Chapitre VII. Une demande en mutation
p. 219-253
Texte intégral
1Une évolution mondiale, allant vers un faible niveau de consommation de films en salles, renforce la thèse qui défend que les causes de type économique - invoquées pour expliquer la baisse des entrées - ne sont guère convaincantes, car trop peu rigoureuses et reproductibles. Le niveau de la fréquentation échappe à toute la filière comme aux pouvoirs publics, mime s’il a globalement à voir avec la concurrence des autres supports de diffusion visuelle. Ce sont les changements d’attente et de représentation mentale qui transforment les citoyens, plus ou moins donc, en spectateurs de cinéma. L’évolution de la société va de pair - entre autres - avec les entries en salles, et l’actuelle prégnance du visuel n’augure guère en faveur des images cinématographiques.
2Durant son premier siècle, le cinéma n’a cesse de muter, sa place dans l’esprit des spectateurs également, et donc son exploitation en salles aussi. Ces transformations se sont avérées être des réactions en étroite relation avec les évolutions technologique, sociale, morale, socio-économique... Elles en disent beaucoup plus long sur une évolution qualitative de la demande (la représentation du cinéma en salles) que les tentatives d’explication qui lient la désaffection des salles au prix des places, ou à tout autre facteur simpliste mettant en cause la qualité de l’offre, via le comportement de l’exploitation cinématographique française.
LA PERTE D’ATTRACTIVITÉ DES SALLES DE CINÉMA
3Le prix de la place de cinéma - ou plutôt son augmentation - à souvent été mis en avant pour tenter d’expliquer la baisse de fréquentation. Les réponses des spectateurs aux différentes enquêtés1 montrent que leur sensibilité à ce paramètre s’est accrue au cours des décennies. Sur le demi-siècle ou nous possédons des données suffisamment précises, l’absence de corrélation entre les deux phénomènes est pourtant flagrante. II convenait de la mettre en relief afin de tenter de cerner le rôle, déculpabilisant et refoulant, de cet alibi qui a trop longtemps occulte les véritables métamorphoses de la demande du spectacle en salle, beaucoup plus profondes qu’un simple ajustement de la demande face à une offre trop chère ou moins satisfaisante. La fréquentation en salles n’est que l’un des signes d’une évolution générale de nos sociétés.
Pour en finir avec le prix des places
4Il a déjà été montré2 qu’il n’existait pas de corrélation statistique sur le long terme entre la baisse de fréquentation française et l’augmentation du prix des places, et donc encore moins de relation de causalité. Depuis le maximum des entrées enregistrent en salles, quatre phases, de baisse puis de stabilité, se sont succédé. En étudiant ces phases séparément, ainsi que les périodes charnières de basculement de la fréquentation, la proposition communément admise peut être doublement renversée et introduire deux paradoxes pour le sens commun. Ce n’est pas parce que les prix des places ont augmente que la fréquentation a baisse, mais parfois l’inverse ; ce n’est pas un niveau de prix élève qui dissuade la venue en salle, mais le contraire.
• Hausse des prix, stabilité apparente de la fréquentation : 1947-1952
5A partir de 1947, la chute apparente de la fréquentation en salles est celle des salles parisiennes, et des films de nationalité américaine qui perdent 2 % de part de marche par an, pour passer de 46 % à 32 % dix ans plus tard.
6Le combat passionnel autour des accords Blum-Byrnes3, la polémique développée par le parti communiste français contre ces films, le début t de la guerre froide et la perte d’attrait de ce qui avait constitue une nouveauté après cinq ans d’absence sur les écrans expliquent cette désaffection du public pour les films américains.
7Les difficultés économiques liées à l’effort national de reconstruction et le souci du gouvernement de maitriser les prix qui s’envolent vont produire un discours politique pour imputer aux augmentations du prix des places la baisse continue de la fréquentation nationale des salles standards jusqu’en 1952. Sur cette période, il existe pourtant une indiscutable dissociation entre révolution du prix des places et la fréquentation des salles (fig. 38). Jusqu’en 1948, les hausses de prix des places ne couvrent pas l’érosion monétaire et, même ultérieurement, leur progression n’aura aucune incidence sur la fréquentation qui continue de croitre au niveau national (fig. 37).
8Géographiquement, la fréquentation parisienne commence à chuter au début du troisième trimestre 1947, à partir de la vingt-neuvième semaine exactement (mi-juillet) (fig. 36). Le facteur prix n’intervient absolument pas, deux baisses de 5 % ayant même eu lieu au début de l’année (1er Janvier et 1er mars), et la première hausse importante n’étant appliquée que le 31 octobre 1947.
9Cette baisse de fréquentation se produit également en banlieue à partir du troisième trimestre (9,9 millions de spectateurs en 1947 au lieu de 10,8 pour celui de 1946), mais toutes les autres régions voient leur fréquentation continuer à augmenter (voir supra). Ce n’est qu’a partir du quatrième trimestre 1947 que le solde national deviendra négatif : 109 millions de spectateurs contre 112 en 1946, mais la perte est essentiellement due à Paris (- 4 millions).
• Augmentation des prix et baisse de la fréquentation.- 1957-1969
10En revanche, l’importante augmentation des prix a bien été un facteur aggravant la chute de la fréquentation sur toute la France, à partir du quatrième trimestre 1957. Alors que les prix de nombreux services étaient bloques par le gouvernement depuis septembre 1952, l’arrêté du 5 octobre 1957 accorde la totale liberté des prix pour les salles de première vision des villes importantes. Avec la suppression du fonds de compensation et l’instauration de la taxe spéciale sur les billets, en 1958 la hausse annuelle totale avoisinera 20 % en moyenne pour le spectateur.
11II n’est pas douteux que, à cette date, le niveau de la hausse enregistrée, s’ajoutant à l’augmentation des prix dans d’autres secteurs et à la création d’autres taxes (vignette auto...) vont opérer une césure pour le public dans sa représentation de la sortie en salles. Mais cette césure sera beaucoup plus d’ordre psychologique que financière. Elle est également à mettre en relation avec les bouleversements politiques de l’époque et elle ne va pas toucher que le cinéma : une réorientation radicale et globale des dépenses de loisirs s’opère ces années la.
12A l’intérieur des cinq grands groupes de spectacles et d’attractions recenses par l’INSEE, la consommation en volume baisse à partir de 1958 pour le cinéma, mais aussi pour les autres spectacles, les casinos, cercles de jeux et loterie nationale : elle ne continuera d’augmenter que pour les courses de chevaux (fig. 39).
13Alors que l’indice des prix évolue de manière identique pour le PMU et la loterie nationale, le PMU bénéficiera seul d’un engouement d’autant plus spectaculaire qu’il intervient en 1957-1958, date de moindre consommation de toutes les autres formes de distractions. L’indice des prix du cinéma est certes le plus élève sur la période, mais outre que, contrairement à ses concurrents, il coïncide avec un renouvellement partiel de la qualité de l’offre, une augmentation moindre des prix des autres spectacles ne les empêche pas de suivre une évolution similaire au cinéma (fig. 40).
14Cependant, le mouvement de hausse des prix de places de cinéma, réel et mesurable, va ultérieurement servir de réponse rationnelle aux différentes enquêtés4, voilant une modification des besoins, des attentes et de la demande, moins facilement exprimables (pour les spectateurs) et modélisables (pour les enquêteurs).
15Concurrence par d’autres formes de loisirs d’accès financier et culturel faciles, perdant son monopole dans la diffusion des images animées, le spectacle cinématographique en salles ne pouvait plus principalement s’appuyer sur sa fonction de divertissement. En ce domaine, les tendances lourdes de la société lui interdisaient de conserver une vocation majoritaire, et donc populaire. D’ou une évolution à la même époque dans la production avec la recherche d’autres sujets ; l’apparition de la « nouvelle vague » chez les réalisateurs ; la cinéphilie chez de nombreux spectateurs ; la création de journaux exclusivement réserves à une critique cinéphilique (Crabiers du cinéma, Positif); le développement de Part et essai dans l’exploitation.
16En ce sens, ce n’est pas parce que ses prix de places ont augmente plus vite que l’ensemble des autres consommations que le public populaire s’est éloigne des salles, mais l’inverse. Les prix d’autres spectacles et attractions auront beau augmenter dans une moindre proportion, leur désaffection sera encore plus grande. La réorientation du montant des dépenses de consommation révèle un changement de la nature de l’attente des citoyens. C’est parce que le public populaire ne pouvait plus trouver principalement dans les cinémas une satisfaction pour ses besoins de délassement et de rencontres, qu’il s’en est éloigne.
17L’exploitation substandard était majoritaire en nombre au sein de la profession, et elle a pratiqué des prix qui n’ont pas couvert l’inflation durant cette période à la fin de laquelle elle s’est retrouvée totalement laminée (fig. 41). Au cours de cette même décennie, une relation causale entre prix et fréquentation peut alors difficilement s’appliquer à l’exploitation si elle utilise un format (35 mm) et pas un autre (16 mm). Concernant ce dernier, l’ensemble du spectacle offert (qualité de projection, de confort, ancienneté des films...) se trouvait bien trop proche de son nouveau concurrent, la télévision, pour pouvoir s’en différencier rapidement et un bas niveau des prix n’y a rien change. Une fraction de l’exploitation standard contemporaine devrait utilement s’en souvenir.
• Les prix déconnectes de la fréquentation : 1970-1994
18La fréquentation va se stabiliser, mais avec l’apparition des complexes, les prix des places vont continuer à augmenter plus vite que l’inflation durant plusieurs années. Ainsi, si la corrélation entre les mouvements des prix et de fréquentation est parfaite de 1961 à 1970 (coefficient R2=0,99, c’est-à-dire que, d’une année à l’autre, révolution du premier facteur est proportionnelle à celle du second)5, elle cesse en fait de l’être des cette dernière année, qui marque le début de la stabilisation de la fréquentation.
19Alors que les prix continuent d’augmenter au même rythme jusqu’en 1976, la fréquentation s’est déjà stabilisée depuis sept ans.
20La stabilisation commune ne durera que quatre années et, malgré une légère baisse des prix (1980-1984), la fréquentation connaitra un nouveau maximum en 1982 pour recruter fortement ensuite. Alors que la fréquentation accentue sa chute, les prix raugmentent légèrement £ partir de 1987, puis se stabilisent après la pause dans la désaffection des salles. En 1994, les prix sont au même niveau que vingt ans plus tôt, mais la fréquentation a chute de 30 % depuis 1975 (fig. 42).
21Sur un demi-siècle, la seule corrélation statistique entre prix des places et fréquentation cinématographique s’établit sur une dizaine d’années, des mouvements opposent s’observant sur plusieurs autres périodes. De cette brève corrélation, une causalité a été hâtivement tirée, qu’il est d’ailleurs tout à fait possible de renverser : constatant.la chute de fréquentation, les exploitants français ont souhaite conserver leurs revenus et ont augmente, a posteriori, le prix des places.
22La nécessite d’investir dans les complexes, le niveau plus élève des prix de places à l’ouverture de cette deuxième génération de salles, expliquent la poursuite continue de ces augmentations plus importantes que le niveau général du cout de la vie. Des la pause dans ces constructions (1976), les prix se stabilisent d’eux-mêmes, et après la reprise inattendue de 1981-1982, les exploitants vont de nouveau légèrement baisser leurs prix, mais la fréquentation se remet à chuter. Les raugmenteront avec l’accélération de la baisse des entrées en 1986, mais à nouveau juste pour conserver le niveau général de la recette, sans utiliser la première libéralisation durable des prix qu’ils connaissaient depuis l’après-guerre.
23Sur l’ensemble de la période, loin d’être une causalité à sens unique, il existe une relation systémique entre le niveau des prix et des entrées, les exploitants s’adaptant ainsi au niveau de l’offre qui s’est modifie en raison d’autres facteurs (fig. 43).
24Au niveau international, ce sont les nations qui n’ont pas hésite à augmenter le plus leurs prix de places (voir supra) pour compenser la baisse de fréquentation (Italie, France, Danemark...) qui ont perdu le moins de spectateurs.
25Sur les trois décennies d’après guerre, la France est le pays occidental qui a le moins perdu de spectateurs, ce qu’explique en partie la restructuration quantitative et qualitative du pare6, mais également cette politique tarifaire qui était l’une des meilleures stratégies de différentiation possible par rapport à son principal concurrent direct (tableau XLI).
26Les hausses de prix ont d’abord été de rattrapage (1939-1956) sans provoquer d’incidences négatives sur le niveau de la fréquentation, puis imposées et/ou de sauvegarde (1957-1982). Elles ont amène à une représentation du cinéma comme loisir onéreux, mais, tout en s’en plaignant, c’est cette représentation qui a permis aux français de maintenir un niveau de fréquentation relativement élève.
Cinéma et contexte général français
27Si toutes les nations industrielles, puis européennes, ont connu une tendance à la baisse de leur fréquentation en salles depuis un demi-siècle, la probabilité est quasi nulle pour qu’un facteur local ou conjoncturel en soit la cause. En revanche, il a pu être, pour tel ou tel pays, le point de départ ou d’accentuation d’une rupture dans les comportements. En France, les éléments qui ont été mis en avant pour expliquer la baisse de fréquentation ont obéi à des motifs politiques ou corporatifs : prix des places contre concurrence télévisuelle ; inconfort des salles contre fiscalité trop élevée ; volonté de l’État contre efforts de restructuration.... Mais tous n’ont eu qu’une micro-influence. S’ils peuvent expliquer la (faible) amplification d’un mouvement, aucun ne l’a créée : ni à la hausse, ni à la baisse, ni à la stabilisation. Les acteurs de la filière n’ont pas de prise durable sur le niveau de la fréquentation, car celle-ci révèle autre chose que la somme de banals actes de consommation. La dynamique interne d’un type de sociétés, ses évolutions générâtes sur tous les plans, ne peuvent que laisser des traces sur un ensemble de comportements, notamment culturels. La quantité de billets de cinéma achetés peut en être l’un des signes, tout comme le taux de natalité, ou les changements politiques : à titre d’illustration, nous tenterons un rapprochement de la fréquentation en salles avec ces changements.
• Boucs émissaires et faire-valoir
28Pour expliquer la tendance générale qui à fait déserter le chemin des salles à 80-90 % des spectateurs en quarante ans, l’invocation de problèmes suffisamment larges (le changement du mode de vie et son amélioration, la concurrence télévisuelle et des autres formes de loisirs...) est forcement juste, puisque imprécise et non datable. Reste qu’elle n’a aucune valeur scientifique, ni prédictive, et qu’elle n’explique pas pourquoi ces changements se sont opères aux dates constatées, et non pas avant, ou après.
29La recherche d’un seul lien de causalité direct apparait assez vaine sur du long terme, car la fréquentation en salles de cinéma (entre autres), située aux confins du loisir, de l’art, de la culture et de la distraction, mais aussi de « l’illusion, du rêve d’un monde sans rêve7 « ne peut être qu’un baromètre, et non la résultante simple d’un ajustement du niveau de l’offre ou d’un état de la concurrence.
30Certes, par exemple, il est possible d’établir une corrélation entre le nombre de films diffusé à la télévision et la fréquentation en salles (fig. 44), mais plus difficilement avec le nombre de récepteurs (fig. 45). Ce lien ne peut évidemment pas être une causalité étroite, ne serait-ce qu’en raison de la non-réception de l’ensemble des chaines sur tout le territoire, des chaines cryptées reçues sélectivement, de la pénétration inégalement repartie des deux medias, de la qualité des films diffuses, de leur taux d’audience, du niveau antérieur de leurs entrées en salles..., mais il est indéniable que les deux offres évoluent en sens inverse.
31Il en va de même pour révolution du pare de salles et de téléviseurs, les deux phénomènes marquants étant l’amorce de la chute de fréquentation au début de la phase de croissance des téléviseurs (1957-1959) et la stabilisation du pare de salles à la saturation du taux d’équipement des ménages (95 % à partir de 1991). L’écran télévisuel a certes agi comme concurrent direct, mais surtout comme agent matériel et symbolique de la consommation domestique (1957-1970), puis comme outil anesthésiant au profit du cocon d’une cellule familiale barricadée contre les difficultés économiques et existentielles, provoquant une désaffection massive des actions et sorties collectives (1982-1989).
Fig. 44 - Fréquentation en salles et offre de films à la télévision I
32La fréquentation s’est stabilisée en 1970 tandis qu’aucun facteur interne ne peut être évoque : la hausse des prix se poursuivra encore six ans, et ce n’est pas la quinzaine de complexes achèves à cette date qui ont pu inverser la tendance.
33Certes, les versements du fonds de soutien ont repris, mais dans des proportions (environ 5 % des recettes) qui soulagent plus la trésorerie des entreprises qu’elles ne permettent encore la généralisation de travaux (fig. 46).
Fig. 46 - Recette guichet et versement du fonds de soutien à l’exploitation : 1966-1973
(Source : CNC)
34Ce ne sont pas les investissements considérables consentis par l’exploitation, et qui ne font que croitre (la moitie de la recette guichet en 1969, le double en 1973...), qui ont stabilise la fréquentation : une telle croissance, si elle avait été opérante, aurait du l’augmenter dans des proportions significatives. Il n’en n’a rien été, et l’exploitation a confondu son discours politique en direction des pouvoirs publics et des autres branches, avec une analyse du comportement du public. Les modifications de l’offre (généralisation des complexes, développement de l’exclusivité, réduction de la taille des salles...) n’ont pas joue sur le niveau général de la demande, mais sur sa répartition entre salles et zones de chalandise. L’analyse vaut également pour la période actuelle (1989-1995) avec l’introduction de la troisième génération de salles. Certes, la modernisation de l’équipement est nécessaire pour garantir une attractivité aux salles ; mais il ne s’agit que d’un maintien de la qualité générale de l’offre, non de la création d’une demande supplémentaire.
• cinéma et histoire
35Le cinéma, (son appréhension, sa consommation, sa représentation...) ne peut être dissocie du contexte général et de l’ensemble des évolutions d’un pays, ou d’un groupe de pays. Le contexte influe non seulement sur la production et la diffusion d’un art comme le cinéma, mais il peut être lui-même être signe, à l’instar des élections présidentielles que nous prendrons comme illustration.
36Sans lien de causalité apparent, la correspondance de toutes les dates de basculement de la fréquentation avec celles des profonds bouleversements de la vie politique et institutionnelle française est frappante (fig. 47).
37Après l’abandon du régime tripartite (1945-1946), la IVe République va vivre un régime d’instabilité avec la troisième force de juin 1947 à mars 1952 : avec seulement un mois de décalage, la fréquentation baisse durant cette période.
38Antoine Pinay, dont la population attend la stabilité politique et une lutte contre l’inflation, arrive au pouvoir en mars 1952, suivi d’un autre homme populaire, Pierre Mendes France qui engagera la décolonisation : la fréquentation remonte des le second semestre 1952 jusqu’au milieu de 1957.
39Les années 1957-1958 sont primordiales en Europe, et pour la France : en Janvier 1957 débute la bataille d’Alger, accompagnant une escalade militaire et le rappel des réservistes. Le déficit budgétaire se creuse, la balance commerciale redevient déficitaire, les dépenses sociales sont freinées et le franc subit une dévaluation déguisée de 20 %. Parallèlement, l’ouverture à d’autres nations vient d’être officialisée avec la signature historique du traite de Rome donnant naissance au Marche commun en mars 1957. Les autres signataires enregistrent également le début de leur baisse de fréquentation en salles : en 1956 pour l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas, courant 1957 pour la République Fédérâtes d’Allemagne.
40Pour financer son déficit, l’État ponctionne par à-coups l’ensemble des consommations, dont celles des loisirs, et ce de manière considérable (environ 15 % sur le cinéma par la taxe spéciale au début de 1958, hausse du prix de la redevance radiotélévision de 33 % en 1958, puis de 10 % en 1960...), poussant à des arbitrages par la diminution du pouvoir d’achat réellement disponible. Le choix des ménages constitue alors une réaffectation de leurs dépenses, pas une désaffection spontanée à l’égard de tel ou tel bien ou spectacle liée à une motivation spécifique le concernant. Au sein des spectacles et loisirs, le cinéma et surtout toutes les autres formes plus anciennes de distractions (théâtre, bals populaires, cirques, spectacles forains...) vont subir une défaveur du public.
41Le choix de biens durables et de distractions domestiques va désormais dominer. En 1958, les sommes consacrées par les français à l’achat d’un poste de radio et au paiement de leur redevance RTF vont devenir supérieures à celles dépensées pour le cinéma, et en 1959 les dépenses pour l’achat d’un téléviseur vont dépasser celles pour la sortie au cinéma avec 746 MF, contre 728 MF. La concurrence qui va s’exercer sur le cinéma et les autres formes de spectacles n’est pas seulement de l’ordre de la substituabilité directe, mais également de contrariété et de nécessite d’arbitrage financier entre plusieurs biens. Pour des motifs totalement étrangers à la filière, la représentation du cinéma vient de basculer dans celle d’une autre époque : elle va cesser d’être moderne. Deux autres medias vont le supplanter £ cette place : la radio et la télévision (fig. 48).
42La fréquentation a commence à fléchir durant le dernier trimestre 1957, et, des le trimestre suivant, les entrées seront régulièrement inférieures à celles de l’année précédente. La IVe République s’achève en 1958, de Gaulle revenant au pouvoir en mai pour le quitter onze ans plus tard, en avril 1969. La fréquentation va chuter sans discontinuer durant ces onze années, ni plus, ni moins.
43Les événements de mai 1968 n’ont guère eu d’incidences immédiates sur la fréquentation (hormis une légère remontée lors du deuxième trimestre à Paris et dans quelques grandes villes, principalement due à la pénurie d’essence). Mais la démission du général et son remplacement provoque une rupture importante avec la volonté réformatrice de G. Pompidou et J. Chaban-Delmas, puis de V. Giscard d’Estaing. La fréquentation se stabilise en 1970, mais ce changement de comportement, comme durant la phase 1952-1957, ne s’est pas brusquement et globalement généralise. Depuis le milieu des années 1960, une fraction non négligeable du pare (environ 15 à 20 %)8 voyait sa fréquentation augmenter, mais en 1969 encore il ne se trouvait que 771 salles dans ce cas9, ne représentant que le quart des entrées françaises. L’argument de la modernisation des salles ne vaut pas, la moitie du pare ne s’étant pas brusquement trouvée dans cette situation sur les deux années charnières de 1969 et 1970.
44Cette stabilité durera le temps de deux septennats, et la fin de celui de Giscard d’Estaing voit un léger retour des spectateurs en salles, croissance qui durera douze mois exactement. Des la deuxième semaine de mai 1981, date de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, la fréquentation sera régulièrement supérieure à la semaine correspondante de l’année précédente, et ce durant un an, jusqu’a la mi-mai de 1982. À cette période encore, les facteurs internes à la profession sont totalement à exclure, d’autant qu’une phase de restructuration du pare est achevée. Les mesures réglementaires (loi sur les ententes, ADRC, médiateur...) interviendront neuf mois plus tard au début de 1983 (alors que la chute est déjà largement entamée), et ne peuvent donc être invoquées. La fréquentation recommencera à chuter sur Paris-périphérie d’abord, exactement un an après l’élection de Mitterrand, début du désenchantement, du changement de politique (juin) et du succès de la droite aux élections cantonales.
45La pause dans la baisse s’observera un an après le début de son second septennat (1989), et la remontée des entrées coïncide avec le retour de la droite aux affaires (1993). Là non plus, la profession ne peut invoquer la nouvelle phase de restructuration (multiplexes, salles haut de gamme) comme élément causal, l’ensemble de ces nouveaux établissements ne comptant que pour le tiers des nouvelles entrées.
46La concordance répétée entre les changements de président de la République et les changements de comportements vis-à-vis de la consommation cinématographique ne nous semble ni coïncidence ni causalité, mais symptôme, égale manifestation d’un changement structurel profond. Les attentes majoritaires de la population s’exprimeraient par plusieurs voies, la voie politique certes, mais également celle des consommations culturelles, dont le cinéma. Les dates de basculement de la fréquentation sont également des dates de rupture dans les souhaits ou les représentations de la population, qui se lisent, par ailleurs, dans les résultats des élections.
47Les mécanismes de projection et d’identification en œuvre dans les salles obscures deviennent-ils moins utiles lorsque la réalité promet la réalisation d’une histoire telle qu’on l’imaginait ? Ou bien la déception d’un passage à l’acte non conforme aux promesses induit-elle un repli sur des consommations moins collectives ? En 1957 comme en 1981, de fortes espérances ont porte un homme de stature atypique à la tété de la nation, et il semble bien que le public qui a déserté les salles se rapprochait du noyau dur de son électorat, ou tout au moins celui qui en attendait le plus. Si l’économie de la filière peut en mesurer les effets et la sociologie analyser les mouvements des acteurs de ces changements, la recherche de leur motivation et de ses variations se tient au carrefour de disciplines qui ne sauraient omettre la psychologie et la psychanalyse10.
LE RENFORCEMENT DE LA CONCURRENCE EXTERNE
48Dès les années 1980, mais encore davantage aujourd’hui, il est possible de constater des convergences, notamment technologiques, entre le cinéma et la télévision, principalement par les sauts qualitatifs de la seconde (numérisation...), et le quasi-immobilisme oblige du support pellicule, de facture supérieure. La concurrence s’est déplacée pour n’être plus frontale, ni sur un plan strictement économique, ni entre types d’images offrant un divertissement. La fonction esthétique du cinéma demeure, mais vidée de son rôle social absorbe par l’écran domestique. La consommation des films peut s’y faire sous deux formes complémentaires, après stockage (vidéo) pour une réutilisation temporelle choisie, ou selon un flux (programmes télévises) commun à tous. En s’appuyant sur de nouveaux outils, les efforts des operateurs de l’audiovisuel et des télécommunications vont cependant tendre à faire éclater cette notion.
Les films : programmes de stock, programmes de flux
• La vidéo
49Depuis la grande croissance des années 1988-1990, les dépenses des ménages en cassettes vidéo (8 milliards de francs en 1994, dont les trois quarts à la vente et un quart à la location) sont supérieures à celles effectuées en salles. Les grandes surfaces de la distribution occupent aujourd’hui les deux tiers du marche et assurent ses assises populaires. Les nombreuses dérogations au délai légal d’un an après la sortie salle (204 en 1988, 164 en 1990...), y compris sur des titres ayant connu un fort succès en salles11, et le prix moyen très faible (environ 100 francs en 1993) pour un produit dont on dispose à volonté, banalisent l’image du film et induisent une plus grande sélectivité pour une sortie en salle.
50Si les grands consommateurs apprécient les images sur tous leurs supports, les études précises manquent pour mesurer comment peut s’opérer un choix, non pas qualitatif ou préférentiel, mais quantitatif. Les contraintes financières peuvent théoriquement être levées, mais la contrainte temps est beaucoup plus prégnante. Si ces consommateurs n’ont pas supprime leurs sorties en salles (tout comme les abonnes de chaines thématiques consacrées au cinéma), l’abondance de l’offre a forcement modifie leur demande. Il est peu probable qu’ils continuent d’aller voir comme auparavant les mêmes films en salles, et surtout au même rythme. Or, une légère variation dans la fréquence des sorties des assidus pèse sur le niveau global des entrées, comme durant la dernière décennie.
51Pour les contenus, la vidéo s’est attaquée aux couvres du répertoire (R. Château) ainsi qu’aux versions originales et films réputes difficiles (K. Films, UGC...). Le segment du marche disponible se rétrécit drastiquement pour les théâtres cinématographiques : en 1969, 70 % des titres exploites en salles étaient sortis depuis plus de trois ans ; vingt ans plus tard, la proportion s’est inversée.
52Pour les matériels, après une phase d’introductrice d’une dizaine d’année, le pare des magnétoscopes a décuple en dix ans pour atteindre 17 millions d’unités en 190,4 guipant ainsi 67 % des foyers français, contre 7 % en 1983.
53Devenu un appareil de base pour les ménages, il aborde cependant la fin de sa phase de croissance, et la médiocre qualité d’image du standard actuel (VHS) laisse présager une introduction massive d’un standard de remplacement (S-VHS, HI-8 ou numérique), lorsque le marché arrivera à maturité. Le standard professionnel (Betacam-SP) a d’ores et déjà commence son approche du marche semi-professionnel12. Ce qui signifie, comme le numérique, une qualité d’images avoisinant celle du support pellicule, voire supérieure i la définition du 16 mm, réduisant d’autant cet argument pour les salles. D’ou une fuite probable pour elles vers le 70 mm, en attendant la télédiffusion de très haute définition.
• L’organisation individuelle du spectacle audiovisuel
54L’utilisation du magnétoscope a permis de s’affranchir des contraintes de la diffusion massive et collective des programmes. Si l’utilisation initiâtes de cet outil concernait la location de vidéocassettes, le fort développement de Canal + et des chalones câblées a diminue par six en dix ans le nombre de locations par foyer équipe (de 66 à 11 locations par an). En revanche, les ann6es de libéralisation de l’audiovisuel ayant augmente l’offre de programmes, l’achat de vidéocassettes a connu un essor remarquable durant ces années 1988-1989 (fig. 49). Elles permettent aux foyers de se composer leurs programmes comme leur vidéothèque, et donc de maitriser la contrainte temps.
55La qualité de ce support va augmenter, mais le marche grand public offre des aujourd’hui d’autres produits techniquement irréprochables. Le Compact Disc Vidéo reste encore onéreux, toutefois le cout de son lecteur a suivi la même pente descendante que celle de son cousin audio, le Compact Disc.
56Mais c’est bien entendu l’offre domestique globale qui est à considérer La télévision achève sa phase d’introduction sur le marche dans les années 1955-1960, ce qui coïncide avec le début de la baisse de fréquentation.
57Après un ralentissement dans sa phase de croissance au début des années 1980, un double phénomène va apparaitre : la généralisation de la couleur (fig. 50), et le multi-équipement. En 1982, les postes couleur deviennent majoritaires, et si le taux d’équipement des ménages atteint aujourd’hui la saturation, le mono-équipement (un seul poste par foyer) va rapidement diminuer. Si à peine un foyer sur cinq disposait de plusieurs postes en 1985, il y en a plus d’un sur trois en 1993.
58La télécommande a eu une influence considérable, tant sur le mode de perception de l’image (le zapping), leur production (plans plus courts...) que sur leur quantité consommée, par la facilite de changer de charrie. Si moins d’un foyer sur deux en était équipe il y a dix ans, il sen trouve plus de quatre sur cinq aujourd’hui.
59Les écrans se sont agrandis, le son s’est améliore avec la qualité générale du support tandis que les couts ont baisse : les ménages y consacrent 38 % d’argent de plus qu’il-y a dix ans, mais pour acquérir 55 % de téléviseurs supplémentaires13.
60La restitution cohérente de l’offre a pousse les constructeurs à améliorer la qualité de l’ensemble des chaines sonores et visuelles. Outre l’agrandissement et l’amélioration des écrans de téléviseurs, le cinéma domestique (Home Theater) a fait son entrée des 1992 dans les enseignes spécialisées. II est fonde sur la présence d’un ampli compatible avec toutes les autres sources sonores, strictement audio (CD, phono, tuner...), ou visuelles (CDV, magnétoscope, télé...) et d’un plus ou moins grand nombre d’enceintes (de trois à sept). Pour un prix dix fois inférieur (en 1994) à l’équipement collectif professionnel, il est possible de restituer un son en réel Dolby stéréo (avec différents types d’ambiances et de rendus). Pour le prix des royalties annuelles demandées aux cinémas (donc hors matériel et installation), un particulier peut s’équiper définitivement en THX.
61Avec sa généralisation et sa banalisation inévitables (d’autant que sur ce matériel, le prix ne peut que baisser avec l’accroissement de la demande), cette qualité, objectivement supérieure à ce que de nombreuses salles de cinéma offrent encore, va réduire l’avantage technique de cette sortie. Il est même probable que le rapport qualité/prix de la chaîne sonore ne pourra désormais se faire qu’au désavantage des salles. Ne pouvant bénéficier des mêmes économies d’échelle, l’exploitation va devoir se livrer à une couteuse course-poursuite technologique, et tout indique que, dans sa globalité, elle ne pourra pas gagner sur ce terrain-la.
• La consommation des films, programmes de flux
62La numérisation de la diffusion permet un accroissement considérable de la qualité, de la quantité et de la forme des programmes.
63Alors que l’équipement collectif (les salles de cinéma) en est encore au son analogique, la numérisation est déjà utilisée à domicile par certaines chaines de télévision. Au-delà de l’amélioration qualitative de la réception, le téléspectateur entre dans une nouvelle logique de consommation, cette technologie ouvrant par ailleurs la voie à d’autres formes de spectacles ou de relations homme-image.
- Le développement des autres modes de diffusion
64L’arrivée d’une chaine cryptée en 1984 et l’apparition de deux autres chaines en clair fin 1986 ont rappelé qu’un plancher de consommation en salle n’existait pas, et que l’augmentation d’une offre domestique n’était pas sans effet sur l’ancien support. Sans revenir sur des données statistiques ou historiques largement développées ailleurs14, il est nécessaire de rappeler que la déréglementation de 1986 à totalement bouleverse le paysage audiovisuel en France.
65Succédant à l’introduction de Canal +, les chaines en clair supplémentaires (la 5 et M 6) au cours du dernier trimestre 1986 doublent la diffusion de films non cryptes et accélèrent indéniablement la chute de fréquentation en salle. Après les baisses de 1985 (- 8,3 %) et de 1986 (- 5,1 %), l’année 1987 enregistre une chute d’une ampleur inégalée (- 18,9 %) qui se ralentira ensuite avec la stabilisation de l’offre de films à domicile : - 7,7 % en 1988, - 4,7 % en 1989....
66En sus des chaines généralistes diffusant sur le mode hertzien, de multiples chaines locales sont apparues : RFO en 1982 avec un deuxième canal en 1984, télé-Toulouse en 1988, télé-Lyon + 8 Mont Blanc + télé bleue en 1989, Antenne Réunion et Canal Réunion en 1990, Aquin TV en 1990, Archipel 4 en 1992... L’étroitesse de leur zone de chalandise rend cependant leur équilibre financier précaire, certaines ayant déjà fait l’objet d’une liquidation judiciaire.
67Mais le véritable accroissement de l’offre est venu d’autres modes de diffusion, qui n’en sont encore qu’a leur phase d’introduction sur le marche, et dont il est probable que le démarrages de leur phase de croissance provoquera un nouveau choc sur la fréquentation en salles (fig. 51).
68La diffusion par câble rencontre davantage de problèmes d’installation et de commercialisation que démission. Principalement thématiques, les chaines qui l’utilisent sont généralement payantes. Après Paris-Première et Canal J en 1986, ce fut le tour de Planète + TV sport + Canal-infos en 1988, de TV5 Europe + MCM et la Sept (durant deux ans) en 1989, de Canal Jimmy + ciné-cinémas + ciné-ciné fil + Eurosport en 1991... la plupart se trouvant être liées à Canal +. Mais ce support, malgré une indéniable croissance ces dernières années (de l’ordre de 24 % en 1993), a d’importantes difficultés à s’implanter : 6 millions de prises théoriques, 1,6 million de prises raccordées, et seulement 1,1 million d’abonnes au début 199515.
69Avec l’échec manifeste16 du plan câble (lance en 1982), et malgré les difficultés pour établir une norme française ou européenne de diffusion, la retransmission par satellite est apparue comme une véritable alternative, même si des enjeux industriels, dissimules derrière des choix techniques comme la norme D2 MAC, en ont retarde la mise en route en France. Plus souple, seul mode de réception des chaines autres que traditionnelles sur la majorité du territoire, l’antenne parabolique permet par ailleurs de recevoir, avec une meilleure qualité (son stéréo et image en PAL), l’ensemble des chaines européennes et d’une partie du reste du monde. Pour un tout relativement faible (de l’ordre d’un bon magnétoscope), une parabole amovible permet ainsi de capter aujourd’hui plus de 150 chaines émises à partir des différents satellites17.
70Certes, la majorité ne sont pas francophones, et donc d’un intérêt limite pour la majorité de la population. Mais outre qu’elles sont le seul mode d’offre gratuit pour toutes les minorités linguistiques (européennes comme maghrébines), leur profusion même préfigure une nouvelle offre domestique de demain.
- De nouvelles offres domestiques
71La numérisation de rémission et la réception des images augmentent considérablement la quantité de canaux utilisables par une même voie. La contrainte va cesser d’être physique, une période de rareté relative de l’offre s’achève18. Cette télévision numérique est un maillon essentiel pour les « autoroutes » électroniques de l’information qui, si elles posent aujourd’hui plus de problèmes qu’elles n’en résolvent, rendent possibles d’autres services, d’autres loisirs et d’autres modes relationnels, dont on peut par ailleurs s’inquiéter. Mais ces nouvelles possibilités, outre qu’elles accroissent l’offre domestique, risquent fort de rendre obsolètes de nombreuses autres formes d’activité, dont le cinéma.
72La télévision à la carte (pay-per-view) a été un précurseur des nouvelles formes de relations possibles au film ; la multiplication des canaux disponibles (50 pour Direct Ticket, au prix de 3 dollars la séance)19 va réduire les délais entre la demande et l’offre d’un programme détermine à un instant donne, et donc accroitre l’offre disponible, en particulier par la création d’un nouveau service : la vidéo à domicile (qui risque par ailleurs de nuire aux vidéoclubs traditionnels).
73L’interactivité, dont on peut critiquer l’utilisation sociale destinée aujourd’hui uniquement à des fins marchandes, va favoriser le télé-achat, les jeux... augmentant d’autant l’illusion de « communiquer » en pouvant réduire l’envie de sortir pour assister à des spectacles collectifs. La forme même du récit narratif va peut-être se trouver modifiée : la suite d’un « film » dépendra de l’avis, majoritaire, de ceux qui auront appuyé à temps sur telle touche de leur télécommande, la somme des réponses faisant bifurquer (sur un mode binaire, donc réducteur) Action vers telle ou telle issue.
74La possibilité de voir s’afficher à l’écran tous les programmes du ou des jour(s) à venir, l’obtention d’un résume sur le contenu de ceux-ci, l’affichage instantané de tous les renseignements sur le nouveau programme regarde en cas de zapping (chaine, titre, horaire, classement...), le contrôle actif sur la programmation (blocage de l’accès à certaines émissions, restriction des sommes disponibles pour les émissions de télé-achat...), la possibilité de visionner des films à la demande... un ensemble de services lies à l’informatisation va rapidement être offert, une quarantaine d’expériences étant déjà en cours aux États-Unis sur des marches significatifs20. même si le temps de pénétration dans les mœurs n’est pas aussi rapide que les industriels le rêvent, le multimédia - ou plutôt, l’uni-media- et l’interactivité, passée une période de gesticulation destinée à la concurrence, de test pour les technologies et surtout de recherche de ce que le public veut vraiment consommer (et sous quelle forme), vont rapidement prendre leur essor. Leur forme sera d’ailleurs peut-être tout à fait autre que celle actuellement prévue, mais peu importe. De leur succès dépendent un nouveau mode relationnel, d’autres activités quotidiennes, mais également la modification de l’emploi du temps des citoyens et la restriction du temps disponible pour sortir du foyer domestique. En ce sens, l’avenir du cinéma en salle est bien lie à celui d’une certaine forme de société et de télévision.
75En France, le long monopole de l’État a directement influe sur la composition des programmes, leur perception, et favorise la déconnexion apparente de la télévision avec la sphère marchande. Mais la télévision traditionnelle (généraliste ; quasi-gratuite des images ; recherche de l’audience maximale) va disparaitre, et surement avec elle son rôle de lien social21. La « communion » au même instant d’un très grand nombre d’individus devant un faible nombre de programmes, sur lesquels il était possible de discuter ultérieurement, a précède une atomisation liée à la couverture de tous les segments du marche possibles. Le succès de Canal + et de certaines chaines thématiques prouve qu’une large demande était insatisfaite, mais les utilisateurs devenant les payeurs, il s’introduit une notion financièrement et socialement discriminante : chacun pourra davantage consommer des images, de son choix certes, mais en fonction de ses moyens financiers et culturels, également. Cette évolution maintient, voire renforce, les différences sociales et culturelles que l’option généraliste pouvait atténuer, et qui n’existait pas au cinéma.
Une culture d’une autre ère
• Du visuel au virtuel
76En sus de l’interactivité qui va initialement se développer autour des films, du spectacle et des jeux, ces derniers ont déjà connu un essor prodigieux sous la forme vidéo. Alors que plus d’un foyer sur deux en est équipe, en France comme dans la plupart des pays occidentaux, cette nouvelle offre ludique ne peut se surajouter k toutes les autres distractions, mais elle se développe forcement à leurs dépens : la télévision semble la première atteinte, puisque son audience diminue22 chez les jeunes concernes. Au-delà des aspects technologiques et concurrentiels de ce nouveau media23, le fonds et la forme même des histoires qui y sont le plus développées (mode binaire, action rapide, souvent violente, appel au reflexe, absence de relation à l’autre, à la négociation...) peuvent modifier le regard sur le monde, d’autant plus que la culture d’origine est rarement française ou européenne, mais principalement américaine24.
77Entamée par les jeux, une utilisation polyvalente de l’écran domestique (ou des deux écrans : l’un éloigne, pour le spectacles - télé, vidéo...-l’autre rapproche, pour le jeu et le travail - CDI, ordinateur...) est au centre des réflexions autour du marche naissant du multimédia qui, lui aussi, va être beaucoup plus qu’une concurrence directe et indirecte en bouleversant la manière d’être et de se sentir dans le monde, et donc l’attente vis-à-vis des anciens arts.
78La numérisation va cependant permettre une révolution d’une tout autre ampleur avec la création de mondes et d’échanges virtuels, c’est-à-dire n’existant que dans une mémoire d’ordinateur. Au-delà des utilisations ludiques ou professionnelles immédiates (rencontre en un même lieu de plusieurs personnes physiquement éloignées, pour dialoguer, jouer, se battre, s’envoyer des stimuli...), le virtuel bouleverse le rapport humain à l’espace, à l’autre, à ramage, à toute la représentation de la réalité. Si le virtuel exerce déjà un tel attrait - beaucoup plus ample que le plaisir ressenti dans l’échange avec l’ordinateur lors d’un jeu vidéo -, c’est qu’il supprime la distance physique avec la machine. Ces mondes virtuels sont par ailleurs réels, dans la mesure ou ils existent et se nourrissent de ceux qui les empruntent. Le sentiment d’habiter « réellement » le monde virtuel est développe (pour le moment) par un casque visuel qui sature la rétine. Les mondes dans lesquels on pénètre exercent une fascination qui vient « du flou ambigu qu’ils installent entre les sujets et la représentation qu’ils se font d’eux-mêmes25 »-. Toutefois, ce ne sont pas les images elles-mêmes qui sont transmises dans ces réseaux (et c’est ce qui permet leur rapide développement par minimisation des couts de transports de l’information), mais seulement des données symboliques, qui sont ensuite synthétisées par le terminal récepteur. Ce qui signifie que le signal émis peut volontairement ne pas correspondre avec la réalité physique palpable26 : tout notre rapport au visuel (« Je l’ai vu, donc c’est vrai »), et donc à l’image, va se trouver bouleverser. Une écriture du virtuel va devoir s’élaborer, qui ressemblera moins à un décodage (Est-ce un leurre ? Quel est le niveau de « réalité »de cette représentation ?...) qu’a un nouveau langage ou les notions séculaires de l’humanité (la vérité, le mensonge, la réalité, l’imaginaire...) et toutes les représentations habituelles de l’esprit seront « révisées ».
79Ce monde se rapproche de notre notion d’infini - d’ou une séduction et une puissance qui risquent fort de faire paraitre bien fades les autres loisirs -, mais fait perdre toute base solide : aucun repère ne peut être considère comme certain. Non maitrise, ce modèle du virtuel pourra être déstructurant ou d’une extrême violence, puisqu’il s’agit d’un univers clos, englobant, totalisant, et surtout redoutablement efficace car il sature les sens et mobilise toute l’attention en provoquant des effets réels, physiquement observables (déséquilibre, mouvement de recul...). Il faudra pourtant réussir à les maitriser en prenant du champ, en apprenant cette nouvelle grammaire du visuel, non seulement pour échapper à la schizophrénie ou à la déréalisation, mais aussi à la tentation d’oublier et de délaisser la notion même de vérité. Mais il est fort probable que pour ne point continuer à l’affronter, une grande partie de public s’en détachera, risquant par la même de perdre le désir de se voir raconter une histoire27. Car à la grande différence du cinéma ou de la télévision, il ne s’agira plus d’être spectateur devant un écran et des images, mais acteur « dans » l’image au sein d’un « cyberespace ».
• Des affectations financières et temporelles défavorables
80L’accroissement et la diversification de l’offre domestique a incite les consommateurs a opérer des arbitrages dans l’affectation de leurs ressources financières et temporelles.
81La consommation d’images à domicile présuppose un équipement : téléviseur, magnétoscope, ainsi que des appareils connexes qui se sont multiplient ces dernières années : décodeur, antenne satellite, prise raccordable au câble, vidéocassettes... II y a dix ans, les dépenses annuelles pour cet équipement représentaient quatre fois les achats de billets de cinéma. En 1993, cette proportion a plus que double et il est désormais de dix fois plus : 45 contre 4,5 milliards (fig. 52).
82Mais en sus de l’équipement, qui est longtemps reste le seul cout apparent, se superpose le cout d’alimentation en programmes (redevance télé, abonnement aux chaines, location de vidéocassettes) qui est cinq fois plus important que les dépenses en salles. Celles-ci ont quasi stagne en francs courants (donc diminuées en francs constants) sur les dix dernières années, tandis que s’envolaient les dépenses en abonnement aux chaines payantes (Canal + principalement). Avec une phase d’introduction sur le marche extraordinairement courte, ces dernières ont engrange en quatre ans d’existence autant que les salles, le double moins de dix ans après leur naissance.
83Alors que les français dépensent environ quatre milliards de francs par an pour une sortie en salles qu’ils trouvent trop chère, une consommation domestique estimée quasi gratuite a mobilise plus de soixante milliards de francs28 en 1993- Ce rapport ne cesse de s’accroitre et s’opère nécessairement au détriment du cinéma, entre autres, l’écart ayant plus que double en moins de dix ans : de 1 à 7, il est passe de 1 à 15, attestant, de manière irréversible, les choix en défaveur du septième art (fig. 53).
84Par ailleurs, les jeux vidéo ont réalise des 1992 un chiffre d’affaires supérieur à celui de l’industrie cinématographique hollywoodienne aux États-Unis, et à celui des entrées en salles françaises avec 4,5 milliards de francs29. Les deux actuels géants, Nintendo (5,5 milliards de dollars en 1993) et Sega (1,9 milliard de dollars)30 se partageant ce marche en croissance rapide, mais d’une extrême volatilité, la demande et les capacités technologiques évoluant très rapidement. Désormais, le cinéma qui représentait 0,18 % des dépenses des ménages en 1980 ne compte plus que pour moins de 0,10 % en 1992.
85De 1983 à 1993, l’offre de temps d’antenne propose par les chaines en clair a été multiplie par quatre, par cinq en incluant Canal +. La consommation n’a pu suivre un tel rythme, mais les habitudes se modifient peu à peu, le temps passe devant le téléviseur tendant à s’accroitre pour représenter 1 100 heures par an et par individu, soit en moyenne trois heures par jour. Environ 10 % de ce temps31 est réserve aux films de cinéma (le triple pour les fictions TV), soit 110 heures ou 55 films par an, à mettre en relation avec les deux sorties annuelles en salles.
86Les écarts entre la consommation des films en salles et à domicile - la 15 en argent, 1 à 50 en temps (sans y inclure la vidéo) - ont faiblement touche le prestige et l’investissement culturel qui leur sont (encore) inversement proportionnels. Mais l’ampleur des changements structurels observes ces dernières années laisse présager que, même dans ces domaines, des remises en causes sont en passe d’être effectuées par le public. Exploitation doit plus que jamais se convaincre qu’il n’y a pas de positions définitivement acquises, et demeurer à l’écoute des changements dans l’attente des spectateurs.
L’évolution du public
• Modifications de la demande
87L’exploitation détient plusieurs avantages qui vont tous être plus ou moins partiellement remis en question :
- technique : la salle possède un écran qui (en théorie) enveloppe toute la vision du spectateur et un son englobant et permettant de restituer des effets et une ambiance. La définition de son image est trois fois supérieure à celle des téléviseurs. Toutefois, ces avantages risquent de ne plus durer et de provoquer une élévation qualitative de la demande, car la commercialisation d’écrans télé d’une définition double des actuels (ou de vidéo projection), aux dimensions agrandies et de qualité sonore irréprochable, n’est qu’une question de temps. Pour les ménages, la limite n’en sera pas technologique au niveau de l’offre, mais d’espace physique disponible au niveau de leur demande. L’exploitation subira un nouveau choc d’envergure à la fin de cette décennie, mais elle peut consolider son avantage (agrandissement des écrans, son numérique...). Elle aurait toutefois tort de vouloir valoriser ces éléments comme différenciateurs : ils ne le seront plus très longtemps, et les simples mises à niveau technologiques vont désormais être structurellement plus onéreuses pour elle que pour les particuliers ;
- physiologique : le mécanisme de la vision et de la persistance rétinienne constitue l’atout d’une projection sur écran d’un film à la vitesse de 24 images par seconde. Dans ces conditions, - l’image cinématographique sature presque instantanément et complètement les canaux de la perception visuelle32 ». En revanche, dans le cas de la télévision, les images sont - reconstruites par un système de balayage synchronise de l’écran au moyen d’un rayon cathodique [...] qui reproduit, ligne par ligne et de haut en bas, la lecture qui avait été faite de l’image par la camera33«. La réalité de cet avantage reste controversée, même si le confort visuel global, dans l’obscurité, facilite réellement la pénétration dans le film ;
- culturel et social ; le cinéma est une « sortie », un loisir d’extérieur, le seul d’ailleurs qui recueille majoritairement les faveurs du public, loin devant la fêté foraine, la visite des musées ou l’écoute de concerts34. II appartient donc à l’exploitation de tout faire pour différencier son activité. Mais inversement, l’obligation de se déplacer présente plusieurs handicaps : il demande un acte volontaire (il convient alors de réduire ce qui peut le décourager), et nécessité une infrastructure externe à l’exploitation (transports, parking).
88La phase de repli sur soi ou sur le foyer, d’individualisme et de désengagement que vient de connaitre la société française coïncide avec la dernière baisse de fréquentation. Outre que la sortie en salle est majoritairement collective (seulement 13 % des spectateurs s’y rendent seuls)35, la recherche de contacts, même anonymes, est effectivement antinomique avec un repli ou un simple repos à domicile. Plus l’offre domestique va quantitativement et qualitativement s’élever, plus l’acte de sortie sera volontaire, socialement et culturellement marque. L’exploitation doit alors le valoriser, renforcer l’aspect collectif, augmenter le choix interne (films) et externe (autres activités)...
89D’autres arguments de type esthétique (mutilation du cadre, mauvais rendu du son et des couleurs...), bien qu’immédiatement mis en avant, ne semblent absolument pas suffisants pour dissuader de voir un film sur petit écran, même si une perte d’aura (valable pour toute œuvre d’art) s’observe lorsqu’on passe du support original à sa reproduction massive36.
90Le plus grand choix qu’elles proposaient face à la télé a été Oti aux salles par la multiprogrammation des chaines, leur multiplication et l’essor de la vidéo. Cet élément (avec l’avantage, lui aussi disparu, de la couleur) constituait l’une des motivations les plus cites lors des enquêtés37. Demeure l’attractivité du caractère récent des films sur lequel se bat énergiquement la FNCF, le calendrier de passage des œuvres sur les différents supports faisant régulièrement l’objet d’attaques d’autres diffuseurs (câble, vidéo...). Mais ce dernier avantage mesurable a fait l’objet de beaucoup de remises en cause, la multiplicité des supports amortissant le film exigeant la restriction des privilèges de l’exploitation et modifiant par là même la demande des spectateurs. En découvrant dans leur magazine télé des titres de plus en plus récents qui se trouvaient à l’affiche un an plus tôt (Canal +), même ceux qui ne les visionnent pas intègrent bien ce raccourcissement du délai sortie salle/passage TV. Leur demande d’un titre donné va se raccourcir dans le temps, diminuant d’autant la période possible de son exploitation.
91Parallèlement, les distributeurs renforcent le phénomène en pratiquant une « offre saturante »38 avec des combinaisons de salles considérables, et une publicité qui augmente en intensité, mais sur une période beaucoup plus ramassée autour de la date de sortie. L’oubli ultérieur s’en trouve d’autant plus facilite que la baisse de la fréquentation des titres s’opère rapidement : le nombre de salles l’exploitant en diminue d’autant. Dans une carrière ordinaire, il est désormais admis qu’un titre perde 25 % à 30 % de ses spectateurs d’une semaine à l’autre. Hormis une poignée d’exceptions annuelles (les « slippers »), la carrière du film - qui s’effectuait en quatre années au début des années 1970, en douze mois quand elles s’achèvent- se mesure aujourd’hui en six à dix semaines. Le phénomène n’est donc pas nouveau, mais le raccourcissement de la durée de vie d’un titre a accélère son exploitations intensive (un grand nombre de salles au même instant) au détriment de l’extensive, qui offrait longtemps à tous les publics l’opportunité de le voir. Mais, la aussi, une relation dialectique, sur laquelle il semble impossible de revenir, s’est établie entre la demande et l’offre.
92La multiplication des offres domestiques durant la dernière décennie a bouleverse le rapport des spectateurs aux images en général, au cinéma en particulier. La quantité de films diffuses à la télé a augmente l’exigence et la sélectivité du (télé)spectateur. Mais ce type d’offre n’est que le concurrent le plus rapproche du cinéma, et bien d’autres sont apparus au cours des années, affectant les composantes de la sortie en salle. Si le choix des titres et tous les éléments qui concourent à sa perception qualitative sont importants, ils ne sont qu’un paramètre de ce spectacles, la décision de venue en salle obéissant davantage à des critères inconscients, plus d’ordre social que cinématographique (fig. 54).
• La fin d’un loisir de masse
93Globalement, la première vague de baisse de fréquentation coïncide avec le développement de la consommation de masse de biens durables : dans toutes les nations industrielles s’opère une réorientation des dépenses, la part de la nourriture et de l’habillement diminuant dans les dépenses des ménages (respectivement de 45 % et 15 % en 1950, elles passent à 28,5 % et 9,5 % en 1970 en France)39 au profit principalement du logement, de l’hygiène, de la sante et des transports. L’épargne est mobilisée pour l’achat d’une automobile, pour l’habitat et ses accessoires (mobilier...). Cet apogée du modèle fordiste s’est également accompagne d’un changement de mentalité face à la consommation et aux biens proposes. Ceux-ci ne répondent pas seulement à des besoins grâce à leur fonctionnalité, mais envoient des signes distinctifs ou d’appartenance en direction de l’environnement social40. La consommation cinématographique n’y échappe pas. Cette époque de fortes mobilités (géographique, sociale, automobile, hebdomadaire...) a favorise l’émergence de nouvelles classes, dites moyennes, qui ont, entre autres, investi culturellement le cinéma, lui-même abandonne par les couches plus populaires, ce double mouvement s’auto-renforçant progressivement.
94Cette période correspond à l’émergence de la cinéphilie et de l’art et essai, émanations de ces nouvelles classes sociales. La structure de la fréquentation va évoluer, les comédies qui donnaient de grands succès populaires disparaissant des 1969- Alors que sur les cinquante plus gros succès de films en salles (fig. 55), la moitie (25) sont sortis entre 1957 et 1968, seulement dix le seront pendant la période de stabilisation (1969-1980) contre 15 pendant la phase récente (1981-1993) qui a pourtant vu la fréquentation globale largement rediminuer. Plusieurs années de cette période intermédiaire (1970-1975-1978-1980) ne connaitront même aucun film de plus de 6 millions d’entrées. II y eut donc beaucoup de films enregistrant un nombre moyen d’entrées, preuve que la stabilisation a été due à un plus petit nombre de gens ayant un rythme de fréquentation très élève et régulier, ce qui correspond bien à la pratique cinématographique comme élaboration d’une culture et d’un patrimoine. Durant cette période, les - assidus » se sont montres une fois et demie plus « assidus » que leurs aines, c’est-à-dire qu’ils ont augmente de moitie leur fréquentation41.
95Cette pratique semble une cause importante dans la pause spécifiquement française des années 1970, et c’est son déplacement, ou l’abandon, qui a provoque la chute de fréquentation des années 1980, mesurable par la désaffection de cette catégorie de spectateurs (voir supra). Alors qu’ils réalisaient 60 % des entrées voici trente ans, les assidus ne comptent plus que pour un quart aujourd’hui. En revanche, le nombre d’occasionnels (qui se rendent moins d’une fois par mois au cinéma) a augmente d’un tiers, vulnérabilisant la fréquentation globale.
96Après le cinéma comme loisir et délassement populaire, puis comme investissement culturel, la phase industrialiste se mesure également par l’écart grandissant entre le nombre important de films réalisant très peu d’entrées, et un nombre de plus en plus réduit de titres attirant le plus grand nombre42.
97La clientèle qui a délaisse les salles peut sociologiquement se repérer au cours du temps. Si trois français sur cinq ne vont jamais au cinéma, il n’y en a qu’un sur cinq pour ceux qui ont une instruction du niveau de l’enseignement supérieur, manifestant par ailleurs une grande stabilité dans leur comportement depuis trente ans (fig. 56). Ce sont évidemment eux qui composent majoritairement les classes moyennes et supérieures, et qui ont fourni les gros effectifs aux ciné-clubs, à la cinéphilie et à l’art et essai.
98L’âge joue également sur la place du cinéma dans la formation et les représentations mentales. Une étude qualitative43 mettait en parallèle la fréquentation avec la trajectoire sociale de la personne, en mesurant son degré de mobilité, réel ou espère. Plus la disposition à penser son identité sociale comme évolutive, non définitive, serait forte (jeunes, étudiants, catégories socioprofessionnelles en expansion...), plus la fréquentation le serait également (et inversement). Elle pourrait donc jouer un rôle substitutif, devenir un moyen de réparer une trajectoire sociale décevante, ou rester structurelle chez les publics plus intellectualises dont la « mobilité » culturelle est permanente. À l’oppose, la propension à ne pas aller au cinéma serait liée à une situation « d’héritier », ne souhaitant pas changer de lieu social, à une espèce de sentiment de finitude sociale symbolique. Outre que ce sentiment s’accroit individuellement avec l’âge, tandis que baisse effectivement la venue en salles, il pourrait peut-être s’appliquer plus globalement, avec l’impression d’une société bloquée et d’une impuissance à y intervenir, qui caractériserait assez bien la société française des deux grandes périodes de baisse enregistrée au niveau national.
99Si les moins de 50 ans se rendaient majoritairement au cinéma au moins une fois dans l’année en 1961, cela ne sera vrai que pour les moins de 35 ans dix ans plus tard, puis pour les moins de 25 ans en 1991- Si le quart des plus de 50 ans (le sixième des plus de 65 ans) qui se rend encore au cinéma semble avoir stabilise sa fréquentation, il n’en va pas de même de celle des plus jeunes qui continue à diminuer. Depuis trente ans, l’âge moyen des spectateurs qui se rendent majoritairement au cinéma semble baisser d’un an chaque année ! (fig. 57).
100Que ce public soit désormais de plus en plus urbanise, compose d’un faible nombre d’habitues (le cinquième des spectateurs réalise encore la moitie des entrées) qui sont socialement favorises (seuls les cadres supérieurs et les professions intermédiaires se rendent encore majoritairement au cinéma, avec naturellement les étudiants et inactifs) et possèdent un niveau d’instruction élève, confère un caractère de luxe symbolique à la sortie en salle.
Notes de bas de page
1 Principalement celles de l’institut français d’opinion publique (IFOP), « La fréquentation et l’image du cinéma en 1970 », in : Informations du CNC, n° 126, décembre 1970 ; du Centre d’études des supports de publicité (CESP), « Étude du cinéma en 1973 » et « Le public des salles, 1979 », Paris ; et de la Sofres, « Le public du cinéma et la fréquentation des salles -, 1986, Paris.
2 J. Farchy, « L’influence du prix sur la fréquentation cinématographique », in : X. Greffe, M. Nicolas, F. Rouet, Socio-économie de la culture, Paris, Anthropos, 1991.
3 Rappelé encore récemment par J.-P. Jean colas « L’arrangement Blum-Byrnes à l’épreuve des faits », in : 1895, revue de l’AFRHC, n° 13, décembre 1992, Paris.
4 IFOP, « La fréquentation et l’image du cinéma en 1970 » ; CESP, « Étude du cinéma en 1973 »
5 J. Farchy, op. cit., p. 77.
6 Celle-ci est financée par le fonds de soutien au cinéma, lui-même alimente par la taxe additionnelle, qui est proportionnelle au prix de places des salles. Plus ceux-ci sont élèves, plus les sommes mobilisables - et donc les investissements - sont importants.
7 Y. Ishaghpour, cinéma contemporain, Paris, Éditions de la différence, 1984.
8 Bulletin d’information du CNC, n° 113, octobre 1968.
9 456 salles avaient augmente de moins de 10 % par rapport à 1968, 185 entre 10 et 20 %, et 130 de plus de 20 %. Plus de la moitie d’entre elles appartenait à la petite exploitation, et 84 salles à l’exclusivité.
10 Quelques tentatives remarquables ont semble manquer d’adeptes, et surtout d’applications à des champs statistiquement observables. Voir notamment : Communications, n° 23, 1975, « Psychanalyse et cinéma ».
11 Tels Les Visiteurs pour Noël 1993, Germinal pour la rentrée 1994...
12 En février 1994, Sony a lance une nouvelle gamme dans ce format, d’un cout (environ 30 000 MF) moindre de moitie aux appareils de mêmes performances déjà présents.
13 INSEE, La Consommation des ménages en 1992, Paris, 1993
14 Voir, entre autres : Indicateurs statistiques de l’audiovisuel, CNC-CSA-INA-SJTI, Paris, 1993 ; Le cinéma à la télévision, CSA-CNC, Paris, 1993 ; J. Farchy, op.cit., p. 258 sqq ; R. Bonnell, op.cit., p. 359 sqq.
15 Écran total, n° 62, 4 Janvier 1995.
16 « Rapport Sauter », inspecteur des finances, 1987.
17 Astra 1A et IB (Europe), Eutelsat II-F1 (Allemagne, Dubaï..), F 2 (Espagne. Italie), F 3 (Maghreb, Europe centrale) et F 4 (Europe de l’Est), Intelsat 512 et 601 (États-Unis). TV SAT 2 (Luxembourg, France), télécom 2 A et 2 B (France, chaines câblées)...
18 Direct-TV, filiale de général Motors, diffuse à partir de deux satellites 150 chaines en numérique sur les États-Unis (1994).
19 Le Monde, 5 août 1994.
20 Futuribles, n° 191, octobre 1994.
21 D. Wolton, Éloge du grand public, Paris, Flammarion, 1990.
22 D’environ 15 % par an (Le Monde du 3 juin 1993) pour être désormais inférieure au temps passe devant un écran de jeux.
23 F. Vasseur, Les Medias du futur, col. PUF, « Que sais-je », Paris, 1992.
24 A. et F. Le Diberder, Qui a peur des jeux vidéos ?, La Découverte, Paris, 1993.
25 P. Quéau, Le Virtuel. Vertus et vertiges. Champ Vallon-INA, Paris, 1993.
26 Par exemple, lors d’une rencontre virtuelle (conférence télé-virtuelle, messagerie -rose-virtuelle...)i il sera possible d’envoyer un clone de soi-même qui pourra, ou non, nous être conforme, avantageux, monstrueux, d’un autre sexe...
27 D. Serceau, Le Désir de fictions, Paris, Dis voir, 1987.
28 Sans inclure de nombreux services annexes pourtant indispensables : alimentation en électricité, meuble(s) spécifique(s), réparation des équipements...
29 La Tribune, 22 juillet 1992
30 Le Monde diplomatique, novembre 1993
31 Indicateurs statistiques de l’audiovisuel, CNC-CSA-INA-SJTI, 1993, p. 64.
32 G. Sadoul, op. cit., t. 2, p. 439.
33 Medias et Malentendus, P. Maarek, Paris, Éditions Édile. 1986, p. 4t sqq.
34 Les Pratiques culturelles des français, La Documentation française, 1989.
35 Le cinéma dans la cite, CNC, Paris, 1989.
36 W. Benjamin, « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », in : Essais. 1935-1940, Paris, Denoël, 1971.
37 CNC, 1965 et 1970, op. cit.
38 R. Bonnell, op. cit. p. 168.
39 Annuaire national, n° 6012, La Documentation française, 1974.
40 J. Baudriilard, Pour une critique de l’économie politique du signe, Paris, Gallimard, 1972.
41 J.-M. Vernier, « Les enquêtes de fréquentation » in : Vertigo, n° 10, Paris, 1993-
42 La consommation cinématographique se rapproche ainsi de la régie du grand commerce classique, dite du 80-20 : 20 % des produits réalisent 80 % du CA. À la notable différence près que jamais l’exploitations ne peut disposer, à un instant donne, de 100 % des produits en stock, mais uniquement successivement au cours de l’écoulement des semaines. D’ou la taille des multiplexes et la création de l’interlock (plusieurs cabines pouvant passer le même film au même moment) pour maximiser l’offre (en films et en fauteuils), et la probabilité de toujours posséder le bon produit au bon moment.
43 N. Lang, Étude sur le public cinématographique, ministère de la Culture, Paris, 1986.
Notes de fin
* Prix base 100 en 1980
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