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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral L’INFORTUNE TRIBALE ET LA FOLIE DES AUTRES PLAISIR, DOULEUR ET FÉMINITÉ LES CULTES THÉRAPEUTIQUES UNE SÉANCE CHEZ LE GURU DE PARVATI JOLA HINSI MOUVANCE DES SYMBOLES Notes de bas de page

    Enfants de la déesse

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre IV. Le sanctuaire, communauté thérapeutique

    p. 171-211

    Texte intégral L’INFORTUNE TRIBALE ET LA FOLIE DES AUTRES Le corps et les expressions somatiques PLAISIR, DOULEUR ET FÉMINITÉ Histoire du dieu Dharmo La fête de Dharmo LES CULTES THÉRAPEUTIQUES Une visite à Anandpur, sanctuaire de Dharmo Thakur Les désordres de l’esprit Le rituel de cure Sije Kordam Le temple de Goalpara UNE SÉANCE CHEZ LE GURU DE PARVATI L’oracle de la Déesse JOLA Une identification difficile Provoquer la folie Les autres patients Le feu qui guérit HINSI MOUVANCE DES SYMBOLES Notes de bas de page

    Texte intégral

    L’INFORTUNE TRIBALE ET LA FOLIE DES AUTRES

    1Les sanctuaires que nous avons décrits sont des lieux où officient des prêtres-devins ou des guru qui n’établissent pas de distinction entre les maladies somatiques et les maladies mentales.

    2En ce sens, les cures menées par les femmes ojha ou les prêtresses ne contredisent, en rien, la pratique de leurs homologues masculins. Certaines prêtresses, on l’a vu, se refusent à célébrer des exorcismes et préfèrent placer leurs patients sous la protection de la Déesse. Dans les deux cas, et qu’on ait recours ou non à l’exorcisme, le thérapeute doit remédier à une situation d’infortune. Toutefois, tandis que les ojha masculins vont patiemment rechercher les causes du mal en se livrant à différents types de divination, voire en accusant les sorcières, les prêtresses attendent que la déesse Kali leur octroie le pouvoir de « couper le mal » et de le mettre à distance.

    3Ojha et prêtresses parlent de rumok, « possession », pour décrire un état où le patient n’est plus maître de ses émotions. En quoi cette possession maléfique, non maîtrisée, diffère-t-elle des transes contrôlées du prêtre-devin ? Nous avons vu que Parvati dit de Jobra qu’elle est konki, « folle ». Ce type de désordre rejoint-il les concepts d’épilepsie, mirgi, de convulsions, bae, qui représentent, aux yeux des prêtres-devins, des formes de possession démoniaque ?

    4On peut se demander, par ailleurs, si les situations d’infortune observées en milieu tribal correspondent plus ou moins au concept de pagalami, « folie » « insanité » des Bengalis. Selon D. Bhattacharya (1986)1, le terme de pagalami s’applique aux désirs frustrés du patient, particulièrement, lorsque celui-ci traverse une période difficile ou que sa vie familiale est perturbée. En conséquence, le patient connaît des pertes de conscience et, soit va consulter des ojha, soit se rend en pèlerinage dans des grands temples connus pour leurs fonctions thérapeutiques, tels celui de Tarakeshwar, à moins d’une centaine de kilomètres de Calcutta. D. Bhattacharya (ibid.) n’introduit donc pas de coupure entre le savoir des ojha, véritables thérapeutes indigènes, et une psychiatrie plus savante, qui s’est implantée au Bengale juste avant la période coloniale2.

    5Il est certain que les idées concernant la folie ont été influencées par la renaissance de la médecine indienne classique, l’Ayurveda. On ne saurait négliger, par exemple, l’importance de la théorie des guna, dans la conception de l’équilibre psychique. Selon cette théorie, en effet, le corps est composé de qualités sensibles qui sont distribuées, en proportion différente, chez les individus. Ces trois qualités sont le sattva, le rajas et le tamas, respectivement, « pureté « ou « vérité », « action » ou « désir », et « obscurité » et « négativité ». Dans un tel système, l’équilibre des humeurs représente un idéal de santé et un guide pour le diagnostic clinique.

    Le corps et les expressions somatiques

    6Nous avons vu, au chapitre II, comment certaines émotions telles que raskau, « le plaisir », « la joie de vivre » étaient valorisées dans la culture santal. Les émotions, certes, forment un code culturel dont les médecins de village gèrent les débordements qui, soit se manifestent dans des désordres nerveux, soit s’expriment d’une manière plus diffuse, à travers certaines formes de délire ou de possession.

    7Les ojha ont une conception physique, voire mécaniste des émotions : lorsque les sir, « nerfs » se tordent, le patient devient rouge et s’étouffe. Les descriptions que les ojha font des symptômes nous livrent une exploration métaphorique des maux. Les ojha mémorisent et hiérarchisent en termes de douleur les symptômes d’un grand nombre de maladies.

    8Selon les prêtres-devins, soit ces sensations sont physiques, soit elles correspondent à des angoisses provoquées par les bhut ou les bonga malveillants3.

    9Le registre santal des émotions s’exprime selon de multiples dimensions, dont certaines évoquent la description de la douleur en Inde du Nord, où elle est définie en termes spatiaux, selon deux dimensions principales : la profondeur et l’étendue (J. Pugh 1991).

    10En milieu tribal comme en milieu hindou, les qualités sensorielles de la douleur sont, en gros, les mêmes : localisation, intensité, température, mouvements involontaires. Les localisations somatiques procèdent à un découpage du corps : « mal de tête », bohok hasu, « mal d’estomac » ou de « ventre », lac hasu. Les maux des deux dernières catégories citées relèvent de la chair (baha), tandis que les rhumatismes et les fièvres dépendent de l’état de sécheresse ou d’humidité de l’os, jan, lequel est souvent affecté par les vents.

    11La douleur peut encore être « acérée comme une épine », janum leka, ou « lourde », hambal.

    12Les douleurs les plus fréquentes sont les crampes provoquées par la faim, « la faim brûle », rengec jala, et on dit couramment d’un homme au profil émacié qu’il « est devenu faible par la faim ».

    13Le « mal », haso, est tantôt physique et localisé « dans le corps », hormo re, tantôt mental. Dans ce cas, il renvoie à l’esprit et au cœur : ainsi, l’expression mon reak kana, « un mal de cœur » dé-signe-t-elle un chagrin d’amour.

    14Comme dans les exemples cités par J. Pugh (1991, p. 25), on note une continuité des métaphores qui vont du domaine somatique, aux dimensions affectives de la douleur. Ces dernières s’expriment dans les chants d’amour, où le thème de la séparation est source de peine : on parle, ainsi, du feu des reproches de la jeune femme délaissée par son amour de jeunesse, lorsqu’on la marie au loin.

    15D’autres métaphores de la douleur évoquent la haine : ainsi, les invocations que les prêtres-devins récitent dans le but de neutraliser les sorcières, font clairement état du désir de nuire, qu’on leur prête :

    Elles marchent dans la nuit,
    Avec des couteaux aiguisés.
    On ne sait jamais, si elles marchent sur les nuages noirs,
    Ou déjà, à l’intérieur du ventre de leurs victimes.

    16La pierre à aiguiser, les clous, les couteaux brandis dans la nuit, évoquent tantôt la marche des sorcières, tantôt la progression de la douleur qui tourmente leurs victimes. Cette sensation, semblable au sel qu’on répand sur une blessure, s’alourdit du poids des pensées les plus sombres. Voici deux autres exemples de ces mantra. Le premier suppose que les sorcières ont agi en invoquant un bonga féminin malveillant, Chotriyari.

    En ton nom, Chotriyari, la pierre à aiguiser (sil) est tombée.
    La pierre est tombée, sauve-moi de l’orage !

    17Invisible, la pierre à aiguiser pénètre à l’intérieur du corps de celui qui est victime d’un envoûtement.

    18Dans certains cas, le mantra mentionne les complices des sorcières, le plus souvent des bonga malveillants.

    Au milieu de la nuit, à la lune décroissante, les sorcières, au nom d’Acraele, brandissent le balai perceur.

    19Munis de balais domestiques les sorcières étalent les germes des maladies devant les portes des maisons. Ici, les sorcières agissent au nom d’Acraele, un bonga masculin qui se venge souvent des jeunes épouses.

    20Dans certaines invocations, le prêtre-devin fait allusion à la douleur causée par l’infection et qui est comparable à une brûlure :

    Le feu est sorti de la maladie pour laquelle, on récitait l’invocation !
    Le foie est couvert par la feuille de ricin, cet homme est menacé !

    21Ici, le foie représente – de façon métonymique – la vie du malade ; quant à la sorcière, un locuteur santal comprend qu’elle « se cache » sous la feuille. L’opposition de la lumière et de l’ombre est – bien entendu – négative. Ces images signifient que le ojha n’arrive pas à mettre en cause les agents responsables des maux.

    22La feuille de ricin désigne un charme que les sorcières ont confectionné pour attaquer le foie du malade.

    23L’expression de la douleur est légitime chez le patient qui souffle, halète, se tord et « se balance sans répit », surtout s’il est atteint de désordres nerveux.

    24Les Santal attribuent toute tristesse profonde, aux bonga qui empiètent sur l’ombre de leur victime. Il faut maîtriser ses affects pour résister à l’emprise des bonga, discipline à laquelle s’exercent les hommes, comme les femmes.

    25Soulignons qu’on ne trouve pas chez les Santal de morale explicite, visant à sanctionner la maîtrise des affects. Chez les hindous, en revanche, la poursuite du salut (moksha) implique un contrôle des émotions, même si on admet qu’une douleur prolongée puisse le plonger dans la mélancolie (dukh). Pour cette raison, il semble que les femmes santal se laissent davantage aller à la douleur et au plaisir que leurs homologues hindoues.

    PLAISIR, DOULEUR ET FÉMINITÉ

    26Un adage courant en santal souligne que les femmes « mangent le plaisir à pleines dents », expression qui évoque la jouissance sexuelle mais aussi la jubilation macabre des sorcières qui, précisément, « n’arrêtent pas de manger ». Cependant, les femmes doivent, dans une certaine mesure, contrôler les douleurs liées à la sexualité et à la reproduction. En fait, on nous cite peu d’exemples où elles auraient manqué à cette règle. Non parce que les femmes auraient honte de ne pas être assez endurcies, mais plutôt parce que l’expression de la sensibilité féminine obéit à certains stéréotypes. Comparée à un tendre bourgeon ou à une biche apeurée, la jeune fille subit la violence sexuelle de ses premiers amants, dans la mesure où elle n’est pas toujours consentante. Après son mariage, son corps s’endurcit dans le travail avant d’affronter les douleurs de l’enfantement.

    27En outre, il serait de mauvais augure, pour une femme santal, d’exprimer trop de plaintes au moment de l’accouchement. Il s’agit d’une épreuve au cours de laquelle les divinités elles-mêmes viennent parfois en aide à la parturiente, comme l’atteste ce récit.

    On raconte qu’une jeune femme était partie ramasser du bois dans la forêt avec ses compagnes. Elle était à la traîne, les autres, pressées de rentrer, l’abandonnèrent. Un bonga lui apparut et vint l’aider à accoucher.
    Au petit matin, il la raccompagna avec l’enfant dans son village. Les gens la voyant arriver, auréolée d’une lumière brillante s’écartèrent avec une crainte, mêlée de respect. Elle donna à l’enfant le nom du bonga et personne n’osa protester.

    28Cette « histoire de village » qui nous décrit un accouchement peu ordinaire témoigne, une fois de plus, de la complicité qui unit les femmes et les divinités. Ici, le bonga apparaît protecteur, bienveillant, envers la jeune femme, mais néanmoins, il lui applique sa marque. En effet, la clarté qui émane de la personne de la jeune femme, la soustrait, d’une certaine façon, au monde des humains. Et le récit s’arrête sans nous dire si la divinité reviendra chercher la femme ou l’enfant.

    29Si la femme d’âge mûr devient progressivement insensible aux maux quotidiens, la femme âgée, elle, ne ressent plus la douleur. Elle est « comme une niche dans un mur » et ne s’émeut plus de rien. En effet, les seules émotions qu’on lui prête sont mises sur le compte de l’ivresse. Cette dureté, qu’on attribue à la femme âgée, la prédispose, bien entendu, à devenir sorcière.

    30La nourriture, enfin, est souvent perçue comme une cause possible de douleur, puisqu’elle peut contenir du bisi, « poison » Les sorcières, en effet, n’hésitent pas à servir à leur mari de la bière de riz empoisonnée. Dans un tel cas, ce breuvage, qui, d’ordinaire, scelle les promesses, ou est un prélude aux ébats amoureux, devient un des moyens les plus sûrs de se délester d’un compagnon non désiré.

    31Au cours de l’exorcisme, le ojha propose un traitement destiné à supprimer la douleur, soulageant le front fièvreux d’un patient à l’aide d’une compresse fraîche. Ce thérapeute permet à son patient de formuler les sensations douloureuses qu’il ressent, mais aussi de lui faire part des angoisses qui l’agitent. N’hésitant pas à questionner ses patients au sujet de leur vie privée, le ojha mène la cure, se déclarant, lui-même, sous la protection de ses divinités tutélaires : les dieux hindous Shiva et Kali. Il n’hésite pas, non plus, à invoquer des déesses liées au traitement de maux particuliers, telles Manasa (morsures de serpents) ou Sitala (variole)4.

    32En outre, certains dieux ont des fonctions thérapeutiques précises et sont, pour cette raison même, sollicités par un grand nombre de patients. Dharmo Thakur occupe, à cet égard, une place centrale aussi bien pour les Santal hindouisés que pour les gens des castes.

    33On se souvient, que le guru santal de Parvati se réclamait du dieu Dharmo ; le sanctuaire qui est dédié à ce dernier constitue une forme de communauté thérapeutique, qui a inspiré les prêtresses.

    34Avant de suivre à nouveau Parvati dans un des sanctuaires dédiés au dieu Dharmo, il nous faut présenter le culte de ce dieu, en milieu hindou. La tradition savante du culte sanskritisé s’appuie sur la littérature du Mangal kavya5 qui n’a cessé d’être produite du xve au xviiie siècle et qui décrit la mythologie du dieu et les coutumes du Bengale de l’époque.

    Histoire du dieu Dharmo

    35Le culte du dieu Dharmo est complexe dans la mesure où, dans certains villages, il suit des prescriptions brahmaniques tandis qu’ailleurs, il est célébré par les basses castes et les tribus.

    36La légende attribue la fondation du culte au roi Hariscandra.

    Le roi Hariscandra et sa femme étaient sans enfants et rendaient un culte au dieu Dharmo pour avoir un fils. Le roi et la reine offrirent leur vie à Dharmo. On dit, que leur vœu fut exaucé. Ils reçurent, finalement, la promesse d’avoir un fils, à condition qu’il soit sacrifié à Dharmo. Lorsque ce fils naquit, il fut appelé Luicandra. Quand le garçon eût douze ans, Dharmo vint, sous la forme d’un ascète, et demanda au roi et à la reine de lui donner leur fils. On raconta cette histoire à la reine Ranjabati qui, elle aussi, se lamentait parce qu’elle n’avait pas d’enfant. Elle s’adonna aux austérités et mourut, par accident, empalée sur des piquets de fer. Le dieu Dharmo la ramena à la vie, exauça son vœu et elle mit au monde un fils, Lausen. Le premier ministre du roi jalousait le héros qui, pourtant, demeurait le protégé de Dharmo. Lausen fut envoyé comme collecteur d’impôt dans une région nommée Dhekur. Lausen se mit en route mais ses parents étaient anxieux car c’était l’endroit où ils avaient perdu leurs autres fils. A cette époque régnait Ichhai Ghose, qui était le protégé de la déesse Durga. Il fut fâché de l’arrivée de Lausen qui était l’envoyé de l’empereur de Gauda à Dhakur. Ils se livrèrent une bataille sans merci. Sur le chemin de Gauda, Lausen obtint l’aide des sept kalubir, qui étaient des Dom. Ils décidèrent d’attaquer Dhakur en traversant la rivière et prièrent Dharmo Raj pour le succès de leur entreprise. Celui-ci leur demanda de monter deux chevaux et de traverser la rivière dans les airs. Pendant ce temps, Ichhai avait reçu de la déesse Bhawani une faveur : celui qui traverserait la rivière en bâteau serait détruit. Arrivant par les airs, Lausen fut victorieux. Finalement, la déesse Bhawani recommanda à Ichhai de ne pas livrer combat un samedi. Celui-ci n’écouta pas les recommandations divines. Mal lui en prit car il fut tué par Lausen, qui offrit sa tête lors d’un sacrifice homa. Lausen gagna des princesses et des royaumes, mourut et fut ramené à la vie par le dieu Dharmo en l’honneur duquel il accomplit des austérités. Il alla jusqu’à s’offrir lui-même en sacrifice en jetant, une à une, ses neuf côtes dans le feu sacrificiel.

    37L’histoire de Dharmo Raj est marquée par un double sacrifice. Tout d’abord, la reine Ranjavati se sacrifie – par empalement pour avoir un fils, Lausen. A son tour, ce dernier s’immole en l’honneur de Dharmo Raj mais le dieu les ramène tous deux à la vie. Ces morts ont bien une valeur initiatique et symbolisent les valeurs que le renonçant se doit d’abandonner. Dans l’histoire de Dharmo, la vie et la mort ont, au moins, deux niveaux de référence : on y meurt pour être ramené à la vie par le dieu, dont la fonction est d’assurer la punarjivan, « résurrection » de ses dévots.

    38Ce dernier thème évoque les fonctions thaumaturgiques des prêtres-devins, attestées dans d’autres récits santal. Ainsi la reine Ranjayati est-elle stérile, avant d’être sauvée par Dharmo. Après qu’elle eut consenti à son propre sacrifice, dans un autre épisode du même récit, elle revint à la vie et se retrouva enceinte, pourvue d’un dieu qui l’avait sauvée (S. Robinson 1980, p. 26).

    39Le temple de Dharmo Raj est souvent situé au milieu du village. A Tantipara, près de Bakreshwar, Dharmo Thakur, représenté par des pierres plates, est considéré comme un dieu tutélaire de village par l’ensemble des castes et des communautés qui lui rendent hommage La façon de symboliser le dieu varie selon les villages : la divinité de Hat Tala, plus ancienne, est symbolisée par une sorte de trône au milieu des pierres. Le sanctuaire contient une petite boîte en or, qui renferme une pierre transparente, de petite taille. On dit que cette pierre est le vrai Dharmo Raj.

    40Le dieu ne se contente pas de résider dans ses sanctuaires. Il rend visite aux villageois, chevauchant un cheval blanc. Malgré ces diverses représentations cultuelles, on l’appelle « celui qui est sans forme », Niranjama. Associé au camphre, on dit qu’il est pâle et il reçoit – à ce titre – des fleurs blanches. Quand un village possède deux temples dédiés au dieu et situés dans des quartiers différents, on raconte que, la nuit, deux Dharmo Raj visitent leurs sanctuaires respectifs.

    41A Tantipara, le dieu visite le séjour d’un ascète qui a construit une hutte en bordure du village. Les liens que le dieu entretient avec Shiva s’affirment dans les représentations villageoises : à gauche et à droite de Dharmo Raj, on trouve deux images de pierre, représentant la déesse Manasa dont le corps est, chaque fois, orné de sculptures en forme de serpents. Au sud du sanctuaire de Dharmo, on trouve un autre temple, consacré à Shiva. Toujours dans le même village, des Brahmanes sont responsables du culte du dieu, dont la fête annuelle est célébrée en Baisakh (avril-mai).

    42Au moment de la fête, d’autres divinités qui résident dans d’autres temples, sont invitées à se joindre au dieu Dharmo. R. M. Sarkar (1986, p. 20) note qu’une forme locale de la déesse

    43Manasa qui reçoit – d’ordinaire – un culte dans la maison d’un pêcheur est transportée, en grande cérémonie, au temple de Dharmo. On va aussi chercher un cheval d’argile en forêt pour l’offrir au dieu qui est associé au domaine sylvestre. Les liens que Dharmo entretient avec la forêt évoquent Shiva sous sa forme ascétique. Dans d’autres villages encore tel Baruipur, où a enquêté S. Robin-son (1980) deux symboles dominent le rituel de Dharmo. Le premier chota banesvar est une planche où est gravée la flèche, ban de Shiva. Au cours du rituel, les femmes baignent la planche à clous, qui rappelle la vocation ascétique du dieu. On l’oppose, couramment, à bara banesvar, litt. la grande flèche du dieu qui transmet les transes (bhar) à qui la porte. Les sanctuaires consacrés à Dharmo sont la propriété commune des villageois. Néanmoins tous les visiteurs sont loin de connaître la littérature religieuse du dieu, si ce n’est sous une forme fragmentée. En effet, ce culte se déploie sur deux registres, l’un plus sanskritisé, auquel participent les hautes castes, l’autre plus populaire. Les Brahmanes ne sont généralement pas les dévots de Dharmo et des dieux qui lui sont associés, mais constituent souvent la prêtrise de ces sanctuaires.

    44Dans certains villages, un assistant de basse caste, le deyashi, seconde le Brahmane. L’initiation d’un deyashi, comparable à celle d’un ojha, a lieu au terme d’un cheminement spirituel. Tandis que le Brahmane célèbre le rite, le deyashi qui est, parfois, appellé mul sannyasi, « chef renonçant », prend en charge les dévots. Le dédoublement de la prêtrise symbolise bien, ici, une duplication de la hiérarchie au niveau rituel. Loin d’être ordonnée, celle-ci s’exprime sous la forme d’une course au pouvoir au terme de laquelle hautes castes et basses castes revendiquent – chacune pour elles-mêmes -le monopole exclusif de la prêtrise du dieu.

    45Dans les sanctuaires qui lui sont consacrés, Dharmo est servi par une prêtrise issue de castes différentes : des Brahmanes, des Mahato et des Dom. Selon ces derniers qui rendent un culte à Dharmo, ce fut leur ancêtre, Ramai qui fut le premier prêtre du dieu. Ramai était, pourtant, d’ascendance brahmanique mais son fils, Dharmadas épousa une fille dom et fonda, ainsi, une lignée de prêtres. Le culte de Dharmo est complexe dans la mesure où, dans certains villages, il suit des prescriptions brahmaniques et qu’ailleurs, il est célébré sous une forme beaucoup plus populaire. Ainsi, dans les sanctuaires des villages où dominent les basses castes et les tribus, le dieu reçoit des libations de bière de riz, et on s’inflige en son honneur différents types de tortures rituelles : mutilations, ou marche sur des charbons ardents.

    46On dit que celui qui n’observe pas les règles du culte avec soin peut mourir dans l’année. La fête annuelle du dieu Dharmo a lieu en avril, lors de la pleine lune et correspond au gajan de Shiva, fête qui commémore les austérités auxquelles s’est livré ce dieu. En voici une description résumée, rapportée par S. Mukherjee qui avait, quelques années auparavant, effectué un pèlerinage à Labab (24 Parganas). Dans ce sanctuaire, le dieu, dit-on, guérit les maladies des yeux et reçoit en retour des pèlerins reconnaissants des yeux de métal ou d’argent, qui jonchent le sol de son sanctuaire.

    La fête de Dharmo

    47Le premier jour, les dévots prennent un bain rituel et préparent le cordon sacré que portera chaque dévot. C’est un pat bhakta, dévot principal qui prend en charge l’organisation du rituel. A Labab, ce sont les membres de la caste des bijoutiers, les Kaibarta, qui ont la charge de ce culte ; dans d’autres villages, ce sont les Dom.

    48Dans chacun des sanctuaires consacrés au dieu Dharmo, on trouve plusieurs divinités locales qui lui sont associées. A Labhpur, sept divinités6 entourent le dieu ; elles sont représentées par des statues de bois et déposées dans un dola, « balançoire », que les dévots portent vers la rivière. Près de l’eau, les fidèles rangent les divinités dans un panier de bambou, dhucuni, avant de les asperger d’eau sacrée.

    49Le principal moment du rite est celui où chaque dévot s’immerge avec le panier, contenant les statues des dieux. Il s’agit là d’une séquence rituelle que nous retrouvons chez Parvati, lorsque celle-ci prend un bain dans un étang sacré, munie d’un pot de terre dans lequel Shiva se manifeste. Il existe, pourtant, une différence importante entre la version hindoue du rite et celle de Parvati. Dans le premier cas, les dieux sont déjà dans leur temple. On les emmène à la rivière pour leur offrir des aspersions d’eau sacrée, tandis que Parvati, elle, va chercher le dieu dans un étang et le ramène dans un pot, après avoir été possédée.

    50Mais revenons à la fête du dieu Dharmo, qui se poursuit le lendemain, jour où les dévots dansent sur des charbons ardents. La veille du rite, les dévots s’abstiennent de nourriture et observent la continence. Le matin qui suit la marche sur le feu, ils reçoivent le cordon sacré et sont initiés7. Les Brahmanes ont aussi leur place dans cette fête, puisque ce sont eux qui offrent au dieu un sacrifice de beurre clarifié dans le feu. Au même moment, un Dom sacrifie un bouc derrière le temple. Tandis que les Brahmanes accomplissent la part la plus pure du rite, les Dom officient en tant que sacrificateurs. A Metala, comme à Goalpara, villages surtout peuplés de Brahmanes kulin, le culte du dieu est très influencé par le rituel brahmanique, marqué par des offrandes végétales et l’absence de sacrifice sanglant.

    51Ce partage des fonctions selon les castes n’est pas toujours respecté : bien au contraire, toutes les castes, sans oublier les Santal, luttent souvent avec acrimonie pour s’emparer du monopole d’un sanctuaire. N’oublions pas, en effet, que les prêtres chargés du culte du dieu dans chacun des sanctuaires sont aussi responsables de la commercialisarion des remèdes, activité parfois fort lucrative8.

    52Dans certains villages, on offre encore au dieu Dharmo des chèvres qui reçoivent une marque de vermillon, en son nom, et l’une d’entre elles est appellée « Loue » pour commémorer le sacrifice de Lausen, fils de la reine Ranjabati, qui n’hésita pas à s’immoler en l’honneur du dieu.

    53Les villageois évoquent le mythe en dessinant sur le sol, devant le temple, une effigie de Lausen, mutilé d’un doigt. D’après mes informateurs, c’est encore en l’honneur de Lausen qu’on se pique la langue avant le sacrifice de la chèvre. Dans les sanctuaires où officient des Dom, les dévots, après le sacrifice du bouc, déposent les organes génitaux devant le temple de Dharmo. Ils appellent alors les organes génitaux de l’animal sacrificiel, Hara Gauri, désignant ainsi Shiva et son épouse9.

    54Par ailleurs, les fidèles ne manquent pas d’établir une analogie entre Dharmo et Shiva, faisant de ces deux dieux les époux de la shakti. Tous les villages ne célèbrent pas le rite de façon aussi complète. A Tantipara, par exemple, on ne pratique presque plus la torture rituelle des balançoires, ascèse qui consiste à s’enfoncer des crochets de fer dans les muscles dorsaux et à se faire attacher au moyen de ces crochets à de hauts piliers de bois. Cet exercice, qui, autrefois, était de rigueur lors du gajan de Shiva10 ou de la fête de Dharmo, a tendance à être remplacé, de nos jours, par un sacrifice de beurre clarifié dans le feu, célébré par un Brahmane.

    55En marge du culte de Dharmo Thakur, les basses castes et les tribus (Santal, Maler) rendent un culte à Bagh Roy, le maître des tigres11, tantôt symbolisé sous la forme d’un tigre, tantôt simplement représenté par une pierre que l’on nettoie à l’aide de bouse de vache et que les femmes ornent de dessins géométriques tracés à la farine de riz (alpana).

    LES CULTES THÉRAPEUTIQUES

    56De nombreux malades se rendent aux sanctuaires de Dharmo pour soulager leurs souffrances. Dharmo n’est pas le seul dieu de la région qui ait une vocation thérapeutique, mais son culte exprime un certain nombre de représentations, liées aux maladies.

    57Les maux sont provoquées par des agents naturels, surnaturels et humains. Les carences alimentaires, les microbes, le travail excessif représentent les agents naturels. La colère des divinités qu’on a offensées, les influences planétaires néfastes et les résultats d’un mauvais karma correspondent à la zone d’influence des agents surnaturels. Chez les hindous comme chez les tribaux, les agents humains, sorcellerie, mauvais œil, sont souvent tenus pour responsables des maladies.

    58Dans les basses castes, certaines déesses, par exemple Chandi provoquent de « mauvaises possessions ». Une autre forme locale de la même déesse, Mangal Chandi, est souvent tenue pour responsable des maladies de peau. On impute les épidémies de variole à d’autres déesses, telle Sitala (R. Nicholas 1981). On accuse Manasa d’infliger des morsures de serpent à ceux qui ont omis de lui rendre un culte, thème qui s’inscrit dans l’histoire même de cette déesse12. Dans certains cas, le dieu Dharmo peut lui aussi, s’il est mécontent de ses dévots, leur infliger les maux qu’il est généralement censé soulager. Dans l’univers hindou comme chez les Santal, ceux qui provoquent les désordres du corps et de l’esprit peuvent aussi susciter des guérisons.

    59On peut localiser, à Birbhum, quelques sanctuaires principaux où le dieu Dharmo a clairement des fonctions thérapeutiques.

    60Comme on le voit, les déesses Manasa et Kali, lui sont, parfois, associées.

    61Le tableau suivant fait état des cultes thérapeutiques les plus connus de la région :

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    62Les sanctuaires santal, à vocation thérapeutique incluent les cultes rendus aux dieux Chandi, Dharmo Thakur et Manasa, sans oublier les possessions par Kali. Ils jouissent d’un certain prestige, grâce à l’influence des ojha, qui prennent en main toute forme de souffrance.

    63Les prêtresses comme Parvati, qui possèdent un savoir médical appauvri, par rapport à celui des ojha, fournissent à leurs fidèles les éléments nécessaires à élaborer une ontologie de la souffrance qui puisse valider les situations d’infortune. Avant de revenir sur cette question, qui fait l’objet de ce chapitre, il nous faut dire quelques mots de la prêtrise, issue des castes, qui officie dans les sanctuaires thérapeutiques.

    64En effet, même si les ojha hindous sont nombreux au Bengale et souffrent de la concurrence des magiciens, il s’agit là de praticiens privés, qui officient au niveau villageois. En milieu bengali, on appelle deyashi les prêtres qui se chargent de la cure des maladies dans le cadre d’un culte à vocation thérapeutique. Dans certains villages, la tradition a fixé les responsables du culte, comme l’atteste le schéma suivant :

    Image img02.jpg

    65Les prêtres ne sont pas les seuls à prendre en charge les malades. Les astrologues peuvent également établir un lien entre l’étiologie des maladies et l’influence des planètes. Le recours à l’astrologie est beaucoup plus fort en milieu hindou. Au Bengale, les grahacharya sont des astrologues que les villageois consultent en diverses occasions. Pour répondre à l’attente de leurs clients, les astrologues lisent attentivement les almanachs et fixent, par exemple, le jour faste qui conviendra à une cérémonie familiale.

    66En cas d’infortune, les patients de toutes castes fréquentent les sanctuaires thérapeutiques. Généralement, les exorcistes, prêtres-devins et herbalistes rendent un culte aux divinités de village et fondent un Thakur than, sanctuaire dédié à Shiva13. Parfois, ce sanctuaire ne comporte pas de temple mais est simplement constitué d’un tertre de terre, sur lequel le deyashi installe des pierres représentant la déesse flanquée de ses attendants, auxquels on adjoint parfois Shiva, lui-même. Fiché en terre, un trident indique la présence de la shakti de la Déesse.

    67Lorsque le deyashi est possédé il administre des remèdes préparés à l’avance. Certains malades visitent régulièrement les sanctuaires et sollicitent une prise en charge psychologique. Les honoraires des deyashi sont peu élevés et souvent, laissés à la discrétion des patients. Certains deyashi font un compromis entre les pratiques shastriques (fondées sur la médecine hindoue classique) et les pratiques populaires. Ce sont des thérapeutes avisés, auxquels on prête de grands pouvoirs.

    68Sur un plan plus global, les deyashi comme les ojha célèbrent des cultes dans les campagnes, néanmoins ils sont aussi implantés dans les villes. De ce fait, ils permettent une certaine intégration du monde rural dans le monde urbain ; ainsi, les citadins consultent-ils davantage des deyashi que des prêtres-devins. Les Santal, certes, n’hésitent pas à devenir les clients des deyashi hindous, ou même des médiums musulmans, bien qu’ils aient leur propre prêtrise, composée de prêtres-devins et de guru hindouisés.

    Une visite à Anandpur, sanctuaire de Dharmo Thakur

    69Dès que j’arrive à Anandpur, accompagnée de Lokhi et de la femme d’un maître d’école bengali, de caste brahmane, les Sadgop qui tiennent leurs officines dans la rue principale menant au temple nous harcèlent pour nous vendre des remèdes. Le prix des remèdes est à peu près le même partout : 35 Rs pour un litre d’huile où infusent ceux des plantes aromatiques censées guérir qui souffrent des rhumatismes. On dit encore que la terre aux alentours du sanctuaire possède des vertus curatives contre la paralysie, les rhumatismes et la goutte. Pour les Santal, comme pour la médecine ayurvédique d’ailleurs, les maladies des os sont, en partie, des maladies provoquées par les vents14.

    70Les Santal, lorsqu’ils souffrent d’une de ces maladies, vont implorer Dharmo Thakur, là où le dieu est servi par des prêtres sadgop, les hautes castes formant la clientèle de la prêtrise brahmanique attachée à ce dieu. Les Sadgop ne sont pas des prêtres de basse caste mais leur message est plus pragmatique que celui des Brahmanes. Un sanctuaire, comme celui d’Anandpur comprend deux types de temples : un pour les hautes castes et un second pour les autres. Si on observe bien une séparation des cultes à laquelle renvoie la hiérarchisation de la prêtrise brahmane d’un côté, sadgop de l’autre, cette division fonctionnelle n’exclut ni la rivalité, ni la compétition. Il existe, par ailleurs, d’autres sanctuaires dédiés à Dharmo, desservis par des prêtres dom, théoriquement de statut plus bas que les Sadgop, mais auxquels on reconnaît un grand pouvoir de guérison.

    71Certains Santal vont trouver les Sadgop quand le traitement des ojha a échoué. A Anandpur, le sanctuaire de Dharmo se double d’un lieu de pèlerinage : près des temples consacrés au dieu hindou, un espace est réservé à une sainte musulmane, du nom de Bagor Sundari, qui mena, dit-on, une vie très vertueuse. Sa tombe, située à l’est d’un étang où – après avoir jeûné – on se baigne pour guérir, est fréquentée par de nombreux pèlerins, surtout des lépreux. Un modeste temple, recouvert d’un toit de chaume, abrite les dieux Dharmo Raj, Durga et Parvati.

    72A l’intérieur du temple principal dédié à Dharmo Raj, le dieu est représenté de façon anthropomorphique et porte un trishul. Ici, Dharmo est végétarien alors qu’il a adopté un régime carné dans le second temple, réservé aux castes non brahmaniques. On rencontre deux catégories de patients. Ceux qui souffrent de maux légers frottent leur corps avec de l’huile, tandis que ceux qui sont affectés par des maux plus graves doivent recourir au sacrifice d’une chèvre noire à Dharmo. Un Dom fait office de sacrificateur. Il est loin de jouir du statut prestigieux qui, dans d’autres sanctuaires15, est réservé aux Dom degbansi parmi lesquels sont recrutés les prêtres de Dharmo. Le dévot santal sacrifie lui-même la chèvre et donne la tête de l’animal au degbansi et, parfois, une patte au Brahmane, le malade emportant avec lui le reste de la chèvre.

    73Les musulmans, eux, offrent des poulets, qu’ils donnent aussi au degbansi. Généralement, celui-ci célèbre une puja dans le premier temple, pour les basses castes. A l’intérieur du second temple, officie un Brahmane, comme précédemment décrit. A l’issue des sacrifices, les officiants prennent un bain et, bien entendu, on ne fait pas couler de sang dans le temple où officient des Brahmanes dégradés.

    74En cas de guérison, les gens riches offrent des chevaux de terre cuite ou d’argent à Dharmo, puisqu’il est censé visiter, de nuit, les villages à cheval. On compare, à ce sujet, Dharmo à Visvakarma qui, lui, monte un éléphant et est le patron des artisans.

    75Ce jour-là, Lokhi et la femme de l’instituteur, après s’être baignées et avoir offert leurs dévotions séparément au dieu Dharmo, puisque la femme de l’instituteur est brahmane, emportent avec elles un peu d’huile. Elles ont acheté ce remède aux Sadgop, pour l’offrir à des parents souffrant de rhumatismes.

    76Dans certains sanctuaires villageois, où l’on peut aussi guérir des rhumatismes, le visiteur est sommé de prouver qu’il a confiance dans le dieu Dharmo en trempant son bras ou sa jambe dans une énorme marmite d’huile bouillante où infusent les dits remèdes, dont le nom est secret. Bien entendu, les vrais pèlerins ne se brûlent jamais.

    Les désordres de l’esprit

    77Les gens qui souffrent des désordres de l’esprit vont à Tilok-chandpur16. Parvati y conduit une de ses patientes, Mary. Il s’agit d’une femme santal, née dans une famille convertie au christianisme. A Tilokchandpur aussi, on plonge la main dans l’huile pour prouver, simplement, sa confiance au dieu Dharmo. Là, on nous précise que ceux qui ne sont pas brûlés ont une chance de guérir. Ce village offre une structure religieuse plus complexe : en effet, on a érigé au bord de l’étang un temple principal, flanqué de six sanctuaires auxiliaires. Au total, sept édifices dans lesquels officient sept degbansi. Près de l’étang principal, où se baignent ceux qui sont saisis de convulsions ou d’épilepsie, des Muchi jouent sans relâche du tambour, couvrant ainsi les cris des patients. En échange de ces services, ces musiciens ont reçu de la terre des Brahmanes qui, dans ce temple, détiennent le monopole de la prêtrise. Les mantra, récités en sanscrit, sont extraits du Dharmo Mangal.

    78Au moment de la puja annuelle dédiée à Dharmo, on insiste, ici, sur le jeûne prolongé de certains bhakta, qui en formulent le vœu. Les dévots qui visitent Tilokchandpur parcourent souvent un bout du chemin à pied ou à genoux.

    79On vient aussi en pèlerinage dans ce village, si on souffre de maladies vénériennes. Les boucs en rut, qui rôdent autour du sanctuaire, n’appartiennent à personne, sauf au dieu Dharmo lui-même qui, pour cette raison, guérit les maladies des testicules. Dharmo Thakur partage donc la nature érotique qui, souvent, est attribuée à Shiva (W. O’Flaherty 1973). Par ailleurs, les femmes adressent leurs prières à ces deux dieux dans le but d’obtenir des enfants.

    80Quand les gens arrivent au sanctuaire, les degbansi les attirent dans leurs maisons et leur disent : « Vous êtes presque déjà des dieux, puisque vous êtes venus jusqu’ici. » Flattant les pèlerins, les prêtres n’oublient pas que si le traitement réussit, leurs clients sauront se montrer généreux.

    81On raconte à Anandpur qu’il y a soixante ans, un procès a opposé les Brahmanes et les Sadgop, les deux castes se disputant le monopole de la prêtrise du dieu Dharmo. Les Brahmanes – qui voulaient, eux aussi, participer à la commercialisation des remèdes, assurée de façon majoritaire par les Sadgop – ont gagné le procès. Pour arriver à leurs fins, ils ont dû, néanmoins, accuser les Sadgop d’avoir mélangé des substances douteuses à l’huile médicinale, destinée à soigner les rhumatismes.

    Le rituel de cure

    82La description résumée du rite de guérison, nous permettra de comprendre comment ce type de rite reste proche de ceux pratiqués par des ojha ou des prêtresses. Le patient doit d’abord s’allonger, prendre un bain, boire de l’eau de l’étang sacré et rejoindre, après cette purification, les autres pèlerins. L’essentiel du traitement consiste en un massage, administré aux pèlerins par les Brahmanes ou les autres degbansi (selon l’appartenance de caste du pèlerin). Avant de masser les corps, les prêtres incorporent des feuilles de tamarin broyées (aux propriétés rafraîchissantes) à un mélange d’huile et d’eau froide, qu’ils font chauffer. Ils appliquent ensuite cette mixture, quatre ou cinq fois par jour, sur le corps des patients. On nous précise qu’il faut, pour assurer la réussire du traitement, manger des lentilles, ce qui rend consripé, er des graines d’opium qui, elles, ont un effet purifiant.

    83Quand on prend ces remèdes, il est recommandé de s’ absrenir d’opium et de tabac et il faut, également, éviter de boire de l’alcool ou de se livrer à des exercices physiques. En revanche, il est important de concentrer sa pensée sur le dieu Dharmo. Les patients mettent environ deux heures à accomplir leurs dévotions, en attendant, ils ont laissé leurs bagages dans la maison de leur degbansi attitré.

    84La visite au sanctuaire de Dharmo Thakur est un pèlerinage et, aussi, un rite thérapeutique. On dit que même celui qui est à moitié paralysé retrouvera l’usage de ses membres. Les malades qui ne peuvent se déplacer envoient de l’argent et reçoivent – toujours par la poste – une quantité d’huile médicinale proportionnelle à la somme envoyée, dans laquelle les degbansi n’omettent pas d’inclure les frais de port.

    85Après s’être baigné, chaque patient offre au temple principal des offrandes végétales, les pèlerins de très basse caste n’approchent pas trop près et tendent le panier contenant leur offrande, au Brahmane. Ceux qui le désirent font ensuite sacrifier une chèvre au sanctuaire fréquenté par les castes non brahmaniques et les Santal. C’est un Dom qui fait office de sacrificateur. Le sacrifiant fournit lui-même la chèvre car le degbansi ne se préoccupe pas de ce sacrifice. Les patients santal ou de basse caste qui font sacrifier une chèvre pour obtenir la guérison d’un parent malade, n’oublient pas de se purifier, avant d’aller trouver le degbansi qu’ils considèrent comme leur guru.

    86Souvent, le patient devient le disciple du degbansi qui l’a accueilli et massé, avant de lui remettre une amulette. Les amulettes sont faites d’un cordon de plusieurs fils rouges, sutam, auquel on a enfilé une minuscule boîte en cuivre ou en fer. De forme cylindrique, cette boîte est destinée à recevoir un minuscule morceau de papier de riz sur lequel le guru a inscrit un mantra adressé au dieu Dharmo et destiné à protèger son disciple. Ce dernier dépose, en retour, quelques roupies sur un plateau de cuivre, ce sont les « honoraires rituels », dakhsina, qui reviennent au guru.

    87Dans certains cas, l’amulette de cuivre contient un peu de terre prélevée sur le sol du sanctuaire. Si le dévot prolonge son séjour, il doit, chaque jour, laver cette amulette et boire de l’eau de l’étang sacré.

    88Certains prêtres de Dharmo insèrent un morceau de lotus séché à l’intérieur de l’amulette, fleur qui symbolise la déesse Sitala et constitue une protection contre les maladies, la variole en particulier.

    89Un individu qui, après une naissance ou une mort, est en état « d’impureté », sudho, ne peut approcher une personne portant une amulette qui a été nouée par un prêtre de Dharmo. Réciproquement, les dévots du culte de Dharmo se gardent bien de pénétrer dans une maison frappée d’impureté.

    90D’une façon générale, la maison et le corps de celui qui a reçu l’amulette sont des réceptacles du dieu. En souillant leur personne ou leur maison, on souille le dieu lui-même. Ceux qui guérissent font connaître le nom de Dharmo Thakur aux autres fidèles et, ainsi, tout malade devient potentiellement un disciple. La communauté thérapeutique fonctionne parce que les malades deviennent des disciples, avant d’être initiés au culte de Dharmo. La dévotion particulière qu’ils vouent au dieu qui les a guéris les identifie, du même coup, comme membre d’un groupe qui ressemble fort à une secte, si ce n’est qu’il est moins exclusif.

    91Dans d’autres sanctuaires, où officie une prêtrise santal, on guérit les femmes frappées de stérilité, afin qu’elles produisent un « cordon ombilical mûr », phulkoro latud. Les femmes désirant être enceintes se concentrent sur Asol Mai17, divinité vishnouite à laquelle elles demandent des enfants, à moins qu’elles ne préfèrent s’adresser à Shiva lui-même. Certaines d’entre elles redoutent d’offrir leurs dévotions au grand dieu hindou, craignant qu’il n’éprouve leur désir en leur demandant de se livrer à des austérités. C’est pour cette dernière raison, qu’un bon nombre de dévotes consultent plus volontiers un ojha qui peut invoquer Shiva en leur nom, à moins qu’elles ne choisissent de se rendre dans l’un des sanctuaires dédiés à Dharmo Thakur qui, on l’a vu, fonctionne comme un doublet populaire de Shiva, plus accessible au pèlerin ordinaire.

    Sije Kordam

    92Ce village abrite un temple consacré au dieu Dharmo qui fait l’objet d’un autre pèlerinage important : on y guérit ceux qui souffrent de panri, « asthme »18. Dans certains cas, Parvati y conduit des disciples dont les troubles persistent. Le prêtre de ce temple est de caste Mahato et un Dom y fait office de sacrificateur. Le rituel est proche de celui qui est célébré dans les autres sanctuaires.

    93Quelques dévots aisés, lorsqu’ils ont obtenu du dieu leur guérison, contribuent grâce à leurs dons à l’entretien du temple et de l’escalier descendant au pushkara, bassin intérieur du temple où se baignent les pèlerins pour se purifier.

    94Les temples consacrés à Dharmo sont des centres thérapeutiques spécialisés dans le traitement des maladies des yeux, des rhumatismes, des maladies vénériennes ou de l’asthme. Néanmoins, il existe des sanctuaires de Dharmo Thakur dans un grand nombre de villages et même s’ils sont moins connus, ils peuvent, eux aussi, fonctionner comme une communauté thérapeutique.

    95Cette présentation des temples et du rituel de Dharmo étant mise en place, revenons maintenant à Parvati qui, seule ou parfois suivie de ses disciples, fréquente elle aussi les temples de Dharmo.

    96C’est en allant visiter un sanctuaire consacré à Dharmo Thakur, dans le village de Goalpara que Parvati me déclare que lorsqu’elle a consulté un ojha santal au sujet de sa stérilité, elle ne lui a pas fait part de sa liaison avec un hindou. Il est vrai que Parvati craint les ojha hindous, les accusant de faire des offrandes à Manasa de la main gauche, ce qui revient à douter de la « vérité », satya, qu’ils accordent au rite. Ce thème des prêtres-devins trompeurs revient souvent dans la bouche des prêtresses et explique leur attirance pour les guru hindouisés.

    97Le guru de Parvati qui – ne l’oublions pas – est santal, a pourtant été marqué par la fréquentation du sanctuaire de Goalpara. Il m’a dit, lui-même, qu’il aimait se reposer dans ce village, situé sur sa route, lorsqu’il se rendait dans les villages santal, situés de l’autre côté de Bolpur.

    Le temple de Goalpara

    98Goalpara est un village essentiellement habité par des Brahmanes kulin19. Le temple, dédié au dieu Dharmo, est situé au cœur du village. Ce sanctuaire n’est pas spécialisé dans le traitement de maux particuliers, mais on y invoque le dieu dans des cas d’infortune divers. Ce sanctuaire aurait été fondé, il y a trois cents ans, par un raja zamindar.

    99Ce roi, dit-on, était paralysé mais il fut guéri à l’instant même, où il reçut une vision, où lui apparurent la déesse Durga et Dharmo. A la suite de cette guérison miraculeuse, le roi aurait établi un temple shivaite dans ce village. Aujourd’hui encore, le prêtre de ce temple est un Brahmane de la même obédience sectaire : il prépare une huile médicinale dans laquelle infusent des feuilles broyées de tamarin, confectionnant des remèdes du même type que ceux utilisés à Anandpur. Tourefois, ce temple ne fonctionne pas à plein temps, comme un sanctuaire thérapeutique. Nous sommes ici dans un village de Brahmanes orthodoxes qui ne désirent pas être envahis par des pèlerins issus de toutes les castes. Mais revenons au guru de Parvati qui, lui aussi, a fondé un sanctuaire au dieu Dharmo, fréquenté surtout par les basses castes et les Santal. Ce sanctuaire représente le point de rencontre entre le monde des marges où se meuvent nos prêtresses et l’hindouisme populaire.

    UNE SÉANCE CHEZ LE GURU DE PARVATI

    100Parvati a deux guru ; le premier qui l’a mariée à Cand est un ascète shivaite, le second, que fréquente aussi son frère, est santal. Voyons de plus près qui sont ces maîtres spirituels. Il s’agit d’individus qui, après avoir connu une situation d’infortune, décident d’adhérer aux valeurs du renoncement. Chez les Santal, ce renoncement n’est pas total et exprime plutôt la recherche d’une forme de dévotion. C’est d’ailleurs au terme d’une errance personnelle que le guru reçoit des visions des dieux hindous. Au xixe siècle, il est vrai, certains guru santal ont été tentés de former des sectes, connues sous le nom de Kherwar. Toutefois, loin d’être des renonçants, les chefs de ces mouvements réformateurs ont voulu devenir rois et ont, parfois, reçu l’onction de sindur, selon la tradition des raja hindous. Les guru d’aujourd’hui veulent réformer la religion tribale, notamment en s’opposant aux formes d’exorcisme pratiquées par les ojha et surtout aux affaires de sorcellerie. Le guru de Parvati partage ce point de vue, mais il est aussi inspiré par deux types de religieux, auxquels il se compare volontiers : le degbansi du culte de Dharmo et le panda du gajan de Shiva, deux figures locales du renoncement.

    101Il existe, pour un Santal, deux façons de devenir guru : soit en devenant le disciple d’un ascète hindou, soit en intégrant un homme des castes dans sa parenté et en nouant avec lui une amitié cérémonielle20.

    102Mais revenons maintenant au temple du village de Shibpur, village santal assez retiré de la route, que l’on aperçoit après avoir traversé une maigre forêt d’arbres sarjom. La maison du guru et le petit temple sont situés à l’entrée du village, un peu en retrait du quartier santal, dont il fait pourtant partie. Ce jour-là, Parvati m’accompagne silencieuse et enjouée, à la fois.

    103Un modeste temple de terre battue, recouvert d’un toit de paille de riz, abrite une statue de plâtre représentant la déesse Kali. Le potier a orné la statue d’une guirlande de têtes humaines peintes de couleurs crues, et ses bras sont chargés de bracelets. Un peu en retrait sur la droite, une double statue colorée de bleu et de rose représente le couple Radha et Krishna en train de danser. Des noix de coco s’entassent aux pieds des dieux, devant lesquels on fait brûler, sans relâche, des bâtons d’encens.

    104La femme du guru, celle qui a noué la dernière amulette au cou de Parvati, est présente pour recevoir les visiteurs. Elle vient de prendre un bain et oint ses cheveux d’huile pour se purifier, tandis que, près d’elle, son bébé gesticule sur le sol. Quelques femmes et deux ou trois hommes attendent impatiemment : certains souffrent, d’autres paraissent juste un peu accablés. Phulmoni, la femme du guru, s’enquiert auprès de chacun de l’urgence de ses maux. Les patients dont la souffrance est aiguë sont reçus en priorité par le guru qui se tient agenouillé près des statues des dieux. Il a posé devant lui un bâton de bambou à l’aide duquel il pratique la divination pour le bénéfice de ses clients.

    105Le guru demeure silencieux, méditant sur l’image de Kali et, sans doute, aussi sur celle de Shiva, que représente, ici encore, un pot de terre rempli d’eau. Le guru a jeûné depuis la veille et il a dormi la nuit dernière, seul, à même le sol du temple, cherchant à être « inspiré » en rêve par les dieux.

    106Le guru consulte également les dieux par le truchement d’un procédé aléatoire qui consiste à faire osciller un bâton de bambou long de soixante centimètres environ, au-dessus d’un dessin tracé au préalable sur le sol du sanctuaire. Ce mandla, dessin, est en fait une figure comportant plusieurs carrés « magiques », qui contiennent un nombre pair ou impair21 de points de sinaur constituant des messages chiffrés adressés aux dieux. Le nombre de points symbolise, par exemple, le nombre de jours qu’il faut attendre avant la guérison.

    107Située au centre de la figure, la maison du consultant est le départ de toutes les interrogations, puisqu’il s’agit de savoir d’où viennent les influences néfastes, avant de les localiser, à leur tour, dans le diagramme. Ces carrés évoquent aussi bien une influence musulmane (J. Pugh 1991), que les figures que les prêtres-devins dessinent sur le sol lors de l’exorcisme (M. Carrin-Bouez 1986).

    108Les points de poudre de vermillon correspondent aux alternatives possibles que le guru suggère au patient, lorsque ce dernier le consulte au sujet d’un problème qui le préoccupe : un disciple « avancé », pat cela, aide le guru à résumer la situation de chaque patient en la dépouillant le plus possible de son contenu dramatique. Par exemple, une femme se plaint de l’abandon de son mari et demande au guru si le coupable est susceptible de revenir. Dans le cas d’une réponse affirmative, elle essaie de se faire préciser la durée de l’attente. Le guru, imperturbable, trace deux traits dans un des carrés magiques et quatre dans l’autre ; puis, se concentrant, il agite le bâton au-dessus du carré magique. Lorsque le bâton remue et tombe sur l’une des cases, c’est le nombre de points de poudre de vermillon correspondant à la case choisie qui décide du nombre de semaines qui s’écouleront avant le retour du mari.

    109Notre visiteuse continue à se lamenter, demandant au guru comment elle va vivre pendant ce temps, puisque son mari l’a laissée sans un sou. Le guru, sans rien perdre de sa concentration, et sans même la regarder, se contente de l’adresser à sa propre épouse. C’est Phulmoni qui conduit la patiente devant les tridents fichés en terre au nom du dieu Dharmo. Là, Phulmoni masse le dos de la patiente avec un peu d’huile et lui propose de brûler un bâton d’encens avant d’adresser un vœu au dieu. Si Dharmo possédait alors Phulmoni ou sa patiente, il faudrait nouer une amulette au bras de cette dernière, puis la « lier » (bandhona) à la boîte de cuivre, pour lui permettre d’attendre le retour éventuel de son mari.

    110Après la puja, disciple et guru s’entretiennent, volontiers, de leurs affaires. Il m’est arrivé de dormir dans leur maison et d’aider Phulmoni à assembler des feuilles à l’aide d’épingles de bois, pour confectionner des plats et des coupes, qu’elle va, chaque semaine, vendre au marché.

    111Ce soir-là, tandis que Phulmoni prépare un curry avec des champignons qu’elle a ramassés en forêt, le disciple favori sort une bouteille d’alcool de fleurs de mohua. Nous parlons et buvons jusqu’à une heure avancée de la nuit. Le disciple m’explique que le guru est soucieux car un de ses chevraux est mort avant-hier, sans raison apparente. Puis il me confie qu’il est parfois difficile d’être possédé, contrairement à ce que racontent les ojha : « seuls, les bonga vous choisissent », ajoute-t-il, à voix basse.

    112Parvati s’affaire avec Phulmoni à l’intérieur de la maison, très heureuse d’être là, dans cette maison santal, où nous pouvons passer la nuit sans encourir de danger, ni pour Parvati ni pour la famille du guru. Soit personne ne le saura, soit personne n’osera le dire car tout le monde respecte cette famille.

    113Nous passons la soirée à écouter le guru chanter des invocations en santal, émaillées de mots hindi ou bengali. Parvati, très émue, me tient la main. Sans moi, dit-elle, elle n’aurait pas osé venir.

    114Le lendemain matin, très tôt, une femme vient porter un pieu de fer, pour remercier Dharmo Thakur d’avoir guéri son fils, souffrant d’éruptions cutanées ; le guru dessine, à l’aide de farine de riz, une aire rituelle devant la statue de Kali et renouvelle son geste devant les statues de Radha et Krishna, tandis que la visiteuse se prosterne, longuement, devant chacun des dieux. La femme n’omet pas de déposer un billet de cinq roupies sur un plateau de cuivre, posé sur le sol du sanctuaire.

    115Pendant ce temps, la femme du guru extrait du jus de racines de tamarin dont elle remplit une bouteille. Elle le mélange à de l’eau et du citron et y ajoute diverses plantes, elle répétera cette opération, remplissant différentes bouteilles, dont les ingrédients varient selon qu’ils sont destinés à guérir telle ou telle maladie. Elle remet une des bouteilles à la patiente, afin qu’à son retour, elle donne à boire ce breuvage à son fils.

    L’oracle de la Déesse

    116Les autres patients qui viennent consulter ce jour-là, sont venus recevoir le sagun, « l’oracle » de la Déesse. La consultation du sagun n’exclut nullement les autres systèmes de divination qui peuvent varier selon les sanctuaires et les types de praticiens. Néanmoins, les guru hindouisés s’éloignent quelque peu du système de divination traditionnel et de l’exorcisme, soucieux d’offrir à leurs dévots des rites épurés, où l’on recherche la médiation des grands dieux hindous. Dans le sanctuaire de Prem, le guru de Parvati, on reçoit l’oracle de la Déesse tout comme on recherche son darshan, la « vision de sa divinité ». Il s’agit de poser à Kali la question ultime, à laquelle n’ont pu répondre les autres systèmes de divination. Cependant, dans les cas de possession, on a directement recours au sagun de la Déesse, car il faut identifier au plus vite la divinité qui assiège le possédé. A la demande d’un homme, veuf depuis peu, un disciple avancé dépose des fleurs de golanchi, « oeillets d’Inde », sur la tête et dans les mains de la statue de Kali. Le consultant veut savoir si c’est bien sa femme qu’il revoit en rêve et si oui, ce qu’elle désire.

    117Le veuf est inquiet car, lors des funérailles, il n’a pas été possédé : depuis, il a, selon la coutume, demandé à un artisan jado patia22 de peindre l’image de sa femme et de chercher si elle a gagné, en paix, le séjour des morts. Le Jado Patia a – visiblement – été possédé, mais notre homme doute, pourtant, de l’authenticité de cette possession, accusant l’artisan d’avoir simplement voulu lui extirper des honoraires rituels. Le consultant, âgé d’une trentaine d’années, est père d’une fille trop jeune pour être mariée. Son frère le pousse donc à prendre une seconde épouse, ce qui l’angoisse car il redoute la vengeance de l’ombre de sa femme.

    118Si demain, les fleurs, aujourd’hui en bourgeon, se sont ouvertes, la Déesse aura signifié au visiteur qu’il retrouvera la paix et, dans ce cas, il deviendra le dévot de Kali. La réponse de la Déesse n’empêche pas le guru de recourir à la divination par le bâton, pour déterminer avec le patient une solution à certains des problèmes posés. Devra-t-il ou non se remarier ? Faudra-t-il célébrer un rite destiné à apaiser « la soif » de sa femme ? Le guru répète la question de son patient, tout en promenant ses doigts le long d’un bâton de bambou : la solution choisie correspond au dernier nœud du végétal.

    119Parfois, le sagun est simplement entendu au sens d’ »oracle », Kali se manifeste en dictant sa réponse au guru, qui se met à trembler, les yeux fermés. C’est une possession discrète, sereine qui fascine Parvati.

    120Le guru parle d’une voix monocorde, à peine perceptible, sans trop se soucier du contenu du message, qu’il est censé communiquer à l’audience. Parfois, si la Déesse a exigé qu’on lui rende un culte ou qu’on lui offre un type particulier de sacrifice, il aura recours à la divination de l’huile sur la feuille pour confirmer le sens du message venu de la Déesse. Dans ce cas, nul sacrifice sanglant n’est requis, on se contente d’une offrande de fleurs et de fruits. En partant, les visiteurs déposent deux roupies dans un plat en cuivre, posé sur le sol à cette intention.

    121Ce type d’offrande monétaire représente, aux yeux des visiteurs, un type de prestations plus égalitaire – et donc plus moral – que le paiement d’honoraires rituels, traditionnellement consentis au ojha.

    122Pour toute une série de cas bénins, les remèdes, comme les honoraires, sont sensiblement les mêmes pour tous les consultants. A la différence du ojha et du contre-sorcier, le guru ne marchande ni son charisme, ni ses connaissances médicales. En conrrepartie, la consultation est moins individualisée, car le guru reçoit ses patients à des jours fixes au sanctuaire. Ce qui n’exclut pas que -dans les cas les plus graves – on puisse imputer la responsabilité des maladies à des agents maléfiques. Au cas où la cure requiert un exorcisme, le guru se rend chez le patient et agit comme un ojha, se refusant, toutefois, à attribuer la cause des maux à une sorcière humaine.

    123Phulmoni, la femme du guru, et le disciple s’affairent à préparer des amulettes, qu’ils consacrent en les aspergeant d’eau sacrée. Ils apportent ensuite ces minuscules boîtes de cuivre à la Déesse, représentée par un pot de terre cuite, avant de les nouer aux bras ou au cou des disciples. Chaque disciple reçoit, sur le front, une marque de poudre de vermillon de la main de Phulmoni, qui murmure un mantra de protection adressé à la déesse Kali.

    124Le guru de Parvati n’a eu lui-même aucun maître, son père n’était même pas prêtre et, jusqu’à une époque récente, il ignorait complètement comment il avait reçu le dharmo, terme par lequel il fait référence à son éthique de praticien de village. Ici, encore, le rêve est porteur de sens. C’est en rêve que le guru a trouvé un lieu pour établir un sanctuaire et que la Déesse lui a ordonné de faire édifier un temple. En fait, l’injonction qui s’exprime à travers les visions est bien la même que dans le cas des prêtresses féminines. Néanmoins, chez le guru hindouisé, le langage de l’identité sexuelle est peu marqué. On ne dit pas, ouvertement, que le guru est féminisé et il n’offre pas, en sacrifice, comme le ojha, un sang qualifié de menstruel.

    125A la différence du prêtre-devin, qui a souvent une épouse surnaturelle et a la réputation d’être un mauvais mari et un père distrait, le guru mène une vie familiale normale. On lui prête, toutefois, une certaine sensibilité. Il doit posséder une voix douce pour chanter des invocations et inciter par son écoute les patientes à se confier à lui.

    126Le guru de Parvati me confie qu’il a peur de recevoir des visions trop fréquentes de la Déesse, les craintes qu’il exprime ne le menacent pas en tant qu’individu. Il se plaint seulement de ne pas toujours être inspiré par la Déesse au bon moment, c’est-à-dire lors des séances d’exorcisme. En effet, pour chasser les démons qui assiègent le corps du possédé, il s’en remet à Kali elle-même en qui, il voit une mère salvarrice.

    127Le guru de Parvati s’appuie comme elle sur l’ »énergie divine » reconnue au trident. Pour lui, la shakti est synonyme d’action, mais c’est grâce à l’inspiration reçue des dieux, qu’il trouve les gestes qui s’avèrent efficaces pour le patient. Ainsi, pour Prem comme pour les femmes étudiées par M. Egnor (1980, p. 22), la shakti est une force créatrice positive, alors qu’elle est aussi négative pour les ojha ou des prêtresses proches de la voie tantrique, comme Asula Devi.

    128Lorsque Prem désire fortifier son ascèse (et s’adonner au tapas), il s’abstient de relations sexuelles et de nourriture solide pendant une semaine. Pendant la même période, sa femme ne consomme généralement ni ail, ni piments, ni alcool, ingrédients censés attiser les passions, Lorsqu’on parvient à pratiquer ce type d’austérités, me dit le guru, on est très proche du dharma des hindous. Mais il insisre bien sur le fait qu’il n’a pas renoncé à rendre un culte à ses dieux tribaux de lignée et de maison, et qu’il participe toujours aux rites du calendrier agraire qui ont lieu dans le bosquet sacré de son village. Malgré tout, guru et prêtres de village ont des relations tendues, et ne partagent pas le même point de vue sur la sorcellerie.

    129En effet, les prêtres de village défendent la tradition et, à quelques exceptions près, pensent qu’il vaut mieux se livrer à la chasse aux sorcières. Les guru qui, comme les prêtresses, ont une clientèle en majorité féminine, évitent de parler de sorcellerie. De plus, le guru de Parvati fait un usage discret de la possession. A la différence des prêtresses, il n’est jamais « le Dieu » ou « la Déesse » pendant les transes et n’incite pas non plus ses patientes à être possédées.

    130Chaque mois, après avoir jeûné, il renouvelle le pot d’eau représentant Shiva, qui trône dans la cour du sanctuaire. Ce pot, dont l’embouchure est décorée de feuilles de mangue, reçoit, chaque jour, des fumigations d’encens, ainsi que des offrandes de fruits et de fleurs.

    JOLA

    131Parvati, tout en rendant visite à son guru, conduit chez lui les disciples en état de détresse. C’est ainsi que je rencontre Jola, femme mahato, âgée de vingt-huit ans. Celle-ci a quitté ses parents et son village pour devenir la concubine d’un Tanti, qui a abandonné son métier de tisserand et, comme beaucoup d’autres membres de sa caste, est tantôt travailleur agricole, tantôt chauffeur de camion. L’union de Jola – illicite du point de vue des règles de caste – a été légitimée par un guru devant Kali. Deux ans se sont écoulés, sans qu’aucun enfant ne vienne sanctionner cette liaison.

    132Jola subit les reproches de son compagnon et de sa belle-mère, qui a mal accueilli le couple, ce qui rend la cohabitation difficile. Jola, inquiète, a visité toutes sortes de sanctuaires, y compris celui d’une médium musulmane possédée par un jin, qui lui a prédit qu’elle serait bientôt enceinte, prédiction qui ne s’est pas réalisée. Par intermittences, les plaques et les rougeurs (ghao) de Jola se sont accentuées sur les bras, lui couvrant une partie de la gorge.

    133Jola dit à Parvati que les éruptions qui l’affectent représentent, sans doute, le châtiment des dieux, qui veulent la punir d’avoir contracté une union contraire aux règles de caste. Cand et le guru de Parvati ont essayé, tour à tour, de la convaincre que, si elle jeûne, la déesse lui accordera une certaine paix. Ils vont jusqu’à lui promettre qu’elle pourra concevoir, si elle réussit à être possédée par Mahadeo en sortant du bain rituel.

    134Les transes doivent augurer des faveurs du dieu, dont le caractère masculin est très affirmé. La possession dans l’eau symbolise l’union avec Shiva, géniteur universel. Cette réinterprétation populaire du pouvoir fécondant de Shiva évoque certains épisodes hindous, telle la naissance de Manasa, laquelle résulte d’une émission involontaire du sperme de Shiva sur un lotus.

    135On aura remarqué que c’est Cand qui intervient auprès de la jeune femme, plutôt que Parvati qui, dans cette affaire, n’aurait peut-être pas eu l’autorité nécessaire.

    136Après avoir jeûné deux jours et invoqué Shiva en priant, Jola prend un bain et se rend à la rivière en compagnie du guru et de Cand. Malheureusement, Jola ne parvient pas à être possédée et les fatidiques rougeurs gagnent, maintenant, l’ensemble de son corps.

    137Ni le guru ni Parvati ne trouvent de traitement qui pourrait apaiser Jola. Quelques mois passent, pendant lesquels Jola est en proie à une agitation extrême, désirant et redoutant à la fois la venue des transes. Plus tard, lorsqu’elle sera enfin possédée par la Déesse, Parvati lui passera des plats de cuivre sous les bras et les rougeurs s’apaiseront. Le cuivre, métal pur, auspicieux, est censé neutraliser les influences néfastes.

    Une identification difficile

    138Le cas de Parvati est un peu exceptionnel car nombre de femmes qui, au départ, ont transgressé un interdit sexuel ou religieux vont payer toute leur vie – d’une manière ou d’une autre – le prix de leur transgression. Si nombre d’entre elles sont possédées par les divinités des deux panthéons après avoir eu un amant hindou, rares sont celles qui surmontent des transes souvent douloureuses pour accéder à une maîtrise de la possession, qui fera d’elles des prêtresses reconnues.

    139Rien de surprenant à cela, si on se souvient que les Santal interdisent la possession aux femmes et considèrent que, si une de leurs femmes est possédée par un dieu hindou, elle introduit la confusion dans le monde des divinités tribales.

    140Jola résiste inconsciemment à la possession, tout en la désirant comme un moyen d’échapper à ses problèmes. Elle supplie la Déesse et Shiva de la délivrer de ses angoisses, mais elle reste prisonnière de son symptôme. Jola, en effet, n’entend pas ce que lui dit Kali mais elle sait que la Déesse lui parle. Ce n’est que plus tard, lorsqu’elle est tourmentée par des possessions violentes, que cette femme mahato vient trouver Cand et Parvati.

    141Comme certains grands temples à vocation thérapeutique, tel Tarakeshwar (E.A. Morinis 1982, V. Skultans 1991), le sanctuaire de Parvati fonctionne comme une communauté thérapeutique.

    142Les prêtres attachés aux grands temples, comme aux sanctuaires plus modestes, ont élaboré une certaine théorie de l’affliction qui, sans être toujours explicite, constitue, pourtant, un savoir partagé, bien que dénié par les hautes castes et la Grande Tradition23. Qu’il s’agisse d’un grand temple ou d’un sanctuaire local, on observe toujours certains principes diététiques, car rétablir l’équilibre entre les humeurs contribue à restaurer l’identité du malade, qui doit s’abstenir de consommer des aliments échauffants.

    143Dans les sanctuaires tribaux, le patient consomme de la viande cuite, mais on on ne lui sert pas d’alcool, boisson qui, en revanche, inspire les prêtres, lorsqu’ils récitent des formules d’exorcisme, destinées à conjurer les bonga malveillants.

    144En milieu hindou, comme en milieu tribal, on provoque la folie en jetant des sorts mais, aussi, en ayant recours à des techniques d’envoûtement. Cependant, nous verrons au chapitre suivant que le discours qui, en milieu tribal, soutient ces pratiques d’envoûtement est différent, de ce que nous avons pu observer en milieu bengali. Cette différence tient aux rapports que l’individu entretient, dans la société tribale, avec les bonga, ces derniers étant des doubles avec lesquels il cherche, sans arrêt, des points de rencontre. Sans doute, veut-il courcircuiter son propre devenir ? Cette durée de trois générations après sa mort, qui fera de lui, un ancêtre, puis un bonga.

    145L’exorcisme est une des principales fonctions de ce type de sanctuaire. Il existe plusieurs techniques destinées soit à protéger le patient des sorts, soit à l’apaiser s’il en est victime. Des techniques communes se retrouvent en milieu bengali, comme en milieu tribal, car ce qui diffère véritablement, c’est plutôt la façon dont la causalité est reconstruite. Ainsi, en milieu bengali, le port d’une amulette – ou même d’un simple bracelet de cuivre -empêche la possession ou la jalousie, tuka.

    Provoquer la folie

    146En milieu bengali, la folie affecte, non seulement la substance corporelle de celui qu’elle frappe mais aussi celle de ses descendants. On hérite ainsi, comme le dit L. Fruzetti (1982), d’un sang mauvais, qui caractérise les descendants de celui qui a été victime d’un mauvais sort, ou frappé d’envoûtement.

    147Chez les Santal, le plus sûr moyen de rendre l’autre fou est certainement d’enterrer, dans sa maison, une divinité pourvoyeuse de délires, tel konko buru, divinité de la montagne folle24. Mais, la « sorcière » n’est jamais sûre de contrôler la divinité enterrée, à laquelle elle rend secrètement un culte. Dans la société tribale, le maléfice est, soit une substance impure que la sorcière a enterrée près de la couche de sa victime, soit une expression du mauvais œil, un regard de jalousie lancé dans l’intention de nuire et qui, aux yeux des Santal, trouble toujours celui à qui il est destiné, sans qu’il en ait toujours conscience. Le maléfice continue de hanter la mémoire de ceux qui en sont délivrés, ainsi telle femme dont la maison avait été exorcisée avec succès, vivait dans la crainte de nouvelles attaques de sorcellerie.

    148Lorsque Parvati a affaire à des femmes santal, elle remonte cette mémoire qui concerne, avant tout, l’individu et les rapports qu’il entretient avec ses divinités de clan et de lignée (Abge). Ainsi, la reconstruction de la causalité de l’affliction diffère bien de ce qu’on remarque, parallèlement, chez les gens des castes. Ceux-ci, en effet, établissent eux-mêmes une chronologie de leur folie qui reflète les témoignages de leurs proches. De tels patients évoquent leur mauvais destin, leur comportement anomique et parlent d’eux-mêmes comme s’ils étaient soumis au caprice du bhut, ou démon, qui les possèdent. Lorsque ces patients visitent des temples, comme celui de Tarakeshwar, ils attendent, après avoir jeûné, couchés sur le sol du temple, une vision du dieu Taraknath, forme de Shiva. Personne ne sert de médiateur entre eux et le dieu, comme l’atteste le rite de dharna, au cours duquel le dieu envoie un rêve aux patients qu’il « choisit ».

    149A l’inverse, une prêtresse comme Parvati prend en charge les fragments de vécu que lui livrent ses disciples et auxquels elle confronte l’élaboration qu’elle propose de sa propre histoire, qui sert implicitement de modèle. Cette méthode thérapeutique s’appuie sur une certaine conception de la causalité : on applique aux malheurs de l’existence la morale absurde qui se dégage des histoires de bonga : les divinités tribales sont velléitaires et nuisent, par caprice, aux humains. Il n’y a pas lieu de s’en étonner et il vaut mieux offrir à la Déesse une dévotion, capable de neutraliser les attaques des bonga et des sorcières.

    150Lorsque Parvati a une patiente hindoue, comme Jola, elle paraît plus démunie et cherche à confronter ses intuitions aux interprétations de Cand. En dernière instance, elle se repose sur la technique de son guru qui, on l’a vu, puise sa force dans la consultation de l’oracle de la Déesse. A chaque fois que Parvati est possédée pour tenter d’aider Jola et lui faire entendre ce que dit la Déesse, Cand agit comme son mentor spirituel. Il contrôle sa transe et lui demande d’aller, à nouveau chercher la Déesse, sous la forme d’un pot d’eau sacrée. Jola devra, plusieurs fois, accompagner Parvati et d’autres femmes en quête d’identification à la Déesse. En fait, lorsque ni Parvati ni Cand ne trouvent d’autre solution aux maux qui accablent leurs visiteurs, ils décident de renouveler le rite, réactivant, à chaque fois, la présence de Shiva dans le sanctuaire.

    151Jola à son tour, après avoir été possédée, ramène la Déesse dans un pot d’eau et s’absorbe de plus en plus dans l’ascèse. Ainsi vit-elle ballottée entre la maison de son mari et celle de Parvati et, bien sûr, elle n’est pas la seule.

    152Lorsque finalement, Jola souffre de transes et que son corps se couvre d’éruptions cutanées, Cand interroge Parvati, elle-même possédée par la Déesse. La prêtresse transmet les ordres de Kali : Jola devra, chaque matin, après s’être purifiée, porter un plat sous chacune de ses aisselles. Jola obtempère et les jours qui suivent, elle affirme « entendre » la Déesse.

    153Dès lors, elle entreprend de faire le tour de quelques sanctuaires hindous et va à Tarapith, puis à Bokreshwar. Elle n’hésite pas, non plus, à aller avec son compagnon entreprendre un dharna à Tarakeshwar, pour demander un enfant à Taraknath, forme de Shiva25.

    154Entre deux pèlerinages, elle essaie de vivre dans l’ombre de Parvati et de Cand, surtout lorsqu’elle se querelle avec sa coépouse.

    155Un jour, elle suggère elle-même à Cand qu’elle se sentirait peut-être mieux, si elle pouvait accomplir des vrat, « vœux » et aller trouver un Brahmane, pour lui demander d’être son guru. Mais, elle sait que son union, hors dharma, lui interdit ce recours.

    156Face à ce dilemme, elle laisse éclater son ambivalence par rapport à la déesse Kali et – du même coup – par rapport à Parvati. C’est à Cand, qu’elle adresse ses récriminations. Le culte de Kali, dit-elle, ne fait pas partie du dharma des Santal, comment la Déesse a-t-elle pu choisir Parvati ?

    157Plus tard, un ascète lui prédit qu’elle fera une fausse-couche, prédiction qui poussera Jola à fuir son compagnon. Longtemps, elle se trouve prise entre l’alternative de demander un enfant à la Déesse et celle de voir la prédiction s’accomplir, au cas où son vœu serait, finalement, exaucé. Cand, exaspéré, finit un jour par lui recommander d’aller voir une « autre » sainte, de caste Tanti, qui, d’ailleurs, se nomme également Parvati et qui vit aux abords de Bolpur.

    158C’est une veuve qui a bâti un temple à Krishna avec l’aide d’un de ses riches dévots, qui a toujours vécu dans son entourage. Jola suivra le conseil de Cand et écoutera, pour un temps, les prophéties de « l’autre sainte », dont l’image est plus conforme au modèle féminin de l’épouse. Néanmoins, la présence d’une concubine à la maison l’empêche d’adhérer complètement à l’idéal qui lui est proposé par la Sainte. Ne soupçonne-t-on pas, par ailleurs, cette dernière d’avoir été, dans sa jeunesse, la maîtresse de son protecteur, accusation que récusent, évidemment, ses disciples.

    159Jola, qui ne trouve pas son compte dans le rituel de la dévotion krishnaite, reviendra, un peu plus tard, retrouver Cand et Parvati.

    160Pour la plupart des femmes que nous avons rencontrées, lorsque les symptômes s’intensifient, le message de la Déesse n’est pas entendu, soit que la transe ne vienne pas au bon moment, soit qu’elle soit trop convulsive.

    161La possession et les réponses données par la Déesse par le truchement de la divination « par les fleurs » sont, bien entendu, les supports obligés de la cure. Et, dans un cas comme dans l’autre, tout se joue par rapport à la statue de la Déesse, à condition que celle-ci se manifeste elle-même, dans l’idole. Lorsque cette condition se réalise, la dévote plonge aux pieds de la statue et « meurt », s’abandonnant à la divinité.

    162Cette alternance de mouvement ou d’inertie permet un va-et-vient des signes entre le corps du dévot et l’image du dieu. Lorsque la statue elle-même pleure ou perd un bras, les dévots crient au miracle. La Déesse, présente dans sa statue, légitime les possessions. Dans le cas des femmes, surtout, cette possession se répète plusieurs fois et permet de connaître les ordres de la divinité.

    163Dans les cas de possession les plus difficiles enfin, il semble que les dévotes s’apaisent lorsqu’elles parviennent à se concentrer sur la statue de la Déesse, dont la prêtresse possédée est, pour un temps, la révélation vivante.

    164Si la Déesse se conforme bien à son image et vient habiter sa statue, la prêtresse, elle aussi, s’identifie à la Déesse. Certains jours, par exemple, Parvati, ne mange plus que des offrandes sucrées « comme Gogo ». D’autres jours, des transes violentes l’agitent et elle secoue avec colère les mèches de son joto, comme si elle s’évertuait à donner à voir l’image terrible de Kali, qu’elle a intériorisée.

    Les autres patients

    165Le sanctuaire de Parvati fonctionne comme une communauté de soignants et les anciens patients y prennent soin des nouveaux venus. Ici, comme dans les grands temples thérapeutiques du

    166Rajasthan (S. Kakar 1984 ; B. Pfleiderer 1981), du Maharashtra (V. Skultans 1991) et du Bengale (E.A. Morinis 1982) la plupart des malades hindous viennent, accompagnés de leur famille. Cette dernière partage, avec le patient, la responsabilité de la maladie ou du délire qui l’accable.

    167Cela est moins vrai des patients santal ; en fait, les malades d’origine tribale qui fréquentent des sanctuaires comme celui de Cand ou de Parvati sont, en principe, des gens qui ont déjà consulté des ojha santal et ne sont pas satisfaits de la cure, qu’ils ont menée pour eux.

    168Chez le guru de Parvati, nous l’avons vu, c’est Phulmoni qui prépare les remèdes, composés de plantes médicinales infusées dans de l’huile de moutarde, procédé qui s’inspire de ceux qu’on observe dans les temples de village consacrés au dieu Dharmo.

    169Dans le sanctuaire de Cand et de Parvati, un vieux jardinier, de caste Ghasi, prépare des emplâtres, qu’il applique ensuite sur les côtes des malades souffrant de convulsions répétées. Recueillant dans sa main droite une boule de terre, dont il confectionne une pâte, il l’applique sur les côtes du patient. Le plus souvent, Parvati manie le trident et décide, en se concentrant sur l’image de Shiva ou de la Déesse, de l’endroit exact « où le trishul doit creuser ». La terre du sanctuaire est une pavitro jinis, « une chose sacrée ».

    170La distribution des rôles thérapeutiques s’opère de la façon suivante : tandis que Cand contrôle les transes de Parvati, celle-ci suit les gestes du vieux jardinier, qui fait office d’auxiliaire rituel. Ce dernier a, clairement, un rôle subalterne, même si Mahadev peut l’inspirer. Toutefois sa possession n’induit pas de solution pour les maux d’autrui. Parvati – parce qu’elle s’adonne à l’ascèse et qu’elle est l’enfant de Kali – reste la seule médiatrice entre les dieux et les hommes.

    171Lorsqu’elle manie le trident à des fins d’exorcisme, Parvati, possédée, trouve souvent un bonga enterré, responsable d’une possession négative. Oser saisir le trident, c’est signifier aux dieux qu’on accepte leur message.

    Le feu qui guérit

    172Maîtriser le feu, c’est avant tout être capable d’incorporer le joto à son propre corps, ce qui est difficile pour les femmes, puisque la chevelure est un symbole masculin, dont l’apparition sanctionne la perte de la féminité.

    173Ce n’est qu’à partir de cette perte que des femmes comme Parvati ou comme Ojha Gogo élaboreront un discours qui servira de support à l’acceptation de leur vocation. Discours, dont le moment rhétorique important s’articule, chez Parvati, à partir de l’énoncé « je n’ai plus besoin d’enfant, je suis l’enfant de Kali ».

    174Marcher sur le feu constitue, parfois, un important moment de l’ascèse. C’est à l’occasion de la carok puja, fête qui commémore les austérités pratiquées par le dieu Shiva, que Parvati a marché sur le feu. Néanmoins, elle parle assez peu de cette épreuve. Elle me dira, plus tard, qu’elle devait faire comme les autres dévots, ce qui signifie bien qu’elle est consciente d’avoir eu à se conformer à un idéal, celui de la tapasvin. Contrairement à leurs confrères masculins, les prêtresses n’obtiennent jamais le feu du troisième œil, qui caractérise, on le sait, Shiva et grâce auquel il a tué le démon Kama, le désir.

    175Oser marcher sur le feu, se décider à saisir le trishul, sont des actes rituels dont l’impulsion est donnée, en rêve, par la Déesse. De même, le sacrifice du sang, comme perte acceptée de la féminité – dans le cas de l’arrêt de la menstruation – confirme la vocation des disciples. Selon Parvati, ce sang qui ne s’écoule plus rend la disciple insensible au feu, puisqu’elle produit elle-même une sorte de feu yogique dans sa chevelure emmêlée.

    176En ce sens, on est tenté de penser avec V. Das (1987, p. 63) que le joto peut être aussi un symbole féminin : « L’image du joto comme pénis est contrebalancée par une image vaginale : le joto saigne. » Ce sang étant l’équivalent du joto cracheur de flammes des prêtres-devins, il représente peut-être un sang sublimé, substitut spirituel du sang des règles disparues.

    177On peut objecter à cet argument que certaines femmes deviennent ojha, tout en restant mariées et en gardant une fonction féminine. Ojha Gogo nous en fournit l’exemple le plus probant, même s’il est vrai que sa vocation s’est confirmée, après qu’elle a mis tous ses enfants au monde.

    178Le joto et le trishul sont clairement des symboles shivaites, la place du tulsi, qui représente Narayan, est plus difficile à définir. Plante sacrée qui représente la pureté, le tulsi est souvent confronté à l’impureté. L’exemple d’Hinsi, une femme santal qui pratique le métier de dai budhi, « accoucheuse », est exemplaire à cet égard.

    HINSI

    179Orpheline, Hinsi a été recueillie par une tante paternelle avant de rester seule à la mort de cette dernière. Plus tard, elle a voulu décider son ami mahato à venir habiter chez elle. Le jeune homme, qui a déjà reçu de nombreuses réprimandes des membres de sa caste, s’est dérobé.

    180Hinsi, pour des raisons qui ne sont pas très claires, n’a pas voulu épouser un Santal : ceux-ci, accuse-t-elle, ne sont-ils pas tous alcooliques ?

    181Il est vrai que l’accoucheuse occupe une position difficile aux yeux des Santal, car on l’accuse d’avoir introduit la pratique de la purification après la naissance. Est-ce pour prouver à son ami mahato qu’elle pouvait devenir hindoue qu’Hinsi, peu de temps après l’avoir connu, a fondé un culte à Tulsi Mai ?

    182Dans le village d’Hinsi, personne n’a ri ni de l’amant hindou de la jeune femme ni de ses nouvelles inclinations religieuses.

    183Lorsque je rencontre Hinsi, je m’étonne – sans oser le formuler – qu’elle n’ait pas été chassée du village. On me fait comprendre qu’Hinsi est une accoucheuse réputée : Santal et hindous font fréquemment appel à ses services. Il n’est pas impossible que, si le Mahato s’était installé définitivement chez elle, lui seul aurait été exclu de sa caste.

    184Contrairement à la coutume santal qui ne tolère pas qu’on transgresse la loi d’endogamie tribale, Hinsi semble jouir d’un statut un peu à part. En fait, on craint ses talents d’accoucheuse et on murmure qu’elle a le pouvoir de faire mourir en couches les femmes de ceux qui auraient critiqué sa conduite.

    185Hinsi ne se défend pas, non plus, de pratiquer des avortements clandestins surtout dans les cas où des jeunes gens ont contracté une union illicite, inconciliable avec l’endogamie des groupes.

    186En tout cas, cette union n’aurait pas vraiment présenté un caractère d’hypergamie pour la jeune femme, puisque son compagnon ne possédait pas de terre. Après la rupture définitive, Hinsi a décidé de ne plus accoucher de femmes hindoues et – de façon surprenante – l’arbre tulsi qu’elle avait installé dans la cour de sa maison s’est flétri. Hinsi rend visite au sanctuaire de Dharmo Thakur et consulte, à plusieurs reprises, l’oracle de la Déesse. Après avoir parlé avec Prem, le guru du sanctuaire, Hinsi conclut qu’elle accumule sur elle-même la souillure des naissances pour lesquelles elle officie. Grâce à ses fonctions d’accoucheuse et à sa connaissance des plantes abortives, la jeune femme occupe une position de pouvoir chez les Santal.

    187Toutefois, Hinsi se plaint de ne plus recevoir les présents qu’il était de coutume de donner à l’accoucheuse dans la société traditionnelle : cinq gerbes de paddi pour une fille et le double pour un garçon. Pire encore, elle ne jouit plus toujours de la même hospitalité qu’autrefois, dans les maisons où elle est appelée.

    188Lorsque Hinsi reçoit des visions de la déesse Kali, elle s’en étonne à peine : n’achemine-t-elle pas les êtres à la vie, tout en frôlant la mort dans les cas difficiles ? Toutefois, l’accoucheuse se garde bien de fonder un culte à la Déesse, dont l’image terrifiante lui semble, d’abord, peu compatible avec la sérénité que ses fonctions exigent d’elle. Puis elle découvre, après avoir fréquenté le sanctuaire d’un ojha qui, lui, rend un culte à Shanti Kali, qu’elle peut, elle aussi, adresser sa dévotion à cette forme « paisible » de la Déesse. Ainsi, Hinsi implore Kali de faciliter les accouchements ou, plutôt, de ne pas faire mourir les enfants dès leur naissance.

    189Ainsi, l’accoucheuse occupe une position intermédiaire entre une femme ojha et une prêtresse sur le mode hindou, mais sa liaison avec un homme des castes a éloigné d’elle les hommes santal.

    190Hinsi me dit qu’elle s’est polluée elle-même en enfreignant la loi d’endogamie des Santal. N’a-t-elle pas, également, souillé les bonga du village en ayant une relation avec un hindou ? Et, pourtant, sa faute se trouve neutralisée par le culte qu’elle rend au tulsi et qui peut symboliser son désir d’une union hypergamique avec un homme des castes. On peut aussi penser, bien sûr, qu’Hinsi est perçue par les gens de sa propre communauté comme un « mal » nécessaire : ne passe-t-elle pas son temps à gérer la pollution de la naissance, pour le bénéfice d’autrui ?

    191Contrairement à Jobra ou à Jola qui – pour un temps – sont de mauvaises dévotes, des « folles » comme dit Parvati, qui s’épuisent à désirer les transes pour être dépossédées d’elles-mêmes, Hinsi, elle, ne souffre pas. Pour elle, en effet, le destin hindou n’est pas une interprétation du malheur, c’est peut-être, au contraire, ce qui lui permet de prendre conscience d’elle-même.

    192Toutefois, à la différence des autres femmes qui ont commis une transgression sexuelle, Hinsi ne peut quitter l’univers des bonga santal sans renoncer à être accoucheuse. Une union permanente avec un hindou lui aurait fermé les portes des maisons santal, et c’est ce qu’elle a refusé. La dévotion qu’elle adresse à la forme paisible de la Déesse lui permet d’échapper aux accusations de sorcellerie. Encore faut-il souligner que le ojha qui l’a initiée à rendre ses dévotions à Shanti Kali est lui-même un dévot de Dharmo Thakur. Sur le plan des représentations, on révère une Kali paisible aux côtés de Dharmo, doublet plus accessible de Shiva. On exprime envers ces derniers dieux une dévotion orientée vers la vie et non seulement dominée par les tourments de l’ascèse et la recherche de l’absolu.

    MOUVANCE DES SYMBOLES

    193Le tulsi neutralise une situation d’impureté ; dans certains cas, comme celui de Gauri, prêtresse « impure », l’arbre sacré vient légitimer la pratique rituelle. S’il n’y avait pas de tulsi, on serait dans un cadre proche du tantrisme ou de la sorcellerie, qui se présente parfois comme le versant tribal du premier, du moins tant que nous restons au niveau du discours. Les prêtresses tantriques, comme les sorcières, font des actes « contre-nature » et inversent les fonctions biologiques. Elles se promènent la nuit sur les aires de crémation, consommant des nourritures échauffantes et s’adonnant à des orgies. En un mot, leur discours est très proche de celui des Kapalika, dont elles partagent l’apparence, lorsqu’elles se couvrent le visage de cendres.

    194Néanmoins, la description du « magicien noir », dans les textes tantriques, évoque également l’os, source de pouvoir, et la chevelure ascétique qui brille d’un éclat singulier, comme l’atteste ce portrait : « Son corps était décoré avec des ornements faits d’os humains et il était enduit de cendres et son joto resplendissait comme l’éclair, tandis qu’il lançait, de sa main gauche, des graines de sésame et de moutarde dans le feu » (Bhavabhuti, cité par D.N. Lorenzen 1972, p. 23).

    195En ce sens, le trident fonctionne, lui aussi, comme un équivalent symbolique du joto. Il s’agit bien de deux symboles rituels qui surgissent avec force, lorsque la femme ne répond plus aux demandes de son mari. Quand les deux symboles sont condensés, l’un est corporel et intériorisé – le joto -, tandis que l’autre – le trishul – est projeté hors du corps.

    196Néanmoins, ni le trident, ni le taini thenga, « le bâton à exorcisme », son substitut santal, ne sont complètement hors du corps, puisque certains ojha établissent une équivalence entre la tête du bâton à exorcisme et leur propre tête. De même, l’ascète hindou qui porte le trident shivaite marque-t-il son propre front de trois traits horizontaux. Dans les deux cas, le trident, lui-même, inscrit idéalement une représentation du troisième œil de Shiva. Pour les ojha hindouisés, cet œil « intérieur » s’obtient au moment de l’initiation et de l’acquisition des siddhi. Ceux qui restent plus proches des traditions santal pensent que la tête du bâton à exorcisme est munie d’une paire d’yeux qui « brillent dans la nuit ». Et c’est encore Shiva qui prodigue ces yeux extraordinaires au ojha qui chemine, nuitamment, pour le protèger des attaques des divinités malveillantes. Nos personnages traversent bien une crise personnelle, que G. Obeyesekere (1981) appelle « la nuit sombre de l’âme ». C’est pourtant grâce à cette épreuve que ces femmes sont capables de puiser des contenus symboliques culturellement partagés (chevelure emmêlée, sang, trident), pour réintégrer leur symptôme sur le mode religieux. Au Sri Lanka, de telles femmes deviennent les prêtresses du dieu Hunuyan et, quelquefois, de la déesse Kali. Au Bengale, elles deviennent les prêtresses de Shiva et de Kali.

    197Cependant, les femmes tribales diffèrent quelque peu des femmes hindoues (ou sri lankaises) dans la mesure où la permissivité sexuelle étant plus grande, elles sont moins inhibées. Toutefois, les Santal sont fortement patrilinéaires et la liberté sexuelle dont on jouit, chez eux, est souvent caractérisée par la possibilité, pour les hommes, d’exprimer la violence de leur désir envers les femmes. C’est bien cette violence du désir masculin qui éclate dans la pratique du mariage par enlèvement selon laquelle un homme peut imposer le tika de force sur le front d’une jeune fille qui devient sa femme, sans pouvoir protester.

    198Toutefois, lorsqu’une femme santal a une relation avec un hindou, elle porte, à ses yeux, la marque de cette nature passionnée qui fait pourtant d’elle un objet sexuel. Les Adivasi, « gens des tribus », ne connaissent que le plaisir, tel est le reproche que formulenr à leur égard les Bengali avec une pointe d’envie à peine voilée.

    199Dans ce contexte, l’apparition du joto, qui correspond souvent à une demande de chasteté émanant de la déesse Kali, pose un problème. Kali représente-elle, ici, « une mère punitive », hypothèse proposée par G. Obeyesekere (1984) ?

    200Cependant, les désordres du corps et de l’esprit, punitions de la Déesse, peuvent être allégés si la dévote pratique certaines austérités. Ainsi, le feu du tapas, l’ »échauffement ascétique », est certes destructeur mais il permet de neutraliser le feu dévorant de la shakti.

    201Toutefois, c’est bien le feu de la chevelure ascétique, symbole masculin, qui donne à la femme la possibilité de s’adonner à l’ascèse sans s’y laisser consumer. Le feu du joto incorporé dans le propre corps de la prêtresse, la protège. En ce sens, le joto, plus qu’un simple symbole phallique, représente le pouvoir créateur du dieu Shiva.

    202Si l’apparition du joto correspond bien à la perte d’amour charnel, il s’agit ici d’une rationalisation car – en fait – dans le cas de Parvati, le rejet du mari correspond à un passif non liquidé, puisqu’elle ne parvient ni à oublier les siens, ni à sortir « du regard des bonga ».

    203Toutefois, l’ambivalence sexuelle des prêtresses n’est pas toujours définitive. La période la plus intense est caractérisée par l’apparition du joto et les visions suivent généralement une phase ascendante, jusqu’à la saisie du trident. En même temps, ce geste décisif correspond, souvent, à la maîtrise de la possession.

    204La signification du joto évolue dans le temps nécessaire à ancrer la vocation : si le chevelure emmêlée permet bien, on l’a vu, de condenser les principes mâle et femelle, ces derniers autorisent la prêtresse à rétablir une signification de la continuité mère/fille, nécessaire à la constitution de l’identité féminine.

    205C’est, précisément, à cette continuité mère/fille que renvoie la transmission des pouvoirs d’une prêtresse à ses disciples. Il est normal que cette transmission pose un problème, puisque rien n’est dit. La prêtresse apprend à sa disciple, comment intérioriser une vision de la Déesse, qu’elle reconstruit à partir de toutes celles qui l’ont assaillie. Et ainsi, l’image transmise devient dicible et souligne la maîtrise de la possession.

    206Pour Hinsi comme pour Parvati, cette image est celle d’une Kali maternelle (ou d’une Shanti Kali) que recouvre, parfois, l’apparition de l’Ugra Kali, forme terrible de la Déesse. A cette image clivée correspondent les deux alternatives possibles de l’énoncé divinatoire : soit il est positif et correspond à l’aspect protecteur de la Déesse, soit il est négatif et traduit, alors, l’aspect destructeur de la divinité. Certaines prêtresses, telle Parvati, maîtrisent les deux images de la Déesse, tandis que les mauvaises dévotes se laissent consumer par le feu de Kali, sans en retirer aucun pouvoir. Toutefois, accepter les visions que prodigue la Déesse exige de la néophyte un long parcours intérieur, dont la face visible s’exprime dans l’adhésion à certains symboles religieux. Le sanctuaire de Dharmo Thakur, lieu d’apaisement et de guérison, sert de médiateur privilégié entre les prêtresses et la Déesse. C’est dans ce sanctuaire que Parvati reçoit la dernière amulette qui mettra fin à ses obsessions, c’est là aussi qu’Hinsi trouvera la paix après la destruction de son tulsi.

    207Le guru hindouisé de Parvati, personnage d’apparence discrète, qui ne pousse pas ses disciples à acquérir des pouvoirs mais cherche à leur faire comprendre s’ils ont la force nécessaire de pratiquer l’ascèse, reste l’interprète privilégié de l’oracle de la Déesse, qu’il sait adapter à chacun.

    Notes de bas de page

    1 Le terme de pagalami, « folie », fait allusion, au Bengale, aux désirs frusttés. Pour une étude détaillée de ce concept, cf. D. Bhattacharya (1986).

    2 Le développement de la psychanalyse, en Inde, est inséparable de la vie et de l’œuvte de Girindrashekhar Bose. Médecin, il apprit l’hypnose et traita ses premiers patients vers 1910. Il devint le premier professeur de psychologie de Calcurta, correspondit avec Freud et fonda (‘Indian Psychoanalytic Society en 1922 (S. Kakar 1990, p. 429).

    3 Ce thème réapparaît dans la classification santal des maladies, cf. M. Carrin-Bouez (1980).

    4 La déesse Sitala est responsable des épidémies de variole, cf. R. Nicholas (1978).

    5 Cf. A. Bhattacharya (1952).

    6 Ce sont les sept soeurs qui infligent les maladies et qu’il s’agit de se concilier.

    7 Ce cordon sacré fait d’eux des dévots pour le temps du rite.

    8 L’appât du gain provoque des luttes au sein des différentes castes pour s’assurer du monopole de la prêtrise.

    9 Cette séquence rituelle qui souligne le pouvoir procréateur de Shiva, n’est pas toujours représentée.

    10 Pour une description du gajan de Shiva en milieu urbain, cf. A. Ostor (1980).

    11 Liée au domaine sylvestre, cerre divinité reçoit un culte au moment des chasses de printemps qui – il est vrai – tendent à disparaître en raison de la dégradation de la forêt.

    12 Pour une analyse de l’histoire de Manasa, déesse des serpents, cf. chap. premier et E. Dimock (1989).

    13 Shiva est, souvent, appelé Thakur, le « maître » dans les tribus et les basses castes. L’appellation de Thakur n’implique pas toujours, au niveau conscienr, qu’on établisse un lien avec le dieu d’origine hindoue. Ce dernier est une forme populaire de Shiva et il est responsable d’une première destruction de l’humanité, dans le mythe de création santal. Toujours dans ce mythe, il s’oppose au dieu tribal Maran Buru et décide d’organiser l’humanité en castes. Cf. M. Carrin-Bouez (1991).

    14 On retrouve, ici, l’étiologie des rhumatismes de la médecine ayurvédique. Cf. F. Zimmermann (1989, chap. VII).

    15 Les Dom officienr généralement dans les sanctuaires fréquentés par les castes non brahmaniques. Toutefois, ils jouissent d’une excellente réputation d’officiants et de thérapeutes.

    16 District de Birbhum.

    17 Asol Mai, divinité féminine et vishnouite, est aussi la déesse tutélaire de certains ojha hindouisés.

    18 Les ojha santal pensent que l’asthme, panri, résulte des sir (bronches, canaux, nerfs) qui, en se disloquant, provoquent des troubles respiratoires.

    19 Pour une analyse de système de parenté hypergamique des Brahmanes kulin, cf. S. Bouez (1985b) ; pour l’étude historique du système, cf. R. Inden (1976).

    20 Des personnes de même sexe, en milieu hindou comme en milieu tribal, peuvent nouet entte elles des amitiés cérémonielles qui définissent des obligations réciproques entre les partenaires.

    21 Ici encore, on affecte respectivement les termes de l’alternative aux nombres pair et impair.

    22 Les Jadopatia (bengali : jadupatua) sont une caste d’artisans qui comprend des sous-castes composées d’hindous et de musulmans. Ces artisans se rendent dans les maisons endeuillées et peignent la condition du défunt dans l’autre monde sur des rouleaux de papier. Une fois possédés, les Jadopatia décrivent le cheminement du défunt à la famille de ce dernier, moyennant une modeste rénumération. Chez les Santal, ces rouleaux sont immergés dans la rivière, avec les os du crâne du mort.

    23 Les concepts couplés de Gtande et Petite Tradition ont été élaborés par M. Singer (1959). Selon cette conception, la Grande Tradition des textes et de l’orthopraxie se reflète, mais non sans altérations, dans les ptatiques et la culture populaire qui constituent, eux, la Petite Tradition.

    24 Cette divinité tecouvre les victimes de son ombre.

    25 Taraknath reçoit un culte à Tarakeshwar, temple oraculaire qui est aussi un lieu de pèlerinage important. Cf. E.A. Morinis (1982).

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    1 Le terme de pagalami, « folie », fait allusion, au Bengale, aux désirs frusttés. Pour une étude détaillée de ce concept, cf. D. Bhattacharya (1986).

    2 Le développement de la psychanalyse, en Inde, est inséparable de la vie et de l’œuvte de Girindrashekhar Bose. Médecin, il apprit l’hypnose et traita ses premiers patients vers 1910. Il devint le premier professeur de psychologie de Calcurta, correspondit avec Freud et fonda (‘Indian Psychoanalytic Society en 1922 (S. Kakar 1990, p. 429).

    3 Ce thème réapparaît dans la classification santal des maladies, cf. M. Carrin-Bouez (1980).

    4 La déesse Sitala est responsable des épidémies de variole, cf. R. Nicholas (1978).

    5 Cf. A. Bhattacharya (1952).

    6 Ce sont les sept soeurs qui infligent les maladies et qu’il s’agit de se concilier.

    7 Ce cordon sacré fait d’eux des dévots pour le temps du rite.

    8 L’appât du gain provoque des luttes au sein des différentes castes pour s’assurer du monopole de la prêtrise.

    9 Cette séquence rituelle qui souligne le pouvoir procréateur de Shiva, n’est pas toujours représentée.

    10 Pour une description du gajan de Shiva en milieu urbain, cf. A. Ostor (1980).

    11 Liée au domaine sylvestre, cerre divinité reçoit un culte au moment des chasses de printemps qui – il est vrai – tendent à disparaître en raison de la dégradation de la forêt.

    12 Pour une analyse de l’histoire de Manasa, déesse des serpents, cf. chap. premier et E. Dimock (1989).

    13 Shiva est, souvent, appelé Thakur, le « maître » dans les tribus et les basses castes. L’appellation de Thakur n’implique pas toujours, au niveau conscienr, qu’on établisse un lien avec le dieu d’origine hindoue. Ce dernier est une forme populaire de Shiva et il est responsable d’une première destruction de l’humanité, dans le mythe de création santal. Toujours dans ce mythe, il s’oppose au dieu tribal Maran Buru et décide d’organiser l’humanité en castes. Cf. M. Carrin-Bouez (1991).

    14 On retrouve, ici, l’étiologie des rhumatismes de la médecine ayurvédique. Cf. F. Zimmermann (1989, chap. VII).

    15 Les Dom officienr généralement dans les sanctuaires fréquentés par les castes non brahmaniques. Toutefois, ils jouissent d’une excellente réputation d’officiants et de thérapeutes.

    16 District de Birbhum.

    17 Asol Mai, divinité féminine et vishnouite, est aussi la déesse tutélaire de certains ojha hindouisés.

    18 Les ojha santal pensent que l’asthme, panri, résulte des sir (bronches, canaux, nerfs) qui, en se disloquant, provoquent des troubles respiratoires.

    19 Pour une analyse de système de parenté hypergamique des Brahmanes kulin, cf. S. Bouez (1985b) ; pour l’étude historique du système, cf. R. Inden (1976).

    20 Des personnes de même sexe, en milieu hindou comme en milieu tribal, peuvent nouet entte elles des amitiés cérémonielles qui définissent des obligations réciproques entre les partenaires.

    21 Ici encore, on affecte respectivement les termes de l’alternative aux nombres pair et impair.

    22 Les Jadopatia (bengali : jadupatua) sont une caste d’artisans qui comprend des sous-castes composées d’hindous et de musulmans. Ces artisans se rendent dans les maisons endeuillées et peignent la condition du défunt dans l’autre monde sur des rouleaux de papier. Une fois possédés, les Jadopatia décrivent le cheminement du défunt à la famille de ce dernier, moyennant une modeste rénumération. Chez les Santal, ces rouleaux sont immergés dans la rivière, avec les os du crâne du mort.

    23 Les concepts couplés de Gtande et Petite Tradition ont été élaborés par M. Singer (1959). Selon cette conception, la Grande Tradition des textes et de l’orthopraxie se reflète, mais non sans altérations, dans les ptatiques et la culture populaire qui constituent, eux, la Petite Tradition.

    24 Cette divinité tecouvre les victimes de son ombre.

    25 Taraknath reçoit un culte à Tarakeshwar, temple oraculaire qui est aussi un lieu de pèlerinage important. Cf. E.A. Morinis (1982).

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    Ce livre est cité par

    • Carrin, Marine. (2021) Global Education Systems Handbook of Education Systems in South Asia. DOI: 10.1007/978-981-13-3309-5_9-1
    • Carrin, Marine. (1999) La possession en Asie du Sud. DOI: 10.4000/books.editionsehess.26362
    • Tarabout, Gilles. (1999) La possession en Asie du Sud. DOI: 10.4000/books.editionsehess.26237
    • Soucaille, Alexandre. (2002) Tribus et basses castes. DOI: 10.4000/books.editionsehess.26457
    • Carrin, Marine. (2021) Global Education Systems Handbook of Education Systems in South Asia. DOI: 10.1007/978-981-15-0032-9_9
    • Bindi, Serena. (2015) Grandir aujourd’hui en Himalaya indien. Des rituels au secours d’une nouvelle adolescence. Ethnologie française, Vol. 45. DOI: 10.3917/ethn.154.0715
    • Albert, Jean-Pierre. (2006) Incarnations, désincarnations ce que les religions disent et font du corps. Corps, n° 1. DOI: 10.3917/corp.001.0031
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    • Deliège, Robert. (1998) Prêtrise et possession en Inde du Sud. Etnografica. DOI: 10.4000/etnografica.4443

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    Carrin, Marine. « Chapitre IV. Le sanctuaire, communauté thérapeutique ». In Enfants de la déesse. Paris: CNRS Éditions, 1997. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.editionscnrs.1364.
    Carrin, Marine. « Chapitre IV. Le sanctuaire, communauté thérapeutique ». Enfants de la déesse, CNRS Éditions, 1997, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.editionscnrs.1364.

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    Carrin, Marine. Enfants de la déesse. CNRS Éditions, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1997, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.editionscnrs.1350.
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