13On comprend pourquoi Salmons, dès 1992, qualifiait l’« étymologie globale » de « linguistique pré-copernicienne21 » ; il s’agit d’un véritable retour, en deçà de la révolution comparatiste, aux méthodes contestées du xviiie siècle22. Avec Ruhlen, la « comparaison multilatérale » aboutit à un véritable fiasco.
14En conclusion, je ferai trois remarques.
15L’interdit de la Société de linguistique n’est pas le fait d’une poignée d’intellectuels parisiens tributaires d’un état de la science aujourd’hui dépassé. Il s’agit du fondement même de la grammaire comparée indoeuropéenne, dont le linguiste ne saurait pas plus se passer que le mathématicien ne saurait refuser la théorie des nombres réels qui interdit la quadrature du cercle. Ce fondement est admis par tous. Il signifie simplement que les méthodes de la grammaire comparée sont incompatibles avec une recherche sur l’origine des langues. Il s’agit d’un résultat définitif. Cela n’exclut nullement d’autres approches (biologiques, psychologiques ou par modélisations abstraites), auxquelles ont participé de nombreux linguistes (dont Bréal, le secrétaire de la Société de linguistique).
16On peut se demander pourquoi les recherches sur l’origine des langues rencontrent aujourd’hui un tel succès, quelle que soit l’évidence des défauts du (des) modèle(s) proposé(s). Il faut, de toute évidence, évoquer l’ignorance abyssale de l’histoire de la discipline, qui interdit pratiquement tout véritable cumul sur le long terme. Mais cela n’explique pas que l’on prenne au sérieux des constructions intellectuellement aussi faibles que celles de Ruhlen. Nicolaï [2000] a avancé l’idée que le développement et la réception de telles conceptions passaient non par le champ habituel de la science professionnelle, mais par celui, extérieur, de la vulgarisation. Dès lors, on rencontre la permanence des obstacles épistémologiques que le développement scientifique a dû surmonter, par exemple le mythe de la « langue mère23 ». L’état d’esprit de la « nouvelle synthèse », qui préside au renouveau des recherches sur l’origine, n’arrange guère les choses, puisqu’il conduit à l’intervention de non-spécialistes dans la sélection des hypothèses. Le préfacier de la première édition française de Ruhlen [1997], André Langaney, n’est pas un linguiste mais un généticien. Certes, il reconnaît d’emblée ne pas être qualifié pour juger24, mais cela ne l’empêche pas de soutenir l’hypothèse avec tout le poids symbolique de la reconnaissance dont il bénéficie dans sa spécialité25. Telle est bien l’idéologie du « sens commun » : on reconnaît son incompétence, mais on ne peut s’empêcher de donner son avis. Il y a sans doute des façons plus scientifiques de collaborer.
17Ma dernière remarque concernera la communauté des linguistes. Certes, elle a clairement rejeté Ruhlen. Mais ceux d’entre les linguistes qui participent aux recherches sur l’origine entérinent ce rejet avec une discrétion26 à mon sens coupable. Sur les questions d’origine, on publie beaucoup de choses d’une grande médiocrité. La « bulle inflationniste » qui favorise le flot de crédits peut très bien éclater, parce qu’elle repose sur un excès d’ambiguïtés. Il me paraît fondamental que les linguistes, adossés à de solides connaissances historiques et épistémologiques, fassent clairement le point de ce qu’ils peuvent faire ou ne pas faire, de ce qui est acquis (y compris en matière de limitation) et de ce qui ne l’est pas.
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Notes de bas de page
1 Les dix volumes du Monde primitif ont paru, « chez l’auteur », à partir de 1772.
2 La traduction française intervient l’année même de la fondation de la Société de linguistique et elle est le fait de son premier secrétaire général.
3 Boas était un juif allemand émigré aux États-Unis en 1887 ; son élève Sapir est également né en Allemagne, mais il a émigré à l’âge de cinq ans. Bloomfield est allé étudier en Allemagne auprès des néogrammairiens et a travaillé sur l’apophonie. Le plus célèbre des linguistes américains, Whitney, était un sanskritiste très orthodoxe. Notons enfin que la première application cohérente de la notion de loi phonétique à une famille amérindienne (en l’occurrence, la famille caribe) est due à l’explorateur allemand K. von den Steinen dès 1892.
4 La glottochronologie s’efforce de dater la séparation des idiomes à l’aide d’une formule mathématique : t = log C/2 log r, où t a pour valeur le temps (en millénaires), C indique le pourcentage de termes apparentés subsistant dans les langues considérées, r est une constante qui a pour valeur le pourcentage de termes apparentés demeurant dans des langues de même origine après un millénaire de séparation. La vitesse d’évolution des langues devient une constante ce qui, à première vue, contredit la contingence de l’histoire, sauf à supposer qu’il s’agisse d’une moyenne globale (dans ce cas, on peut se demander quel sens linguistique elle pourrait avoir).
5 Dans l’ouvrage publié l’année de sa mort (1967), Swadesh reconstruit un schéma d’apparition du langage à partir de la lente évolution des cris instinctifs, qui sont à peu près les mêmes pour toute l’humanité. Cette base biologique induit un monogénétisme « revisité » : « Dans les premiers temps, le développement du langage fut le résultat de l’accouplement parfait de la monogénèse de la conduite générale et de la polygénèse des petites inventions. Peut-être est-ce un million d’années plus tard que se sont formalisés les parlers régionaux, encore en partie mutuellement intelligibles, mais avec des traits à présent différenciés ? » [Swadesh 1986, p. 45].
6 Il ne semble pas que Swadesh ait eu connaissance des travaux antérieurs allant dans cette direction. Il faut attendre Hymes [1973] pour faire le rapprochement. On peut supposer que c’est la considération des vocabulaires comme moyen d’apparentement qui, en l’absence de toute autre documentation, le conduit, comme ses prédécesseurs, à rechercher une solution par « calcul ».
7 Ce vocabulaire est conçu comme l’équivalent du carbone 14 pour la datation des objets matériels.
8 Voir les textes repris dans Hymes [1964], notamment Gudschinsky [1956].
9 On pourrait admettre que, sous une formulation aussi générale que celle que l’on vient de donner, il s’agisse du principe de base de la grammaire comparée : « C’est la persistance de formes anciennes à l’intérieur du système nouveau qui a rendu possible la grammaire comparée » [Meillet 1937, p. 450]. Toutefois, l’application en est inversée : la grammaire comparée constate les apparentements et s’efforce de les expliquer (changements phonétiques), la glottochronologie, à l’inverse, s’intéresse à l’érosion et doit ajouter quantité d’hypothèses auxiliaires (ce sont elles qui sont indésirables) pour en tirer des conclusions.
10 La perte de 20 % du vocabulaire par millénaire implique que l’on ne puisse remonter à plus de 6 000 ans [Nichols 1998, p. 128].
11 On prend les grandes familles connues et on compte le nombre de branchements initiaux, en excluant l’indo-européen, qui est trop « particulier » par rapport à ce qui se passe ailleurs (sic !) ; on évalue le nombre moyen de branchements sur un ensemble de familles (Nichols a pris celles de l’hémisphère nord, mieux documenté), ce qui donne un taux moyen de dispersion (en l’occurrence 1,5) sur la période historique de 6 000 ans. Dès lors, lorsqu’on se trouve en présence d’un nombre n de branchements, il suffit de diviser n par 1,5, et ainsi de suite sur chacun des résultats jusqu’à ce que l’on trouve un nombre inférieur à 2, puis demultiplier le nombre d’étapes par 6 000 pour avoir la datation de l’ancêtre commun [ibid., p. 136].
12 Greenberg s’est également attaqué aux langues africaines et indo-pacifiques. Dans ce dernier cas, les résultats sont aussi controversés que pour le domaine amérindien. On a justement noté que, dans le cas des langues africaines, sa classification est admise et concorde avec celle des autres chercheurs. On ne peut pourtant en faire un argument pour la validité universelle de la méthode : ce qu’il faut, c’est comprendre pourquoi celle-ci « marcherait » dans le cas des langues africaines.
13 « […] sound laws are discovered once one has identified a language family by means of the method of comparison of basic vocabulary. »
14 Il s’agit de ce que l’on nomme la « loi de Meillet » pour l’arménien (par exemple, *dwoo en proto-indo-européen donne erko, « deux », en arménien). Voir Lamberterie 1988, qui retrace l’histoire de cette loi et de sa réception, tout en donnant une argumentation solide en sa faveur.
15 Ruhlen [2007, p. 379 sq.] donne des éclaircissements sur la façon dont il a procédé. Il a d’abord choisi trente-six « sens fondamentaux, connus pour être très stables à travers les âges » ; ensuite, pour chaque aire géographique, il a choisi douze langues qu’il ne connaissait pas ; il est ensuite allé à la bibliothèque de Stanford et a cherché dans les dictionnaires de ces langues ; il a regroupé tout cela dans une matrice de douze langues et trente-six sens, pour ne retenir en fin de compte que « les douze mots donnant le témoignage le plus clair de la classification correcte ».
16 Lorsque Saussure, en 1879, décrit le système vocalique proto-indo-européen, il ne pouvait savoir que Kurylowicz, en 1927, retrouverait dans un phonème du hittite, langue que l’on venait de déchiffrer, l’un des éléments qu’il avait reconstruits [voir dans le volume III de Auroux 1989-2000 la section intitulée « Des coefficients sonantiques à la théorie des laryngales », rédigée par M.-J. Reichler-Béguelin ; sur la théorie des laryngales, voir Lindeman 1987]. Bloomfield postule l’existence d’une consonne occlusive abstraite dans sa reconstruction du proto-algonquin [Language, I, 1925, p. 130-156], dont il confirme par la suite l’existence à partir d’un dialecte algonquin encore peu étudié [Language, IV, 1928, p. 99-100].
17 Au xviiie siècle, De Brosses, comme Monboddo, avait utilisé le couple papa/maman que l’on retrouve dans différentes langues pour justifier le monogénétisme à base organique (utilisation de bilabiales étayées sur le suçotement et de valeurs vocaliques proches de la voyelle générique a). L’origine de l’argument a disparu, mais il est toujours présent chez les linguistes (par exemple Jakobson). Ruhlen tire parti de ce que le mot KAKA (« oncle »), auquel on n’a jamais donné d’origine organique, se retrouverait dans plusieurs langues pour soutenir que les deux autres termes de parenté sont des preuves en faveur d’une origine commune. Outre la discussion possible sur KAKA, on ne voit pas en quoi est exclue l’origine organique !
18 Avec son argumentation propre consistant à recourir à un public de non-spécialistes pour s’opposer à la communauté des linguistes, qui, conservatrice, brimerait une innovation révolutionnaire. Sur tous ces aspects rhétoriques qui entourent le renouveau de la question de l’origine, voir Nicolaï [2000] et Métoz [2005].
19 Dans les années 1990, les linguistes se livrent via Internet et un forum de discussion (« Linguist List ») à une critique des méthodes utilisées par les protagonistes du retour à l’origine des langues.
20 Le mythe d’un Jones découvreur du sanskrit et fondateur de la linguistique indo-européenne est largement refusé par les historiens des sciences du langage : le contact avec le sanskrit (et son rapprochement intuitif avec le grec) remonte au xvie siècle, et l’on a fait remarquer que les méthodes de Jones s’apparentaient à celles de Court en comparant tout et n’importe quoi [Metcalf 1984].
21 La révolution copernicienne a consisté à faire tourner la Terre autour du Soleil. Kant a utilisé la métaphore pour désigner le renversement théorique provoqué par sa conception de l’origine de la connaissance. Depuis, les épistémologues utilisent volontiers l’expression « pré-copernicien » pour désigner un système scientifique obsolète..
22 Ses démêlés avec les indo-européanistes sont rapportés comme « histoire d’une hystérie » [Ruhlen 1994a, p. 76 sq.]. Il prend volontiers Meillet comme tête de turc [ibid., p. 78-79] et se réfère à des sottises éculées sur le rôle de Jones comme « découvreur » du sanskrit et de la linguistique comparée. Le seul argument intéressant est utilisé de façon purement rhétorique, sans véritable argumentation ni évaluation de l’effet potentiel sur l’argumentation scientifique : le refus d’aller au-delà de l’indo-européen tient à l’européano-centrisme et à la crainte de voir d’autres populations jouer un rôle prépondérant dans l’histoire de l’humanité (Ruhlen s’appuie sur une citation de Sweet 1900).
23 La « langue mère » serait un système de communication : i) analogue à ce que nous appelons intuitivement une langue (le « français », l’« anglais », etc.) ; ii) unique pour toute l’humanité à un moment donné de son histoire ; iii) antérieur à tout autre système de communication susceptible d’être classé sous le même concept de langue.
24 « Le généticien que je suis n’a pas de compétence linguistique qui l’autorise à affirmer que les arguments linguistiques convaincants, mais parfois ténus, de Ruhlen sont corrects » [Langaney 1997].
25 « Selon des travaux récents sur les séquences d’ADN de populations appartenant aux familles linguistiques les plus différentes, nos ancêtres humains modernes chasseurs-cueilleurs ont même frisé l’extinction, passant par un minimum démographique de quelques dizaines de milliers d’individus à une période située entre trente mille et soixante mille ans avant nous. Si tel est le cas, Merritt Ruhlen a raison ! Car ce goulet d’étranglement démographique à l’origine des six milliards d’humains actuels n’a pas pu laisser se transmettre deux dizaines, au moins, de grandes familles de langues indépendantes. L’extinction des langues dans les petites populations préhistoriques rend la coalescence de toutes les langues actuelles vers une seule langue ancestrale probable, même si d’autres langues préhistoriques, apparentées ou non, ont pu exister sans laisser de traces identifiées de nos jours. Que Ruhlen ait raison sur le fond ne prouve pas qu’il l’ait démontré par les voies de la linguistique. Je vous laisse donc en juger par vous-mêmes, curieux de savoir s’il vous convaincra comme il m’a convaincu » [ibid.].
26 Dans un ouvrage de vulgarisation, L. Sagart, que je tiens pour l’un des meilleurs spécialistes de l’évolution des langues, critique vivement la faiblesse des hypothèses de Greenberg et Ruhlen (ses arguments rejoignent une partie des nôtres), mais conclut : « Je ne pense pas qu’il faille rejeter en bloc et a priori tous ces travaux, mais attendre qu’ils soient proposés avec plus de rigueur » [Picq et al. 2008, p. 82].
Auteur
CNRS, UMR 7597, Laboratoire d’histoire des théories linguistiques, Université Paris VII
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