Le président de la République et le Conseil constitutionnel : Quelle influence dans le rôle de protection des droits et libertés ?
p. 311-341
Texte intégral
1À la lumière de la Constitution du 4 octobre 1958, les présidents de la République sont susceptibles d’exercer une double influence sur l’action de protection des droits et libertés opérée par le Conseil constitutionnel lorsqu’il met en œuvre son contrôle de constitutionnalité des lois.
2Il y a une influence intérieure des présidents de la République, bien sûr après exercice de la magistrature suprême, mais en lien toutefois avec cette dernière. Il s’agit de celle des membres de droit, une catégorie encore consacrée par notre actuelle constitution1. Certes relativement faible, cette influence toutefois peut sembler intéressante à étudier puisqu’à la différence d’autres personnalités, telle que celle des professeurs de droit – plus que des conseillers d’État d’ailleurs – celle des Présidents sortants vis-à-vis du Conseil constitutionnel l’est beaucoup moins. Or si l’on fait sienne l’idée que la composition du Conseil constitutionnel a une influence déterminante sur la construction des décisions et l’équilibre général de sa jurisprudence2, on pressent que les présidents de la République jouent, ou ont pu jouer, un rôle plus important que ce que les apparences laissent percevoir au premier chef dans l’exercice du contrôle de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61 C. 58. Mais il y a aussi une influence extérieure des présidents de la République. Celle-ci, bien sûr, est beaucoup plus importante que la première. Il s’agit de celle que le président de la République en exercice peut avoir sur le Conseil constitutionnel en impulsant, soutenant ou encourageant, par le biais des compétences que la Constitution lui donne, une dynamique de protection des droits que la juridiction constitutionnelle réalise en contrôlant les lois aux droits et libertés contenus dans la norme suprême.
3Si cette influence existe donc, comment le président de la République participe-t-il, ou pas, à la fonction de protection des libertés dont le Conseil constitutionnel se réclame lorsqu’il exerce son office de juge ? Pour arriver à un rôle positif, il faut admettre que le premier pouvoir politique puisse être un défenseur des libertés. Or, il n’est possible d’aboutir à une telle conclusion qu’au terme d’une démarche en deux temps dont il nous faut ici rappeler la logique.
4Le premier temps de la démarche repose sur les conclusions du syllogisme sur lequel se fonde un régime démocratique répondant du gouvernement représentatif3. Si le peuple est souverain en démocratie (majeure), il ne peut vouloir que par les organes constitutionnels qu’il désigne et qui le représentent (mineure). La conclusion est donc la suivante. Il découle logiquement de ce raisonnement que ce sont les organes représentatifs eux-mêmes qui assurent la protection des droits grâce à une ingénierie constitutionnelle – séparation des pouvoirs et contrôle de constitutionnalité surtout – qui freine les dérives potentiellement attentatoires à la liberté politique. Dans cette conception, la démocratie repose sur une expression représentative de la liberté, une expression « par le haut » si l’on peut dire, malgré les très théoriques modérations apportées par les mécanismes semi-représentatifs, et dont la concrétisation juridique se manifeste par une protection des droits reconnue et organisée dans les replis de la volonté générale tendue vers la recherche légitime d’un intérêt général qui se réalise dans le respect de la Constitution. In fine, il faut donc admettre que la protection des libertés résulte d’une collaboration entre les principaux organes constitutionnels excluant toutes interventions, revendications, voire contestations citoyennes en matière de droits et libertés.
5Le deuxième temps de la démarche repose quant à lui sur l’influence que le président de la République joue dans cette organisation constitutionnelle. En apparaissant comme le premier pouvoir dans le fonctionnement des institutions de la Ve République, le président de la République peut légitimement être considéré comme une autorité participant au renforcement de la fonction juridictionnelle dévolue au Conseil constitutionnel vis-à-vis des fonctions gouvernementale et parlementaire exercées par les autres grands pouvoirs constitués, le Gouvernement et le Parlement surtout, et œuvrer ainsi dans le sens d’un renforcement de sa mission de protection des droits et libertés constitutionnels vis-à-vis de la loi.
6D’ailleurs, des signes objectifs et concrets démontrent que le président de la République peut favoriser le développement de cette mission. En disposant qu’il veille au respect de la Constitution, l’article 5 C. 58 lui confie naturellement un rôle de gardien des droits et libertés qu’elle contient dans ses dispositions et celles de son Préambule. De plus, lorsque l’on sait que les fonctions dévolues au président de la République, à l’exception du droit de grâce et de la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels, sont essentiellement des compétences de sollicitation dont l’effectivité nécessite – conformément à la nature parlementaire du régime – l’intervention d’autres moyens et d’autres acteurs définis par la Constitution, il est possible de croire qu’il veuille apparaître comme un acteur collaborant à la mission de protection des libertés exercée par le Conseil constitutionnel.
7La pratique présidentielle de l’article 5 C. 58 vient à l’appui de cette idée. En dehors du fait que le Conseil constitutionnel soit une création issue d’une volonté présidentielle dans une optique politique bien précise répondant d’un climat de suspicion à l’égard du parlementarisme en 1958 il est vrai4, l’affirmation de sa nature et de ses fonctions juridictionnelles- de régulation des pouvoirs publics à la protection des droits et libertés – s’est faite à la faveur de l’intervention décisive du pouvoir constituant dérivé sur le fondement de l’article 89 C. 58 déclenché par le président Valéry Giscard d’Estaing (peut-être inspirée par Roger Frey) et exprimée dans un message au Parlement. S’inscrivant dans un objectif général de libéralisation du régime5, la révision constitutionnelle du 29 octobre 1974 relative à l’extension de la saisine du Conseil constitutionnel à une minorité de parlementaires6 s’inscrit bien dans une volonté présidentielle de développer la mission de protection des droits dévolue au Conseil constitutionnel dans l’exercice du contrôle de constitutionnalité des lois, comme l’illustre d’ailleurs clairement le premier exposé des motifs du projet de la loi constitutionnelle qui allait jusqu’à admettre que le Conseil constitutionnel puisse s’autosaisir en matière de respect des libertés publiques. Mais encore, le même constat peut être fait à l’endroit de la révision constitutionnelle de 2008 impulsée par le président de la République, Nicolas Sarkozy7, et dont l’une des innovations les plus fortes fut de consacrer un contrôle de constitutionnalité par voie d’exception dans une continuité – sur le fond – ici à l’égard d’un projet initialement proposé par François Mitterrand et préparé en 1993 par Robert Badinter, avec Bruno Genevois et Georges Vedel8.
8Fort de ces déductions, tout irait donc bien dans le meilleur des mondes de la démocratie. La collaboration du président de la République au travail de protection des droits mise en œuvre par le Conseil constitutionnel participerait à démontrer que le régime de la Ve République va dans le bon sens. Elle développerait une collaboration des différents organes constitutionnels et aboutirait, à l’instar d’une jurisprudence constitutionnelle nerveuse, riche et respectée soutenue par l’ensemble des pouvoirs constitués, au renforcement des libertés consacrées par la Constitution.
9Pourquoi alors quelque chose semble dérangeant dans ce tableau d’apparence idyllique ? Pourquoi ne peut-on en rester là sans que ne se forme dans les consciences un sentiment d’inquiétude qui pousse naturellement tout esprit un peu critique à nourrir un sentiment de suspicion croissant, à mesure que le président de la République se rapproche de la juridiction constitutionnelle ? C’est qu’en réalité, mais encore faut-il le rappeler, une telle analyse invite à effectuer deux opérations intellectuelles inspirées par les logiques du régime représentatif, mais dont les effets aboutissent à des situations contraires à celles du constitutionnalisme.
10D’une part, au regard de la nature présidentialisée de notre régime parlementaire, une telle affirmation nous oblige à assumer une liaison implicite peut-être, mais réelle, des fonctions exécutives et juridictionnelles entre les mains du président de la République. Certes, ce lien entre ces deux fonctions et les organes qui les animent n’est pas nouveau en France puisqu’il est à l’origine de l’existence et de l’« indépendance » de la juridiction administrative sur le fondement d’une « conception française de la séparation des pouvoirs », dont les conséquences toutefois peuvent être en contradiction avec les principes qui régissent la fonction juridictionnelle. La suspicion relative au respect des principes d’indépendance et d’impartialité surtout, naturellement générée par une telle liaison comme le souligne la Cour européenne des droits de l’Homme, ne peut être que renforcée au plan constitutionnel au regard des enjeux de pouvoirs qu’une telle liaison peut véhiculer au regard de la transformation du rôle du président de la République dans le fonctionnement concret des institutions de la Ve République. Intervenant dans le fonctionnement des institutions pour neutraliser les dérives générées par notre conception conflictuelle de la séparation des pouvoirs, le président de la République n’est plus un pouvoir neutre, mais un pouvoir engagé, partisan. De régulateur des pouvoirs publics, un arbitre, il peut devenir et est devenu concrètement, à la faveur des circonstances, un pouvoir d’impulsion politique, un capitaine, politiquement responsable9. La conséquence est importante pour le sujet qui nous occupe ici. Adoptant une telle posture, politiquement engagée, il ne peut plus intervenir auprès d’un organe juridictionnel sans affecter son indépendance et sa neutralité. Dès lors, donner au président de la République la qualité d’autorité constitutionnelle participant à la garantie des droits nous invite à considérer que la protection des libertés se conjugue avec une confusion des pouvoirs législatif, exécutif et même juridictionnel entre ses mains. On le voit, une telle assertion est contraire à la logique démocratique qui oppose le Pouvoir à la Liberté et soulève une contradiction de fond entre les conséquences issues d’une lecture présidentialiste de l’article 5 C. 58 et celles qui devraient naturellement découler de la juste application de l’article 16 D. 1789.
11D’autre part, cette affirmation oblige à nous écarter des buts ultimes fixés par le constitutionnalisme moderne, à savoir la garantie des droits constitutionnels vis-à-vis des décisions des gouvernants qui peuvent les blesser, lorsqu’en exprimant la volonté générale, ils poursuivent des actions où l’intérêt général prime légitimement sur les droits subjectifs. Il s’agit là d’une tendance lourde qui s’exprime particulièrement bien avec le développement des saisines citoyennes à l’égard de juridictions constitutionnelles qui doivent désormais exprimer un vrai pouvoir juridictionnel afin de pouvoir contrer cette puissance législative formée par la volonté des autorités gouvernementales et parlementaires. Certes une telle revendication heurte les canons du constitutionnalisme classique arc-boutés sur une conception purement représentative de la démocratie et inviterait peut-être à repenser la fonction de la Constitution, au-delà de sa qualité de « statut de l’État », comme une norme de défense des droits de la société contre l’État10. Or dans un régime représentatif présidentialisé comme celui de la Ve République, la garantie des droits ne se conçoit que par l’action d’un pouvoir d’État dont le visage démocratique nous apparaît dans une loi « expression de la volonté générale » qui est d’abord l’enveloppe d’une puissance publique dont la fabrique relève d’une ingénierie constitutionnelle politiquement maîtrisée par le président de la République11. Il en découle donc que l’influence que celui-ci est susceptible de jouer sur l’action de protection des droits menés par le Conseil constitutionnel fragilise sa mission. Gardien de la puissance d’État dans le respect des droits peut-être, mais non le gardien des droits contre la puissance d’État certainement, le président de la République attire dans son champ d’influence un Conseil constitutionnel qui perd les attributs de contre-pouvoir juridictionnel constitutionnel au nom de la protection des droits des citoyens contre le pouvoir. Au-delà du point de cristallisation constitué par les « bonnes procédures de nomination » lorsqu’il s’agit de discuter l’efficience de l’indépendance du Conseil constitutionnel vis-à-vis des autres pouvoirs, c’est bien l’influence que le président de la République est naturellement amené à exercer sur son fonctionnement dans un tel système institutionnel qui jette la suspicion sur l’efficacité de son rôle de protection des droits. Telle est la raison pour laquelle souvent encore le Conseil constitutionnel ne peut être vu comme une juridiction constitutionnelle occupant un « rang élevé [...] parmi les grands pouvoirs de l’État » à l’instar de la Cour suprême des États-Unis, comme le soulignait Tocqueville.
12Que faut-il en déduire ? Que l’influence que le président de la République est susceptible de jouer autour et au sein du Conseil constitutionnel, dans sa fonction de protection des droits et libertés, cristallise une incompatibilité entre la logique du régime représentatif et la logique moderne que la société démocratique appelle du contrôle de constitutionnalité. Elle ne fait que corroborer ce constat désormais récurrent mis en lumière par la plus éminente doctrine et au terme duquel le Conseil constitutionnel ne peut être considéré comme un gardien « intransigeant »12 des droits en dépit de la volonté affichée des Présidents du Conseil constitutionnel lui-même. Pour en arriver là en effet, il faut en effet changer cette « pensée constitutionnelle13 » qui intègre le contrôle de constitutionnalité dans un processus de formation de la décision et prolonger, réinterroger, rediscuter les analyses de Kelsen, Eisenmann et Vedel sur les relations qu’une juridiction constitutionnelle doit entretenir vis-à-vis des autres fonctions, législative et exécutive, pour remplir sa fonction de protection de la Constitution dans une démocratie moderne. C’est cette incompatibilité qui doit désormais être levée dans le constitutionnalisme d’aujourd’hui. Tant qu’elle ne sera pas faite, l’influence des présidents de la République – puissant symbole de cette confusion entre décision politique représentative et contrôle juridictionnel – non seulement ne renforcera par la protection des droits et libertés au sein du Conseil constitutionnel (I) mais nuira même toujours à l’exercice de cette mission (II).
I. L’impossible participation du président de la République à l’œuvre de protection des droits par le Conseil constitutionnel
13L’explication passe peut-être par les chemins du contrôle de constitutionnalité... mais aussi et surtout ici par ceux de la séparation des pouvoirs. C’est par là en réalité que se comprennent les raisons pour lesquelles le président de la République ne peut sérieusement participer à l’œuvre de protection des droits réalisée par le Conseil, car d’un pouvoir théoriquement partiel (A), il est pratiquement un pouvoir partial (B).
A) D’un pouvoir constitutionnellement partiel...
14Dans notre conception de la séparation des pouvoirs et au nom du partage d’une même fonction par plusieurs organes, et d’abord et surtout la fonction législative, fonction prééminente dans le théorème de Montesquieu, il est possible d’admettre que le président de la République et le Conseil constitutionnel puissent collaborer à l’exercice de la fonction législative. De la sorte, le président participerait à la protection des droits réalisée par le Conseil constitutionnel en collaborant à la faculté d’empêcher que ce dernier exerce en sa qualité de législateur négatif, contre une faculté de statuer mise en œuvre par les organes parlementaires et gouvernementaux, conformément à la logique du régime parlementaire notamment.
15De ce point de vue, la participation du président de la République à la protection des droits exercée par le Conseil constitutionnel pourrait être le signe d’un perfectionnement de la nécessaire collaboration de différents organes à une même fonction, condition première de la séparation des pouvoirs : bref, une expression réussie du théorème de Montesquieu, et même plus. En effet, cette participation assurerait la mise en place d’une collaboration organique inédite, dépassant une conception relative à la séparation des pouvoirs limitée à l’organisation d’une technique dite de « freins et contrepoids » dont la mise en mouvement par le partage de la fonction législative par deux organes conformément au système de 1790, éludait la fonction juridictionnelle14. Désormais, l’organe exécutif participerait au renforcement d’un contrôle dans lequel interviendrait un troisième organe de type juridictionnel, le Conseil constitutionnel.
16Non seulement l’influence du président de la République vis-à-vis de la juridiction constitutionnelle serait la démonstration d’une séparation des pouvoirs qui fonctionne bien, et même d’une séparation des pouvoirs qui participerait au fonctionnement d’une démocratie ou la fonction juridictionnelle – prise au sérieux par tous les organes constitutionnels – accéderait enfin au rang de vraie fonction constitutionnelle15 ! La logique est séduisante : à la suivre, président de la République et Conseil constitutionnel participeraient à remplir cette mystérieuse fonction de gardien de la Constitution dans la concertation et la collaboration, non dans la concurrence et/ou l’implicite soumission de la juridiction constitutionnelle au Président. En collaborant à la faculté d’empêcher exercée par le juge constitutionnel lorsqu’il opère son contrôle de constitutionnalité, le président de la République renforcerait donc efficacement la fonction de protection juridictionnelle des droits contre la puissance politique, incombant naturellement au Conseil constitutionnel.
17Les textes, eux, suivent comme le démontre la Constitution dans l’action comme la nomination.
18Dans l’action politique en premier lieu, le Président peut jouer ce rôle avant la promulgation de la loi. Les articles 5 et 61 C. 58 offrent un droit de véto présidentiel en deux temps contre la puissance législative potentiellement liberticide, c’est-à-dire des dispositions législatives attentatoires aux droits constitutionnels. À l’image de ce que François Hollande vient de faire vis-à-vis de la loi sur le renseignement16, le président de la République peut saisir le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 61 C. 58 au nom du respect de la Constitution dont il est le gardien, et démontrer qu’il s’associe à l’exercice d’une protection juridictionnelle des droits contre une décision législative dont les effets sont potentiellement dangereux pour le respect des droits consacrés par la Constitution17. De même, compétence exercée trois fois à ce jour, il peut aussi demander une nouvelle délibération au Parlement avant la promulgation de la loi sur le fondement de l’article 10 alinéa 2 C. 5818.
19Dans la désignation des acteurs du contrôle en second lieu. De manière classique, la question de la nomination des membres des Cours constitutionnelles est essentielle car elles exercent un contrôle qui n’est pas du même ordre que les autres juridictions19. Compétentes pour contrôler la loi à la Constitution, les juridictions constitutionnelles s’immiscent dans une fonction de contrôle politique dont la crédibilité et l’efficacité dépendent de la neutralité de l’institution. Or qu’est-ce qui permet d’assurer la neutralité d’un organe dans les décisions qu’il prend ? Si plusieurs arguments et plusieurs critères ici peuvent être avancés, de manière générale, cette neutralité se trouve concrètement assurée par un faisceau d’indices relatif à l’organisation et au fonctionnement de l’institution, à la lumière duquel il peut être objectivement constaté que la prise de décision répond concrètement d’une confrontation d’opinions divergentes, d’avis contraires. Bien que discutée et susceptible d’amélioration encore, la procédure de nomination des membres nommés répond globalement à cette exigence de neutralité pour deux séries de raisons. Au plan organique, trois autorités de nomination sont sollicitées, appartenant à deux fonctions constitutionnelles distinctes et des forces politiques potentiellement contraires20. Ainsi cette désignation est prompte à favoriser la neutralité de l’organe de contrôle juridictionnel sur un plan politique. Même si la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 modifiant le pouvoir de nomination régi par les articles 13 et 56 C. 58, et parfois critiquée sur ce point21, va moins loin que le projet Badinter de 199322, elle semble néanmoins plutôt aller dans le bon sens. Elle favorise une nomination qui répond à un souci de neutralité politique et à un renforcement de l’influence parlementaire, même si d’après l’article 56 C. 58 modifié, une incertitude demeure sur la compétence des commissions parlementaires à l’égard du membre désigné par le président de la République23. Mais globalement, cette réforme semble répondre d’une logique « à l’allemande » prônée par Kelsen, à savoir que le meilleur mode de nomination des Cours est la nomination parlementaire24. Matériellement de surcroît, la nomination des membres du Conseil et de son président par le président de la République ne neutralise pas un « devoir d’ingratitude » de la part des juges vis-à-vis de leurs autorités de nomination. Point d’orgue de la « doctrine Badinter25 » symbolisé par les propos de ce dernier lors de son investiture à la Présidence du Conseil constitutionnel le 4 mars 1986, cette exigence a toutefois toujours été plus ou moins revendiquée. Dès 1962, le Conseil constitutionnel fit connaître par la voie de son président, Léon Noël « ses réserves au président de la République au sujet de la révision référendaire de la Constitution ». Le Haut Conseil démontrait déjà, dès les premières années de son existence, qu’il se voulait être un organe indépendant vis-à-vis des autres pouvoirs et notamment respecté par le président de la République. Par là même, il prouvait encore que l’exercice de sa fonction de contrôle de constitutionnalité des lois sécrétait en elle-même une force d’émancipation naturelle vis-à-vis de la Présidence de la République d’abord, comme de l’ensemble des autres pouvoirs constitués ensuite.
B)... à un pouvoir politiquement partial
20Mais pour participer à la faculté d’empêcher exercée par le Conseil constitutionnel dans le cadre de l’exercice de la fonction législative lorsqu’il réalise un contrôle de constitutionnalité de la loi, le président de la République ne doit pas, c’est la condition, s’engager dans l’exercice de la faculté de statuer qui appartient ici au gouvernement et au Parlement. Or dans les faits, c’est la logique inverse qui se réalise. La pente « présidentialiste » vers laquelle penchent naturellement les institutions depuis la mise en œuvre de la réforme « structurante » et « prédominante »26 de 1962 surtout, invite le président de la République à s’immiscer – hors période de cohabitation – au sein de la faculté de statuer gouvernementale dans l’exercice de la fonction législative qui, logique de la fusion parlementaire oblige, est normalement partagée entre le gouvernement et le Parlement27. Pour premier qu’il soit, le président de la République se transforme concrètement en une vraie force de proposition politique, sinon explicite, du moins implicite pour deux raisons. En premier lieu, les décisions gouvernementales ratifiées par une majorité parlementaire acquise sont inspirées par le projet politique présidentiel qui est à l’origine de la légitimité politique des pouvoirs de gouvernement. En second lieu, c’est le président de la République qui répond devant le peuple de l’efficacité de l’action politique du gouvernement (qu’il ait suivi ou non le programme présidentiel), car c’est lui qui engage sa responsabilité politique au moment des élections présidentielles. Ainsi, loin de jouer le rôle de tiers pouvoirs qui lui incombe naturellement, il investit un rôle de pouvoir partial qui se manifeste de deux façons à l’égard du Conseil constitutionnel.
21Partial dans la décision en premier lieu. Sur le fondement de l’article 61 C. 58, fondement légitime de la saisine du Conseil constitutionnel à raison de sa fonction dite de protection des droits et libertés par le président de la République, le constat est désespérant. Depuis 1958 et jusqu’à ce jour, à l’exception de la récente saisine du Conseil constitutionnel par François Hollande au sujet de la loi sur le renseignement28, aucune saisine du Conseil constitutionnel n’est à porter au crédit du président de la République à raison d’une violation des droits et libertés protégés par la Constitution sur le fondement de l’article 61 C. 5829. La très grande majorité des décisions DC est issue de saisines d’une minorité de parlementaire – donc de l’opposition au président de la République – suivies des saisines du Premier ministre et des Présidents des Assemblées.
22Certes, il est alors possible d’avancer ici que le Président peut saisir le Conseil constitutionnel de manière implicite et indirecte par le biais des saisines mises en œuvre par le Premier ministre. Mais alors, deux remarques peuvent être faites : d’une part, cette saisine indirecte lie le président de la République au pouvoir d’impulsion politique d’un chef du Gouvernement nommé par lui et relié à sa majorité présidentielle, de sorte qu’il n’agit pas comme un tiers pouvoir susceptible d’alerter le danger engendré par une possible loi liberticide menée par le gouvernement et sa majorité parlementaire ; d’autre part, les saisines du chef du gouvernement n’ont jamais concerné explicitement, jusqu’à ce jour, une question de droits et libertés constitutionnels susceptibles d’être froissés par le législateur. À l’appui de cette démonstration, la récente saisine du président Hollande à propos de la loi sur le renseignement démontre encore que le Président, autorité de saisine, reste toujours prisonnier de cette logique partiale. Si d’un point de vue juridique, il est un gardien de la Constitution qui recense certes des droits et libertés, il est aussi et peut être surtout – c’est bien ce que révèle sa lettre de saisine en la circonstance – le gardien des principes relatifs à la continuité de l’État qu’elle contient encore. Certes, s’il convient de concilier les droits que ces deux objectifs contiennent selon un principe de proportionnalité que le président de la République invite le Conseil constitutionnel à apprécier, il admet la prévalence des raisons de sécurité et d’ordre public à l’égard des droits que la loi pourrait alors légitimement blesser dans son action en raison de nécessité. De sorte que loin de renforcer les droits et libertés, la saisine présidentielle du Conseil constitutionnel peut être vue comme une instrumentalisation du contrôle de constitutionnalité afin de donner une légitimité à un projet de loi très contestable au plan des libertés porté par le gouvernement qui a sa confiance30.
23Il est également intéressant de constater que le président de la République ne se saisissait pas de cette faculté d’empêcher offerte par la Constitution dans cette configuration institutionnelle désormais largement improbable qu’est la cohabitation. Ces périodes de discordances politiques n’ont jamais provoqué l’engouement du président de la République pour le Conseil constitutionnel : aucune saisine présidentielle du Conseil constitutionnel, ni sous la 1re, ni sous la 2e, voire la 3e cohabitation, sur le fondement de l’article 61 C. 5831. Même ici, il s’abstenait d’intervenir en qualité de législateur négatif. Le constat est constitutionnellement intéressant. Cette absence de saisine démontre que le président de la République, contrairement à ce que l’on pouvait parfois dire, ne retrouverait pas une vraie fonction d’arbitre à la faveur d’une cohabitation qui revaloriserait le caractère parlementaire du régime. Cette idée est un leurre. Cette absence démontre au contraire que le président de la République est toujours considéré comme un pouvoir de statuer, neutralisé juridiquement, parce que sanctionné politiquement. Il n’accède donc pas au rang de pouvoir neutre – cher au constitutionnalisme de Sieyès et de Constant – en période de discordance. Cette situation constitutionnelle de paralysie, produite par un fait politique, interdit de lui donner une fonction de tiers pouvoirs et de le hisser au rang de gardien de la Constitution au nom de la garantie des droits et libertés. Car si tel était le cas, il aurait pu ici exercer une « faculté d’empêcher » conjointe avec le Conseil constitutionnel dont il pourrait faire reposer la compétence sur une lecture conjuguée des articles 5 et 61 C. 58. En réalité, la prise de possession de la faculté de statuer par le président de la République neutralise une possible mise en œuvre de la faculté d’empêcher qu’il pourrait exercer en saisissant le Conseil constitutionnel en raison d’une contrariété à la Constitution d’une loi dont il est à l’origine. Ainsi dans les faits, plutôt que vers l’article 61 C. 58, il est plus intéressant de se tourner vers l’article 54 de la Constitution pour repérer des saisines du Conseil constitutionnel par le président de la République32.
24Partial dans la nomination en second lieu : premier organe constitutionnel dans la prise de décision politique, l’exercice de toutes les compétences du Chef de l’État doit être analysé selon un prisme politique. Et lorsque l’on rappelle qu’au sein d’un État moderne où le pouvoir s’exerce de manière institutionnalisée, décider c’est aussi et peut-être même d’abord nommer ; le pouvoir de nomination des membres du Conseil constitutionnel dont dispose le premier magistrat de la République revêt les caractères d’une compétence juridique hautement conditionnée, mais tout aussi hautement « conditionnante » politiquement pour les autres autorités de saisines, en fonction des rapports de forces politiques qui structurent les clivages partisans au sein de la représentation politique.
25Le résultat de cette logique donne un profil sociologique précis à la politique de nomination présidentielle des membres du Conseil constitutionnel. Le conseiller constitutionnel est un connaisseur de l’État et de ses intérêts, politiquement proche des autorités de nomination33. La traduction est claire : elle démontre que le président de la République nomme des énarques et/ou des conseillers d’État en majorité, pour les nécessités juridiques, et ayant sa confiance personnelle, pour les nécessités politiques34. C’est bien la tendance lourde de la politique de nomination présidentielle inaugurée par de Gaulle comme l’illustrent particulièrement bien les premières nominations en 1959 de Georges Pompidou et Bernard Chenot en 1962 puis d’André Deschamps en 1964 d’abord, mais aussi et surtout, en sa double qualité de membre et de Président de la nouvelle institution, de Léon Noël dès 1959 encore. Ce « gaulliste sourcilleux et juriste expérimenté35 » restera d’ailleurs « conseiller et confident » du général de Gaulle, sans craindre d’ailleurs d’assumer le rôle de messager utile entre l’Élysée et le Palais Royal en se faisant « l’écho au Conseil de la volonté présidentielle »36.
26Cette tendance prompte à favoriser « l’esprit de faveur, d’amitié et de complaisance37 » pourra peut-être s’atténuer progressivement. Mais elle se pérennise néanmoins de manière latente de deux façons dans le fonctionnement des institutions. En premier lieu, cette partialité qui s’affirmait déjà pour la nomination des membres nommés par le président de la République s’illustrera encore dans le cadre de la nomination du président du Conseil constitutionnel. À l’exception de la nomination à la Présidence du Conseil constitutionnel d’Yves Guéna dans un contexte particulier il est vrai38, tous les présidents du Conseil constitutionnel choisis par le président de la République depuis Léon Noël et Gaston Palewski « premier gaulliste par l’ancienneté »39 en 1965, ont été nommés membres du Conseil constitutionnel par lui-même. Toujours les présidents du Conseil constitutionnel feront l’objet d’une nomination minutieusement réfléchie d’un point de vue stratégique, par la tête de l’Exécutif. D’ailleurs, c’est en prévision d’une possible cohabitation, que François Mitterrand nomme en 1986 Robert Badinter président du Conseil constitutionnel, après la démission de Daniel Mayer. En conformité avec la conception de l’indépendance qu’il se faisait de cette institution, le deuxième des trois Présidents du Conseil constitutionnel nommé par François Mitterrand proposera, afin d’en finir avec les légitimes suspicions entourant l’impartialité de l’institution, que le président du Conseil constitutionnel soit élu par ses pairs, et ce, « afin de couper le lien très fort avec l’exécutif »40. L’avenir jusqu’à aujourd’hui, démontre que loin d’avoir évolué sur ce point, les relations entre le président de la République et le président du Conseil constitutionnel demeurent animées d’abord et avant tout par une relation de confiance personnelle dirigée par le président de la République, pour ne pas dire plus41...
27Mais en second lieu, cette partialité se répercute encore sur les choix opérés par les autres autorités de nomination. Avec plus ou moins de nuances, ce que démontre par exemple la nomination de René Cassin par Gaston Monnerville en 1960, le président du Sénat, mais aussi le président de l’Assemblée nationale s’inscrivent dans la tendance de nomination présidentielle. La nomination des membres du Conseil constitutionnel est toujours influencée certes par les grandes qualités personnelles et professionnelles des personnes choisies, mais aussi par leur situation politique vis-à-vis des autorités de nomination. Si cette tendance peut s’étioler conjoncturellement avec le temps et les configurations institutionnelles, elle demeure néanmoins persistante comme le démontrent les nominations de Jacques Chirac, alors président de la République. Mais la tendance est partagée par tous les camps comme le démontre encore la récente nomination de Lionel Jospin au Conseil constitutionnel le 18 décembre 2014 par le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. Cette dernière s’inscrit toujours particulièrement bien dans cette logique politique qui fragilise à défaut de blesser la fonction juridictionnelle de l’organe. De là, c’est une seconde idée qu’il convient maintenant de présenter.
II. Le président de la République nuit à l’œuvre de protection des libertés mis en œuvre par le Conseil constitutionnel
28L’influence que le président de la République exerce sur le Conseil constitutionnel souligne « la grande faiblesse »42 dont il est victime parce qu’elle est à la fois décrédibilisante pour sa légitimité, et neutralisante pour sa fonction juridictionnelle.
A) Une influence présidentielle décrédibilisante pour la légitimité de l’organe juridictionnel dans sa fonction de protection des libertés
29L’influence que le président de la République est susceptible d’exercer sur le Conseil constitutionnel est perturbante pour son entreprise de légitimation juridictionnelle, et ce, pour deux raisons.
30La première raison tient à la présence des membres de droit au sein de l’institution. Depuis longtemps la doctrine est unanimement critique sur ce point à l’inverse des membres de droit eux-mêmes qui ont pu participer à ce débat en apportant des arguments contradictoires qui finalement n’ont jamais fait que renforcer les ambiguïtés générées par leur présence au sein de l’institution43. D’ailleurs, si c’est en raison des compétences non exclusivement juridictionnelles du Conseil constitutionnel que leur présence a longtemps été justifiée, c’est pour cette même raison qu’elle est aujourd’hui décriée. Certes, ces débats semblent anciens et pourraient même relever de l’archéologie constitutionnelle de la Ve République jusqu’à ce qu’à la faveur des circonstances nouvelles les membres de droit ne soient réapparus au sein du Conseil constitutionnel. De plus, si la question semble être en voie d’être réglée pour l’avenir depuis l’adoption d’un projet de loi constitutionnelle visant à supprimer les membres de droit pour l’avenir44, elle demeure perturbante pour le présent en raison des deux contradictions qu’elle met en lumière.
31La première contradiction est d’ordre politique en raison des évolutions dont le fonctionnement du régime de la Ve République fait l’objet à la suite de certaines révisions constitutionnelles plus ou moins récentes. Avec le rajeunissement que génère la réduction de la durée du mandat présidentiel issue de la révision de l’article 6 C. 58 en 2000, le quinquennat neutralise grandement le risque de voir le Conseil constitutionnel devenir « un conseil de retraités »45, selon la formule de Paul Reynaud devant le Comité consultatif constitutionnel. Il n’en demeure pas moins, à l’inverse, que cette évolution tend à multiplier mécaniquement le nombre potentiel de membres de droit du fait de l’accélération dans le temps du nombre de Présidents, de plus en plus jeunes. En fin de compte, avec la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans, il apparaît que la présence de cette catégorie de membres pourrait non seulement connaître une vigueur croissante par le développement du nombre potentiel des membres de droit, voire même rallonger leur présence au Conseil constitutionnel en raison de leur âge. Or, cette évolution, de nature sociologique est de nature à transformer le sens de leur présence au sein de la juridiction constitutionnelle. De symbolique, leur présence tendrait naturellement à se renforcer, voire à se politiser en raison de l’influence potentielle qu’ils sont susceptibles de jouer à l’égard des autres membres. De fait, cette évolution est prompte à happer le Conseil constitutionnel dans un temps politique qui se situe en contradiction avec le temps juridique qui doit présider à son action juridictionnelle.
32La deuxième contradiction, qui suit logiquement la première, est une contradiction d’ordre éthique. La présence de ces membres de droit multiplie les situations de violation à l’égard du principe d’impartialité auquel doit se soumettre le juge constitutionnel. C’est bien ce qu’a récemment démontré la présence de Nicolas Sarkozy au sein d’une juridiction qui a dû juger et rejeter dans sa décision du 4 juillet 201346 les comptes de campagnes de ce dernier relatifs à l’élection présidentielle de 201247 après le rejet de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Ici, le Conseil constitutionnel a donc jugé une question concernant directement et individuellement l’un de ses membres. Même si cette séquence politico-juridique entraîna la démission de Nicolas Sarkozy après la décision du Conseil constitutionnel48, elle pointe nécessairement les défauts que génère le très grand flou juridique qui plane sur la question de la démission possible ou non des membres de droit. En effet, loin de résoudre la question, cette situation encouragerait même le principe d’une « participation à éclipses »49, comme celle de Vincent Auriol autrefois au Palais Royal. Telles sont les raisons pour lesquelles la présence des Présidents constitue « une exception française de trop » selon la formule de Robert Badinter encore50 mais qui, on ne peut que le constater et le regretter, persiste encore à la lecture de Factuel article 56 alinéa 2 C. 58.
33Si la question de la suppression des membres de droit semble aujourd’hui en cours de résolution, une seconde, plus épineuse encore, demeure. Il s’agit de la nomination du président du Conseil constitutionnel par le président de la République lui-même. Cette désignation, négociée en 1958 par le général de Gaulle à l’issue de la première rédaction du premier projet de Constitution, est beaucoup plus discrétionnaire que celle qui existe aux États-Unis ou en Autriche où là aussi le président de la Cour est nommé par le Président. Celle-ci enlise le Conseil dans une double subordination négative.
34Une subordination juridique en premier lieu. Cette nomination démontre que le Conseil constitutionnel demeure, en dépit de sa volonté de juridictionnalisation, un organe soumis à une puissance de l’État potentiellement liberticide et dont le Chef de l’État est le garant. En effet, la nomination du président du Conseil constitutionnel relève du pouvoir discrétionnaire du Chef de l’État – c’est un acte de gouvernement51 – comme d’ailleurs il dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour nommer le vice-président du Conseil d’État et les présidents de section52. Cette identité est troublante et guère encline à émanciper le Conseil constitutionnel de l’influence des organes politiques. Étant désigné par le premier des pouvoirs, ce Président nuit à la qualité juridictionnelle du Conseil constitutionnel. Il n’aide pas à lui donner les vraies qualités d’une juridiction protectrice des droits contre le pouvoir, en dépit de ce que devrait prôner un constitutionnalisme moderne. Dans les faits, cette subordination juridique conduit à une subordination politique.
35En second lieu en effet, dans ce régime parlementaire hybride où le président de la République est le premier décideur, sa compétence en matière de nomination du président du Conseil constitutionnel place cette juridiction dans une situation de subordination politique par rapport à lui, et l’enlise de facto dans un conflit de légitimité politique entre l’exécutif et le Parlement qui n’est pas le sien. Concrètement, le Conseil constitutionnel est toujours menacé de devenir l’otage de cette conception conflictuelle de la séparation des pouvoirs que la logique présidentielle des institutions de la Ve République fige mais ne résout pas, et au terme de laquelle, si le Conseil constitutionnel auxiliaire du Président dans sa fonction de gardien de la Constitution peut servir le magistrat suprême, lui ne sert pas le noble aréopage53. En effet, tout rapprochement du président de la République vers le Conseil constitutionnel décrédibilise son indépendance à l’égard de l’exécutif et cristallise la défiance du Parlement à l’endroit d’un organe qui ne dispose pas de la légitimité politique pour intervenir dans la prise de décision législative. Ce constat permet donc de rappeler que le Conseil constitutionnel n’est pas un contrepouvoir mais un pouvoir lui-même partisan qui s’érige contre la volonté générale susceptible d’être brisée par un lit de justice, à l’instar de la crise qui opposera le Conseil constitutionnel au Gouvernement en 1993. Double effet négatif donc, puisque loin de remettre en lumière le tropisme parlementaire qui travaille le régime représentatif français54, cette influence ravive une réminiscence bonapartiste donnant au Conseil constitutionnel des allures de Sénat impérial. Au final, cette influence repousse le contrôle de constitutionnalité dans les mauvaises ombres d’une tradition républicaine où, le Pouvoir prévalant sur les Libertés, il réapparaît comme une technique au service de la protection de la Constitution dans l’intérêt de l’État et non de la défense des droits.
B) Une influence présidentielle neutralisante pour la fonction de juger du Conseil constitutionnel
36Là encore, cette influence neutralise la fonction de juger du Conseil pour deux grandes séries de raisons.
37En premier lieu, la présence des membres de droit renforce la politisation d’un Conseil constitutionnel dont les juges ne répondent pas obligatoirement de la qualité de juriste comme dans les grandes juridictions constitutionnelles européenne. Phénomène exceptionnel en Europe pour une juridiction constitutionnelle55, la qualité des membres du Conseil constitutionnel ne répond pas de manière claire au vœu kelsénien selon lequel il est de la plus grande importance d’accorder une place adéquate aux juristes de profession au sein des juridictions constitutionnelles. Sur un plan organique, les membres de droit ne sont pas des juges comme les autres. Non seulement ils n’ont pas à prêter serment lors de leur entrée en fonction, et ce, à la demande de Vincent Auriol56, mais de plus, les membres de droit ne peuvent pas être rapporteurs car ils sont considérés « comme des hommes politiques »57, non comme des juristes. N’étant pas de vrais magistrats, les membres de droit ne favorisent pas une activité de nature juridictionnelle au sein du Conseil constitutionnel. Revendiquant leur expérience d’ailleurs, leurs motivations reposent souvent sur des arguments d’opportunité politique, de sorte qu’ils peuvent ne pas déclarer une loi contraire à la Constitution afin de ne pas entraver un objectif politique58.
38C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’influence des membres de droit demeure inversement proportionnelle à l’intensité de la fonction juridictionnelle du Conseil. Si cette influence peut s’avérer très forte dans le cadre des fonctions consultatives du Conseil conférées par la Constitution, sur le fondement des articles 11 C. 58 mais aussi et surtout 16 C. 58, elle se révèle moins importante, bien que toujours réelle, dans le cadre du respect du partage des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire59. Elle faiblit en revanche considérablement dans l’exercice du contrôle des normes – domaine de prédilection de la protection des droits et libertés – où les arguments juridiques prennent le pas sur les motivations politiques. Enfin, soulignons-le, cette influence est nulle dans le cadre du contrôle QPC pour la double raison que les membres de droit ne siègent pas dans le cadre de cette procédure, d’une part, et qu’il s’agit là d’un contrôle déclenché non par les organes constitutionnels, mais par les justiciables eux-mêmes, d’autre part.
39Mais il n’en demeure pas moins que leur présence nuit à l’exercice d’une vraie fonction juridictionnelle dans le cadre de la mise en œuvre d’un contrôle a priori qui ne faiblit pas avec le développement du contrôle QPC. Or ici, la présence des Présidents consacre de facto une logique du « mobile politique » qui entrave naturellement la légitimation du Conseil et l’autorité de ses décisions. Elle parasite le processus de construction d’un consensus juridictionnel à force d’argumentation et de motivation qui seul légitime l’autorité des décisions des juridictions constitutionnelles60. La présence ou l’absence ici des présidents de la République qui siègent ou ne siègent pas en raison de motivations politiques plus ou moins obscures fragilisent, en dépit des précieux conseils qu’ils pourraient prodiguer aux autres juges constitutionnels sur des textes votés sous leur présidence, ce processus rationnel de légitimation qui repose sur une éthique de responsabilité, et non de conviction. Elle souligne et renforce la faiblesse structurelle d’un Conseil constitutionnel dont tous les membres, de droit comme nommés, exemptés de répondre à une quelconque compétence juridique qui serait établie par la Constitution, font l’objet d’une procédure de nomination en total désaccord avec sa mission dite de juridiction61.
40Cette suspicion est naturellement renforcée par la présence d’un président du Conseil constitutionnel nommé par le président de la République et disposant d’une voix prépondérante62. Cette prérogative, associée à une procédure de désignation présidentielle discutable au moins, intolérable au plus, renforce l’idée que le juge constitutionnel en France ne peut exercer une réelle fonction de juger au nom de la garantie des droits. Elle démontre que cette fonction reste toujours hypothéquée dans son effectivité dans la mesure où elle demeure toujours, quelles que soient les circonstances, subordonnée la faculté de statuer présidentielle. Au-delà du conflit de conscience dont le président du Conseil constitutionnel peut faire l’objet en se sentant naturellement et légitimement d’ailleurs une autorité « tiraillée » entre ses obligations de juge et son sentiment de fidélité au président et dont il module les effets contradictoires en fonction de l’intensité du « devoir d’ingratitude » qu’il entend exercer dans l’exercice de sa fonction, il en découle deux conséquences fâcheuses pour la fonction de juger du Conseil constitutionnel.
41En dépit de sa vertueuse juridictionnalisation, le Conseil constitutionnel n’est – comme le Conseil d’État – que le dépositaire d’une justice déléguée présidée par un membre désigné par le premier des organes de l’État. Il en découle donc que, comme la haute juridiction administrative, le Conseil constitutionnel demeure certes une juridiction, mais une juridiction toutefois qui ne peut s’opposer à une conception de la protection des libertés conditionnées par l’autorité de l’État dont le président de la République est le premier représentant et le premier gardien. Par voie de conséquence, si le Conseil constitutionnel défend une protection des libertés, ce n’est pas une liberté contre la volonté générale dont le président de la République est la première force d’impulsion, mais une conception des libertés par le pouvoir de l’État contrôlé par le Président et véhiculée par la loi. Il en découle donc que les droits toujours sont conditionnés par un intérêt général tissé par des organes juridictionnels liés au premier pouvoir de l’État.
42Mais encore, et dans le prolongement de ce premier constat, la protection des droits, que le Conseil constitutionnel se donne pour mission de préserver, se trouve toujours soumis à un principe de légalité juridique qui peut être inspiré par un réel souci de protection de liberté. Ce souci plie néanmoins inéluctablement sous un principe de nécessité politique, celui de l’intérêt de l’État. Là est le critère ultime de l’appréciation et des justifications des variations de la légalité à laquelle se plie le Conseil constitutionnel dans ses contrôles DC et même QPC. Si cela peut suffire à considérer l’État de droit achevé, cet État de droit constitutionnel demeure néanmoins structuré par un gouvernement représentatif au sein duquel toujours le pouvoir serait la règle et la liberté l’exception63 puisque dans ce modèle, c’est l’intensité de la nécessité qui décide des variations de légalité et mesure donc le degré d’effectivité des libertés. C’est bien ce que démontre la très récente décision du Conseil constitutionnel relative à la loi sur le renseignement vue par d’aucuns comme un « Patriot Act » à la française64, mais encore et de manière ultime certes, mais par là même de manière très éclairante, la fonction donnée au Conseil constitutionnel dans l’exercice de l’article 16 C. 58. Cette disposition prouverait s’il fallait encore le prouver que la justice constitutionnelle demeure un rempart de papier face aux assauts potentiellement liberticides du Pouvoir. Exceptionnelle certes, mais en raison de son exceptionnalité justement, cette disposition relative à l’état d’exception cristallise parfaitement la nature de la relation du Conseil constitutionnel par rapport au président de la République dans la fonction de protection des droits : une relation d’auxiliaire sinon soumis du moins subordonné au pouvoir présidentiel65 qui la rend incapable de se montrer vigilante en matière de respect des libertés, au moment même où elles sont susceptibles d’être le plus menacées par le pouvoir présidentiel.
43Adossée à notre régime représentatif dont l’organisation repose sur un parlementarisme présidentialisé, cette désignation présidentielle avec voix prépondérante renforce donc la thèse d’un Conseil constitutionnel qui préserve les droits par l’autorité du président de la République premier gardien de la Constitution au sens schmittien du terme66. Dans notre système, il serait faux de penser – mais cela n’engage que nous – que le Conseil constitutionnel puisse se hisser au rang de tiers pouvoir constitutionnel au nom de la garantie des droits à raison d’une fonction juridictionnelle érigée face à la puissance politique. D’ailleurs, en rappelant, sur le fondement de l’article 3 de la Constitution que seuls participent à la souveraineté les autorités élues par le peuple français67, le Conseil constitutionnel convient que le président de la République est le premier acteur à exercer la souveraineté nationale et accepte par là même implicitement d’être réduit à une fonction politique de3e chambre législative, en dépit des améliorations substantielles des contrôles de constitutionnalité qu’il effectue.
44En guise de propos conclusif, il faut bien considérer que pour devenir une vraie juridiction constitutionnelle susceptible de défendre les droits et libertés contre le pouvoir dont le président de la République est le premier acteur, il faudra bien plus qu’une discussion sur les modalités du recrutement de cette juridiction. Il faudra même bien plus qu’une amélioration progressive et vertueuse de la juridictionnalisation du Conseil constitutionnel et un développement de ses mécanismes de contrôle de constitutionnalité a priori et a posteriori sur lesquels peut jouer plus ou moins fortement le Chef de l’État en action. Plus loin que ces vertueuses interrogations et les utiles améliorations apportées aux mécanismes de contrôle de constitutionnalité, il faudra s’en remettre à une réflexion profonde du régime de la Ve République et sa supposée nature démocratique. Si, au-delà de l’électionnisme sur lequel il repose théoriquement et le retour au peuple qu’il revendiquait contre ses dérives dites ultra-représentatives, le gouvernement représentatif supposerait encore dans son visage moderne une société composée de citoyens porteurs de droits dont le juge constitutionnel serait le gardien contre les manifestations liberticides du pouvoir de l’État voire de la société elle-même à leur endroit, il faudra bien admettre avec Jean-Marie Denquin que la démocratie demeure un régime inconnu en France68. Concrètement, il faut bien considérer que ce que nous appelons démocratie reste un régime régi par un gouvernement représentatif au sein duquel l’appréciation des libertés demeure l’apanage d’un pouvoir d’État auquel participent plusieurs organes, dont le Conseil constitutionnel.
45Maurice Hauriou soulignait, cela a été rappelé lors de ce colloque, que le Conseil d’État était l’« âme de l’État ». Il conviendrait donc que le Conseil constitutionnel s’émancipe sociologiquement, politiquement, culturellement d’une posture d’imitation du Conseil d’État qui demeure l’indispensable garant du bon processus d’institutionnalisation du pouvoir de l’État par le droit en s’assurant que les organes gouvernementaux et leurs administrations décident conformément à des règles et des principes juridiques. Une seule âme suffit à l’État, de sorte qu’il n’est nul besoin que le Conseil constitutionnel embrasse la même fonction, certes un degré plus haut dans la hiérarchie des normes. Afin de répondre à la mission de protection des droits que revendique légitimement une société démocratique, mission pourtant hautement proclamée par les juges constitutionnels eux-mêmes, et de devenir le défenseur des droits des citoyens contre le pouvoir, le Conseil constitutionnel doit relever un nouveau défi : devenir, pour suivre l’image de Maurice Hauriou, l’« âme de la société », afin d’offrir aux citoyens une séparation des pouvoirs respectueuse de leurs libertés, et leur donner ainsi la Constitution qu’ils méritent. C’est par-là peut-être qu’il pourrait participer efficacement à la garantir des premiers droits politiques sur lesquels s’épanouit une société démocratique, certes avec le soutien de l’État, mais si besoin est, contre l’État lui-même lorsque ses actions peuvent mortellement les blesser au plan subjectif surtout69. Faut-il rappeler que c’est d’abord là que se manifeste avec la plus grande force l’injustice puisqu’une situation de droit subjective se trouve renversée par une atteinte perpétrée par la loi « expression de la volonté générale » à l’égard des premiers droits reconnus dans une société politique bien réglée ? Tel est l’enjeu du droit constitutionnel d’aujourd’hui. Tant que cette transformation ne sera pas réalisée dans notre constitutionnalisme, la fonction de gardien des droits restera « impensable70 » pour le Conseil constitutionnel.
46Comme le disait le doyen Vedel en 1982 à propos de la décision relative aux nationalisations, il demeurera un « juge fragile »71, toujours menacé par une puissance présidentielle qui maîtrise son destin.
Notes de bas de page
1 Art. 56 al. 2 C. 58 : « En sus des neuf membres prévus ci-dessus, font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel les anciens présidents de la République ».
2 La réunion au sein du noble aréopage, notent les commentateurs des grandes délibérations du Conseil constitutionnel, « d’un petit groupe de personnalité d’origine professionnelle différente » favoriserait selon leur expression « une liberté d’expression propre à l’élaboration de décisions équilibrées » ; in B. Mathieu, J.-P. Machelon, F. Melin-Soucramanien, D. Rousseau, X. Philippe (dir.), Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel, 1958-1986, Dalloz, 2e édition, 2014, p. 16.
3 A. Esmein : « Deux formes de gouvernement », RDP, 1894, no 1, p. 15 sq.
4 Comme le rappelle l’ancien président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré lui-même : « Introduction : 25 ans de délibérations, ouverture des archives du Conseil », Cahiers du Conseil constitutionnel, hors-série, 2009.
5 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, LGDJ, 11e édition, 2016, p. 37-38.
6 Loi constitutionnelle no 74-904 du 29 oct. 1974 portant révision de l’art. 61 C. 58.
7 Loi constitutionnelle no 2008-724 du 23 juillet 2008 relative à la modernisation des institutions de la Ve République.
8 Propositions pour une révision de la Constitution : rapport au président de la République, Comité consultatif pour une révision de la Constitution présidé par le doyen G. Vedel, 15 fév. 1993, La Documentation Française. Le comité proposait déjà un nouvel article 61-1 dans le cadre de propositions constitutionnelles visant à répondre à un souci de « protection efficace des droits de la personne », et de développement de l’« initiative accrue du citoyen » dans le but de renforcer la démocratie et l’État de droit.
9 J. Massot, L’arbitre et le capitaine ; Essai sur la responsabilité présidentielle, Flammarion, 1987.
10 O. Beaud, « L’histoire du concept de constitution en France. De la Constitution politique à la Constitution comme statut juridique de l’État », in Jus Politicum, no 3, Autour de la notion de Constitution, 2009 ; http://juspoliticum.com/L-histoire-du-concept-de.html
11 Comme le souligne E. Zoller, en France, « aucune idée n’est plus étrangère à l’esprit républicain que celle de pouvoir limité », Introduction au droit public, Précis Dalloz, 2e édition, 2013, p. 205.
12 D. Rousseau, « De quoi le Conseil constitutionnel est-il le nom ? », in Le Conseil constitutionnel, gardien des libertés publiques ?, Jus Politicum, no 7, p. 2. http://juspoliticum.com/De-quoi-le-Conseil-constitutionnel.html.
13 Ibid., p. 2.
14 R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, Sirey, 1920, t. 1, § 694 sq.
15 C’est-à-dire un organe juridictionnel qui, en plus d’appliquer la loi exclusivement, est compétent pour la discuter : cf. M. Troper, « Séparation des pouvoirs », in Dictionnaire Montesquieu, § 6-7, 2005. http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/fr/article/1376427308/fr.
16 Saisine du Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 61 C. 58 par le président de la République François Hollande relative au projet de loi sur le renseignement. Cette saisine donnera lieu à la décision no 2015-713 DC du 23 juillet 2015 « Loi sur le renseignement ». Précisons que le Conseil constitutionnel fut d’abord saisi par le président du Sénat, ensuite par le président de la République et enfin par une minorité parlementaire.
17 Dans sa lettre de saisine adressée au Conseil constitutionnel le 25 juin 2015, président de la République conclut sa demande par des formules qui illustrent particulièrement bien la démonstration : « En tant que président de la République, il m’appartient de veiller au respect de la Constitution. Je suis le garant de l’indépendance nationale et j’assure la continuité de l’État. J’ai donc estimé que, s’agissant d’une loi aussi importante pour notre République, il est de ma responsabilité de saisir le Conseil constitutionnel. Ainsi, j’ai l’honneur, en application du deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de déférer au Conseil constitutionnel la loi relative au renseignement, afin qu’il examine, au regard du droit au respect de la vie privée, de la liberté de communication et du droit à un recours au juridictionnel effectif, les articles L. 773-2 à L. 773-7, L. 811-3, L. 821-5, L. 821-5-1, L. 821-5-2, L. 822-2, L. 841-1, L. 851-4, L. 851-6 et L. 851-7 du code de la sécurité intérieure, ainsi que le 1 bis de l’article L. 852-1 et les articles L. 853-1 à L. 853-3 du même code ».
18 J. Benetti : « Existe-t-il deux gardiens de la Constitution ? Les fonctions d’arbitre du président de la République et du juge constitutionnel », in Le régime représentatif à l’épreuve de la justice constitutionnelle, Lextenso, coll° Grands colloques, 2016.
19 P. Brunet : « Le juge constitutionnel est-il un juge comme les autres ? », in La notion de justice constitutionnelle, Dalloz, 2005.
20 Art. 2 de l’ordonnance no 58-1067 du 7 nov. 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.
21 Certes, cette modification a été critiquée par d’aucuns qui voient en elle une nouvelle « loi chinoise » en raison de sa complexité. Voir en ce sens, O. Gohin, Droit constitutionnel, Lextenso, 2010, p. 1260.
22 Dans le projet, c’était les Assemblées qui devaient élire les futurs juges constitutionnels à une majorité qualifiée. Dans le même sens, le président du Conseil devait être élu par ses pairs.
23 L’art. 56 C. 58 dispose en effet que les commissions des assemblées sont compétentes pour la nomination effectuée par le président de l’Assemblée correspondante. A contrario, cette disposition tend à démontrer que les membres nommés par le président de la République échapperaient à cette procédure. Dans les faits, le dernier membre nommé par le président de la République, Mme Nicole Maestracci par exemple, nommée en février 2013, a fait l’objet d’un avis par la commission des lois du Sénat.
24 O. Jouanjan, La notion de justice constitutionnelle, Dalloz, 2005.
25 Selon la formule de D. Rousseau dans Sur le Conseil constitutionnel : la doctrine Badinter et la démocratie, Descartes & Cie, 1997.
26 G. Carcassonne et M. Guillaume, La Constitution, Points, Coll. « Essais », 12e éd., 2014.
27 A. Le Divellec : Le gouvernement parlementaire en Allemagne. Contribution à une théorie générale, Paris, LGDJ, 2004 ; dans le même sens, voir encore, du même auteur, « Propositions pour l’analyse doctrinale des régimes parlementaires », Congrès de l’AFDC, des 25-27 septembre 2008, Paris, Atelier no 6, p. 2, site ADFC : http://ww.droitconstitutionnel.org.
28 Exception ou évolution ? Telle pourrait être la question que l’on est en droit de se poser devant cette première saisine présidentielle sur le fondement de l’article 61 C. 58. L’avenir nous le dira, même si la logique du système de la Ve République nous incline ici à penser que cette saisine fera figure d’exception, où à tout le moins, si elle venait à se répéter, de nouvelle arme stratégique du Président dans un subtil jeu de répartition des rôles entre les pouvoirs constitués – gouvernement, Parlement et Conseil constitutionnel – dont il reste concrètement... le maître !
29 Notons que la 1re saisine sur le fondement de l’article 61 C. 58 émane du président de l’Assemblée nationale : Cons, const. no 59-1 DC, Élection des membres de la Plaute Cour de Justice. Mais de manière générale ensuite, ni la grande décision no 71-44 DC du 16 juillet 1971 relative à la liberté d’association (saisine du président du Sénat), ni aucune autre grandes décisions, à l’instar de la décision no 343-344 DC du 27 juillet 1994 « Bioéthique », n’a été inspirée par une saisine présidentielle.
30 En ce sens d’ailleurs, le Conseil constitutionnel déduit de manière « prétorienne et nouvelle » comme le souligne M. Verpeaux, « que le secret de la défense nationale participe de la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, au nombre desquels figurent l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire ». Or la « fondamentalité » d’un tel principe ne figure dans aucune disposition constitutionnelle expresse ; in « La loi sur le renseignement, entre sécurité et liberté ; à propos de la décision du Conseil constitutionnel no 2015-713 DC du 23 juillet 2015 », La semaine juridique, Ed° G., no 38, 14 septembre 2015, p. 981
31 La 1re décision à avoir été rendue en période de cohabitation concernait une liberté importante, le régime de la liberté de la presse : Cons, const. no 86-210 DC du 29 juillet 1986 relative au régime juridique de la presse. Le Conseil constitutionnel fut ici saisi par la minorité parlementaire d’opposition (soit le parti du président de la République en exercice alors).
32 Sur ce fondement en effet, il peut arriver très exceptionnellement que le président de la République saisisse le Conseil constitutionnel pour s’assurer de la conformité à la Constitution d’un engagement international qui nécessiterait dans le cas contraire une révision de la Constitution. Tel fut le cas récemment de la saisine du président de la République relative au traité de stabilité monétaire qui a donné lieu à la décision no 2012-653 DC.
33 Soulignons d’ailleurs que si le profil professionnel de quelques-uns des membres peut faire fléchir la tendance lourde évoquée dans cette étude, les membres demeurent tous des proches au plan politique de l’autorité de nomination. Il en va ainsi par exemple, toujours au sujet des nominations par le général de Gaulle, de Maurice Patin, magistrat, ou de Marcel Waline, professeur de droit, notamment opposé aux lois de Vichy et grand gaulliste.
34 L’influence du Conseil d’État se manifeste également avec force dans la nomination par le président de la République des secrétaires généraux du Conseil constitutionnel, puisque sauf à l’exception de B. Poullain, tous les secrétaires généraux, de Jacques Boitraud à Laurent Vallée sont issus de cette institution.
35 Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 23.
36 Ibid., p. 25.
37 D’après la formule de Charles Eisenmann reprise par P. Wachsmann dans « Sur la composition du Conseil constitutionnel », Mutation ou crépuscule des libertés publiques ?, Jus Politician, no 5, 2010, p. 8. http ://juspoliticum.com/Sur-lacomposition-du-Conseil.html
38 Nommé membre du Conseil constitutionnel par René Monory alors président du Sénat le 3 janvier 1997, Yves Guena a été nommé président du Conseil constitutionnel par Jacques Chirac, à l’issue de la démission de Roland Dumas en 2000, lui-même nommé président du Conseil constitutionnel par François Mitterrand en 1995.
39 Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 127.
40 D. Rousseau, Sur le Conseil constitutionnel, La doctrine Badinter et la démocratie, op. cit., p. 67.
41 Comme le souligne P. Wachsmann, l’analyse des nominations présidentielles démontrait à l’origine surtout, « on ne peut plus clairement, que l’institution n’était pas conçue comme une juridiction chargée d’imposer au Parlement le respect du droit, mais bien comme un organe destiné à relayer les desiderata de l’exécutif ». « Sur la composition du Conseil constitutionnel », op. cit., p. 5.
42 O. Beaud et P. Wachsmann, « Ouverture », Jus Politicum, no 7, http://juspoliticum.com/Ouverture.html.
43 René Coty oscille entre le refus de considérer le Conseil comme une juridiction en 1960 et de le reconnaître comme une vraie Cour suprême, et l’affirmation selon laquelle « nous sommes des juges » en 1962. Vincent Auriol lui militait pour le développement du pouvoir d’influence politique du Conseil constitutionnel. S’opposant à Coty sur ce point, il suggéra que le Conseil constitutionnel puisse bénéficier d’une compétence d’auto-saisine, totalement contraire aux exigences de neutralité et d’impartialité exigée à une juridiction, en sa qualité de tiers pouvoir. Ne militant pas dans le sens de la juridictionnalisation du Conseil, René Coty, avec d’autres il est vrai, proposa dès les années 1959-1960, anticipant la jurisprudence « Blocage des prix », que seul le président puisse saisir le Conseil constitutionnel en vertu de l’article 61 C. 58 afin de se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi aux articles 34 et 37. Voir Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 43-47.
44 Déjà le Rapport du 29 oct. 2007, Une République plus démocratique, proposait la suppression des membres de droit. Cette suppression a été reprise dans le quatrième projet de loi de révision constitutionnelle relatif à l’exercice des fonctions gouvernementales et à la composition du Conseil constitutionnel, la suppression des membres de droit a été adoptée lors du Conseil des ministres du 15 mars 2015.
45 Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 22.
46 Cons. const. no 2013-156 PDR du 4 juillet 2013.
47 Décision prise sur le fondement de l’article 3-III al. 3 de la loi du 3 nov. 1962 relative à l’élection du président de la République, et sur la base d’un recours de pleine juridiction.
48 La question qui se pose en effet est celle de savoir si les membres de droit peuvent démissionner en l’état du texte constitutionnel comme les membres nommés en vertu de l’article 9 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958 – dont la rédaction exclut les membres de droit. Aucune démission d’office n’a été prononcée par le Conseil au titre de l’article 10 de la même ordonnance, disposition ne concernant que les membres nommés une fois encore.
49 Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 27.
50 Le Monde, 19 mai 2012.
51 Il peut être ironique de souligner que la désignation d’une juridiction compétente pour exercer un contrôle juridictionnel des premières décisions politiques, relève d’une catégorie d’actes jouissant d’une immunité juridictionnelle.
52 Voir le nouvel art. L. 121-1 CJA qui fait du Vice-président du Conseil d’État nommé discrétionnairement par le président de la République, le Président de la haute juridiction administrative : cf. P. Gonod, La refondation de la justice administrative, Dalloz, 2014, p. 61.
53 C’est bien ce qu’apprendra le président du Conseil constitutionnel en 1993 qui ne sera pas « défendu » par le président de la République ; D. Rousseau : Sur le Conseil constitutionnel, La doctrine Badinter et la démocratie, op. cit., p. 83.
54 Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 20.
55 Il s’agit là d’une condition établie pourtant par plusieurs autres Constitutions européennes comme en Allemagne, Autriche, Espagne, ou en Italie par exemple : voir ici L. Favoreu et W. Mastor, Les Cours constitutionnelles, Dalloz, 2014, p. 21.
56 Cf. ordonnance du 4 février 1959 : Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 20.
57 Ibidem, p. 29.
58 Ibidem, p. 8 et 42.
59 Cette influence se manifeste aussi dans d’autres domaines. Pour Auriol et Coty par exemple, c’était leur tropisme parlementaire plus que le juridisme qui les poussa à militer pour l’intégration d’un droit de résolution parlementaire en faveur des chambres dans le cadre du vote des règlements des assemblées. Cf. séances des 17, 18, et 24 juin 1959, Ibidem, p. 40.
60 P. Pasquino.
61 Comme le souligne Patrick Wachsmann : « À utiliser les nominations au Conseil constitutionnel pour assurer à certains hommes politiques des fins de carrière prestigieuses, prime au ralliement comprise, on révèle jusqu’à la caricature l’incompatibilité absolue entre l’article 56 de la Constitution et une authentique justice constitutionnelle. Jusqu’à la caricature : on avoue avoir cru à une rumeur malveillante lorsqu’on commença d’évoquer dans les médias le trio Charasse, Barrot, Haenel, tant leur champ de compétences était étranger aux « droits et libertés que la Constitution garantit » », Jus Politcum, no 5, op. cit., p. 10.
62 Art. 56 al. 3 C. 58 : « Le président est nommé par le président de la République. Il a voix prépondérante en cas de partage ».
63 A. Hauriou, « Réflexions sur les statuts épistémologiques respectifs du pouvoir et de la liberté », RDP, 1974, no 4, p. 644-645.
64 M. Verpeaux, « La loi sur le renseignement... », op. cit., p. 981.
65 D’ailleurs Léon Noël restera un conseiller de Gaulle même en sa qualité de président du Conseil constitutionnel dont il approuvera les vues en matière d’application de l’article 16 C. 58, Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 25.
66 J. Benetti, « Existe-t-il deux gardiens de la Constitution ? Les fonctions d’arbitre du président de la République et du juge constitutionnel », in Le régime représentatif à l’épreuve de la justice constitutionnelle, Lextenso, coll. « Grands colloques », 2016, préc.
67 Cons, const. no 76-71 DC du 30 déc. 1976, « Décision du Conseil des communautés européennes relative à l’élection de l’Assemblée des Communautés au suffrage universel direct », § 6 ; voir G. Carcassonne et M. Guillaume, La Constitution, Points, « Coll. Essais », op. cit., p. 47.
68 J.-M. Denquin, « Que veut-on dire par « démocratie » ? L’essence, la démocratie et la justice constitutionnelle », Jus Politicum, no 2, http://juspoliticum.com/Que-veut-on-dire-par-democratie.html
69 « L’État est le fonctionnaire de la société, non la société elle-même », comme le souligne F. Rouvillois, Droit constitutionnel 1, Champs Université, 3e éd., 2013, p. 29.
70 D. Rousseau, « De quoi le Conseil constitutionnel est-il le nom ? », Jus Politicum, no 7, préc.
71 Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 7.
Auteur
Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou.
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