A. - Le mouvement de renaissance islamique à la fin du xixe siècle
p. 217-241
Texte intégral
1Du fait de son poids démographique et économique, ainsi que de son patrimoine historique prestigieux, la Mésopotamie se devait, à l’instar de la Syrie et de l’Egypte, de participer au mouvement de renaissance intellectuelle qui animait les grandes villes du Machrek comme Beyrouth, Damas et Le Caire, depuis la seconde moitié du xixe siècle. Des villes mésopotamiennes comme Baghdâd, Najaf, Sâmarrâ’ et Karbalâ’ furent effectivement le théâtre, au cours des dernières décennies du xixe siècle, d’un important mouvement de renouveau comparable à celui des autres grands centres urbains du Moyen-Orient. Mais à la différence de ces derniers, il s’agissait, sur les rives du Tigre et de l’Euphrate, d’un processus caractérisé par l’absence quasi totale d’une tendance occidentalisée1. Les principaux promoteurs en étaient les ulémas chiites, qui furent les véritables animateurs d’un vaste courant réformiste islamique, à l’opposé du modernisme laïcisant ou du positivisme scientifique qui s’exprimaient en Egypte et au Liban à la même époque. De façon croissante, les ulémas chiites avaient été amenés, au cours du xixe siècle, à prendre position sur les grandes affaires du siècle. Cependant, l’émergence de ce mouvement n’était pas indépendante du rôle que les sunnites et les chiites conféraient à leurs ulémas et à leurs institutions religieuses respectives, ni des relations qu’ils entretenaient avec le pouvoir. Certains facteurs, déjà évoqués, avaient permis aux institutions religieuses chiites de jouer un rôle éminent, là où les institutions sunnites restaient dans l’orbite du gouvernement.
2Le dogme chiite, nouvellement codifié après la victoire usûlie, l’indépendance de la hiérarchie chiite par rapport aux gouvernements, qu’ils soient ottoman ou persan, la place occupée par Najaf en tant que véritable capitale religieuse du chiisme dans le monde, la présence des plus grands « marja’-s » dans cette ville, tous ces facteurs contribuèrent à l’émergence d’un formidable bouillonnement intellectuel et politique2. Parce que les ulémas en étaient les dirigeants effectifs et l’islam la principale référence, et du fait qu’elle fut capable de susciter de véritables mouvements de masses, le phénomène apparaît, à bien des égards, ne pas avoir d’équivalent dans les autres pays arabes du Moyen-Orient à la même époque. A Najaf, Karbalâ’ et Samarrâ’, villes saintes chiites et lieux de résidence des « mujtahid-s », les manifestations de ce réveil islamique devaient prendre une ampleur sans précédent, illustrant l’émergence d’un véritable courant politique islamique, qui allait être le fondement du mouvement qui combattit la domination britannique dans les années 1910 et 1920.
3Les grands « mujtahid-s » prirent la tête de la lutte contre les puissances européennes qui attaquaient de toutes parts les pays d’islam. Ils furent les adversaires acharnés de la mainmise économique des pays occidentaux sur les pays musulmans. Soucieux de favoriser la critique de la culture et de la civilisation européennes, dont ils dénonçaient les influences perverses sur les sociétés islamiques, ils entreprirent de vastes campagnes, multipliant les appels à la défense de l’islam et en faveur du panislamisme. Le développement sans précédent de la science des « uṣûl al-fiqh » au cours du xixe siècle, après la victoire usûlie, avait permis un tel processus. Najaf, en particulier, qui avait été le théâtre de la lutte sans merci entre usûlis et akhbâris et du triomphe des premiers, apparaissait comme le centre intellectuel et religieux où les ulémas osaient relever le défi des théories matérialistes occidentales et des idées européennes. Ce mouvement florissant de critique et de recherches s’accompagnait de la publication en arabe et en persan de dizaines de livres. Parmi les prises de position les plus célèbres, la critique des théories de Darwin dans la revue najafie « Al-’Irfân » (la Connaissance), par cheikh Aghâ Riḍâ Iṣfahânî, s’inscrivait dans un vaste mouvement qui mobilisait alors à Najaf contre la philosophie évolutionniste3.
4Parallèlement, les méthodes et le contenu de l’enseignement dans les écoles religieuses de Najaf commencèrent à être au centre des débats. Une nouvelle direction religieuse et politique commençait à affirmer la nécessité de renouveler la pensée islamique dans la pratique. L’un des initiateurs du réformisme musulman le plus unanimement respecté, Jamâl ad-Dîn al-Afghânî, fut étroitement associé à cette effervescence des villes saintes du chiisme. Al-Afghânî a étudié et vécu à Najaf ainsi qu’à Karbalâ’. Il a été imprégné de l’atmosphère des deux villes, au moment même où prospéraient dans celles-ci les études philosophiques, les recherches dans les domaines du « kalâm » et des « uṣûl ». C’est dans les villes saintes chiites de Mésopotamie qu’il a acquis une part essentielle de sa formation intellectuelle, en particulier les bases de la philosophie islamique, la « falsafa », où ibn Sîna occupait une place de choix. Najaf et Karbalâ’ étaient, en effet, réputées pour l’enseignement de la « falsafa », à quoi il faut ajouter que la connaissance des sciences islamiques, et en particulier de l’héritage philosophique rationaliste, était, en général, plus facile à obtenir dans les écoles chiites que dans celles des sunnites. La situation prévalant à Najaf, toutefois, ne devait pas permettre à al-Afghânî d’y jouer le rôle qu’il allait avoir au Caire.
5Les villes saintes de Mésopotamie étaient devenues un lieu privilégié favorisant l’émergence de nombreux dirigeants religieux, « marja’ a’la » et « mujtahid-s » importants, qui faisaient de leur lieu de résidence une véritable capitale politique et un centre de pouvoir incontournable.
6Les influences extérieures, notamment celles en provenance de Perse, et dans une moindre mesure d’Egypte et des Indes, avaient une importance décisive sur Najaf et sur le chiisme en Mésopotamie. Le mouvement intellectuel et la presse égyptienne, les échos des événements de Perse, étaient l’objet de débats passionnés. L’arrivée de la presse iranienne à Najaf suscitait de multiples prises de position, car nombreux étaient ceux qui parlaient persan dans les villes saintes. La presse d’opposition, telle « Al-Qânûn » (la Loi), journal en persan publié à Londres à partir de 1890 et auquel participait al-Afghânî, y trouvait des lecteurs assidus4.
7Ce sont les événements de Perse qui jouèrent le rôle de détonateur du mouvement. A partir de 1850, les domaines de conflit entre les religieux et l’Etat qadjar commencèrent à s’élargir alors que la hiérarchie religieuse s’opposait aux tentatives de modernisation et de renforcement du gouvernement du chah. Sous les Qadjars, les « mujtahid-s » avaient gagné en puissance et en richessee : chaque « mujtahid » disposait d’une armée de mollahs et de milices privées, chargés, pour les premiers, de le représenter dans les provinces, et pour les secondes, de procéder à la collecte de la « zakât » et du « khums ». L’éducation et la justice étaient largement soumises à la loi des religieux. Les tribunaux, les « waqf-s », et de nombreuses institutions sociales et caritatives étaient sous le contrôle direct des ulémas. De toutes les sentences rendues par les religieux, seule la peine de mort devait être ratifiée par le chah. Certains « mujtahid-s » étaient propriétaires terriens ou commerçants. De nombreux ulémas et sayyids recevaient, en plus des impôts islamiques et de leurs revenus personnels, des dons du gouvernement, ce qui ne les rendait pas conciliants pour autant. D’importantes fortunes se constituèrent ainsi au cours du xixe siècle.
8De façon générale, et à l’inverse des Séfévides, les Qadjars étaient incapables de résister au pouvoir socio-économique des ulémas ou à l’autorité qui découlait de leurs revendications dogmatiques. Les Qadjars n’avaient pas tenté, à l’instar des Séfévides, d’assumer un pouvoir spirituel : ils s’étaient attribué le titre des anciens rois perses, « Ombre de Dieu sur Terre », mais laissaient aux ulémas l’autorité liée aux représentants de l’Imam caché. Les « marja’-s », qui étaient bien plus respectés que les impopulaires souverains qadjars, pouvaient fréquemment imposer leur volonté à un gouvernement faible. La résidence des plus grands « mujtahid-s » en dehors des frontières, en territoire ottoman, ne faisait que renforcer leur indépendance. Qu’un « mujtahid » parle pour ou contre la politique d’un gouvernement, c’était son avis que les fidèles suivaient. Cette importance des ulémas s’explique, outre ce qui caractérise le chiisme, par le fait que la Perse était davantage à l’écart des influences européennes que l’Egypte ou la Turquie5.
9Comme les autres pays du Moyen-Orient, la Perse avait, toutefois, été profondément affectée par l’expansion rapide du commerce international, conséquence de la révolution industrielle. Cependant, la situation persane diffèrait de la plupart des autres pays de la région, et cela en plusieurs aspects. D’abord, la situation géographique de la Perse entre le Proche-Orient et les Indes, d’une part, entre l’océan Indien et la Russie, d’autre part, valut à ce pays, à partir du xixe siècle, d’être l’un des théâtres de la rivalité anglo-russe. Les Russes souhaitaient, à travers la Perse, avoir accès aux mers chaudes et contourner l’Empire ottoman ; les Britanniques entendaient protéger la route des Indes et contrecarrer les projets tsaristes. En 1813, les Russes prirent la Géorgie et le Daghestan à la Perse, et en 1828, les Iraniens durent leur céder Erivan et le Nakhitchevan. Après la signature d’un traité anglo-persan en 1857, les souverains qadjars en furent réduits à assister passivement au développement de la compétition entre les deux impérialismes, russe et britannique, sur leur territoire. Tour à tour, Russes et Anglais devaient obtenir des concessions de plus en plus étendues, mettant des secteurs entiers de l’économie persane sous leur contrôle. Certes, l’Iran ne devait jamais être formellement colonisé. Mais, il fut privé de certains effets « positifs » du colonialisme, tels que la construction de routes et de chemins de fer, les investissements étrangers dans l’exploitation de ses richesses naturelles et dans l’agriculture. Le désintérêt relatif du capital étranger pour le pays permit à la classe des commerçants locaux de bénéficier d’un espace de développement autonome plus grand que dans les autres pays du Moyen-Orient. La Perse vit, en conséquence, l’émergence d’une classe puissante de marchands aisés, engagés dans les activités bancaires et de commerce en gros, bénéficiant de ses propres réseaux internationaux. A la fin du xixe siècle, des colonies commerciales persanes prospéraient à Istanbul, Baghdâd, Bakou, Tiflis, Calcutta, Bombay, Marseille, Londres et Manchester. La combinaison d’une situation semi-coloniale, imposée par les impérialismes russe et britannique, et de l’opposition véhémente de la hiérarchie religieuse chiite aux « innovations anti-islamiques » (« bid’a ») réduisit sérieusement les chances de réformes. La Perse paraissait beaucoup plus difficile à centraliser et à moderniser que l’Egypte et la Turquie. Outre les facteurs déjà cités, l’échec de la modernisation du pays au xixe siècle peut s’expliquer par la faiblesse chronique des liens économiques entre provinces, conséquence de la topographie montagneuse du royaume, et à la persistance de pouvoirs tribaux nomades semi-indépendants, ainsi qu’à l’autonomie continue des dirigeants de provinces et des ulémas par rapport à l’Etat.
10Au xixe siècle, le vaste territoire de la Perse, qui ne renfermait que cinq ou dix millions d’habitants, continuait à échapper dans sa majeure partie au pouvoir central. La reconnaissance de la nécessité d’une armée moderne avait encouragé les programmes de modernisation du début du xixe siècle par des souverains tels que Meḥmet Ἀlî en Egypte, et Selîm III et Mahmut II dans l’Empire ottoman. Mais la Perse ne suivit pas l’exemple des autres pays du Moyen-Orient. Le seul Qadjar conscient du besoin de modernisation de l’armée fut le prince héritier Ἀbbâs Mîrzâ (mort en 1833), gouverneur d’Azerbaïdjan, au début du xixe siècle. Ses tentatives d’introduire en Perse une armée à l’occidentale échouèrent à cause de la résistance combinée des chefs tribaux, des dirigeants de provinces, des ulémas et de la corruption généralisée. Elles furent dénoncées par les ulémas, notamment, comme une innovation contraire à l’islam, en particulier l’uniforme militaire occidental. Seule la brigade de Cosaques, fondée en 1879, et dirigée par des Russes, devint une force relativement disciplinée, mais elle ne devait être utilisée que pour protéger le chah face aux mouvements insurrectionnels libéraux qui s’annonçaient. Après la mort de Ἀbbâs Mîrzâ, ni Fatḥ Ἀlî Shâh, ni Muḥammad Shâh ne tentèrent réellement de moderniser et de centraliser le pays. Parallèlement, la soumission aux intérêts économiques étrangers s’accentuait : les traités de 1836 et de 1841 donnèrent aux Britanniques les privilèges précédemment accordés aux Russes. Les deux impérialismes en vinrent à avoir un véritable droit de véto sur les relations économiques de la Perse.
11C’est dans ce contexte qu’il faut situer les événements majeurs qui affectèrent la Perse à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, au cours desquels les ulémas s’affirmèrent en tant que véritable force nationale. Certains ulémas importants jouissaient, certes, d’une influence locale depuis les Séfévides, et ils avaient, à l’occasion, provoqué le départ de gouverneurs. Bien que la majorité des ulémas n’acceptassent pas de salaires directs du gouvernement, ils ne refusaient pas les contributions, les diverses donations, et les revenus des terres « waqf », et ceci avait contribué à encourager leur quiétisme. Les religieux de la fin de la période séfévide bénéficiaient, certes, d’une remarquable indépendance, quand ils ne manifestaient pas de la défiance, envers le gouvernement. Mais ce fut sous le règne de Fatḥ Ἀlî Shâh (1797-1834) qu’ils firent véritablement irruption sur la scène politique au niveau du pays.
12Leur première opposition déclarée au chah se produisit dans les années 1820. Le règne de Fatḥ Ἀlî Shâh fut, en effet, marqué par deux guerres désastreuses contre la Russie, en 1804-13 et en 1826-28, durant lesquelles la Perse perdit toutes ses provinces caucasiennes (traités de Gulistân en 1813 et de Turkomanchay en 1828). Les ulémas se posèrent face au chah en champions de l’indépendance du pays. Fatḥ Ἀlî Shâh, pour sa part, témoignait un grand respect envers eux. Il fit des pèlerinages à Mashhad et à Qumm, et dépensa beaucoup d’argent pour les mausolées d’Irak et de Perse, les mosquées et les écoles religieuses. Cette bigoterie marquée, qui devait exprimer un réel sentiment religieux, ne lui en servait pas moins à légitimer sa dynastie. Durant la première guerre russo-persane, Mîrzâ Buzurg Qâ’imaqâm, le Premier ministre du prince héritier Ἀbbâs Mîrzâ, qui dirigeait la guerre contre les troupes tsaristes, avait écrit aux ulémas d’Irak et d’Isfahan, afin d’obtenir d’eux qu’ils délivrent une fétwa déclarant la guerre sainte contre les Russes. Par suite de l’annexion des provinces caucasiennes, des nouvelles étaient parvenues aux ulémas selon lesquelles les Russes maltraitaient les musulmans de ces territoires récemment conquis. Ils engagèrent alors une campagne en faveur du jihad. Fatḥ Ἀlî Shâh demeurait réticent, mais, en 1826, sur l’insistance de certains ulémas, dont sayyid Muḥammad Ṭabâtabâ’î, un « mujtahid » de Karbalâ’, il finit par céder aux pressions qui s’exerçaient sur lui. Les ulémas avaient, en effet, menacé le chah de prendre eux-mêmes l’affaire en main et de déclarer seuls le jihad si le gouvernement manquait à ses devoirs de défense du territoire. Ils promulguèrent des fétwas appelant au jihad, menaçant d’anathème ceux qui tenteraient de s’y soustraire. Sous la direction de sayyid Muḥammad al-Mujâhid, les ulémas organisèrent, en 1826, la guerre de résistance à l’occupation russe6.
13La seconde guerre russo-persane fut un désastre comme la première. Présents au début sur les champs de bataille, les ulémas se retirèrent dès les premières défaites. Le traité de Turkomanchay en 1828 aboutit à la cession de nouveaux territoires à la Russie ainsi qu’au versement d’indemnités de guerre importantes. Les ulémas continuèrent d’accuser Fatḥ Ἀlî Châh de se soumettre face à l’envahisseur. Pour la première fois, et malgré la défaite, la seconde guerre russo-persane illustrait la capacité des ulémas de s’imposer en tant que force nationale, champion de la défense des territoires islamiques face à une armée « d’infidèles ». Les menées de l’impérialisme russe avaient cristallisé une opposition entre religieux et pouvoir, qui dès lors ne cessa de croître. Les ulémas amplifièrent leur campagne contre les Russes, et il est certain qu’ils furent les instigateurs du meurtre, en 1829, de l’envoyé russe, Griboyedov, venu pour exiger le paiement des indemnités de guerre7.
14Résultat des défaites militaires, la situation financière de la Perse s’aggrava encore davantage, obligeant le chah à accorder concessions et facilités aux Occidentaux. L’extra-territorialité fut bientôt accordée aux Russes, puis aux Britanniques, et la faiblesse des droits de douanes pratiqués ouvrit largement la Perse aux produits de ces pays8.
15Le changement le plus net dans les relations entre les ulémas et l’Etat persan se produisit durant le règne de Muḥammad Shâh (1834-1848). Ce dernier avait une prédilection pour le soufisme, et négligeait en conséquence les ulémas, s’abstenant des dons et des contributions que les souverains persans faisaient traditionnellement aux religieux et à leurs institutions. Mais c’est sous le règne de Nâṣir ad-Dîn Shâh (1848-1896), que les ulémas devinrent de façon presque systématique impliqués dans les toutes grandes affaires politiques du pays : réponse aux défis du bâbisme et du cheikhisme, critiques croissantes de la politique du gouvernement, lutte contre la pénétration économique et politique grandissante de l’Europe, appel au panislamisme et refus de la modernisation telle qu’elle était proposée par les Premiers ministres réformistes du chah, tels furent les thèmes de mobilisation de ce qui était devenu un véritable mouvement d’opposition. Ce furent les ulémas qui prirent la direction de la lutte contre le bâbisme. Ici, la coopération des ulémas et du gouvernement, pour une fois unis par un intérêt commun, fut illustrée lors de la terrible répression de la révolte bâbie (1849-1852)9. Les ulémas chiites résidant en Irak participèrent à cette campagne. A Baghdâd, le gouverneur ottoman Najîb Pasha, convoqua, en 1845, les plus éminents ulémas sunnites et chiites, qui publièrent à cette occasion une fétwa commune déclarant le bâbisme équivalent à l’impiété. Le bâbisme avait attiré de nombreux éléments de la bourgeoisie urbaine libérale persane : ce sera par des révoltes contre les concessions étrangères et par le constitutionnalisme qu’elle exprimera désormais son mécontentement, en alliance, cette fois, avec les religieux. Les partisans du Bâb qui réussirent à s’échapper de Perse vinrent se réfugier à Baghdâd, mais l’hostilité des « mujtahid-s » les força à quitter le pays10.
16Nâṣir ad-Dîn Shâh avait une réputation de dévot. Le chah mettait un zèle ostentatoire à s’acquitter de ses devoirs religieux : il fit le pèlerinage à Mashhad et aux villes saintes d’Irak, et dépensa beaucoup d’argent pour les mausolées des Imams. Cette attitude, que les ulémas assimilait à de la tartuferie, excédait les plus grands « mujtahid-s », préoccupés par la domination croissante qu’exerçaient les puissances européennes sur la Perse. A partir des années 1850, la Russie et la Grande-Bretagne entreprirent de se faire octroyer des concessions sur certains secteurs économiques de l’Iran : la première concession accordée aux Anglais concernait le télégraphe. Par une ironie de l’histoire, l’extension du réseau télégraphique allait se retourner contre ses promoteurs, son utilisation par les ulémas en 1891-92 permettant de mobiliser la population contre les concessions. La soumission croissante de la Perse aux intérêts économiques et politiques de la Grande-Bretagne et de la Russie heurtait les ulémas ; les droits de douanes privilégiés et l’extra-territorialité concédée aux pays européens frappaient de plein fouet la classe des commerçants locaux, les bâzâris. La convergence des intérêts entre la hiérarchie religieuse et les bâzâris allait permettre les premiers mouvements de masses de l’histoire moderne de la Perse, dirigés par les religieux contre la pénétration économique et idéologique de l’Occident. L’imbrication sociale traditionnelle des ulémas et de la classe nationale des commerçants trouvait ainsi son expression politique. L’alliance entre le bâzâr et les ulémas culmina avec la campagne, en 1872-73, pour l’annulation de toutes les concessions accordées au sujet britannique Reuter11. Le Premier ministre, Ḥusayn Khân Sipahsalâr, qui était favorable à ces concessions fut contraint de démissionner, au moment où le pays sortait exsangue de la terrible famine de 1869-1872. Corollaire de leur campagne contre la domination étrangère, les ulémas prirent la tête de la lutte contre la modernisation. Les tentatives de réformes et de modernisation de la Perse, menées par les deux Premiers ministres de Nâṣir ad-Dîn Shâh, Mîrzâ Taqî Khân « Amîr Kabîr » (exécuté en 1852), et Mîrzâ Ḥusayn Khân Sipahsalâr « Mushîr ad-Dawleh » (1871-73), firent long feu. C’est sous leur ministère que l’imprimerie fut introduite en Perse, et que les étudiants furent envoyés en plus grand nombre en Europe, toutes tendances qui remettaient en cause la façon traditionnelle de penser. Les résistances de la hiérarchie religieuse aux réformes modernisatrices qui auraient pu menacer les prérogatives des « mujtahid-s » s’en trouvèrent accrues. Aussi les ulémas jouèrent-ils un rôle de premier plan dans la campagne contre Ḥusayn Khân Sipahsalâr, dont ils craignaient les effets des mesures en faveur d’une modernisation à l’européenne. Ils n’hésitèrent pas à assimiler ces mesures aux tentatives de domination des puissances européennes. Celles-ci, il est vrai, s’accéléraient. En trois décennies, elles devaient englober les secteurs vitaux de l’économie persane : après la concession accordée à Reuter en 1872, il y eut celle sur le trafic fluviale de la rivière Kârûn (la seule rivière navigable d’Iran) octroyée en 1888 aux Britanniques, la création de la Banque impériale de Perse par les Anglais, à laquelle s’opposait la Banque d’escompte de la Perse qui servait les intérêts russes, le monopole sur la culture et la vente du tabac en 1890-92, la réorganisation des douanes persanes par les Belges, en 1898, dénoncée par les bâzâris comme favorable aux étrangers, et les manœuvres de la Banque des prêts russes à partir de 1900. La Perse se transformait en une sorte de condominium russo-anglais12.
17Dans les villes saintes de Mésopotamie, un courant apparut en solidarité avec les religieux de Perse contre les Qadjars. Ce courant fut dirigé, à la fin du xixe siècle, par sayyid Ḥasan Shîrâzî. Ce grand « mujtahid » affirma de façon croissante sa capacité de se poser en tant que dirigeant religieux et politique, rôle qui fut confirmé lorsqu’il accéda à la fonction de « marja’ a’la ». Al-Wardî le considère comme « le plus grand « mujtahid » chiite du règne hamidien »13. Sayyid Muḥsin al-Amîn décrit Ḥasan Shîrâzî comme « l’un des maîtres les plus éminents dans la science des « uṣûl », et comme le plus savant de tous les ulémas de son temps »14.
18Ḥâjjî Mîrzâ Sayyid Muḥammad Ḥasan Shîrâzî était né à Shîrâz en 181515. Il commença ses études religieuses à Iṣfahân, puis vint à Najaf où, sous la direction de Murtaẓâ Anṣârî et de Muḥammad Ḥusayn Kâshif al-Ghaṭâ’, il perfectionna ses connaissances religieuses. Après le décès du « marja’ a’la », cheikh Murtaẓâ Anṣârî, en 1864, et durant les dix années qui suivirent, il devait s’imposer comme l’un des plus grands ulémas. Sayyid Shîrâzî était alors l’un des quatre grands « mujtahid-s » candidats à la fonction de « marja’ a’la ». Il fut un acteur important des événements sociaux dont Najaf, puis Sâmarrâ’ où il alla s’établir ensuite, furent le théâtre. A partir de 1872, il fut considéré de façon unanime comme le successeur de Murtaẓâ Anṣârî, à la fonction de « marja’ a’la ». Après Murtaẓâ Anṣârî, Mîrzâ Shîrâzî était le second à être une référence pour l’ensemble du monde chiite. En 1874, il transféra sa résidence de Najaf à Sâmarrâ’ et fonda sa propre école dans la ville. Sa présence contribua à faire de Sâmarrâ’, jusqu’à son décès en 1895, la principale tribune d’où il s’adressait au monde. En effet, les ulémas et les dirigeants politiques, dans les vilayets mésopotamiens comme en Perse, s’en remettaient à lui dans les affaires politiques majeures. L’influence considérable qu’il acquit alors était davantage due à son action résolue dans le domaine de la politique, notamment dans la période entre 1870-1895, et à ses conceptions rénovatrices. De fait, il n’est l’auteur d’aucun traité en science religieuse notable. Mais il réorganisa l’enseignement du « fiqh » selon une méthode encore utilisée au xxe siècle. La plupart des grands « marja’-s » du début du xxe siècle furent ses disciples : Khurâsânî, Yazdî, Muḥammad Taqî Shîrâzî, Nâ’înî et d’autres devaient perpétuer son action et son autorité politique. La filiation religieuse englobait, dans ce cas, une filiation quasi politique et éthique. Une nouvelle génération de « mujtahid-s » naissait qui allait être portée par toutes les tempêtes politiques en gestation16.
19Dans les villes saintes où il résida, sayyid Ḥasan Shîrâzî se rendit très populaire par le souci évident qu’il témoignait pour la misère qui l’entourait. Les grands ulémas avaient, certes, toujours pratiqué la charité sur une échelle plus ou moins grande. Cela faisait partie de leur fonction. Cependant, l’action sociale de Ḥasan Shîrâzî prit une ampleur telle qu’elle manifestait une nette volonté de se substituer à l’Etat là où il était déficient. En 1870, année où la famine frappa l’ensemble de la Mésopotamie, Mîrzâ Shîrâzî entreprit de distribuer de la nourriture à l’ensemble de la population de Najaf. Il utilisa, à cette fin, une grande partie des « ḥuqûq », l’argent qu’il recevait en tant que « marja’ ». A partir de son installation à Sâmarrâ’, où il résida jusqu’à son décès en 1895, puis tout au long de son séjour dans la ville sainte, il multiplia ses activités sociales et caritatives. Sur son ordre et à ses frais, un pont fut construit sur le Shaṭṭ Sâmarrâ’. Les travaux en coûtèrent dix mille roupies et il prit soin de l’offrir à l’Etat ottoman. En même temps, il pourvoyait aux besoins de nombreux pauvres dans la ville de Sâmarrâ’ et dans ses environs, dont beaucoup étaient sunnites17.
20L’indépendance financière des institutions chiites, qui était totale tant par rapport aux Ottomans qu’aux Persans, permettait aux « mujtahid-s » de pratiquer cette politique interventionniste, dans des domaines qui relevaient normalement de l’Etat et où celui-ci manifestait sa carence de façon notoire. L’un des rares domaines où le gouvernement aurait pu jouir d’un certain pouvoir sur les finances des ulémas, les « waqf-s », ne représentait pas davantage une contrainte pour les ulémas résidant en Irak. Les « waqf-s », en effet, rapportaient peu aux ulémas des quatre villes saintes d’Irak, ceux de Perse étant sous contrôle indirect du gouvernement, et ceux d’Irak se limitant aux environs de Najaf et Karbalâ’. Les principales sources de revenus des « mujtahid-s », les contributions des fidèles, ne pouvaient, elles, faire l’objet d’une restriction gouvernementale.
21L’autorité des ulémas allait, d’autre part, se trouver renforcée par l’extension du télégraphe à Najaf, dans les années 1860. Ce nouveau moyen de communication permit aux grands « mujtahid-s » d’Irak d’être en contact permanent avec les religieux de Perse. Le « marja’ a’la » bénéficia directement d’une audience décuplée.
22La première position clairement politique adoptée par sayyid Ḥasan Shîrâzî fut illustrée par son refus d’accueillir le chah de Perse, Nâṣir ad-Dîn Shâh, lorsque ce dernier effectua, en 1870, une visite aux villes saintes de l’Irak ottoman afin de faire un pèlerinage aux tombeaux des Imams. Nâṣir ad-Dîn Shâh, comme il a été dit, apparaissait comme un dévot, mettant un zèle ostentatoire à s’acquitter des commémorations religieuses et à visiter les villes saintes. Sa visite dans celles d’Irak fut l’occasion pour lui de faire un don important pour recouvrir d’or les dômes des mausolées de Karbalâ’ et Sâmarrâ’. C’était alors sous le règne de Midḥat Pasha. Lorsque le chah fit son entrée à Najaf, l’absence du plus grand « mujtahid » de la ville fit l’effet d’un véritable défi. Durant le séjour du chah, celui qu’on appelait le « ḥujjatul-islâm » Ḥasan Shîrâzî, refusa de lui rendre visite, et il rejeta la somme d’argent qu’il lui offrait. Shîrâzî se contenta, après qu’on eût insisté auprès de lui, de rencontrer le chah publiquement dans l’enceinte du mausolée de Ἀlî.
23Cette attitude de Shîrâzî rehaussa son prestige aux yeux des fidèles et eut pour effet d’augmenter le nombre de ses « imitateurs ». C’était une rupture symbolique dans la tradition des « mujtahid-s » pour accueillir les souverains musulmans. L’écrivain libanais cheikh Muḥammad Jawâd Mughniye précise à propos de cet épisode : « Cette attitude fut suivie par les plus grands « mujtahid-s » depuis Shîrâzî jusqu’à nos jours. Lorsqu’un dirigeant musulman venait à Najaf, ils s’abstenaient de l’accueillir et de lui rendre visite, et s’il y avait une nécessité de le rencontrer, la rencontre se passait dans l’enceinte du mausolée de Ἀlî. » Ce nouveau comportement manifestait la diminution du respect dû au chah. Elle signifiait l’opposition grandissante des religieux à une dynastie rendue responsable de la soumission croissante de la Perse aux intérêts étrangers. Le chah dut entendre, au milieu de nombreux fidèles, la suggestion que lui fit Shîrâzî, de soutenir les institutions chiites d’opposition qui avaient commencé à se manifester en Perse depuis 182618.
24La sédition à caractère confessionnel qui faillit entraîner un affrontement généralisé entre les habitants de Sâmarrâ’ et ceux des environs de la ville, en 1874, fut l’occasion d’une nouvelle intervention du « marja’ a’la »19. L’affaire avait valeur de symbole dans la mesure où elle touchait au point sensible des relations entre sunnites et chiites, donc au problème de l’unité musulmane. Sayyid Ḥasan Shîrâzî réussit à éviter que la tension entre les deux communautés ne dégénère. Il fit plusieurs appels, invitant les musulmans de toutes confessions à s’unir afin de ne pas donner aux consuls européens l’occasion de se poser en médiateurs. De fait, le consul britannique à Baghdâd avait entrepris de se rendre à Sâmarrâ’ afin « d’y étudier la situation ». Shîrâzî refusa de le rencontrer et il déclara à cette occasion : « Il n’est pas besoin qu’un Anglais vienne mettre son nez dans cette affaire qui ne le concerne pas, car le gouvernement ottoman n’a qu’une seule religion, qu’une seule qibla et qu’un seul Coran… »20.
25En dépit de la différence religieuse avec le gouvernement ottoman, le grand « mujtahid » en appelait à l’unité musulmane sous l’autorité de la Porte. Il s’agissait de barrer la route aux interventions des consuls étrangers, et en particulier des consuls britanniques, qui débordaient d’activité pour établir les contacts les plus larges possibles avec les dirigeants sociaux locaux et les notables dans les villes et les campagnes. Cette attitude préfigurait le choix des plus grands ulémas chiites aux heures décisives de la fin de la domination ottomane en Mésopotamie.
26Quant à la manifestation la plus importante de ce mouvement où les villes saintes d’Irak apparaissaient de plus en plus comme le principal lieu de refuge de l’opposition persane, elle fut illustrée par le rôle dirigeant de sayyid Ḥasan Shîrâzî, en tant que « marja’ a’la », lors du soulèvement populaire qui se produisit en 1890 sous la direction des « mujtahid-s » en Perse21. En quête désespérée de revenus, le chah attribuait à des consortiums européens des concessions sur de nombreuses ressources du pays. La concession majeure avait été attribuée au baron Julius de Reuter, qui était sujet britannique, en 1872. Elle garantissait le monopole de l’extraction minière du pays, de la construction de chemins de fer, de projets agricoles et industriels et de la banque nationale. Lord Curzon, lui-même partisan convaincu du bien-fondé d’une politique impérialiste politique et économique, qualifia plus tard cette concession comme « la plus extraordinaire et complète renonciation de toutes les ressources industrielles d’un royaume dans des mains étrangères, qui ait jamais existé »22. Mîrzâ Ḥusayn Khân Sipahsalâr, le promoteur de cette concession, fut obligé de démissionner face à la tempête de protestations orchestrée par les ulémas. Cette concession était rapidement devenue un sujet d’embarras pour le gouvernement britannique, et elle fut annulée sous prétexte d’anomalies techniques. Mais une autre concession, garantissant le monopole sur la culture du tabac iranien, sa vente et son exportation, pour une période de cinquante années à partir de la date de sa signature, mars 1890, fut octroyée au même Reuter. Le gouvernement de Nâṣir ad-Dîn Shâh bradait ainsi à l’une des compagnies monopolistes anglaises une activité importante du pays, source de revenus de nombreux cultivateurs et négociants, chargée, de plus, de toute une valeur symbolique étant donné la place qu’occupait la consommation du tabac dans tout le pays. Cette concession allait soulever, en 1890-92, un mouvement d’indignation sans précédent. D’abord gardée secrète, elle fut dévoilée à la fin de 1890 par le journal réformiste d’opposition persan publié à Istanbul « Akhtâr ». Des pamphlets anti-britanniques se mirent à circuler en janvier 1891 — attribués à Afgfhâni par le chah, ils avaient motivé son expulsion hors de Perse — qui dénonçaient cette concession avec la plus grande virulence. Le mouvement de protestation s’amplifia dans tout le pays au cours de l’année 1891. Des manifestations massives de protestation contre la concession commencèrent au printemps 1891, quand les agents de la régie se mirent à vouloir occuper leurs fonctions. La première marche eut lieu à Shîrâz et son chef religieux fut exilé en Irak23.
27C’était le premier mouvement de masse en Perse contre les empiètements occidentaux. Pour la première fois, les ulémas dirigeaient un mouvement de protestation qui impliquait l’ensemble de la nation, toutes classes sociales confondues. L’ayatollah Muḥammad Ḥasan Ishtiyânî était à Téhéran l’un des « mujtahid-s » les plus importants qui prirent la tête de ce qui allait revêtir le caractère d’un véritable soulèvement. Après l’octroi des concessions, les ulémas en Perse avaient compris que le meilleur gage de succès du soulèvement populaire était le soutien prodigué par le « marja’ a’la » à partir de sa ville de Sâmarrâ’. De nombreux religieux de Téhéran, de Shîrâz, d’Iṣfahân, de Tabrîz et de Mashhad envoyèrent des télégrammes à sayyid Shîrâzî lui demandant de prendre position. Il leur répondit d’abord par ce cable : « J’ai bien reçu les télégrammes des ulémas, je vous remercie de tous vos efforts et j’ajoute foi en vos paroles. Cependant, je ne fais pas confiance aux télégrammes. Ecrivez-moi en détail ce que vous évoquez dans les télégrammes afin de couper net la main de l’étranger en Iran, et permettre le retour de l’affaire du tabac à sa situation précédente, si Dieu le veut. »24
28En même temps, il envoya de nombreuses lettres au chah, lui faisant valoir qu’il n’accepterait qu’« une seule réponse, l’annulation des accords »25. Un mouvement insurrectionnel éclata à Tabrîz où le gouvernement fut contraint de suspendre la concession. Ailleurs, des manifestations de masse conduites par des ulémas à Mashhad, Iṣfahân, Téhéran, et dans les autres grandes villes de Perse, montraient que l’ensemble du pays s’était mobilisé. Lorsqu’il désespéra de convaincre le chah, Mîrzâ Shîrâzî promulgua de Sâmarrâ’ la célèbre fétwa, en décembre 1891, adressée à tous les chiites :
« Au nom de Dieu bienveillant et miséricordieux, l’utilisation du tabac est interdite sous quelque forme que ce soit, et qui en fera l’usage sera en guerre contre l’Imam, que Dieu accélère sa réapparition. »26
29Cette fétwa fit l’effet d’une bombe. Elle eut un impact immédiat et énorme sur la société iranienne. Copiée en cent mille exemplaires, elle fut diffusée dans toutes les provinces de Perse, et lue à partir des « minbar-s », dans les mosquées et dans les « ḥusayniyya-s ». Le texte de la fétwa fut affiché sur chaque édifice religieux27. En interdisant, sous peine d’excommunication, la consommation du tabac aussi longtemps que la concession à Reuter ne serait pas dénoncée, Shîrâzî mettait sur un terrain clairement religieux la lutte contre la domination étrangère. Cette interdiction fut universellement respectée dans le pays.
30Le mouvement culmina par un boycott généralisé du tabac, observé même par les femmes du chah et par les non-musulmans. Le gouvernement tenta de n’annuler que le monopole intérieur de la concession, mais cela s’avéra impossible. Une manifestation de masse à Téhéran fut prise sous le feu des soldats : il y eut des morts et des blessés, provoquant des manifestations encore plus massives. Le gouvernement fut contraint d’annuler la concession au début de 1892 pour calmer l’agitation générale.
31Ce fut la première protestation de masse de l’histoire de l’Iran moderne, facilitée par le télégraphe qui mettait rapidement en contact avec les villes saintes d’Irak. Toutes les couches de la société y avait participé : ulémas, intellectuels, commerçants, gens de la ville. Les ulémas avaient gagné cette confrontation avec le chah et réalisaient dès lors tout leur pouvoir. Cet épisode n’était que le prélude de l’implication des ulémas dans le mouvement constitutionnel de 1905-1909.
32Le soulèvement, en Perse, était devenu clairement anti-occidental et hostile à l’influence économique et culturelle de l’Europe, et motivé en plus par le refus de l’absolutisme du chah. Il était l’aboutissement de l’exaspération populaire face à l’influence grandissante de la Grande-Bretagne. Maḥallâtî décrit un sentiment très répandu lorsqu’il dit : « Une mission anglaise était d’abord arrivée à Téhéran, qui fut suivie par l’arrivée d’au moins cent mille Anglais. Ces derniers ouvrirent des écoles pour faire du prosélytisme chrétien, mirent des missionnaires protestants dans tous les hôpitaux et dépensèrent de l’argent pour les pauvres, n’hésitant pas à faire travailler des filles musulmanes. »28
33La fétwa de Shîrâzî et le soulèvement en Perse de ce qui reste connu comme le « Tobacco Protest » eurent une influence considérable en Irak, et notamment dans les villes saintes qui vivaient à l’écoute des événements de Perse. L’intervention décisive du « marja’ a’la », qui résidait en Irak, établissait un lien indéfectible entre les deux pays. Les relations que Jamâl ad-Dîn al-Afghânî établit avec Mîrzâ Ḥasan Shîrâzî et le rôle qu’il eut lors de ces événements et durant sa présence en Mésopotamie ne firent qu’accroître l’impact du mouvement sur les esprits.29
34Alors que la vague de protestation en était encore à ses débuts, al-Afghânî, qui venait d’être exilé de Perse, était arrivé à Basra en janvier 1891. En collaboration avec un « mujtahid », sayyid Ἀlî Akbar Shîrâzî, l’un des dirigeants du soulèvement en Perse qui s’était réfugié à Basra, il écrivit une lettre à sayyid Ḥasan Shîrâzî à Sâmarrâ’, dans laquelle il lui faisait valoir les injustices du chah à l’encontre du peuple iranien. Il y affirmait notamment, à propos du Premier ministre de Nâṣir ad-Dîn Shâh : « Il (le chah) a confié les rênes du pouvoir sur toutes les affaires du pays, des plus importantes aux plus petites, à un libre penseur inique, un tyran et un usurpateur, qui insulte ouvertement les prophètes, méprise la Loi de Dieu, tient pour négligeable les autorités religieuses, maudit les ulémas, rejette les hommes pieux, condamne les honorables sayyids, et traite les religieux comme on traiterait la lie de l’humanité. »30
35Le « marja’ a’la » ne répondit pas immédiatement aux sollicitations d’al-Afghânî. Il écrivit d’abord au chah, le mettant en garde dans des termes similaires à ceux qu’al-Afghânî avaient utilisé. La visite à Sâmarrâ’ du « mujtahid » persan exilé, sayyid Ἀlî Akbar Shîrâzî, réussit à convaincre le « marja’ a’la » de s’engager davantage dans le mouvement. Par la suite, al-Afghânî et Mîrzâ Shîrâzî devaient intensifier leurs relations épistolaires, qui manifestaient clairement l’établissement de rapports amicaux entre les deux hommes. Pour al-Afghânî, le principal obstacle à la puissance et au progrès des musulmans était leurs dirigeants corrompus. Al-Afghânî investissait les ulémas de la responsabilité de mettre les masses en mouvement contre le despotisme de leurs souverains. Le meilleur exemple des appels qu’il fit aux ulémas contre les tentatives de domination étrangère en Perse fut incontestablement les lettres qu’il écrivit à propos de la concession du tabac. Il déclara même ouvertement dans un pamphlet publié à Istanbul : « Les Iraniens ne désobéiront pas à leurs chefs religieux. Donc, pourquoi le grand dirigeant, Mîrzâ-yi Shîrâzî, n’ordonne-t-il pas au peuple de mettre fin au règne de l’athée et de le chasser de son trône ? Je jure devant Dieu que cette action ne causerait aucune effusion de sang, pas même de la contenance d’une tasse »31.
36Dès que cette lettre se répandit en Irak, son contenu mobilisateur fut immédiat, et elle fut reproduite à des milliers d’exemplaires et diffusées dans tout le pays, plus particulièrement dans les villes saintes et à Najaf, où elle suscita de nombreuses réactions enthousiastes32. Al-Afghânî continua à écrire à Shîrâzî de longues lettres dans lesquelles il incitait le dirigeant chiite à s’insurger contre le gouvernement despotique en Perse et contre la concession du tabac33. Il rendit des visites dans les principaux centres politiques des vilayets, à Basra et à Baghdâd, et probablement à Najaf, Karbalâ’ et Kaẓimayn. Al-Wardî rapporte qu’al-Afghânî rencontra à Baghdâd le vali ottoman Sirrî Pasha et le « naqîb » Sulaymân al-Gaylâni, mais que les autorités ottomanes lui interdirent de se rendre dans les villes saintes où il voulait rencontrer les ulémas chiites et les mobiliser contre le chah34. On ne sait si al-Afghânî vint personnellement à Sâmarrâ’ pour rencontrer sayyid Ḥasan Shîrâzî. Cependant, on suppose qu’il put malgré tout aller secrètement à Najaf, Karbalâ’, Sâmarrâ’, et Kâẓimayn. C’est à Kâẓimayn qu’il aurait rencontré de nombreux ulémas chiites35. L’affaire du boycott du tabac fut la manifestation la plus importante des activités politiques des ulémas chiites en Irak à la fin du xixe siècle. Elle demeura une référence pour l’ensemble des musulmans, et un objet d’admiration pour tous les ulémas, sunnites et chiites. Ainsi, Rashîd Riḍâ, qu’on ne peut soupçonner de sympathie pour le chiisme, n’hésite pas à exprimer son admiration pour le rôle des ulémas chiites dans cette affaire, louant les rapports d’al-Afghânî et de Shîrâzî36.
37Le rôle de Jamâl ad-Dîn al-Afghânî (1838-1897) — que les Persans appellent plus volontiers Asadâbâdî — en Mésopotamie ottomane ne se limita pas à la période 1891-1892 et à la campagne de protestation contre la Régie du tabac. Le précurseur du réformisme islamique influença profondément la vie politique et culturelle dans les villes saintes chiites37. Comme les « mujtahid-s », al-Afghânî et Ἀbduh insistaient sur le fait que l’islam est la religion du libre arbitre et ils dénonçaient la théorie de la prédestination divine. Le rationalisme et les influences mu’tazilites formaient un puissant dénominateur commun. L’impact des idées d’al-Afghânî se manifesta plus particulièrement à Najaf, Karbalâ’ et Sâmarrâ’, par l’émergence d’un courant panislamiste, par l’intensification du combat contre les multiples formes de domination étrangère sur les pays musulmans et, enfin, par la dénonciation virulente du despotisme, tous thèmes qui dominèrent jusqu’à la fin du xixe siècle l’ensemble des institutions chiites.
38Al-Afghânî était venu pour la première fois à Najaf en 1850 afin d’étudier les sciences religieuses. Il n’était alors qu’un simple étudiant parmi de nombreux autres et ne jouissait d’aucune réputation particulière. Son séjour dans la ville de l’Imam Ἀlî dura quatre années, à une époque où le chiisme était dominé par la personnalité de Murtaẓâ Anṣârî, le premier véritable « marja’ a’la » du monde chiite38. En revanche, lors de sa seconde visite en Irak, al-Afghânî était déjà connu parmi les ulémas ainsi que dans les milieux intellectuels des principales villes des trois vilayets comme le dirigeant du mouvement réformiste islamique naissant, et ceci grâce à la revue « Al-’Urwâ al-Wuthqâ » (le Lien indissoluble) qu’il éditait à Paris en collaboration avec Muḥammad Ἀbduh. Son célèbre traité, « Réfutation des matérialistes », qu’il avait composé en persan, la langue qu’il connaissait le mieux, avait été publié en arabe dans la revue en 1884 sous le titre « Sunan Allâh fi al-umam wa taṭbîquha ’alâ al-muslimîn » (les Lois de Dieu dans les nations et leur application aux musulmans) et avait profondément marqué les cercles religieux et intellectuels chiites. Ce second séjour en Irak se prolongea deux années, et une de ses premières activités fut la lettre qu’il écrivit à Mirzâ Shîrâzî, dans laquelle il l’incitait à prendre la tête du mouvement populaire qui se développait en Perse contre Nâṣir ad-Dîn Shâh. Au cours de ses visites à Baghdâd et, selon toute probabilité, dans les villes saintes, il réussit à gagner l’adhésion de certains ulémas et celle de certaines personnalités musulmanes connues. Un « mujtahid », sayyid Muḥammad Sa’îd al-Ḥubûbî, ainsi que sayyid Hibbat ad-Dîn Shâhrestânî et le poète Ἀbd al-Muḥsin al-Kâẓimî, proclamèrent publiquement leur accord avec les idées qu’il professait39. D’autres manifesteront par leurs écrits, au xxe siècle, l’influence qu’avait exercée al-Afghânî sur les chiites : ce sera le cas de Muḥammad Ḥusayn Kâshif al-Ghaṭâ’, un important « mujtahid », artisan dans les années 1930 d’un rapprochement entre sunnites et chiites, et de poètes comme Ibrâhîm Ṭabâṭabâ’î, Muḥsin Abû al-Maḥâsin. Al-Afghânî, on le sait, avait entrepris de coopérer avec le sultan Abdùlhamit dans son entreprise panislamiste. L’union des musulmans face aux multiples agressions militaires, politiques, économiques et culturelles dont l’Occident se rendait coupable à l’encontre des pays d’islam, constitua toujours l’un de ses thèmes favoris. Apparu d’abord aux Indes et en Asie centrale russe, après leur occupation par les Anglais et les Russes, le sentiment panislamiste était la conséquence directe des entreprises impérialistes occidentales. A la fin de l’année 1892, al-Afghânî était venu à Istanbul sur l’invitation du sultan Abdùlhamit, dont le souhait évident était d’en faire un propagandiste de sa politique panislamiste. Al-Afghânî n’en continua pas moins ses contacts avec les ulémas de Najaf, de Karbalâ’, de Sâmarrâ’ et de Téhéran, et redoubla d’effort dans ses tentatives de rapprocher sunnites et chiites, et plus particulièrement ceux de l’Empire ottoman et de la Perse40. A cette fin, il fonda un comité dont la principale activité était d’appeler à l’unité des musulmans quelle que puisse être leur confession. En même temps, il animait un cercle de Persans chiites résidant à Istanbul et opposés à Nâṣir ad-Dîn Shâh. Le cercle panislamiste chiite et persan d’Istanbul, sous l’impulsion d’al-Afghânî, envoya des lettres aux ulémas, en particulier aux « mujtahid-s » de Najaf, Karbalâ’ et Sâmarrâ’, pour les inviter à s’unir sous la bannière d’Abdülhamit41.
39Selon al-Wardî, l’une des raisons de l’invitation du sultan Abdülhamit était d’abord son désir d’utiliser al-Afghânî comme intercesseur auprès des ulémas chiites d’Irak et de Perse, afin de gagner ceux-ci au panislamisme42. C’est sur la demande expresse du sultan qu’il aurait écrit aux « mujtahid-s ». La proposition d’al-Afghânî que le monde musulman dans son entier s’unisse sous la direction du califat ottoman afin de mieux résister à la domination européenne, allait dans le sens des préoccupations des religieux chiites. L’un des membres du cercle persan et panislamiste d’Istanbul précise l’offre faite aux chefs religieux chiites : « Si les « mujtahid-s » répondaient positivement à l’appel du sultan, ce dernier accorderait à chacun d’eux, au regard de son rang, certaines faveurs et un salaire mensuel, et il ordonnerait aux fonctionnaires ottomans d’observer une attitude bienveillante similaire envers les Persans à La Mecque et à Médine, au même titre que s’ils étaient sujets ottomans, et en reconnaissance de cette grande action des ulémas chiites et de l’Etat de Perse, il leur confierait les villes saintes d’Irak »… « Six mois plus tard, environ deux cents pétitions émanant des ulémas chiites des pays arabes et de Perse, accompagnées de présents, furent envoyées au sultan par l’intermédiaire de Jamâl ad-Dîn al-Afghânî. »… « Le calife ottoman fut si heureux à la vue de toutes ces lettres qu’il embrassa le « sayyid » (al-Afghânî), et lui dit : « Comme il en est certains qui sont des sunnites fanatiques et qu’ils vont trouver prétexte de cela pour m’accuser de chiisme, il est préférable de confier la réalisation de notre but sacré au Premier ministre et à la Sublime Porte. »43
40Les idées panislamistes s’étaient d’ailleurs également répandues en Perse, comme en témoignent les prises de position de certains personnages influents. Le prince qadjar Abû’l-Ḥasan Mîrzâ, connu sous le nom de Shaykh ar-Ra’îs, qui était un écrivain réputé, affirmait en 1894 dans un pamphlet intitulé « Ittiḥâd-i islâmi » (l’Union musulmane), qu’il mettait tout son espoir dans l’union des musulmans sous la protection du souverain ottoman Abdülhamit, « ce sultan éclairé et sage, qui veut unifier le monde musulman »44. Le succès relatif de la campagne panislamiste de la Porte finit par inquiéter Nâṣir ad-Dîn Shâh, qui accusa publiquement les autorités ottomanes d’ingérences dans les affaires intérieures persanes45. Les appels d’al-Afghânî en faveur du panislamisme ne lui avaient cependant pas fait oublier un autre thème qui lui était cher : le refus du despotisme. Il tenait les souverains musulmans, en particulier les Ottomans, pour responsables du déclin du monde islamique. Ses campagnes contre la tyrannie et la corruption des dirigeants musulmans allait lui valoir l’hostilité de la plupart des dirigeants du Moyen-Orient. En choisissant al-Afghânî comme héraut du panislamisme, Abdülhamit avait visé juste. La personnalité d’al-Afghânî, ainsi que son histoire personnelle, conféraient à ses appels une réelle force de conviction. Ses racines à la fois sunnites et chiites, et sa situation d’apatride, en faisaient le symbole même de la supranationalité islamique. De fait, il manifesta toute sa vie une grande tolérance supraconfessionnelle et supranationale46. Al-Afghânî était, selon toute probabilité, un Persan originaire d’Asadâbâd près de Hamadân. Il avait reçu une éducation chiite en Perse et dans les villes saintes d’Irak, où il fut initié à la tradition rationaliste philosophique d’ibn Sîna, plus que jamais à l’honneur après la victoire uṣûlie. Toutefois, il fut accusé en Perse d’être un bâbiste47, puis d’avoir des sympathies cheikhies, ce qui n’était pas impossible. Quoi qu’il en ait été de sa véritable appartenance confessionnelle, il montra clairement qu’il entendait dépasser les facteurs de division des musulmans.
41Sa vie fut à l’image de cet œcuménisme islamique. L’action d’al-Afghânî et de Ἀbduh devait toujours manifester le désir d’un rapprochement entre sunnites et chiites. Ses multiples voyages le mirent en contact avec les principaux centres de la pensée musulmane de l’époque. Ses séjours en Inde (1857-58) avaient ancré en lui une haine profonde de l’impérialisme britannique. Témoin du jihad des Indiens musulmans contre les Britanniques, il avait été convaincu que seul le sentiment religieux était capable de mobiliser les masses contre les étrangers. Après des passages mouvementés en Afghanistan et à Istanbul et un séjour en Egypte (1871-1879) qui laissa une trace indélébile sur l’islam égyptien, il continua sa campagne anti-impérialiste successivement en Inde, à Londres, dans le sud de la Perse, à Bûshir, d’où il fut expulsé une première fois en 1887 à cause de ses appels antibritanniques, puis en Russie, avant de revenir en Perse. Il était alors devenu persona non grata en Turquie, en Afghanistan et en Inde. Une nouvelle fois expulsé de Perse en 1891, il n’interrompit pas pour autant ses campagnes. De Mésopotamie, puis de Londres, il redoubla de virulence contre Nâṣir ad-Dîn Shâh, accusé de livrer son pays aux étrangers « infidèles » par les nombreuses concessions qu’il leur accordait. Dans son ouvrage « Libâs aṭ-ṭaqwa » (la Décence), il n’hésitait pas à appeler au boycott de tous les produits étrangers48. De Londres, al-Afghânî publiait dans « Al-Qânûn », à côté des articles d’intellectuels libéraux comme Malkom Khân, les lettres qu’il envoyait aux ulémas d’Irak et de Perse, où il les incitait à agir en vue de déposer le chah49. Ses écrits eurent une influence notable sur les ulémas persans d’Irak, principalement sur ceux qui allaient s’engager dans un combat sans merci contre le despotisme du chah.
42Inlassablement, il encourageait les religieux, sunnites et chiites, à ne pas se soumettre face à la tyrannie et à contester la légitimité des souverains absolutistes. Il les engageait à œuvrer à la défense des territoires islamiques face aux agressions européennes, et à s’engager dans l’action politique et sociale pour l’avènement des réformes indispensables face aux défis du temps. Pourtant, c’est chez les ulémas chiites qu’al-Afghânî trouva le charisme et l’autorité nécessaires à ses projets. Durant son séjour en Irak, il déploya les plus grands efforts envers le « marja’ a’la », les « mujtahid-s » et certaines personnalités islamiques chiites, les invitant à agir pour le renouvellement de la communauté islamique, et à combattre l’absolutisme dans les deux Etats musulmans, ottoman et persan.
43De même que la rencontre entre al-Afghânî et Ḥasan Shîrâzî reste hypothétique, on ne peut dire avec certitude si al-Afghânî put rencontrer Nâ’înî, le futur théoricien, parmi les ulémas chiites, du constitutionna-lisme religieux. Nâ’înî était le secrétaire de Mîrzâ Shîrâzî lorsqu’al-Afghânî vint pour la seconde fois en Irak, et une entrevue entre les deux hommes n’est pas à exclure50. Quoi qu’il en soit, les idées d’al-Afghânî influencèrent nettement le « mujtahid » chiite51. En Perse, al-Afghânî devait également trouver un écho important à ses activités hostiles au chah : ce fut, dit-on, un de ses partisan qui assassina Nâṣir ad-Dîn Shâh en 1896 d’une balle dans la tête.
44Des ulémas importants de Téhéran avaient repris à leur compte les appels d’al-Afghânî. C’était le cas de cheikh Hâdî Najmâbâdî (1834-1902), un de ses proches collaborateurs, et partisan convaincu du panislamisme, qui contribua à diffuser les thèses réformistes musulmanes52. Mais c’est avec sayyid Muḥammad Ṭabâṭabâ’î (1841-1920) qu’al-Afghânî devait établir l’alliance la plus étroite. Ṭabâṭabâ’î avait été un élève de Shîrâzî à Sâmarrâ’, et il avait adopté les conceptions du « marja’ » quant à la responsabilité des religieux dans les affaires politiques où l’islam était en danger. De retour à Téhéran, il devint un fervent partisan du constitutionnalisme. L’intense correspondance entre al-Afghânî et Ṭabâṭabâ’î semble montrer qu’al-Afghânî considérait Ṭabâṭabâ’î comme un dirigeant potentiel pour une campagne de longue haleine contre l’absolutisme. Dans une lettre qu’il lui écrivit de Londres, al-Afghânî affirmait notamment : « L’Umma a les yeux fixés sur le noble milieu auquel vous appartenez, auprès duquel elle recherche aide et assurance dans les conditions critiques qu’elle connaît. Qui est plus dévoué que vous pour cette tâche ? Vous êtes un homme d’un naturel intelligent, sage, inspiré et de noble naissance. Je voudrais vous informer que la cohésion des ulémas dans les villes iraniennes a exalté l’islam, renforcé sa position, et mis à jour ses preuves. Tous les Européens sont remplis de la plus grande admiration pour un si grand pouvoir dont on avait souvent pensé qu’il avait complètement disparu. Ils sont maintenant certains qu’il existe une réalité dans cette religion par laquelle les musulmans ne craignent pas la puissance de la tyrannie. Que Dieu leur donne la récompense de l’islam »53. Il ajouta dans son traité : « Si les ulémas suivent ce principe (celui de leur responsabilité politique), la vérité triomphera bientôt et le mensonge tombera ».54
45Ainsi, al-Afghânî investissait les ulémas, et en premier lieu les ulémas chiites, de la mission qui consistait à unifier l’Umma, et à la débarasser de la tyrannie, afin de renverser la tendance à la soumission aux puissances européennes. Plus tard, Rashîd Riḍâ ne s’exprimera pas autrement lorsqu’il dira que « les ulémas sont la meilleure garantie contre le despotisme »55. Parlant ainsi, il était visiblement influencé par les performances des ulémas chiites de Perse qu’il admirait, malgré son esprit antichiite, pour avoir dirigé le mouvement contre le monopole du tabac de 1892 et la révolution constitutionnelle de 1906.
46Le panislamisme influença les plus grands ulémas chiites, en particulier les chefs du mouvement constitutionnaliste, Khurâsânî et Mâzanderânî. Dans un manifeste publié à l’occasion d’un rassemblement convoqué en commun avec un représentant de la Porte, Ẓiyâ Bey, les deux « mujtahid-s », avec plusieurs autres grands ulémas résidant en Irak, déclarèrent que les deux nations musulmanes, ottomane et persane, devaient s’unir56. Des déclarations séparées furent faites par de nombreux ulémas, comme Shaykh ash-Sharî’a Iṣfahânî et sayyid Ismâ’îl aṣ-Ṣadr, pour soutenir le panislamisme57. De fait, les ulémas chiites dénoncèrent toujours le nationalisme comme un hérésie destinée à miner l’unité du monde musulman, malgré l’alliance objective entre les ulémas et les nationalistes iraniens qui devait s’instaurer lors de la révolution persane. Al-Afghânî tenta à maintes reprises d’améliorer les relations entre l’Etat ottoman et le « marja’ a’la ». Il écrivit à cheikh Ḥusayn Khalîl, qui avait succédé à Shîrâzî à Najaf comme « marja’ a’la », et qui était un de ses amis personnels, lui demandant qu’il fasse valoir au sultan ce que la « ḥawza ’ilmiyya » de Najaf considérait être des réformes nécessaires. Cheikh Ḥusayn Khalîl réunit les plus grands ulémas et présenta ainsi plusieurs requêtes au gouvernement d’Istanbul58.
47La question du panislamisme continuait à susciter de nombreux débats dans les villes saintes, mais al-Afghânî ne semble pas avoir réussi à obtenir le soutien résolu des plus grands « mujtahid-s », et le problème demeura en suspens à sa mort. Il semble que la principale raison en fut l’incapacité d’al-Afghânî à convaincre les « mujtahid-s » chiites en Perse et en Irak de la fiabilité du panislamisme du sultan Abdülhamit.
48L’absolutisme qui continuait à caractériser la politique du sultan, qui ne le cédait en rien à l’absolutisme du chah, avait d’ailleurs fortement contribué à diminuer la crédibilité de ses appels. Il faut dire que les ulémas furent confortés dans leur méfiance par la constance de l’arbitraire hamidien. Une nouvelle preuve leur en fut apportée lors du meurtre de Nâṣir ad-Dîn Shâh. Al-Afghânî était alors tombé en disgrâce et avait été exilé à Trabzon, à l’est de la Turquie. Abdùlhamit refusa, certes, de l’extrader vers la Perse, comme l’exigeait le nouveau chah, mais il livra ses collaborateurs, trois ulémas chiites qui s’étaient réfugiés à Istanbul. Ces derniers furent pendus à Tabrîz en 1896, accusés d’être les instigateurs de l’attentat contre le chah59. Les deux souverains absolutistes, le sultan et le chah, avaient finalement choisi de collaborer contre l’opposition libérale. Quels que soient les résultats des efforts d’al-Afghânî pour amener les chiites à collaborer avec l’Etat ottoman, il avait, par ses appels à l’unité des musulmans et au panislamisme, semé une idée qui devint l’un des thèmes majeurs de la pensée politique islamique en Irak au début du xxe siècle, plus particulièrement dans les villes saintes de Mésopotamie60.
49Une autre conséquence, et non des moindres, de l’action d’al-Afghânî et de son influence sur le rôle que les ulémas chiites allaient jouer au début du xxe siècle, fut le rapprochement qu’il favorisa entre les ulémas et les intellectuels occidentalisés. Avant 1890, la plupart des réformistes européanisés étaient hostiles aux ulémas. C’est al-Afghânî qui fut l’artisan de ce qui allait se révéler l’alliance la plus explosive qui soit.
50Au début du xxe siècle, commença, en effet, à se former dans les villes saintes d’Irak un mouvement islamique, qui, tout en étant le prolongement de la renaissance culturelle et politique du siècle passé, exprimait une nette volonté de dépasser le cadre strict de la religion (les « ’ibâdât » et les « mu’âmalât ») pour englober des courants de pensée politique alors en gestation. Le champ d’intérêt des ulémas chiites s’était élargi aux grands problèmes du siècle. Les « mujtahid-s » entendaient réagir aux problèmes majeurs auxquels étaient confrontés les sociétés islamiques. En corollaire du combat qu’ils menaient contre l’ influence grandissante de l’Europe, les ulémas en vinrent à se poser la question du régime politique le plus juste, à leurs yeux, et le plus apte à opposer une résistance aux impérialismes occidentaux. L’absolutisme était-il compatible avec la Loi islamique ? La constitution et le parlement étaient-ils une nécessité dans l’intérêt des musulmans ?
51Le rôle décisif des ulémas dans ce débat allait devenir le fait majeur de la première décennie du xxe siècle, non seulement pour la Perse et pour les chiites de Mésopotamie, mais pour toutes les composantes de la mosaïque que constituaient les trois vilayets, et, bien au-delà, pour l’ensemble du monde musulman. Par leurs prises de position et par leur action, les ulémas chiites créèrent une atmosphère nouvelle en Mésopotamie, tandis que Najaf devenait le centre des tempêtes politiques qui agitaient les deux empires musulmans. Ils furent à l’origine de l’émergence de la première conscience politique dans le pays. Les protagonistes du mouvement avaient été les nombreux ulémas opposés à l’absolutisme et partisans de la constitution.
52Sayyid Ḥasan Shîrâzî était mort en 1895 à Sâmarrâ’ et, comme tous les grands « mujtahid-s », il fut enterré à Najaf. La direction religieuse chiite revint à un groupe de « mujtahid-s » de Najaf : Mullâ Muḥammad Fâḍil Sharabiyânî, (1829-1904), cheikh Muḥammad Mâmaqânî (1822-1905), Mîrzâ Ḥusayn Khalîlî Tehrânî (mort en 1908), et Mullâ Muḥammad Kâẓim Khurâsânî (1839-1911). A la mort des premiers, Khurâsânî apparut comme le « marja’ a’la » et le véritable successeur de Mîrzâ Shîrâzî, même si la popularité d’un autre grand « marja’ », sayyid Muḥammad Kâẓim Yazdî, égalait largement la sienne.
53La première révolution constitutionnelle en Perse, en 1905-1906, fut le véritable détonateur du mouvement constitutionnaliste islamique qui se développa en Irak. L’écho des événements de Perse fut considérable dans les trois vilayets, et plus spécialement dans les villes saintes. Les ulémas allaient confirmer leur rôle politique, par le rôle dirigeant qu’ils jouèrent dans la révolution persane.
54Deux « mujtahid-s », cheikh Muḥammad Kâẓim Khurâsânî, surnommé « al-Akhûnd », et cheikh Ἀbd Allâh Mâzanderânî, apparurent comme les principaux porte-drapeau du constitutionnalisme. Mullâ Khurâsânî était né en 1839 à Ṭûs dans la province iranienne frontalière de l’Afghanistan. Il avait émigré à Najaf en 1861 afin d’étudier les sciences religieuses sous la direction de sayyid Ḥasan Shîrâzî. Il vécut à Najaf et y mourut le 10 novembre 1911. Après le décès du « marja’ » le plus important du début du siècle, cheikh Ḥusayn Khalîlî, qui était également un partisan de la constitution, le rôle de Khurâsânî ne fit que croître à la tête d’un mouvement qui allait bouleverser les deux empires musulmans61.
55Les développements constitutionnels aux Indes et en Egypte, tout au long du xixe siècle, avaient grandement influencé les Persans. En Perse même et en dehors de Perse, des penseurs iraniens occidentalisés avaient fait campagne contre le despotisme. Il s’agissait essentiellement d’une élite intellectuelle dont les figures de proue étaient Fatḥ Ἀlî Akhûnd-Zâdeh (1812-1878), un libéral, partisan de la sécularisation et de la civilisation occidentale bien que très nationaliste, Muḥammad Majd al-Mulk (1809-1880), un haut fonctionnaire de l’Etat qadjar, éclairé aux conceptions libérales, Mîrzâ Ḥusayn Sipahsalâr (1826-1881), l’infortuné Premier ministre de Nâṣir ad-Dîn Shâh, Mustashâr ad-Dawla (1869-1870), un admirateur du Code civil français et l’auteur de « Yek Kalimeh » (« Un Mot », célèbre pamphlet anti-absolutiste écrit en 1870), Malkom Khân (1833-1908), un iranien d’origine arménienne éduqué à l’occidentale, soupçonné de franc-maçonnerie et expulsé de Perse pour cette raison, et qui était un ardent défenseur de la constitution, et Ṭâlibov (1834-1911), un homme d’affaires connu pour ses sentiments hostiles à la hiérarchie religieuse62.
56Les ulémas, on l’a vu, avaient des liens très étroits avec la classe commerçante en Perse, qu’il s’agisse des commerçants engagés dans des transactions internationales ou de la masse des boutiquiers du bâzâr organisés en corporations. Ulémas et bâzâris appartenaient souvent aux mêmes familles. Les corporations prenaient en charge l’organisation de toutes les commémorations religieuses où la présence d’un uléma était nécessaire. Les religieux dépendaient des bâzâris, qui constituaient la source majeure de leurs revenus, dans la mesure où ils leur payaient la « zakât » et le « khums ». A l’inverse, les commerçants avaient besoin du soutien des ulémas, qui étaient l’unique expression d’une opinion publique muselée, pour faire valoir leur droit face à l’Etat. Les religieux qui, par leur fonction, étaient amenés à participer à de nombreuses transactions commerciales, donnaient rarement tort aux commerçants. L’alliance entre les ulémas et le bâzâr, avec toutes ses implications économiques, prit la forme d’un mouvement dirigé contre la pénétration économique et celle des idées européennes. La majorité des ulémas, mûe par un réflexe conservateur, demeurait hostile à tout ce qui provenait d’Europe, les idées européennes comme l’importation de technologie. Cependant, de même que certains progrès techniques, comme le télégraphe, qui mettait les ulémas des villes saintes d’Irak en relation facile avec la Perse, furent acceptés, un concept d’origine occidentale comme le constitutionnalisme, allait être intégré par les plus grands ulémas. Le triomphe de l’uṣûlisme avait ouvert la voie au développement de la pensée politique et économique chiite, et, en conséquence, il avait préparé le terrain au constitutionnalisme religieux. Et la résistance à la pénétration commerciale et politique de l’Europe en Perse, que les ulémas mettaient sur le compte de l’irréligiosité du chah, les amenait à rejoindre un mouvement qui visait à limiter le pouvoir du chah par une constitution. De fait, l’alliance des ulémas usûlis avec les intellectuels libéraux, lors de la révolution de 1906, servit les intérêts de la bourgeoisie commerçante persane63.
57Certes, le soutien effectif de la majorité des ulémas au mouvement révolutionnaire a souvent été mis en question64. Il n’en reste pas moins que les plus grands « mujtahid-s » de Najaf, dans leur quasi totalité, furent des constitutionnalistes convaincus, et les dirigeants du plus grand mouvement de masse qu’aient connu les pays du Moyen-Orient à cette époque.
58L’influence de Jamâl ad-Dîn al-Afghânî fut, là encore, sensible. Certes, bien qu’il fût partisan de la lutte contre le despotisme et l’absolutisme, il ne semble pas avoir appelé à un constitutionnalisme à l’occidentale. Selon certains témoignages, il se serait déclaré favorable, en Egypte, à la république et à la constitution. Mais on ne peut oublier non plus qu’il qualifia les constitutionnalistes ottomans, tels Midḥat Pasha, de « traîtres qui méritent d’être châtiés »65. Dans aucun de ses écrits, il n’est fait allusion au constitutionnalisme. L’éditeur du journal persan d’opposition « Ḥabl al-Matîn (le Lien solide), rendant hommage à al-Afghânî, lui attribue, cependant, le succès des ulémas durant la révolution66. Et il semble clair que, par son action, al-Afghânî avait lui-même favorisé l’émergence d’une telle revendication par les ulémas.
Notes de bas de page
1 — Ghassân Ἀṭiyya : « Iraq, 1908-1921 » - Beyrouth - 1973 - page 43.
— Ἀbbâs al-Ἀzzâwî : « Târîkh al-’Irâq bayn iḥtilâlayn » (Histoire de l’Irak entre deux occupations) - Baghdâd - 1956 - 7e partie - page 288.
— Muḥammad Mahdî al-Baṣîr : « Nahḍat al-’Irâq al-adabiyya fî al-qarn at-tâsi’ ’ashara » (la Renaissance littéraire en Irak au xixe siècle) - Baghdâd - 1946 - pages 9-11.
2 Ἀlî al-Wardî : « Lamḥât ijtimâ’iyya min târîkh al-’Irâq al-ḥadîth » (Manifestations sociales de l’histoire moderne de l’Irak) - Baghdâd - 1969-1972 - tome 3 - pages 78 et 270.
3 Revue « Al-’Irfân » - Sayda - Liban - numéro 21, 1931, pages 498-499.
4 Ἀlî al-Wardî : op. cit., tome 3, page 300.
5 Sur le pouvoir croissant des ulémas chiites en Perse sous le règne des Qadjars, se référer à :
— Nikki Keddie : « The Roots of the Ulama’s Power in Modern Iran » in « Scholars, Saints, and Sufis, Muslim Religious Institutions since 1500 » - University of California Press - Los Angeles - 1978.
— Azar Tabari : « The Role of the Clergy in Modem Iranian Politics » in « Religion and Politics in Iran, Shi’ism from Quietism to Revolution » - Yale University Press - Londres - 1983.
— Nikki Keddie : « Roots of Revolution, An Interpretive History of Modem Iran » - Yale University Press - Londres - 1981. Voir le chapitre 3 : « Continuity and Change under the Qadjars : 1796-1890 ».
— Hamid Algar : « Religion and State in Iran, 1785-1906, The Role of the Ulama in the Qadjar Period » - University of California Press - Los Angeles - 1973.
— Hamid Enayat : « Modem Islamic Political Thought » - MacMillan Press -Londres - 1982.
— Nikki Keddie : « The Origins of the Religious-Radical Alliance in Iran » in « Past and Present » - numéro 34 - juillet 1966.
— Edward G. Browne : « A Literary History of Persia » en 4 volumes - Cambridge University Press - Cambridge - 1902-1924.
6 Hamid Algar : « Religion and State… », op. cit., pages 91-92, 109.
7 Hamid Algar : idem, pages 94-99.
8 Sur la mainmise économique grandissante des puissances européennes sur la Perse, se référer à l’intéressant témoignage d’un consul britannique à Téhéran, cité par Charles Issawi in « The Economic History of Iran : 1800-1914 » - University of Chicago Press - Chicago - 1971, page 76.
9 Mangol Bayat : « Mysticism and Dissent : Socioreligious Thought in Qajar Iran » - Syracuse University Press - Syracuse - 1982.
10 Idem.
11 L. E. Frechtling : « The Reuter Concession in persia » in Asiatic Review numéro 34, 1938.
12 Firuz Kâzemzâdeh : « Russia and Britain in Persia, 1864-1914 : A Study in Imperialism » - Yale University Press - New Haven - 1968.
13 Ἀlî al-Wardî : « Lamḥât ijtimâ’iyya min târîkh al-’Irâq al-ḥadîth » (Manifestations sociales de l’histoire moderne de l’Irak) - Baghdâd - 1969-1972 - tome 3 - page 77.
14 Sayyid Muḥsin al-Amîn : « A’yân ash-shî’a » (Bibliographie des ulémas chiites) - Beyrouth - 1960 - pages 90 et 111.
15 Pour la biographie de sayyid Muḥammad Ḥasan Shîrâzî, se référer à l’ouvrage de sayyid Muḥsin al-Amîn cité à la note précédente, ainsi qu’à : Cheikh Aghâ Buzurg Muḥammad Tehrânî : « Ṭabaqât a’lâm ash-shî’a » (Biographies des ulémas chiites) – Najaf - 1970 - volume 1 - pages 437-441.
16 Dhabîḥ Allâh al-Maḥallâtî : « Mâthir al-kubarâ’ fî târîkh Sâmarrâ’ » (les Grandes heures de l’histoire de Sâmarrâ’) - 2 tomes - matba’at az-Zuhrâ’ - Najaf - 1368/1949 - tome 1, pages 54-55-56.
17 Idem.
18 Sur l’attitude de sayyid Muḥammad Ḥasan Shîrâzî envers Nâṣir ad-Dîn Shâh, se référer à :
— Sayyid Ḥasan al-Amîn : « Thawrat Irân fî judhûriha al-islâmiyya ash-shî’iyya » (la Révolution iranienne et ses racines islamiques chiites) - Dâr an-Nahâr - Beyrouth - 1979 - pages 47-48.
— Ἀlî al-Wardî : op. cit., tome 3, pages 87-88.
— Muḥammad Jawâd Mughniyye : « Ma’a ulamâ’ an-Najaf al-ashraf » (Avec les ulémas de la sainte Najaf) - Beyrouth - 1962 - page 110.
19 Dhabîḥ Allâh al-Maḥallâtî : op. cit., pages 87-88.
20 — Ἀlî al-Bâzîrgân : « Al-Waqâ’i’ al-haqiqiyya fî ath-thawra al-’irâqiyya » (les Véritables événements de la révolution irakienne) - Baghdâd - 1954 - page 4.
— Albert Ḥûrânî : « Al-iṣlâh al-’uthmânî wa al-mashriq al-’arabî » (le Réformisme ottoman et le Machrek arabe) - revue « Al-Waqâ’i’ », numéro 4 - Beyrouth - février 1982 - pages 90-91.
21 Le mouvement de protestation contre la régie du tabac en Perse (1891-92) a été l’objet de plusieurs études. Se référer notamment aux ouvrages suivants :
— Edward G. Browne : « The Persiab Revolution of 1905 » - Cambridge - 1910.
— Nikki Keddie : « Religion and Rebellion in Iran : The Tobacco Protest of 1891-1892 » - Frank Cass - Londres - 1966.
— Nikki Keddie : « Sayyid Jamâl ad-Dîn « al-Afghânî » : A Political Biography » - University of California Press - Los Angeles - 1972.
— Nikki Keddie : « An Islamic Response to Imperialism : Political and Religious Writings of Sayyid Jamâl ad-Dîn « al-Afghânî » - University of California Press - Los Angeles - 1968.
— Nikki Keddie : « Religion and Irreligion in Early Iranian Nationalism » - Comparative Studies in Society and History 4 - numéro 3 - Los Angeles - avril 1962.
— Hamid Algar : « Religion and State in Iran, 1785-1906 » - University of California Press - Los Angeles - 1969.
— Ann K. S. Lambton : « The Tobacco Regie : Prelude to Revolution » in Studia Islamica - XXII - 1965.
— Firuz Kâzemzâdeh : « Russia and Britain in Persia, 1864-1914 : A Study in Imperialism » - Yale University Press - New Haven - 1968.
22 George Curzon : « Persia and the Persian Question », 1, Londres - 1892 - page 480.
23 Nikki Keddie : « Religion and Rebellion in Iran : The Tobacco Prolest of 1891-1892 ». op. cit.
24 Dhabiḥ Allâh al-Maḥallâtî : op. cit., tome 2, page 77.
25 Ἀli al-Wardî : op. cit., tome 3, page 94.
26 Dhabiḥ Allâh al-Maḥallâtî : op. cit., tome 2, page 69.
27 Ἀli al-Wardî : op. cit., tome 3, pages 59, 92-93 et 298.
28 Dhabîḥ Allâh al-Maḥallâtî : op. cit., tome 2, page 65.
29 A propos des relations entre Mirzâ Ḥasan Shîrâzî et al-Afghânî et de l’influence qu’eut ce dernier dans le mouvement de protestation contre la régie du tabac en Perse, se référer à :
— Yaḥyâ Dawlatâbâdî : « Târikh-i mu’âṣir yâ hayât-i Yaḥyâ » (Histoire contemporaine ou la vie de Yaḥyâ)- Téhéran - 4 volumes -1949-1957 - premier volume.
— Dhabîḥ Allâh al-Maḥallâtî : op. cit., tome 2.
— Ἀlî al-Wardî : op. cit., tome 3.
— Sayyid Ḥasan al-Amîn : op. cit.
— Ἀbd al-Muḥsin al-Qassâb : « Zikrâ al-Afghânî fî al-’Irâq » (Souvenirs d’al-Afghânî en Irak) - Baghdâd - 1945.
— Nikki Keddie : « Sayyid Jamâl ad-Dîn al-Afghânî… », op. cit.
— Nikki Keddie : « An Islamic Response to Imperialism… », op. cit.
— Nikki Keddie : « Religion and Rebellion in Iran… », op. cit.
30 Le texte de la lettre d’al-Afghânî à Mirzâ Ḥasan Shîrâzî est publié en arabe dans : Dhabîḥ Allâh al-Maḥallâtî : op. cit., tome 2, pages 28-29. Cette lettre fut également publiée dans la célèbre revue de Rashîd Riḍâ, « Al-Manâr », X, 820. Edward G. Browne en donne une traduction anglaise dans « The Persian Revolution, 1905-1909 » - Cambridge University Press - Cambridge - 1910.
31 Yaḥyâ Dawlatâbâdî : op. cit., volume 1, page 131.
32 Ἀlî al-Wardî : op. cit.. tome 3, page 299.
33 Les lettres d’al-Afghânî à Mirzâ Ḥasan Shîrâzî et aux ulémas chiites de Perse sont publiées dans : Sayyid Muḥammad Rashîd Riḍâ : « Târîkh al-ustadh al-imâm ash-shaikh Muḥammad Ἀbduh » (Biographie de l’imam cheikh Muḥammad Abduh) - Le Caire - 1948 - I - pages 56-69. Consacré à al-Afghânî et à Ἀbduh, cet ouvrage reste une source importante concernant les deux protagonistes du réformisme musulman.
34 Ἀlî al-Wardî : op. cit., tome 3, pages 298-299.
35 Yaḥyâ Dawlatâbâdî : op. cit., volume 1, page 131.
36 Rashîd Riḍâ : « Al-khilâfa aw al-imâma al-’uẓma » (le Califat ou l’imamat suprême) - Le Caire - 1922-23 - pages 57-60.
37 A propos du rôle joué par al-Afghânî en Mésopotamie ottomane, se référer aux ouvrages suivants :
— Nikki Keddie : « Sayyid Jamâl ad-Dîn « al-Afghânî »… », op. cit.
— Nikki Keddie : « Religion and Rebellion in Iran,… », op. cit.
— Nikki Keddie : « An Islamic Response to Imperialism… », op. cit.
—Ἀbd Allâh Qudsî Zâdeh : « Sayyid Jamâl ad-Dîn al-Afghânî, An Annotated Biography » - Leiden - 1970.
— Abd Allâh Qudsî Zâdeh : « Islamic Reform in Egypt : Some Observations on the Role of Afghânî » - The Muslim World - LXI - 1971.
— Yaḥyâ Dawlatâbâdî : op. cit.
— Homa Pakdaman : « Djamal ed-Dîn Assad Abadi dit Afghani » - Paris - 1969.
38 Sayyid Ḥasan al-Amîn : op. cit., page 54.
39 Abd al-Muḥsin al-Qassâb : op. cit., page 58.
40 Ἀlî al-Wardî : op. cit., tome 3, page 303.
41 Edward G. Browne : « The Persian Revolution, 1905-1909 » - Cambridge - 1910 - pages 107 et 415.
42 Ἀlî al-Wardî : op. cit., tome 3, page 303.
43 Afẓal al-Mulk Kermânî, cité par Nikki Keddie in : « Iran, Religion, Politics and Society » - Frank Cass - Londres - 1980 - chapitre « Religion and Irreligion in Early Iranian Nationalism » - page 44. Celui qui était plus connu sous le nom de Mîrzâ Aghâ Khân Kermânî fut l’éditeur du journal persan « Akhtâr », était l’un des principaux animateurs du cercles persan chiite panislamiste d’Istanbul.
44 Abû’l-Ḥasan Mîrzâ Shaykh ar-Ra’îs Qâdjâr : « Ittiḥâd-i Islâmi » (l’Union musulmane) - Bombay - 1894 - page 71.
45 A propos du panislamisme d’al-Afghânî et de l’écho qu’il rencontra parmi les ulémas chiites, consulter :
— Nikki Keddie : « Sayyid Jamâl ad-Dîn « al-Afghânî »… », op. cit.
— Hans Kohn : « A History of Nationalism in the East », traduit en anglais par Margaret M. Green - New York - 1929.
— Edward G. Browne : « The Persian Revolution… », op. cit.
46 Nikki Keddie : « Sayyid Jamâl ad-Dîn « al-Afghânî »… », op. cit., pages 427-433.
47 Abdul-Hadi Ḥâ’iri : « Shi’ism and Constitutionalism in Iran » - Leiden - E.J. Brill - 1977 - page 77.
48 Jamâl ad-Dîn al-Afghânî Asadâbâdî : « Libâs aṭ-ṭaqwa » (la Décence) - Chiraz - 1900. Huit importants « mujtahid-s » écrivirent des critiques élogieuses de l’essai d’al-Afghânî, publiées en préface de cette édition. Parmi ceux-ci, le « marja’ a’la », Mullâ Muḥammad Sharabiyânî, Mîrzâ Ḥusayn Khalîl, sayyid Muḥammad Kâẓim Yazdî, cheikh Muḥammad Kâẓim Khurâsânî, sayyid Ismâ’îl aṣ-Ṣadr, Shaykh ash-Sharî’a Iṣfahânî. Ces ulémas insistaient sur la nécessité de développer des sociétés commerciales islamiques (sharikât islâmiyya) pour contrer la pénétration des produits étrangers dans les pays musulmans.
49 Le journal « Al-Qânûn », fondé à Londres par Malkom Khân en 1889, fut le principal porte-parole de l’opposition persane à Nâṣir ad-Dîn Shâh.
50 Hamid Algar : « Religion and State in Iran… », op. cit., page 201.
51 Abdul-Hadi Ḥâ’iri : op. cit., chapitre 3 : « A Biography of Nâ’înî ».
52 Idem, pages 73-77.
53 Abdul-Hadi Ḥâ’iri : « Afghânî on the Decline of Islam : A Postcript » - Die Welt des Islams - XIV - 1973 - pages 116-128.
54 « Chirâ Islâm za’îf shud ? » (Pourquoi l’islam est-il devenu faible ?) - journal « Ḥabl al-Matîn » - 16-19 mai 1907 - Téhéran. Le traité avait d’abord été publié en arabe en 1884, sous une forme abrégée, dans la revue « Al-’Urwâ al-Wuthqâ », sous le titre « Sunan Allâh fî al-umam wa taṭbîquha ’alâ al-muslimîn » (les Lois de Dieu dans les nations et leur application aux musulmans) - pages 128-134.
55 Rashîd Riḍâ in revue « Al-Manâr », X, 1908, pages 826-827.
56 L. B., « Press Persane » - Revue du Monde Musulman - XIII - 1911 - pages 384-391.
57 Revue « Al-Manâr », numéro XIV, 1911, page 77.
58 Sayyid Ḥasan al-Amîn : op. cit., page 53.
59 Ἀlî al-Wardî : op. cit., tome 3, pages 306-308.
60 Edward G. Browne : op. cit., page 107.
61 Les biographies les plus complètes de l’ayatollah Khurâsânî peuvent être consultées dans les ouvrages suivants :
— Sayyid Hibbat ad-Dîn Shahrestânî : « Ἀ’ẓam al-hawâdîth wa ashhar ar-rijâl » (Evénements importants et hommes célèbres) - revue « Al-’Ilm » - II - Najaf - 1911 - pages 290-298.
— Sayyid Hibbat ad-Dîn Shahrestânî : « Ayat Allâh al-Khurâsânî akbar ’ulamâ’ ad-dîn wa ra’îs al-mujtahidîn » (l’Ayatollah Khurâsânî, grand uléma et chef des « mujta-hid-s ») - revue « Al-’Ilm » - II - Najaf - 1911 - pages 338-342.
— Muḥsin Amîn al-Ḥusaynî : « Tarjamal al-marḥûm al-muqaddas hujjat al-islâm ash-shaykh Mullâ Kâẓim al-Khurâsânî quddisa sirruh » (Biographie du défunt ḥujjatu’l-islâm Mullâ Kâẓim Khurâsânî) - revue « Al’Irfân » - IV - Sayda - 1912 - pages 36-40.
— Sayyid Muḥammad Iṣfahânî al-Kâẓimî : « Ahsan al-wadî’a fi tarâjim mashâhir mujtahidî ash-shî’a » (Biographies des « mujtahid-s » chiites) - Najaf - 1968.
62 Abdul-Hadi Ḥâ’iri : « Shi’ism and Constitutionalism », op. cit., le chapitre un consacré aux origines intellectuelles du constitutionnalisme en Iran.
63 Nikki Keddie : « the Origins of the Religious-Radical Alliance in Iran », op. cit.
64 Pour les auteurs qui ont insisté sur l’importance de la participation des ulémas chiites au mouvement constitutionnaliste, se référer à :
— Edward G. Browne : « The Persian Revolution… », op. cit.
— Hamid Algar : « The Political and Social Role of the Olama in Qajar Iran » - thèse de Ph. D. - Trinity College - Cambridge - 1965.
En revanche, ni Ann K. S. Lambton (dans « Secret Societies and the Persian Revolution of 1905-1906 » - Saint Anony’s Papers numéro 4 - Middle Eastern Affairs numéro 1 - 1958 - pages 75 et suivantes), ni Firuz Kâẓimzâdeh (dans « Russia and Britain in Persia, 1864-1914 » - New Haven - 1968 - pages 510 et suivantes) ne semblent prêter une attention particulière au rôle des ulémas chiites dans la restauration du régime parlementaire en Perse.
65 Nikki Keddie : « Sayyid Jamâl ad-Dîn « al-Afghânî »…, op. cit., pages 110-111. A propos des positions défendues par al-Afghânî sur le problème de la Constitution, on peut se référer à :
— Abdul-Hadi Hâ’irî : « Shi’ism and Constitutionalism… », op. cit., pages 52-54.
— Abdul-Hadi Ḥâ’iri : Book Review sur al-Afghânî in « Die Welt des Islams » - XV - 1974 - pages 261-262.
66 Journal « Ḥabl al-Maîn » - Téhéran – 16 mai 1907.
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