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Chapitre XI. Des quartiers en mutation : le déracinement spatial des particuliers

p. 253-280


Texte intégral

1En l’absence de toute archive cadastrale qui puisse permettre d’appréhender de manière globale la redistribution effectuée au cours du siècle, l’analyse de quelques quartiers représentatifs est encore le meilleur moyen de cerner l’ampleur de la restructuration foncière. Les fonds documentaires de l’EDAP, de la KYD et de la Pronia ont montré à quel point une étude exhaustive sur des zones ciblées pouvait être laborieuse. Les renseignements sont toujours partiels et lacunaires, les systèmes de classement peu élaborés. Les offices cadastraux sont extrêmement éclatés, et les recoupements sont particulièrement délicats pour quiconque essaie de trouver une cohésion à l’ensemble du dispositif. Les mairies entretiennent un département spécifique, où sont référencés les biens municipaux. L’Organisme d’assainissement de Salonique1, l’ODEP et le ministère de l’Agriculture s’ajoutent aux services publics déjà étudiés, et disposent de leurs propres fonds et bibliothèques.

2La mise à jour des données n’est pas systématique. Le tissu urbain évolue, les propriétaires changent, sans qu’aucun acte n’apparaisse parfois dans les registres. À l’aide de ces outils disparates, l’enquêteur espère obtenir un « patchwork » cadastral à différentes dates, où la fiabilité des résultats demeure incertaine. Les documents sont fragmentaires, et la quantité d’informations à traiter absolument gigantesque. Tous ces éléments cumulés déterminent des recherches limitées à un secteur géographique réduit.

3Le centre-ville est un domaine d’observation privilégié. La difficulté consiste à trouver des quartiers qui n’ont pas subi de trop profonds changements, et qui offrent des possibilités de comparaisons à différentes périodes. Lorsque les petites maisons juives et musulmanes du début du siècle ont été entièrement rasées et remplacées par des immeubles d’une dizaine d’étages habités par plusieurs centaines de Grecs, la rupture est brutale, la révolution foncière et démographique intégrale. Notre regard s’est par conséquent porté sur les quelques espaces de la ville historique que le processus de densification n’a pas trop altérés, et où le nombre des propriétaires dépasse de peu la centaine d’individus. Les anciens titulaires déchus sont ici remplacés approximativement par le même nombre de nouveaux investisseurs. Les parcours individuels se croisent. En périphérie urbaine, la recherche est beaucoup plus limitée. Les éléments d’information sont souvent récents, et aucune profondeur chronologique ne se dégage spontanément. La transition foncière se couple avec une refonte du découpage cadastral, contemporaine de la colonisation urbaine. La problématique est légèrement modifiée.

Trois quartiers du centre-ville épargnés par les ravages du béton

4Ladadika, le Vlali, et une partie d’Ano Poli ont été retenus (planche 24). La répartition géographique a été un critère déterminant : Ladadika se trouve à l’ouest de la ville basse, à l’arrière du port ; le Vlali, qui jouxte la place Aristotelous, occupe une position centrale ; la ville haute est représentée par quelques îlots situés à proximité des remparts est. A cet étagement topographique répond une différentiation fonctionnelle : le Vlali est le marché permanent le plus important de Salonique ; Ano Poli est un secteur exclusivement résidentiel, tandis que Ladadika s’est vu récemment attribuer un rôle ludique, au détriment de ses anciennes activités commerciales et artisanales. Ces trois zones relevaient, de surcroît, au début du siècle d’une répartition ethno-confessionnelle différenciée : le Vlali était situé en plein quartier juif ; Ano Poli était presque entièrement habité par des Musulmans, et Ladadika présentait un profil de mixité prédominante.

5Chacun d’entre eux a évolué différemment au fur et à mesure des transformations : l’organisation de Ladadika a été modifiée lentement, par retouches successives ; le Vlali a été totalement détruit par l’incendie de 1917, mais il est resté en l’état depuis sa reconstruction ; le quartier de Mes’ud Hasan n’a subi aucune transformation urbanistique depuis la fin du xixe siècle.

6Tous trois autorisent une approche diachronique tant au niveau cadastral que paysager. Derrière les ventes, les départs improvisés, et les redistributions foncières, le lecteur recherche les bouleversements qui ont affecté les rues, les vitrines, les étals, et la socialité urbaine. La comparaison photographique est un outil privilégié pour égayer l’austérité d’une analyse cadastrale pure.

Ladadika (İştira)

7Pour avoir résidé à chacun de mes passages à Salonique dans un petit hôtel du quartier franc, Ladadika est rapidement devenu, de par sa proximité, un domaine d’investigation privilégié. Une étude approfondie s’imposait, d’autant plus que les changements survenus au cours des dernières années avaient été rapides.

8Avant que des travaux ne commencent à modifier l’apparence du quartier, Ladadika présentait le visage gris et poussiéreux de bâtisses délabrées, livrées aux ravages du temps. Situé en contrebas de la rue Tsimiski, entre les rues Dragoumi et Salaminos, en dehors des grands flux automobiles, les gens y circulaient peu. Les activités étaient tournées vers le petit commerce traditionnel : quelques échoppes de fruits secs et d’olives, des troquets plutôt insalubres. Cette facette populaire était renforcée par les installations portuaires toutes proches, qui donnaient un style industrieux aux alignements de boutiques et aux petits ateliers de manufacture. Les marchands de gros occupaient encore visiblement la place, par leur déballages de paquets et de denrées à même la rue.

9Ladadika constituait en quelque sorte un petit « bout du monde » au cœur même de la ville, oublié par la modernisation outrancière et dévastatrice des alentours. L’état de délabrement avancé des bâtiments fonctionnait probablement comme un repoussoir pour d’éventuels acheteurs. De nombreux magasins aux grilles éternellement tirées attendaient de s’effondrer. Le contraste avec les quartiers environnants était très net : aux immeubles de sept à huit étages de la rue Dodekanisou ou du boulevard Nikis, Ladadika opposait ses boutiques de rez-de-chaussée aux toits en brique rouges, où ne pouvait guère s’adjoindre qu’un seul étage.

10Le promeneur se rendait compte qu’il circulait dans une partie de la ville restée à l’écart du développement : un paradoxe historique excitant la curiosité. Où, mieux qu’ici, chercher les vieilles devantures de magasins, les enseignes et les noms de gens et d’activités aujourd’hui disparus ? Le quartier a été épargné par l’incendie de 1917, qui n’a endommagé que quelques édifices de sa partie orientale. Les traces d’un paysage hérité de la fin de l’Empire ottoman et de la libération transportent le promeneur un siècle en arrière.

11Dimitriadis fournit une description précise et des éléments historiques relatifs à cette zone, dont le nom turc, îçtira, signifie « marché2 ». Situé à l’emplacement de l’ancien port byzantin, î§tira était le seul quartier de Salonique localisé à l’extérieur des remparts, avant que ceux-ci ne soient détruits dans la seconde moitié du xixe siècle. Le tracé de ces murailles suivait l’actuelle rue Katouni jusqu’à la rue Edessas, où il bifurquait à angle droit pour rejoindre à l’ouest la tour du Vardar.

12Les registres ottomans cités par Dimitriadis rapportent que ce quartier, étendu jusqu’à la porte du Vardar, comprenait 407 ateliers, 81 boutiques, 29 terrains, cinq cafés, trois maisons, deux hôtels, un restaurant et un caravansérail. Ce marché était avant tout le domaine des tanneurs et des vendeurs de peaux. Les tanneries se trouvaient à l’ouest, au niveau de la rue Olymbiou à Diamandi, à proximité du bâtiment de la Direction des douanes. À ces activités s’ajoutait le commerce lié au port. Les denrées venues d’Égypte ont donné son nom à l’actuelle rue Aigyptou. On y vendait et achetait lin, sucre, riz, café en provenance d’Égypte, mais aussi les céréales importées de Constantinople.

13Pour tout édifice religieux, Dimitriadis localise deux mosquées : la première, Kadi Kemal, dite également Lonca, au bout de la rue Lykourgou, n’existait déjà plus en 1906 ; la seconde, Abdürreuf Efendi, située en bas de la rue Aigyptou, était notée sur les registres d’imposition de 1906 comme bien vakouf de Abdürrahman Efendi et de Abdürrahim Efendi3.

14Les premiers renseignements cadastraux postérieurs à la période ottomane proviennent de l’enquête menée, au lendemain de l’incendie, par les experts chargés d’établir un relevé de la zone sinistrée. L’incendie de 1917 n’a affecté que les pâtés de maison situés au-delà de la rue Katouni. Entièrement retracée, la place de la Liberté voit fleurir des immeubles à l’occidentale. S’il n’ont pas entre-temps été remplacés par des bâtiments modernes plus élevés, ces mêmes immeubles doivent aujourd’hui être restaurés. Ils ont marqué la limite spatiale de notre champ d’investigation.

15Le cadastre de la zone incendiée nous informe sur un unique îlot urbain localisé entre les rues Katouni et Chiou (planche 52). Les dix-neuf propriétaires recensés ne peuvent à eux seuls rendre une image globale de la répartition des biens-fonds à l’époque. Cependant, ce chiffre est suffisant pour mettre en évidence la grande mixité ethno-confessionnelle du début du siècle. Musulmans, Grecs, Juifs, Arméniens et Slaves se côtoient sur le même espace pour faire fructifier leurs affaires. Le dénommé Abdürrahman Efendi, signalé par Dimitriadis en 1906, s’identifie probablement à l’Abdürrahman Mustafa Efendi rapporté par le cadastre grec de 1917.

16Un nombre réduit de Musulmans semble avoir acquis une mainmise sur ce quartier, où l’on trouve trace de biens vakouf jusqu’à la période la plus récente. Rifat, Nusret, Galib et Suni, fils de Hamdî Bey, ont hérité de trois lopins dans ce périmètre très étroit. Ce constat n’a rien d’étonnant : en l’absence de toute synagogue ou église, les seuls édifices religieux sont islamiques, et les regroupements autour des lieux de culte sont de règle. La présence foncière des Turcs dépassait donc largement le cadre de la ville haute.

17Les données utilisées pour la période ultérieure sont issues des archives du ministère de l’Aménagement. Sur le plan d’alignement de la ville figurent deux types d’informations : les références aux décrets (διατάγματα) prescrivant les interventions urbanistiques, leur forme et leur objectif ; une codification des actes de régularisation des précédents arrêtés (πράξεις τακτοποιήσεως), c’est-à-dire des actions proprement dites. Chaque référence renvoie à un dossier et à une cartographie précise de la zone d’application, qui peut avoir la taille d’un quartier, d’une rue, ou plus simplement d’une parcelle.

18Ordonnances et actes se rangent en deux catégories distinctes : il peut s’agir d’« extension » (επέκταση) du plan de la ville, c’est-à-dire de l’adjonction au tissu urbain déjà constitué de nouvelles constructions en périphérie, ou bien de « modification » (τροποποίηση), à savoir d’une rectification du bâti. En raison du retard de la planification urbaine, les modifications sont bien plus nombreuses que les extensions. Tous les actes sont notés sur le même document, en un mélange hétérogène.

19Les éléments cadastraux, précieux pour notre étude, se trouvent dans ces actes de régularisation. Toute intervention donne lieu à une cartographie précise (l’échelle du 1/500e est la plus fréquente). Chaque parcelle y figure en bonne place, avec le nom de son propriétaire. Les détenteurs d’appartements ne sont pas mentionnés. Aucune preuve du droit réel de propriété n’est exigée pour l’élaboration de ces schémas. Les noms figurés proviennent des enquêtes de terrain réalisées par les topographes. Ces documents sont chronologiquement datés, mais ne sont aucunement révélateurs de la réalisation des travaux, qui peuvent avoir lieu plusieurs années, voire quelques décennies, plus tard. Le plan d’alignement n’est, dans ces conditions, qu’une projection future de l’armature urbaine, décalée par rapport à la réalité. Sa fiabilité même prête à confusion. Seule une approche de terrain est valable, le recours aux photographies aériennes étant obligatoire dans certains cas.

20Depuis l’incendie, l’organisation spatiale de Ladadika a été modifiée en deux étapes. La première s’étend des années 1927 à 1936 (date d’émission des décrets) et prévoit l’élargissement de la rue Tsimiski selon les normes imposées par le plan d’Hébrard. La seconde a été ponctuée d’interventions mineures, et s’étale du début des années 1950 au début des années 1980.

21À la fin de la décennie 1920, la reconstruction du centre-ville oriente les projets d’aménagement : la rue Mitropoleos remplace l’ancienne rue Phillikis Etairias ; l’ex-rue Alexandrou tou Megalou, élargie de quelques mètres, change de nom pour devenir Katouni. Le raccordement de l’ancien tissu au nouveau nécessite une adaptation structurelle.

22Les années 1930 sont essentiellement marquées par l’arrêté prévoyant le prolongement de la rue Tsimiski vers l’ouest, à l’emplacement de l’ancienne rue Zaphiraki. Les axes de communication changent de taille. La mise en œuvre de cette décision attendra trente ans : les travaux ont été effectués au début des années 1960. Les anciens îlots ont été arasés, et les traces des destructions sont encore parfaitement visibles aujourd’hui, à l’angle des rues Peristeriou et Tsimiski. En contrebas, la rue Phassanou doit être creusée dans le prolongement de la rue Aigyptou.

23Le nombre et surtout l’ampleur des interventions décrétées dans l’entre-deux-guerres permettent l’élaboration d’un schéma cadastral cohérent pour la quasi-totalité de la zone d’étude (planche 53). Les avoirs musulmans ont déjà pratiquement tous disparu. Les domaines ont été échangés, redistribués et revendus. Il n’en reste plus que cinq. Trois d’entre eux ont été attribués à la Banque nationale en 1928-1929. Ils n’ont pas encore été aliénés. Les deux édifices restants, l’un sur Tsimiski et l’autre sur Katouni, appartenaient en revanche aux héritiers de Mustafa Haci Osman, sujet albanais4.

24La mixité ethno-confessionnelle de ce quartier persiste néanmoins. Les familles slaves Stylianovitch et Ananievitch possèdent quatre boutiques sur les rues Aigyptou et Katouni. Ailleurs, trente Juifs et quarante-trois Grecs se partagent l’espace. Initialement minoritaires, les Hellènes sont parvenus en quelques années à s’approprier la majorité de Ladadika. D’une certaine façon, leurs avoirs immeubles traduisent a posteriori les limites des possessions turques avant l’échange de 1923. L’îlot le plus caractéristique est sans conteste celui compris entre les rues Aigyptou et Katouni, où s’alignent de petites échoppes commerçantes.

25Situé à la limite des quartiers juifs historiques de Tophane, à l’est, et de Malta-Cedid au nord, l’implantation israélite est traditionnelle à Ladadika. Le capital foncier de la communauté est morcelé, puisque seuls trois possédants peuvent revendiquer en leur nom propre deux bâtisses dans ce secteur. Malgré la récurrence de certains patronymes, les liens exacts de parentés entre les individus sont impossibles à déterminer. Quant au patrimoine des Grecs, la redistribution opérée par l’ETE a abouti à une dispersion, au profit de détenteurs issus d’horizons très divers, tous réfugiés.

26Après la Seconde Guerre mondiale, les modifications d’alignement sont ponctuelles et n’aboutissent généralement pas. Il a été prévu dès les années 1950 que la rue Mitropoleos fût prolongée vers l’ouest pour rejoindre la place Morichovou. Ce projet n’est jamais arrivé à terme. Les enquêtes cadastrales de l’immédiat après-guerre figurent toujours les boutiques israélites. Les immeubles construits le long de la rue Navarchou Koundouriotou tendent à isoler davantage le quartier du reste de la ville. Une étude topographique de 1982 nous informe sur l’état final du cadastre : la quasi-totalité des biens-fonds appartient désormais à des Grecs. Les possessions juives sont désormais résiduelles, soit à titre individuel, soit au titre de l’OPAIE.

27De 1930 à 1990, le visage du quartier s’est passablement transformé. Les photographies aériennes en portent la trace. En 1930, Ladadika est parfaitement intégré dans son environnement urbain. Soixante ans plus tard, les rues Tsimiski, Salaminos et Ionos-Dragoumi ont institué des frontières rigides : la circulation très dense de Tsimiski et de Koundouriotou se prête mal à une incursion dans les rues étroites et sinueuses de l’espace intermédiaire. Les immeubles n’ont pas réussi à s’imposer dans le centre du quartier, mais ils ont pris pied tout autour. Quelques lopins ont été épargnés par la densification périphérique. Le début des années 1990 allait apporter son lot de réformes. La mutation urbaine devient désormais fonctionnelle. Quelques mois ont suffi à transformer le secteur plus profondément que quatre-vingt-dix ans d’une lente transition. Le voilà rapidement devenu un conservatoire architectural.

Rénovation du centre commercial

28Le « projet pilote de rénovation et de développement du centre historique et commercial de Salonique », rédigé sous l’égide de la Région de Macédoine centrale en 1991, se fonde sur le constat d’un certain nombre de lacunes et de dysfonctionnements : la « catastrophe » infligée au tissu urbain et aux bâtiments traditionnels par la croissance frénétique de l’après-guerre ; ses conséquences sur l’indigence des espaces publics et d’intérêt commun ; la congestion des axes de circulation ; le manque de parkings, et le mélange des habitations et installations gênantes.

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Fig. 26. – La rue Aigyptou, à l’époque de l’élargissement de la rue Tsimiski (1964).
Peu modifié de la Libération à la Seconde Guerre mondiale, Ladadika présente encore un visage oriental et pré-industriel. Les petites échoppes s’alignent en rang fixe.
Source : E. Petropoulos, Παλίά Σαλονίκη (L’Ancienne Salonique), Athènes, 1980, p. 36.

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Fig. 27. – Même vue aujourd’hui.
Les abords de la rue Tsimiski ont vu l’érection d’immeubles résidentiels élevés. Le quartier est désormais cloîtré, protégé par un rempart de béton du reste de la ville. La circulation est particulièrement difficile dans le dédale des rues commerçantes, rendues depuis peu aux seuls piétons. Cliché R. Darques.

29Les interventions ont été minimes à Ladadika (ravalements de façades, réparation des bâtisses endommagées). Les constructions sont anarchiquement réparties, toutes les strates historiques se mêlent et forment un ensemble original, porteur du passé de la cité. Les espaces libres sont quasi inexistants, parce que les monuments sont, au contraire de la zone reconstruite plus à l’est, étroitement enserrés dans le tissu, et parce que les quelques places sont littéralement envahies par la circulation. La période d’après guerre a été caractérisée par une politique systématique de destruction de l’ancien bâti et par une urbanisation non programmée, avec l’autorisation de construire jusqu’à des hauteurs particulièrement élevées.

30La zone d’intervention couvre approximativement quarante hectares qui, sous la dénomination générique de « marchés », cache une réelle diversité structurelle. Elle s’étale sur une large partie du centre-ville : outre le périmètre de Ladadika et du Vlali, elle comprend le secteur du Frangomachalas, limité en amont par l’Egnatia, à l’ouest par la rue Leondos-Sophou, et au sud par Tsimiski. Elle aboutit, enfin, au quartier de l’agora romaine. Cette variété ne se limite pas à des contrastes architecturaux, elle est due à des fonctions historiques diverses, et au sort subi par les constructions au fil des mutations urbanistiques de ce xxe siècle. L’utilisation du sol est mixte, et les formes de l’environnement urbain très mélangées. Au total, le projet divise le secteur en sept sous-ensembles aux caractéristiques à peu près homogènes : Ladadika, Agiou Mina, Louloudadika (Pazar Hamami), place Chrimatistiriou, Bezesteni, Vlali-Vatikioti et agora antique.

31Ce programme propose la conservation de l’ancien tissu, l’assainissement et la revalorisation du centre commercial, la rénovation de bâtiments choisis, le rétablissement des stoes5 et des marchés traditionnels, l’éloignement des activités gênantes, la transformation des alentours des monuments, la création d’un réseau piétonnier, etc. Désencombrement du secteur central et dotation d’une structure polynucléaire à la ville vont de pair.

32Ce plan n’élimine pas tous les éléments d’incohérence. Tandis que sont préconisées des mesures favorables à la délocalisation de certains types d’activités, on envisage ailleurs de renforcer l’initiative individuelle dans la reconversion des bâtiments intéressants. Néanmoins, ces mesures sont-elles réellement contradictoires ? Un nombre maximal de rues à l’intérieur de Ladadika, du Vlali et du Bezesteni doivent être rendues piétonnes. La conservation et la mise en valeur du patrimoine architectural sont considérées comme la plus haute priorité, non seulement pour la préservation de la mémoire historique de la ville, mais aussi pour des raisons d’ordre social et professionnel : la sauvegarde du passé est censée être intégrale.

33Le secteur d’aménagement est situé au cœur même de l’agglomération : les fonctions centrales y sont nombreuses (commerce de gros et de détail, services, industrie, administration…). Le marché alimentaire de gros est principalement implanté à Ladadika et au Vlali. Du côté des installations industrielles, qui s’intercalent traditionnellement entre les habitations, une grande concentration d’unités de production de vêtements est installée à proximité du Frangomachala. Les bureaux d’entreprises et les banques se localisent essentiellement sur les rues Dragoumi, Aristotelous, Tsimiski et Ermou.

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Fig. 28. – La rue Loudia.
Abandonnées et fermées depuis des années, les anciennes boutiques en état de délabrement avancé sont un exemple de ce que pouvait être le paysage du quartier au début du siècle. Les enseignes renvoient à un passé où la mixité des habitants et des commerçants n’avait d’égal que la multiplicité des activités et des échanges. Cliché R. Darques.

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Fig. 29. – La place Morichovou.
Nouvellement pavée, cette place n’abrite aucun arbre ou parterre fleuri. Les cafés et tavernes y trouvent un espace ouvert pour leurs terrasses. Le nouveau visage de Ladadika est symbolisé par cet imposant café-bar à la façade lissée. L’acquis architectural n’est plus qu’un argument de vente, un signe d’« authenticité ». Cliché R. Darques.

34Le support législatif de ce projet se situe dans la lignée des réformes lancées en 1985 par le ministère de l’Aménagement. Le plan régulateur de Salonique prévoyait en effet un ensemble d’interventions structurelles, en vue de rendre le centre-ville plus viable, de préserver et de promouvoir le cadre environnemental. Le Plan urbain général (Γενικό Πολεοδομικό Σχέδιο) protège le caractère du Vlali-Vatikioti-Bazar et son rôle traditionnel de marché alimentaire et vestimentaire. À Ladadika, la tendance est identique : conservation du caractère marchand, avec contrôle de l’implantation des nouvelles entreprises, éloignement du commerce de gros et soutien à une forme de commerce spécialisé.

35Un nombre important de bâtiments en mauvais état font l’objet de locations à bas prix. Les détenteurs refusent d’investir dans des travaux de réparation. La plupart d’entre eux attendent une décision de « déqualification », qui créerait des conditions idéales à la reconstruction. L’augmentation remarquable de la quantité de tavernes, bars, pubs, boîtes de nuit, dans les bâtiments historiques, qui concrétise une nouvelle forme de valorisation touristique, est en partie due à cette raison : en effet, les locataires prennent totalement à leur charge les frais de réparation des locaux.

36À Ladadika en particulier, la plus grande transformation urbanistique remonte à 1866, lors de la destruction du rempart maritime et de la réalisation de la ligne de chemin de fer. L’implantation d’entreprises commerciales suscite un nouvel essor, tandis que l’édification du port à partir des années 1890 tend à concentrer le commerce de l’huile, des céréales et des produits coloniaux. En raison de la conservation d’éléments architecturaux anciens, le ministère de la Culture a classé le quartier comme secteur historique en 1985. Aujourd’hui, la dégradation des bâtiments est flagrante. D’importantes difficultés de circulation et de stationnement entravent le fonctionnement des magasins. Assoupi dans la journée, le quartier s’anime seulement la nuit, quand les lieux de distraction tournent à plein.

37Lorsque j’ai réalisé le relevé de terrain de Ladadika, en juin 1995, les travaux de rénovation étaient en cours (planche 55) : les bureaux d’étude s’activaient à modifier le devenir des bâtiments prestigieux. Le réseau piétonnier était pratiquement achevé. L’enquête s’est appuyée sur les éléments visibles, enseignes et autres signes susceptibles d’apporter des indications sur l’utilisation présente ou passée des boutiques. On note quelques chantiers ouverts directement à l’initiative des pouvoirs publics. Le constat est celui d’un quartier en pleine mutation. Bon nombre de magasins, entièrement rénovés, attendaient un éventuel preneur. Quelques bâtisses éparses, encore délabrées, subsistaient à l’angle de la rue Loudia ou en bordure de Tsimiski.

38Une vingtaine de bars, cafés et pubs ont vu le jour, accompagnés d’une quinzaine de tavernes et restaurants en tous genres. Leur nombre est en augmentation constante. La modernité du lieu s’affirme dans les panneaux publicitaires en anglais, moyen accrocheur de susciter l’intérêt des consommateurs. Les mousquetaires de la cuisine hellénique sont horrifiés par l’intrusion d’un Donutino. La concurrence que se livrent les tenanciers est féroce. L’initiative individuelle est de règle, et la plupart des entreprises sont familiales.

39Derrière cette façade tape-à-l’œil, les traces de fonctions plus traditionnelles sont encore bien visibles. Les enseignes et les rideaux rouillés des boutiques fermées parlent de denrées alimentaires ou d’importation, de céréales, de peaux et d’emballages. Ces échoppes désaffectées sont progressivement abandonnées au profit d’activités plus lucratives. Une visite de ce « conservatoire historique » a permis de retrouver les vestiges de deux devantures, datant de la première moitié du xixe siècle.

40Le quartier a connu une transformation rapide. Les gains offerts par les nouveaux débouchés commerciaux ont pris le dessus sur la rénovation du patrimoine architectural. Le plan d’aménagement a joué un rôle de catalyseur dans la dénaturation fonctionnelle, esquissée au cours des dix dernières années. On reste dubitatif quant à l’avenir de cette monoactivité de loisirs nocturnes : la floraison anarchique des bars et tavernes doit aboutir tôt ou tard à l’échec de nombre de petits investisseurs peu concurrentiels. Le projet de rénovation a échoué dans son objectif de préserver la totalité des caractéristiques du quartier.

Vlali (Un Kapan)

41Le recensement de 1991, disponible par îlot urbain, ne dénombre pas plus d’habitants dans le Vlali qu’à Ladadika. Ce quartier, exclusivement marchand, est un cas intermédiaire : contrairement à l’exemple précédent, les transformations cadastrales n’ont pas été progressives, mais brutales. L’incendie de 1917 a fait table rase du passé. Le mode de reconstruction fut établi selon un tracé original. Même si certains noms de rues ont été repris, le nouveau bâti n’a plus aucun rapport avec l’agencement antérieur. De la rectification jusqu’à nos jours, le Vlali a conservé ses mêmes traits caractéristiques, sans subir d’aménagement signifiant.

42À l’heure actuelle, ce marché se distingue par son animation. Les minuscules échoppes, qui parfois ne dépassent pas quelques mètres carrés, sont alignées les unes à côté des autres, en rang régulier. Les étalages empiètent sur la voie publique ; certains sont protégés par un toit en tôle, posé sur des arcades en béton. Ils proposent légumes et fruits, et quantité d’autres produits alimentaires. Les commerçants haranguent les passants et vantent la qualité de leurs articles. Il est difficile de trouver image plus populaire et vivante. Dès que l’heure de la sieste approche, le silence n’est plus brisé que par le ballet des employés municipaux, chargés de nettoyer la place.

43Si la rupture cadastrale de l’incendie de 1917 a été totale, le remodelage a déterminé l’édification du nouveau marché central à l’emplacement de l’ancien Vlali, reproduisant le style des bâtisses détruites. La loi de 1923 « Sur la cession des petits terrains pour la création de marchés » échafaude un plan de reconstruction qui reproduit les bâtiments à deux étages, aux fenêtres voûtées à un, deux ou trois lobes, soutenues le plus souvent par de petites colonnes circulaires. À certains endroits, des petits stoes de plain-pied protègent les piétons de la pluie et du soleil.

44Les seuls documents cadastraux disponibles sont relatifs à l’état du quartier avant et après l’incendie. Même si aucune donnée n’est accessible ultérieurement, le processus de substitution des propriétés, déjà décrit, s’appliquera ici avec une grande simplicité.

45Localisé entre les rues Venizelou, Egnatia, Aristotelous et Ermou, le Vlali ne pourrait occuper une position plus centrale en ville. Le terminus principal de l’OASTH, sur la place Dikastirion, offre une desserte idéale, à proximité immédiate. A l’est, de l’autre côté d’Aristotelous, se trouve le Vatikioti, consacré au « bazar » proprement dit. À l’ouest, les boutiques du Bezesteni, sous les mêmes traits architecturaux, sont destinées au négoce des tissus et vêtements. Les étalages des bouchers, au sud, complètent le dispositif.

46Le secteur est construit de bâtisses qui dépassent rarement un étage, tandis que les bordures des artères principales sont jalonnées d’immeubles élevés : l’isolement est renforcé par la présence incisive des grandes artères de circulation. Elles participent à la différenciation et à la spécialisation commerciale.

47Le Vlali est aujourd’hui spatialement bien délimité. L’absence de rapport structurel avec le quartier détruit par l’incendie m’a orienté vers l’étude des îlots localisés au même endroit, entre les rues Venizelou et Kovou, dont la voie centrale était constituée par la rue Menexe. L’ancien plan de la ville situait ladite rue « Vlali » plus à l’est, immédiatement en dessous du Bey Hamami ; c’est-à-dire à l’emplacement actuel du Vatikioti. La persistance, au même endroit, des fonctions commerçantes après l’incendie autorise une comparaison intéressante.

48Selon Dimitriadis6, le secteur défini plus haut était à la jonction de trois quartiers : le marché à l’ouest, le quartier juif de Findik à l’est, et celui de Kadi au sud-est. De l’autre côté de l’Egnatia, Rogos était également dominé par les Juifs, mais la proximité de Hamza Bey assurait une voie de pénétration aux Musulmans. À l’époque, l’Egnatia ne marquait pas encore une ligne de rupture. L’axe de Venizelou captait à lui, en revanche, l’essentiel des échanges commerciaux. Dans sa description du secteur, l’auteur affirme que « la rue Venizelou divisait le marché en deux parties : la partie orientale était exclusivement aux mains des Juifs ; la place Ravinias en était toute proche et représentait le centre culturel des Juifs de la ville. La partie occidentale du marché se trouvait aux mains des Turcs »7. Ce descriptif trop tranché est modéré par les données du cadastre de 1917, et par le discours même de Dimitriadis quelques pages plus loin8 : « De l’autre côté de la rue se trouvaient également mélangés des boutiques, des ateliers et des maisons de Juifs, Turcs et Grecs ». Quelques portes plus bas, sur la rue Loukianou, se trouvait le célèbre Talmud Thora, l’école hébraïque dont la bibliothèque, mondialement connue, recelait mille richesses.

49Les registres fiscaux ottomans de 1906 mentionnent trois logis et sept échoppes sur la rue Gioumoultzinas. La rue Menexe portait également le nom d’« Alevragoras » (traduction du turc Un Kapan), c’est-à-dire de « marché aux farines ». Douze demeures, 54 ateliers, 125 boutiques, un café, un khan, un pétrin à sésame, douze terrains et deux débits de boissons y sont recensés. Malgré son nom, on n’y vendait plus de farine au début du xxe siècle. Le marché s’était diversifié : on y débitait aussi bien de la chaux, que des objets en tôle et en terre, du riz, des légumes secs, de la viande, des produits de la mer et des animaux vivants. Les possédants cités par Dimitriadis concordent avec ceux du cadastre dressé par l’administration grecque près de dix années plus tard : Kapanci Mehmed, familles Saki et Mano.

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Fig. 30. – Une rue du marché au milieu des années 1910.
Les boutiques exiguës déversent leurs étalages de breloques à même le pavement. Point de rencontre incontournable des habitants, la rue grouille de badauds et d’acheteurs.
Source : Service historique de l’armée de l’air, Paris.

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Fig. 31. – La rue Vlali aujourd’hui.
En plein cœur de la cité, les rues piétonnes permettent toujours aux petits commerçants limités par la place d’exposer leurs marchandises hétéroclites sur la chaussée. Le quartier est en ébullition dès l’aurore, et ne retrouvera son calme qu’à l’heure de la sieste, lorsque les employés municipaux chargés du nettoyage prendront le relais. Cliché R. Darques.

50Le schéma cadastral de 1917 (planche 56) révèle un quartier mixte. Grecs, Juifs et Musulmans se partagent un espace enchevêtré, où les minuscules échoppes côtoient des bâtiments plus vastes, sans ordonnancement apparent. À la croisée de quartiers juifs et turcs, le secteur de Un Kapan comptait deux synagogues : l’une, non identifiée, située rue Isokratous, immédiatement en deçà de l’Egnatia ; l’autre, appelée Matalon, au croisement de Monemvasias et de Klesou. Le temenos de Nu’man Paşa s’ouvrait sur la rue Lyvounovou.

51Les avoirs israélites sont surtout présents au sud et à l’est, tandis que la propriété musulmane a tendance à se regrouper à l’ouest, autour de Venizelou, Themistokleous et Lyvounovou. Les possessions des Grecs sont dispersées. Une seule parcelle « slave » a pu être décelée, et le nom du titulaire laisse à penser à un musulman (Halil Derbovitch). Sur le plan structurel, les étroits lopins situés le long de l’axe de Venizelou s’opposent au parcellaire plus lâche de l’intérieur. Au total, parmi les 134 terrains bâtis dénombrés, 56 étaient aux mains de Musulmans (42 %), onze aux Grecs (8 %), 66 appartenaient à des Israélites (49 %), et un seul à un individu d’origine slave.

52En 1917, vingt et un des 56 édifices musulmans (soit près de la moitié) étaient déjà passés au domaine public en raison de leur abandon. Les biens vakouf et ceux rapportés à la « communauté ottomane » sont en nombre limité (cinq seulement ont pu être identifiés). Ici, comme pour les autres communautés, seules quelques personnes arrivent à cumuler deux à trois biens-fonds dans le voisinage : Havdi Bey devait être l’un des notables de l’endroit.

53Sans aucun rapport avec le quartier préexistant, le Vlali reconstruit se présente sous la forme d’un rectangle, composé de onze îlots organisés en deux ceintures concentriques (planche 57). La partie extérieure, formée de vastes terrains, est tournée vers les grands axes de circulation périphériques. Cette structure foncière a permis l’édification d’immeubles à étages multiples. La partie intérieure est, au contraire, agencée en petits lopins destinés au commerçants, dans un ordre serré. Elle semble fonctionner de manière introvertie. La rue Menexe, désormais parallèle à Aristotelous, n’est qu’une pâle réminiscence d’un passé parti en fumée. Le seul point de repère entre les deux époques réside dans le croisement des rues Venizelou et Egnatia, point d’ancrage de notre analyse.

54Parallèlement à cette transformation morphologique, la reconstruction n’a laissé aucune place aux Musulmans. Les ventes aux enchères ont eu lieu ici tardivement, en novembre 1923, plusieurs mois après la signature du traité de Lausanne. Le nombre réduit de parcelles à distribuer face aux 1 800 boutiquiers présumés et l’afflux des réfugiés d’Asie Mineure ont poussé les prix vers des sommets jusque-là ignorés9. Le petit peuple des commerçants turcs a définitivement déserté la ville. En dehors de la zone incendiée, le même processus de transfert s’étalera sur plusieurs décennies.

55Dès les années 1920, deux pôles concurrentiels se mettent en place : l’un juif et l’autre grec. Sur les 248 parcelles du Vlali, 67 ont été acquises par des Israélites (27 %), douze ont été occupées conjointement par des Grecs et des Juifs, et 169 ont été achetées par des Hellènes (68 %). La proportion de Grecs dans ce quartier est ainsi passée en quelques mois de 8 % à quelque 70 %, tandis que celle des Juifs déclinait inversement de moitié. C’est dire à quel point le droit de préemption des propriétaires sinistrés n’a pas normalement joué. On assiste à un accaparement fulgurant du foncier. Les Israélites sont mis en minorité au cœur même de leur quartier historique.

56Tous les lopins ne sont pas dotés de renseignements ; fort probablement, les registres n’ont pas été tenus à jour jusqu’au bout. L’identité des nouveaux acquéreurs parle d’elle-même : aucun des anciens titulaires juifs ou grecs du secteur ne se trouve nominativement mentionné dans les licitations. Certes, quelques noms de famille restent, mais le lien de parenté entre les individus demeure impossible à déterminer. L’éventualité d’un rachat des parcelles par les marchands sinistrés, avec l’espoir de faire fructifier un nouveau magasin, doit être écartée. Outre la forte demande et les prix prohibitifs, les travaux de reconstruction ont été probablement trop longs pour que ces négociants aient eu la patience de refonder ici leur entreprise.

57La majorité des « nouveaux venus » parmi les investisseurs juifs appartiennent à des familles de notables (Saltiel, Naar, Molho, Angel). Les Grecs ont en revanche acquis leurs domaines en ordre dispersé. Les Micrasiatiques sont nombreux, comme le laissent supposer les suffixes patronymiques en « poulos » ou « oglou »10. La suite, en l’absence de tout document cadastral ultérieur, se concrétise par l’éradica-tion brutale de l’élément juif avec la déportation (1943). Les Grecs deviennent maîtres de la totalité du territoire.

Ano Poli, partie est (Mes’ud Hasan)

58Le quartier de la ville haute qui a été sélectionné ne porte pas de nom spécifique à l’heure actuelle. Les quelques îlots délimités pour notre étude appartenaient jadis au quartier turc de Mes’ud Hasan, du nom de la petite mosquée située à l’angle des rues Iphikratous et Andokidou. Accolé aux remparts est, ce secteur est exclusivement résidentiel. Contrairement aux cas précédents, dont la mixité ethno-confessionnelle était marquée, cette partie de la ville était occupée presque uniquement par des Turcs. Enfin, condition sine qua non de l’analyse cadastrale, elle n’a subi aucune modification morphologique majeure depuis le début du siècle. Épargnée par l’incendie et les interventions urbanistiques de l’entre-deux-guerres, elle a échappé jusqu’à aujourd’hui au processus de densification du bâti.

59Ce quartier a préservé un cachet qui attire l’œil du promeneur. Les petites maisons aux tuiles rouges s’y succèdent dans d’étroites ruelles où l’on se perd facilement, ne sachant jamais si elles vont aboutir à une impasse, ou déboucher sur une autre voie. Les jardinets, souvent présents, n’excèdent pas quelques mètres carrés ; certains les exploitent en plantant quelques légumes, d’autres préfèrent les agrémenter de vignes ou d’arbustes ; depuis plusieurs années, les poules et autres animaux de basse-cour n’y circulent plus. La hauteur des constructions excède rarement un étage, la plupart des habitations se limitant à un rez-de-chaussée. La pente est raide : le haut des édifices émerge à peine du sol. L’entrée des maisons est généralement située en aval.

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Fig. 32. – Le début de la rue Andokidou au début du siècle.
Les remparts crénelés se dessinent au-dessus des toits, avec à l’arrière la tour Trigonion. Immédiatement à gauche du cyprès se dresse le minaret de la petite mosquée de Mes’ud Hasan. Les basses maisons de droite sont caractéristiques de l’habitat du petit peuple turc. Carte postale, collection R. Darques.

60Les sols pentus assurent une protection à cette vieille ville aux allures rurales. Avant le renforcement des critères de construction, ils ont naturellement contribué à prémunir le site des agressions immobilières. Toute circulation automobile est pratiquement impossible. Par voie de conséquence, il n’a pas été nécessaire d’effectuer des opérations d’alignement. Les riverains ne peuvent que se déplacer à pied (puisque aucune ligne d’autobus ne dessert directement le quartier) ; exercice qui se révèle rapidement fatigant, tant les rues sont fréquemment remplacées par des escaliers.

61À la différence des sections plus occidentales d’Ano Poli, Mes’ud Hasan ne bénéficie pas de grandes demeures nobiliaires et bourgeoises ottomanes – les archondika – qui jalonnent les rues Poliorkitou, Kleous ou Theophilou. Ce phénomène est dû à une colonisation tardive du lieu. Un luxe moins ostentatoire, et donc un entretien moins coûteux, ont peut-être évité aux bâtisses l’abandon et la détérioration, si caractéristiques des demeures à sachnisia. Certaines maisons, les plus excentrées, ont été abandonnées.

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Fig. 33. – La même rue Andokidou aujourd’hui, quelques mètres plus haut.
Les demeures turques, à droite, sont toujours en place. Immédiatement à gauche, au premier plan, à l’emplacement de la mosquée, un petit immeuble de trois étages a vu le jour récemment. Vers le haut, on aperçoit une maison à sachnisia d’architecture macédonienne rénovée. Cliché R. Darques.

62Mes’ud Hasan n’est pas un quartier qui sommeille : de nombreux particuliers rachètent les maisonnettes pour les rénover et les rendre plus confortables. Les chantiers privés se sont multipliés ces dernières années, ravivant les couleurs des façades délavées. Les bourgeois de Salonique préfèrent souvent restaurer une grande demeure ottomane, plutôt que les baraques roturières des remparts orientaux. L’endroit a ainsi conservé son aspect populaire.

63Le cadre de vie est pourtant bien agréable. Les nuisances sonores sont faibles, et les fenêtres tournées vers le sud-est offrent un panorama très large sur le golfe Thermaïque, d’où le regard se perd jusqu’aux faubourgs les plus éloignés. Immédiatement au-dessus, la rue Akropoleos est le principal chemin d’accès à l’Eptapyrgio. Les autobus empruntent cet axe pour rejoindre également Agios Pavlos. On ne doit pas exagérer l’isolement. Jusqu’aux rues Danaou et Kirkis, les voies d’accès sont ouvertes ; mais une rupture de pente rend progressivement la circulation automobile impossible.

64À quelques enjambées de la célèbre tour Trigonion, dont la majesté attire de nombreux touristes, le secteur d’étude englobe une partie seulement de l’ancien quartier ottoman. Il s’étend des murailles jusqu’à la rue Alkinoou à l’ouest, les axes de Kendavron, Kyklopon et Danaou marquant les bornes amont et aval.

65Dimitriadis, citant les registres de 1906, rapporte que 360 maisons, douze boutiques, seize terrains, trois sources et deux fours se partageaient le territoire compris entre la place Kallitheas au sud et la ligne segmentée formée des rues Sinopis, Akropoleos et Mouson à l’ouest11. Les cartes postales du début du siècle témoignent que la colonisation de cette partie d’Ano Poli s’est réalisée récemment. Les habitations y sont encore largement clairsemées, surtout à proximité de l’Eptapyrgio. L’arrivée des réfugiés d’Asie Mineure allait changer ce schéma, en suscitant la création de nouvelles bâtisses. La population avait connu une augmentation progressive tout au long du xixe siècle. L’absence de monuments historiques d’importance, ainsi que la nouveauté du quartier (à l’échelle de la Turcocratie), associées aux lacunes des renseignements obligent Dimitriadis à ne pas s’appesantir dans ses explications. La terminologie des noms de rues devait être multiple : il est pratiquement irréalisable de localiser avec précision les ruelles et impasses de ce véritable labyrinthe.

66Les seules données cadastrales disponibles proviennent de la Commission de gestion de la propriété échangeable (EDAP). Elles se présentent sous forme d’un schéma topographique qui embrasse toute la ville haute, où sont référencés pour chaque parcelle les codes permettant d’accéder aux dossiers individuels. Mis à jour au fur et à mesure de la progression des travaux de la Commission, ce document est encore valable à l’heure actuelle. Dans le secteur concerné, la revente des biens-fonds aux réfugiés s’est opérée de 1927 à 1938, l’essentiel de l’entreprise ayant été réalisé en 1929-1930. Le cadastre se réfère uniquement aux possessions identifiées, qui appartenaient au moment du traité de Lausanne à un Musulman.

67Certains éléments cartographiques ont été reconstitués par recoupement, à l’aide des informations relatives au voisinage des parcelles échangées. Recherche aléatoire tant les ruelles sont enchevêtrées et les numérotations modifiées. L’identification des habitants grecs revient aux enquêtes de terrain réalisées après 1923 par les agents de la Commission, tandis que les détenteurs turcs ont exercé leur droit antérieurement à cette date. Des discordances chronologiques mineures apparaissent donc, mais n’affectent que modérément la cohésion de l’analyse. Quelques « blancs » n’ont pu être comblés, tant les descriptifs sont sommaires.

68Sur les 74 terrains et maisons identifiés, seuls huit sont attribués à des Grecs. On ne peut déterminer si ceux-ci étaient effectivement titulaires avant l’échange. Leur présence est probablement un phénomène tardif et découle du départ précipité des Turcs en 1912, ou de l’échange de population lui-même. Certaines bâtisses ont pu être vendues avant que les Musulmans ne quittent la place.

69Le doute dont pâtissent ces cas limités ne saurait en tout cas affecter la valeur d’ensemble des résultats : 90 % du patrimoine était aux mains des Ottomans au début du siècle (planche 58). La part des biens vakouf est écrasante : 21 des 67 domaines sont attribués au mufti de Salonique, soit 31 % du total. Une telle concentration ne peut s’expliquer que par la proximité de la mosquée Mes’ud Hasan. Elle donne une idée de l’ampleur des problèmes juridiques rencontrés lors de l’échange.

70Dans une certaine mesure, la réalité a pris le devant sur les aspects juridiques. Sur les 67 demeures musulmanes, 52 ont été cédées aux nouveaux occupants directement, et seules quinze ont été vendues aux enchères publiques (22 %). Plus des trois quarts des possessions turques ont été immédiatement investies par des Micrasiatiques : l’appropriation des terres a été absolument spontanée. Les services de l’État n’ont eu qu’à entériner la situation. De ce fait, il leur était impossible de déterminer l’appartenance précise des biens-fonds.

71Suite à cette anarchie, et malgré les nombreuses opérations de régularisation ultérieures, le statut d’un certain nombre de bâtiments ou terrains a été sujet à caution à l’origine de multiples controverses : six bâtisses identifiées comme « turques » par les topographes n’apparaissent pas dans les registres de l’EDAP comme biens échangés. Leur sort reste-t-il encore à l’heure actuelle à traiter? S’agit-il d’informations inexactes ? Ou bien doit-on entendre que la situation a été entérinée ?

72Dès le milieu des années 1930, les réfugiés sont devenus les détenteurs légaux des lieux et ont régularisé leur situation. La faiblesse des prix a favorisé ce processus de transfert : au Vlali, le prix moyen du mètre carré atteint 1 900 drachmes en 1924 (minimum 200 dr., maximum 7 100 dr.), selon les valeurs d’adjudication aux enchères ; à Mes’ud Hasan, il se fixe à 200 drachmes à la fin des années 1920 (minimum 60 dr., maximum 880 dr.).

73Crédité lors du recensement de 1991 de 130 habitants, ce quartier présente des contrastes, que souligne le relevé de terrain. Une vingtaine, soit un quart, des demeures ont été récemment rénovées, probablement à la suite d’un changement de propriétaire. Ces derniers disposent de moyens financiers suffisamment importants pour entreprendre des travaux d’envergure. La réhabilitation est surtout intervenue sur les rues principales d’Andokidou et Iphikratous, tandis que les lopins situés à proximité des remparts souffraient d’un abandon prononcé. Jardins broussailleux, toits retapés et cabanes en bois sont les signes les plus évidents d’une paupérisation persistante, toutefois en voie de régression. L’initiative privée est ainsi mise en évidence dans le processus de rénovation de la vieille ville.

Deux quartiers périphériques gagnés sur la campagne

74En banlieue, la restructuration foncière prend des formes profondément différentes. Elle s’accompagne d’une refonte du parcellaire agricole, au profit d’un morcellement. La comparaison entre anciens et nouveaux propriétaires n’a pas vraiment de sens, tant leur nombre augmente au fur et à mesure de la progression du bâti.

75Il ne saurait être ici question de traiter exhaustivement des processus qui gèrent la croissance urbaine périphérique, qu’elle soit planifiée ou spontanée. Les dispositions légales sont, comme toujours, confrontées à une réalité galopante, qui échappe souvent aux investigations. On se contentera d’aborder les transformations cadastrales survenues dans deux quartiers où des archives ont pu apporter une quelconque profondeur chronologique, qui dépasse le stade de l’enquête d’actualité. Les sources sont extrêmement maigres, davantage encore qu’au centre-ville. Il faut la plupart du temps se contenter d’approximations ; à moins que des études topographiques n’aient été par hasard ordonnées à l’occasion d’un projet d’aménagement ou d’une action judiciaire.

76Deux quartiers ont été sélectionnés. Le premier, Dendropotamos, appartient à la commune de Menemeni, et borde un petit cours d’eau qui débouche à l’ouest de la zone portuaire ; le second, Ano Toumba, se localise à l’est de l’agglomération, sur une colline d’où l’on domine le golfe Thermaïque. Leurs profils socio-économiques sont très tranchés. Leur genèse est le résultat de deux processus inverses : Ano Toumba est le fruit d’une planification urbaine, élaborée dans les années 1920-1930 ; Dendropotamos a vu le jour après la Seconde Guerre mondiale, dans la plus totale anarchie, en l’absence de contrôle étatique.

Dendropotamos, banlieue pauvre et oubliée à croissance spontanée

77S’il est difficile, dans l’apparente homogénéité urbaine salonicienne, de discerner de nettes disparités sociales, le secteur périphérique de Dendropotamos est à l’image de la pauvreté évidente de ses habitations et de ses habitants. Cette caractéristique en fait un secteur d’étude privilégié.

78La mauvaise réputation dont jouit le quartier a de quoi dissuader l’enquêteur : les journaux ne mentionnent généralement son nom qu’à la rubrique des faits divers, pour relater les trafics de drogue et les délits de droit commun. Il ne fait bas bon se risquer dans le bastion des Tziganes : la sécurité ne serait pas assurée.

79Ces avertissements ont redoublé mon intérêt pour une visite sur place. Mon premier déplacement s’est déroulé dans des conditions assez particulières. Je m’étais muni d’un appareil photographique, afin de prendre quelques clichés significatifs. Ma présence s’est rapidement révélée intruse dans ce faubourg, où les gens semblent tous se connaître. Les habitants du périmètre m’ont harcelé de questions sur un ton quelque peu provocant. Une jeune gitane, un enfant dans les bras, s’arrêta à mon passage et me demanda sans hésitation si je ne désirais pas me marier avec elle. Étonné par la soudaineté de la question, je lui demandai en retour si cet enfant était le sien. Mon interlocutrice avait à peine dix-sept ans, et était déjà mère de trois enfants. Le ton était donné. Cet espace déshérité abrite une population très pauvre, mais qui bénéficie d’une cohésion sociale forte. C’est un îlot de sous-développement au sein même de l’agglomération de Salonique.

80Dendropotamos tire son nom du cours d’eau qui le borde au sud-est. Sur le plan administratif, le district se rattache à la commune de Menemeni et se localise entre la rue Monastiriou et la rue 26 Oktovriou, immédiatement à l’intérieur du périphérique Dimitriou-Karaoli. À quelques minutes du centre-ville, à proximité des installations industrielles d’Eleftherio-Kordelio, de la zone portuaire et du grand marché des primeurs (Lachanagora), il n’est donc pas à proprement parler excentré. Le camp militaire de Ziaka bouche l’horizon au nord.

81On trouve côte à côte des petits immeubles à balcons ne dépassant pas un étage et des logements de plain-pied, assez semblables par leur aspect à des maisons agricoles. L’insalubrité de l’ensemble est évidente : les rues n’ont pratiquement pas de trottoirs et la chaussée est en de nombreux endroits défoncée. Le système d’adduction et d’évacuation d’eau pose lui-même des problèmes. Une brève visite permet ainsi d’évaluer les déficiences structurelles créées par le développement des quartiers spontanés. Bien que Dendropotamos soit désormais intégré dans le plan de la ville, et qu’il ait fait l’objet d’une Étude urbaine générale (Γενική Πολεοδομική Μελετή), les manquements cumulés surgissent avec d’autant plus d’acuité que le nombre d’habitants n’a cessé d’augmenter. L’environnement témoigne d’une situation de dégradation aggravée : quantité de déchets ménagers s’accumulent sur les terrains vagues, sans compter la pollution atmosphérique, due aux émanations des usines pétrochimiques limitrophes.

82Le périmètre est desservi par la ligne d’autobus numéro 9, qui conduit de Lachanagora à la place Dikastirion, au centre-ville. Deux couronnes d’habitations se distinguent et brisent l’homogénéité de l’ensemble. La bande extérieure abrite les logements les plus récents, petits immeubles ou taudis avec jardinets, tandis que le centre est constitué des maisons basses de facture rurale. L’église d’Agiou Nektariou, édifiée récemment, appartient à la couronne périphérique. À ces deux générations de bâtiments répondent deux types d’habitants : le centre est le domaine réservé des Tziganes, tandis que les pourtours sont occupés par des populations plus hétérogènes, et notamment par des Pontiques.

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Fig. 34. – Dendropotamos vu du sud.
La précarité des habitations est évidente. Chacun s’installe où bon lui semble sans aucun schéma d’organisation. Les paysages alentour alternent entre les entrepôts industriels, les décharges et les champs abandonnés. Cliché R. Darques.

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Fig. 35. – Centre de Dendropotamos.
Les anciens chemins de campagnes ont été goudronnés, mais ont gardé leur caractère d’origine, étroitesse et irrégularité. Les terrains vagues constituent un espace de jeu privilégié pour les innombrables enfants qui s’ébattent entre les petites maisons. Cliché R. Darques.

83Accompagné, lors de mes visites ultérieures, d’un collègue polyglotte, l’établissement d’un contact avec la population tzigane dut passer par l’étape indispensable au kafenio local. Le café est l’endroit idéal pour lier conversation et débusquer des interlocuteurs loquaces. Le gérant nous a orientés vers le responsable de l’association « Rom », un organisme chargé de la défense des intérêts des Gitans, dont le siège se trouve sur l’avenue principale de Dendropotamos, rue Konstantinoupoleos. Peut-être ce nom découle-t-il d’ailleurs, comme cela est souvent le cas, du lieu d’origine des habitants… Kostas Iliou, président de l’association, a accepté de nous rencontrer à la terrasse du café le plus en vue pour répondre à nos questions.

84Les Tziganes sont, à ses dires, tous Grecs et orthodoxes, résidents « d’un des plus vieux quartiers de Salonique ». Une seule allusion à l’origine constantinoupolitaine d’une partie d’entre eux a percé au cours de la conversation. Contre toute attente, l’industrie ne pourvoit pas aux emplois les plus nombreux : 90 % d’entre eux seraient commerçants. Sur la date de leur installation, les renseignements ont été plus que lacunaires : Kostas Iliou a avancé du bout des lèvres les années 1950. Pour lui, mes questions n’avaient pas d’intérêt. Peut-être étaient-elles trop directes ou insidieuses à son goût. Me confondant avec un journaliste, il mit aussitôt l’accent sur des questions polémiques. Certes, le développement du trafic de drogue était problématique, mais il suffisait de regarder autour de soi pour comprendre l’attitude des gens et la dégradation de la situation sociale. Les boutiques de proximité font défaut, ce qui oblige les habitants à effectuer leurs courses à l’extérieur ; la voirie est pratiquement inexistante ; si le Dendropotamos est entièrement canalisé, les inondations sont fréquentes sur ce terrain marécageux, sans oublier le pullulement des moustiques. Les déchets industriels, rejetés aux alentours, constituent un danger pour la santé de la population. La seule fierté locale est l’équipe de football, qui s’entraîne sur le terrain avoisinant.

85À partir de cette entrevue, l’agressivité latente des autochtones s’est évanouie, pour laisser place à une curiosité amicale. Le meilleur passeport m’a été délivré à la terrasse du café, au vu et au su de tout le monde. Les contacts établis avec la population ont pris une allure moins formelle et ont été propices à la découverte d’un autre aspect du lieu. Les Pontiques ont trouvé à Dendropotamos un terrain d’installation à la mesure de leurs moyens financiers. Une famille rencontrée au hasard des parcours pédestres a montré un sens de l’hospitalité appréciable et a accepté d’échanger quelques mots. Elle était composée de sept membres : les parents, deux grands-parents et deux enfants, dont le dernier né en Grèce. Le grec était plus ânonné que véritablement parié. Le père n’avait pas de travail fixe, mais avait réussi à acheter la maison à bas prix. Le voisinage avec les Tziganes est discret et les relations peu fréquentes.

86Un projet du conseil municipal a prévu de troquer le nom de Dendropotamos contre celui de Agiou Nektariou. On peut douter que cette opération symbolique puisse changer l’image de marque du secteur aux yeux des autres Saloniciens, ni qu’elle améliore en quelque façon le sort de ses locataires.

87Lors de l’enquête menée sur les mariages à la mairie de Menemeni, une attention toute particulière a été portée au cours du sondage aux résidents de Dendropotamos. Ces données permettent d’éclairer quelque peu le sort de ces faubouriens, même si les Tziganes ne peuvent être clairement distingués dans les registres. Sur 46 conjoints domiciliés à Dendropotamos en 1990-1991, sept étaient nés à l’étranger (16 %), 29 dans le nome de Salonique (62 %), et dix dans un autre département (22 %). Globalement, ce schéma démontre l’existence d’un noyau d’autochtones, sur lequel viennent se greffer nombre de migrants, notamment en provenance de l’étranger. La mobilité spatiale est grande, et le déménagement vers une zone urbaine plus attrayante survient dès qu’un pécule suffisant a été amassé ; ce qui implique une rotation rapide du parc immobilier.

88La moyenne d’âge au mariage se situe à vingt-deux ans. Parmi les 46 conjoints concernés par l’enquête, huit n’avaient pas atteint dix-huit ans (dont un seul garçon). À ces comportements matrimoniaux précoces vient s’ajouter la précarité socio-professionnelle d’une grande partie de l’échantillon. Trois femmes pouvaient se prévaloir d’une activité salariée autre que manuelle : une infirmière, une étudiante et une institutrice ; la majorité des femmes était affectée à l’entretien du foyer. Du côté masculin, le gros des troupes est formé par les ouvriers (près de la moitié des effectifs), les artisans et les petits vendeurs. Ces informations entrent partiellement en contradiction avec le discours tenu par le responsable de l’association.

89Entre Dendropotamos et Menemeni – entendons par là le lotissement originel des réfugiés –, la rupture physique et morphologique s’assimile pratiquement à une ligne de partage. L’axe qui assure cette séparation est la rue Monastiriou. Aux blocs d’immeubles réguliers et au plan en damier de l’ancien village micrasiatique créé dans les années 1930, aujourd’hui totalement intégré dans le tissu urbain de l’agglomération, répondent l’anarchie du développement de Dendropotamos et sa marginalité. La mairie de Menemeni se trouve justement à proximité de la frontière administrative du territoire communal, à l’opposé de Dendropotamos, à l’angle des communes d’Evosmos et d’Ambelokipi.

90Le recensement de 1991 compte 3 285 personnes à Dendropotamos, dans la zone circonscrite entre les rues Solonos, Monastiriou, 28 Oktovriou et 26 Oktovriou. Le recours aux photographies aériennes est irremplaçable pour examiner la répartition du bâti dans ce périmètre et déterminer son évolution. La plus ancienne photographie disponible remonte à 1945 et montre une zone totalement rurale, dénuée de construction, qui fait apparemment l’objet d’une exploitation agricole extensive. En 1990, le paysage s’est radicalement transformé, plaçant Dendropotamos sur le même plan que les autres quartiers nés de l’exode rural. Les surfaces agricoles ont disparu. Des édifices se sont même immiscés entre la route et la ligne de chemin de fer. Les espaces centraux sont absents. Aucune place digne de ce nom ne vient briser l’alignement des logements. Seules deux artères assurent un rôle structurant : la rue Konstantinoupoleos à l’ouest et la rue Agiou Nektariou à l’est. Le front urbain se déplace préférentiellement vers l’ouest.

91Ce territoire périphérique fournit un exemple frappant du mode de progression du bâti dans la banlieue urbaine de Salonique pour la période d’après guerre. Le seul document cadastral tangible sur le secteur provient des archives du ministère de l’Agriculture (planche 59). Il est daté de 1959-1962, c’est-à-dire du début du développement des constructions. C’est un moment important pour cerner la transition de l’usage rural à l’usage urbain des terres.

92Toutes les parcelles ont été distribuées à des réfugiés par le ministère de l’Agriculture dans les années 1930. Le cadastre établit une nette distinction entre bien-fonds acquis et domaine distribué. De ce fait, le sol ne porte aucune trace d’une domination ottomane ancienne. Une trame cadastrale historique a été entièrement effacée. Les changements survenus depuis l’octroi des terres figurent sous forme d’annotations imprécises : « héritage », « achat », « revente ». L’identité des nouveaux colons urbains échappe à l’étude.

93Malgré ces lacunes, les informations sont suffisamment parlantes. Le morcellement des lopins se calque sur le parcellaire agricole ancien. Le plan actuel de Dendropotamos est un héritage direct de cette géométrie rurale. Aucune planification urbaine n’a été appliquée : la croissance du bâti s’est déroulée dans la spontanéité la plus totale. Les premières voies de circulation sont les chemins de campagne, peu à peu aménagés au gré des nouvelles habitations. Les infrastructures sont inexistantes, aucun espace public n’a été défini au préalable. Les principaux bénéficiaires de ces transactions sont les détenteurs de champs et les entrepreneurs. Le cas d’Andonios Karaphotis est tout à fait explicite : sa parcelle a été débitée en petits terrains sans voie d’accès définie. Ces opérations s’effectuent en toute légalité. Les seules installations illégales concernent les lopins situés entre la voie ferrée et la route, au nord. Les logements ont poussé ici sans l’accord des autorités municipales, sans titre de propriété. Certes, leur position les rend marginales, et le site a probablement apporté à ces illégaux le sentiment d’une relative impunité, étant donné le peu de valeur des terrains. Le risque, en cas de recours en justice, est de toute façon limité.

94Bâtisses illicites, développement urbain spontané, le quartier doit en payer le prix aujourd’hui. En effet, avec ce système de développement, tous les acteurs sont bénéficiaires à court terme : les propriétaires-paysans, en premier lieu, qui peuvent morceler et revendre leurs lopins en tirant parti d’une plus-value importante ; les promoteurs immobiliers et les entrepreneurs, qui mettent le sol en valeur selon le système de l’antiparochi ; la municipalité et l’Etat, qui engrangent les taxes d’habitation sans débourser d’argent dans des infrastructures coûteuses ; les nouveaux acquéreurs, qui deviennent propriétaires à moindre frais, profitant d’un prix du mètre carré réduit et des avantages de l’antiparochi. À long terme néanmoins, les conséquences peuvent être désastreuses : la faible viabilité de Dendropotamos nécessite des aménagements d’autant plus lourds qu’il faudra, pour régulariser la situation, procéder à des expropriations et tenir compte des constructions.

95Le processus qui vient d’être dépeint est loin d’être une exception. Il résume en fait l’un des mécanismes du développement de l’agglomération depuis la Seconde Guerre mondiale. Les grandes opérations d’aménagement ont été rares, et n’ont concerné qu’une partie restreinte du territoire. Dendropotamos est l’objet, depuis 1988, d’une Étude urbaine d’extension, plan qui ne fait qu’entériner la réalité, en y apportant quelques retouches. Son sort n’est pas près de s’améliorer.

Ano Toumba, le domaine des réfugiés

96Le quartier de Toumba est aujourd’hui connu sous deux dénominations, qui découlent des grandes opérations immobilières engagées dans l’entre-deux-guerres : Ano (haut) et Kato (bas) Toumba. « Toumba » signifie littéralement « tombe », et se réfère à la grande butte archéologique qui surplombe les immeubles actuels. Cette zone est réservée à l’habitat. La circulation sur les axes principaux est dense. Bien desservie par les autobus municipaux, à la jonction des communes de Salonique, Triandria et Pylaia, elle est peu distante du centre-ville.

97La décision d’expropriation date du mois de novembre 1927 à Ano Toumba, et porte sur une étendue de champs de 549 000 m2, cédés à la Pronia par le ministère de l’Agriculture. Elle s’inscrit dans le vaste programme d’établissement des réfugiés. Quarante parcelles ont été totalement ou partiellement saisies à cette occasion, entre la route d’Asvestochori au nord, la rue Platanou au sud, la butte de Toumba à l’ouest et un petit cours d’eau à l’est. Parmi celles-ci, vingt-deux appartenaient à des Grecs, huit à des Juifs, une à un Slave, quatre au domaine public, quatre à la Société anonyme cadastrale et agricole, auxquelles s’ajoute le lopin occupé par l’église Prophitou Ilia (planche 60). Chacune d’entre elles, délimitée par un relevé topographique préalable, est légitimée par un titre ottoman dûment référencé.

98Le plan n’a pas conservé trace des anciens détenteurs musulmans. L’échange remonte déjà à quatre ans au moment de l’enquête. Les Turcs apparaissent clairement à l’extérieur de la zone d’expropriation. Ailleurs, leur présence se manifeste dans la mention du domaine public grec, ou peut-être dans celle de la Société cadastrale. La référence aux titres de propriété ottomans prouve que, dans cette périphérie urbaine, les Grecs avaient acquis la majorité des parcelles agricoles avant la libération. Ce constat semble être lié à un remembrement, opéré sous le régime ottoman. L’orientation différente des parcelles entre le pourtour de la butte de Toumba et la partie est du cadastre, qui signale une limite entre un domaine turc et une aire mixte helléno-israélite, ne peut trouver d’autre origine.

99Bien qu’il soit difficile de déterminer à cette échelle l’existence de grands fiefs, plusieurs domaines reviennent à des détenteurs grecs, telle la famille Azas, dont le nom figure sur six parcelles du périmètre. Cette présence foncière hellénique, à l’extérieur de la ville à la fin de l’époque ottomane, mérite d’être soulignée. Elle contraste avec la situation intérieure, où leur implantation spatiale est réduite. Les Juifs se signalent à travers les possessions de la famille Modiano : Lévi Modiano s’est en effet porté acquéreur de huit parcelles en avril 1288 (1873). L’arrivée des Israélites sur le marché foncier agricole et leur emprise sur les campagnes périphériques sont contemporaines des bouleversements urbanistiques des Tanzimat, ainsi que des grandes catastrophes qu’a subi la communauté à la fin du xixe et au début du xxe siècle. Ces achats en série n’ont probablement été effectués qu’en vue d’une mise en construction. La prise en charge de l’avenir de la communauté par les riches familles israélites va de pair avec des investissements fonciers massifs. Les Juifs ne semblent être jamais vraiment sortis de la ville. Contrairement aux Musulmans et aux Grecs, ils ne prétendront pas accéder à la tête de grands domaines agricoles. Leur établissement rural a une visée urbaine définie.

100L’hétérogénéité du patrimoine immeuble dans les espaces ruraux périphériques de Salonique est une caractéristique fondamentale du paysage cadastral à la fin de l’époque ottomane. La répartition du sol répond à des critères différents de ceux en vigueur dans le centre-ville. Le marché foncier répond à deux schémas de partage nettement différenciés.

101Les formes de transition sont donc différentes à l’intérieur et à l’extérieur de la ville. La surreprésentation des Grecs, déjà acquise à la fin de l’Empire ottoman, ne fera que s’accentuer avec la redistribution des avoirs musulmans aux réfugiés, qu’une expropriation générale ait été nécessaire ou non. Si les Micrasiatiques imposent d’emblée leur prédominance aux dépens des autres communautés, un clivage entre Grecs autochtones et réfugiés s’instaure progressivement dans la périphérie agricole. Leurs intérêts sont loin d’être convergents.

102La Pronia intervient dans ce contexte. L’édification du lotissement d’Ano Toumba répond à un plan d’aménagement préétabli. Le plan orthogonal actuel, et la forme carrée très caractéristique des îlots, ne répondent en rien à l’agencement et au parcellaire rural ancien. En 1937, le ministère de la Prévoyance recensait 623 habitations à Toumba, dont à peine 91 privées. L’État a fourni 85 % des logements. Le contexte est certes particulier : l’État a construit à Toumba cinq fois plus de logements qu’à Kalamaria, et près de 50 % des habitations mises à la disposition des réfugiés à Salonique. Cette zone a également servi à la distribution d’un grand nombre de terrains (30 % du total). Cela ne dispensa pas le service cadastral de la Pronia de délivrer ici 25 % de tous les actes de cession accordés à des constructions illégales.

103Une analyse diachronique des photographies aériennes de 1930 à 1990 montre que le quartier, originellement décentré, a été progressivement rattrapé par le flot des constructions et intégré à l’agglomération. Le caractère rural du lotissement a disparu, en même temps que les maisonnettes mises à la disposition des réfugiés étaient remplacées par des immeubles de plus en plus élevés. Les fortes pentes ont bloqué l’extension de la zone bâtie vers le nord, entraînant une densification sans précédent. Le découpage cadastral, mis en place dans les années 1930, était très favorable à ce processus. En 1991, 18 114 personnes habitaient le périmètre. Les transformations subies depuis la Seconde Guerre mondiale sont majeures. La spéculation immobilière a été effrénée, et les profits juteux.

104Ano Toumba a directement bénéficié des investissements des migrants d’Allemagne. La proximité du centre-ville et de l’université a assuré la constance d’une forte demande en logements pendant plusieurs décennies. Ici, autant qu’à Kalamaria, les polykatikies (immeubles) caractéristiques de l’urbanisme grec moderne ont trouvé les conditions favorables à leur multiplication.

105Le système de l’antiparochi a fonctionné pleinement. Étant donné le coût d’achat élevé des terrains, le développement immobilier est pratiquement impossible par des méthodes d’autofinancement. Un accord amiable entre l’entrepreneur et le propriétaire du terrain à bâtir évite l’écueil de la mobilisation des capitaux. L’entrepreneur assume tous les frais de construction et paie le possédant par une partie de la bâtisse. Ce procédé généralisé évince les institutions financières des tractations. Les études architecturales – si elles ont lieu – sont des plus limitées, l’objectif prioritaire étant d’atteindre les plus grandes hauteurs autorisées afin de rentabiliser au mieux l’entreprise.

106Les systèmes de construction, qui réglementent ces niveaux d’élévation, sont le seul moyen véritablement efficace de contrôler la croissance du bâti. Ils fixent le rapport entre la taille de la parcelle et la surface à édifier. Si ce rapport est égal à deux, et si, par exemple, la superficie de la parcelle est de 300 m2, la surface maximale à bâtir est de 600 m2. D’autres arrêtés fixent le nombre maximal d’étages autorisés dans la zone. Le mécanisme est régulateur : si le coefficient est en dessous d’un certain seuil, l’entrepreneur ne dégage pas assez de bénéfices. Les secteurs ne devant pas être colonisés se voient ainsi assigner des chiffres bas. Les hommes politiques sont évidemment soumis à de fortes pressions pour faire évoluer les normes vers le haut.

107Le résultat est un urbanisme uniforme et monotone. Les immeubles peu attrayants sont aujourd’hui le pur produit de ce mécanisme. Les chaussées sont étroites, les espaces verts inexistants et les zones de parking limitées ; les automobilistes sont contraints d’utiliser les trottoirs pour se garer. Le quartier est tout à fait comparable à d’autres faubourgs athéniens de classes moyennes. Toute trace du bâti ancien est systématiquement éradiquée au fur et à mesure, ce qui n’exclut pas parfois un vieillissement rapide du parc immobilier.

108La transition cadastrale s’est ainsi effectuée en deux étapes : la première a opéré une expropriation générale sur des secteurs délimités ; la seconde, plus tardive, a vu les nouveaux possédants revendre leurs avoirs aux plus offrants. Les détenteurs expulsés ont dû apporter une preuve de leur droit pour toucher une indemnité, tandis que la spéculation foncière a permis à des intervenants peu scrupuleux de s’enrichir facilement dans les banlieues à croissance spontanée.

109L’expropriation a été une arme imparable pour opérer la mutation immobilière, qui devait résoudre le paradoxe d’une ville détenue par des anciens résidents, devenus des étrangers. La nouvelle donne foncière a été décidée, engagée et gérée par Athènes : expropriation dans la zone incendiée, échange obligatoire d’immeubles entre Musulmans et Orthodoxes, saisie de vastes étendues agricoles destinées à l’établissement des réfugiés. La dilapidation par les Allemands du patrimoine juif au cours de la Seconde Guerre mondiale a été l’épisode le plus violent de la transition. Les lois « normales » du marché se sont imposées tardivement pour participer à la formation du paysage urbain actuel. Ces bouleversements cadastraux brusques et répétés n’ont pas été indifférents au devenir des Saloniciens, qu’ils soient « de souche » ou d’implantation récente. La croissance urbaine chaotique de ce siècle a trouvé ici un ferment original.

Notes de bas de page

1 ΟΑΤΗ, Οργανισμός Αποχετεύσεως Θεσσαλονίκης.

2 V. Dimitriadis, Τοπογραϕία…, op. cit., pp. 199-203.

3 Ibid., Τοπογραϕία…, op. cit., pp. 330-331.

4 Cf. figure 23.

5 Galerie couverte reliant deux axes de circulation, à fonction généralement commerciale.

6 V. Dimitriadis, Τοπογραϕία…, op. cit., carte hors-texte.

7 Ibid., p. 190.

8 Ibid., p. 194.

9 Pour plus de détails, voir A. Yerolympou, H ανοικοδόμηση…, op. cit., pp. 187-189.

10 Papasoglou (« fils de papas », en turc) adoptant fréquemment le diminutif moraïte de « Papadopoulos ».

11 V. Dimitriadis, Τοπογραϕία…, op. cit., p. 94.

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