Chapitre V. Salonique sans les anciens Saloniciens : une régénération démographique complète
p. 97-121
Texte intégral
1Vidée en cette première moitié de siècle de ses anciens occupants Musulmans, Slaves et Juifs, Salonique est une ville moribonde, une capitale fantôme. Comment la métropole macédonienne a-t-elle pu éviter la déchéance à laquelle elle paraissait condamnée par le départ massif de ses habitants séculaires ? Une hémorragie démographique avait déjà précédé et accompagné la chute de la ville au début du xve siècle face aux troupes de Murad II. La renaissance n’avait été assurée que par l’immigration massive et forcée de populations musulmanes, et surtout par l’installation des Juifs séfarades. Devait-on s’attendre au même type de scénario ?
2Les quarante mille Grecs présents au début du siècle auraient pu servir de substrat à une recomposition lente du tissu humain défait. Le salut est venu d’ailleurs. La ville a subi une régénération complète de ses éléments. Une très faible minorité de Saloniciens peuvent prétendre à l’heure actuelle à une ascendance locale qui dépasse trois générations. L’hellénisation – ou la « réhellénisation » – de la métropole est le fruit de l’intégration et de l’installation d’un très grand nombre de migrants. Son aire d’attraction balkanique traditionnelle s’est ainsi étendue à des territoires plus lointains, avant de se refermer tout aussi brusquement sur un espace régional hermétique. L’épisode de la Catastrophe d’Asie Mineure n’est qu’une étape au regard de ce processus d’expansion, puis de réduction, du recrutement.
De l’utilité des registres matrimoniaux
3L’origine géographique diversifiée des Saloniciens se reflète dans les grands mouvements migratoires qui jalonnent l’histoire de la cité depuis sa libération. La détermination de cette provenance est apparue comme une nécessité d’autant plus grande que les renseignements fournis par l’ESYE sont en la matière indirects et partiels. Les recensements ont en outre le défaut de n’apporter que peu de précisions sur les caractéristiques structurelles de la population communale (emploi, comportement démographique...). Afin de combler ces lacunes, les documents déposés dans les différents services municipaux de l’agglomération, au premier rang desquels figurent les dimotologia1, ont retenu notre attention.
4De nombreux géographes ont eu recours aux registres de citoyenneté. Il ne m’a malheureusement pas été permis d’accéder aux archives de la mairie de Salonique. Mes démarches se sont heurtées à une obstruction systématique, d’autant plus étonnante que mes visites successives au bureau du dimotologio m’ont fait découvrir que les étudiants grecs avaient effectivement accès aux registres. Cette résistance pugnace a pourtant tourné à mon avantage.
5L’étude des dimotologia se heurte à une difficulté essentielle : nombre de personnes résidant sur le sol d’une commune restent inscrits sur les registres de citoyenneté de leur village d’origine, où ils se déplacent pour voter à chaque nouvelle échéance électorale. Ce phénomène, très répandu et bien connu, reste toutefois mal quantifié. Combien de résidents urbains sont-ils inscrits sur les registres de municipalités rurales ? Cette stratégie de transferts rend malaisée toute approche statistique, et impossible la connaissance réelle des caractéristiques de la population résidant dans une grande ville. L’exploitation du dimotologio rural, avec l’aide du secrétaire de mairie, est souvent fructueuse. Elle est irréalisable en milieu urbain.
6Pour pallier ces inconvénients, les registres des lixiarchia2 constituent une solution intéressante. Les actes d’état civil sont en effet sans rapport direct avec le dimotologio, même s’ils sont nécessairement reportés et référencés sur les fiches familiales (οικογενειακή μερίδα). Le lieu de mariage est au libre choix des conjoints, tandis que le vote s’effectue obligatoirement dans la commune d’inscription au dimotologio. En outre, les actes de naissance et de décès sont de nos jours étroitement liés aux structures hospitalières urbaines : ces documents ne peuvent donc pas renseigner correctement sur la population locale. Les actes de mariage échappent en partie à ce travers. Les unions sont plus fréquemment conclues dans la commune de résidence, phénomène qui induit une représentativité supérieure des échantillons. Les paysans des campagnes macédoniennes se déplacent très exceptionnellement en ville pour convoler en justes noces3. Et la probabilité qu’un citadin aille se marier dans son village d’origine est inférieure à celle de son inscription sur le registre de citoyenneté de ce même village.
7Utiliser le dimotologio pour tenter de cerner les changements de résidence à l’intérieur de l’agglomération de Salonique serait de plus une gageure. Les transferts de registre (μεταδημότευση) sont déjà peu fréquents entre ville et village, ils le sont encore moins entre les différentes communes d’une même agglomération. Les mouvements migratoires internes, les phénomènes de redistribution centre-périphérie, échappent totalement à ce type d’approche.
8Si les registres de la mairie de Salonique suffisent dans le premier quart de ce siècle pour obtenir une image exacte de la population urbaine, la prise en compte d’un nombre croissant de municipalités va de pair avec l’extension de l’agglomération. Les premiers résidents des banlieues ont subi les effets d’une forte attraction de la commune-centre. La mise en place progressive de structures administratives subsidiaires, en périphérie, a contribué à une délocalisation des démarches, qui s’effectuaient traditionnellement dans les bureaux centraux des rues Egnatia et Mitropoleos.
9Le mariage civil a été instauré en 1982. Avant cette date, seul était légal l’hymen religieux. Désormais, les mairies doivent tenir à jour un volume spécifique rapportant les unions civiles (πολίτικος γάμος). Leur nombre extrêmement réduit m’a convaincu de les négliger sur le plan statistique. Pour les conjoints qui se sont unis religieusement et civilement, seul le premier mariage est pris en compte.
10Afin de couvrir l’ensemble de l’agglomération, et devant l’impossibilité évidente de recourir aux quinze lixiarchia qui la constituent, cinq communes types ont été sélectionnées : Salonique, bien sûr, ainsi que Kalamaria et Panorama au sud, Polichni et Menemeni au nord. Les deux municipalités méridionales offrent un profil socio-économique élevé, tandis que les deux autres sont d’allure plus modeste, les quartiers les plus pauvres se trouvant sur le territoire de Menemeni. Ces cinq entités couvrent donc une telle panoplie de situations, que l’étude cumulée de leurs lixiarchia peut être considérée comme représentative de l’agglomération entière.
11À cette sélection sur critères socio-géographiques est venu s’ajouter un choix chronologique. L’intervalle de trente ans a été retenu, en prenant comme point de départ la période actuelle. Les débuts des années 1990, 1960 et 1930 correspondent à trois grandes étapes de l’histoire contemporaine de la métropole : la formation d’une région urbaine, l’exode rural, et la Catastrophe d’Asie Mineure. À ces trois phases est venue s’ajouter, uniquement pour la commune de Salonique, l’année 1915, qui marque le début de la constitution du lixiarchio de la ville, trois ans après la Libération.
12À intervalles réguliers, le xxe siècle est ainsi quasiment couvert dans son ensemble. Les données recueillies sont d’une exceptionnelle stabilité. Elles permettent d’illustrer les étapes chronologiques de la formation d’une aire d’attraction, à l’échelle nationale et internationale. Les échantillons ont été désignés pour s’accorder avec les années de recensement de la population, afin de pouvoir établir une éventuelle comparaison statistique.
13Dans la commune de Salonique, le volume des registres a porté l’échantillonnage à 10 % des actes classés chaque année, à l’exception de 1915, où cette valeur a été portée à 20 %. Les communes périphériques ont été traitées de manière légèrement différente. La moindre ampleur des données a autorisé un traitement global (100 % des cas). Lorsque celles-ci étaient trop peu nombreuses, la recherche a été étendue aux années connexes, afin d’obtenir une image plus complète de la situation, quitte à sacrifier la cohérence chronologique dans des limites raisonnables. D’ailleurs, ces communes sont bien plus jeunes que celle de Salonique. Créées pour la plupart dans les années 1930, il faut quérir les premières années de fonctionnement de leur état civil pour arriver à établir un lien chronologique avec la commune de Salonique (1928). Les registres de Polichni débutent seulement en 1944 ; l’intégration dans le champ d’étude des années 1930 a donc ici été impossible.
14Au total, 2 276 actes de mariage ont été dépouillés. Chaque document se présente sous l’aspect d’un formulaire à cases, que les employés municipaux doivent compléter manuellement. Leurs forme et contenu ont été légèrement modifiés au cours du siècle, mais varient peu entre les communes. En 1991, l’acte indique le nom du marié, sa profession, ses lieu et année de naissance, son adresse de résidence, la localité et le numéro d’inscription au dimotologio, sa filiation, le nombre de mariages qu’il a déjà contractés. Suivent les mêmes renseignements pour l’épouse.
15Les imprimés de 1928 et 1961 sont quelque peu différents : le nom du pope, le lieu de la cérémonie et de l’inscription au dimotologio sont omis, tandis que les profession et adresse des parents de chacun des conjoints sont ajoutées. Les actes de 1915 ont la spécificité d’indiquer le nom de l’officiant (pope, rabbin ou imam) et le lieu de la cérémonie, sans mentionner la religion des conjoints. Ils incluent également le nom, la profession et l’adresse des témoins.
16On a systématiquement retenu le lieu de naissance et de résidence, ainsi que la religion (1915 et tournant des années 1930). Les mariages les plus récents ont fait l’objet d’un examen approfondi, en raison des indications plus exhaustives qui y sont rapportées. Pour les années 1990, la date de naissance, la profession, le dimotologio d’inscription et le nombre de mariages contractés par les conjoints ont également été relevés.
17L’opération la plus longue a consisté à identifier les lieux de naissance, en particulier à l’étranger. Les anciennes appellations toponymiques, où noms grecs, turcs et slaves se mêlent, faisant référence à des petites localités d’Asie Mineure, du Caucase ou de Bulgarie, ont dû être classées dans les nomenclatures administratives nationales actuelles. Seul un nombre réduit de sites n’ont finalement pu être identifiés. Ce travail a été facilité par l’amabilité du personnel des lixiarchia.
18Les données fournies par les actes les plus récents permettent de vérifier immédiatement et avec précision la représentativité des informations. Parmi les 2 078 conjoints recensés en 1990-1993, sur tous les sites retenus, seuls 790 (38 %) résident effectivement dans la même commune que celle de leur inscription au dimotologio. Ce seul chiffre montre à quel point l’étude des registres de citoyenneté aurait été vaine. Deux tiers des votants vivent hors de leur lieu d’inscription. Une remarque modère toutefois ce schéma extrême : à défaut de la commune précise de résidence, nombre de Saloniciens sont immatriculés dans les municipalités périphériques.
19L’inscription au dimotologio semble autant liée au lieu de naissance qu’à la résidence. L’attachement des migrants ruraux à leurs villages d’origine, desservis à chaque nouvelle échéance électorale par les autobus d’État mis à la disposition des citadins, trouve ici une manifestation officielle. En outre, seuls 57 % des époux habitent dans le département de leur naissance : la population urbaine est ainsi à peine stabilisée au début des années 1990, ce qui entraîne un retard structurel au niveau administratif.
20La valeur des actes de mariage ne s’établit pas qu’au regard des lacunes du dimotologio : la comparaison avec le lieu de résidence donne des résultats plus que satisfaisants ; 54 à 77 % des conjoints ont convolé en justes noces dans la municipalité de leur domicile, le plus fort pourcentage étant détenu par la commune même de Salonique. La représentativité des lixiarchia est forte, même si les Saloniciens préfèrent fondamentalement se marier dans l’une des somptueuses églises byzantines du centre-ville – le monastère des Vlatades est de ce point de vue très prisé –, plutôt que de célébrer l’événement dans des édifices religieux modernes de la périphérie.
Origine géographique des nouveaux Saloniciens : horizons proches et lointains
21L’aire de recrutement de Salonique s’est nettement refermée au cours du siècle sur le territoire national grec, après s’être étendue sur des contrées beaucoup plus lointaines. Les années 1990 semblent toutefois avoir amorcé un nouveau tournant : des étrangers foulent à nouveau le sol macédonien. Salonique renoue en partie avec les anciens courants migratoires qui ont constitué ses strates démographiques successives et se retrouve au centre d’un réseau qui dépasse par ses dimensions le cadre de la diaspora hellénique.
22Au début des années 1990, 87 % des conjoints recensés étaient nés en Grèce, contre 91 % en 1961 et 30 % en 1928. Ces chiffres traduisent une réalité multiple. Si 69 % des conjoints mariés en 1915 sont nés sur le territoire grec (limites actuelles), la population locale est encore à l’époque nettement marquée par son hétérogénéité ethno-confessionnelle, tandis que les 87 % récemment comptabilisés sont presque exclusivement des Grecs orthodoxes. L’apogée du recrutement national de Salonique coïncide avec les années 1960 : l’élément juif a été physiquement éliminé, et l’exode rural ne tarit point pour apporter du sang neuf à la capitale macédonienne, au moment où la fermeture des frontières atteint son niveau maximal. La situation la plus étonnante émerge au tournant des années 1930 : à cette date, près de 70 % des Saloniciens sont nés à l’étranger. La ville a subi un renouvellement quasi complet de ses composantes à partir d’une souche immigrée.
23Les résultats du recensement de 1928 permettent de conclure cette analyse. À cette date, selon l’ESYE, près de la moitié des Saloniciens sont nés à l’étranger, et un tiers à peine ont vu le jour dans la ville même. Si l’on exclut les Israélites (23 %), les Grecs natifs de la cité ne dépassent pas 12 à 13 % des effectifs. La part des autres nomes de Macédoine (5 %) et du reste de la Grèce (8 %) est consistante, et suppose des mouvements migratoires convergents vers la métropole4.
24Le recrutement de la population de Salonique a ainsi été marqué au cours du siècle par deux phases d’attraction, exogène puis endogène, la Seconde Guerre mondiale constituant une rupture chronologique essentielle. Entre ouverture et fermeture, la métropole a accueilli des Grecs de tous horizons, en même temps que disparaissaient parmi ses habitants, les éléments autochtones des autres confessions.
Les conjoints nés en Grèce : un contrepoids à l’attraction athénienne
25Parmi les 1 816 conjoints mariés en Grèce au début des années 1990, 1 136 (63 %) sont originaires du nome de Salonique (planche 36). Seules quelques éparchies de Crète orientale, des Cyclades, du Péloponnèse central et sud-oriental, de la bordure nord du golfe de Corinthe, et des Sporades, toutes régions placées sous la tutelle directe d’Athènes, échappent à l’influence salonicienne.
26Son bassin de recrutement s’étend à un bon tiers du territoire hellénique et englobe la totalité de la Grèce du nord (Macédoine-Thrace), plus une partie de la Thessalie. Les présomptions formulées à partir des données du mouvement migratoire sont confirmées sans ambiguïté. La Macédoine occidentale semble vivre en prise directe avec Salonique, tandis que la Macédoine orientale et la Thrace conservent une relative autonomie. L’éparchie de Serres fournit 53 conjoints. Elle devance Athènes (46) et Drama (45), en troisième et quatrième position respectivement. Le flux migratoire entre les deux grandes métropoles nationales concrétise des relations organiques, et reflète le tarissement de l’exode rural au profit des migrations interurbaines.
27La situation était approximativement identique au début des années 1960, à quelques nuances près. La zone de recrutement était, semble-t-il, davantage restreinte à la Macédoine, et seuls 47 % des conjoints étaient originaires du nome de Salonique. L’attraction exercée par Athènes est tellement forte à cette époque d’exode rural massif qu’elle va même s’étendre jusqu’en Thrace. La Macédoine orientale n’est plus le principal creuset migratoire. Elle est relayée par la Macédoine centrale : l’éparchie de Kilkis fournit à elle seule 96 des 1 347 conjoints, suivie par celle de Langada (61 personnes). Des quartiers entiers de la métropole sont colonisés par la ribambelle des agriculteurs du bas Vardar. La ville de Kilkis, privée de toute autonomie ou possibilité de développement, pâtira longuement de cet exode. Salonique aspire ses campagnes environnantes, avant de « vampiriser » celles, plus éloignées, de Macédoine occidentale et orientale.
28Le cadre de l’emprise territoriale salonicienne change considérablement au tournant des années 1930 ; les personnes nées en Grèce sont très peu nombreuses au sein de la population citadine (planche 35). L’enracinement des habitants s’est accentué : 58 % des résidents sont des Saloniciens de souche, qui cohabitent avec les ruraux macédoniens et thraces, mais aussi avec des Grecs originaires d’Épire, de Grèce centrale (Magnésie, Fthiotida, Eubée), de Lesbos, des Cyclades, et enfin de Crète. La cité recrute ses migrants dans une aire d’influence beaucoup plus vaste, et non dans son immédiat voisinage. Au lendemain de l’intégration, la ville libérée a attiré des citoyens de la vieille Grèce, mouvement migratoire mineur qui n’a pu changer la donne démographique locale. Les fonctionnaires, agents administratifs divers et employés de l’État, formaient probablement l’essentiel de ces nouveaux effectifs.
29La mainmise de Salonique a considérablement évolué avec le temps, sans pour autant se réduire à une portion congrue, ou à un territoire relégué par la toute-puissance athénienne. La lecture des documents doit tenir compte d’un décalage temporel : les époux unis au début des années 1930 sont nés dans la première décennie du siècle, alors que la Macédoine était encore sous domination ottomane. La carte des années 1930, comme les précédentes, fournit donc une image rétrospective décalée, mais significative des mouvements migratoires survenus immédiatement après la libération de Salonique en 1912. Les caractéristiques d’une migration de « colonisation spontanée » se trouvent réunies : elles expliquent la surreprésentation des éléments insulaires, qui étaient à l’époque les plus disposés à la mobilité. Je n’ai relevé aucun natif athénien. L’intégration de l’agglomération dans le giron national a fait appel à des processus d’accaparement territorial autres que démographiques – notamment économique et juridique. La capitale nationale n’a suscité aucune initiative de délocalisation massive de population. Il est probable qu’une partie des insulaires aient transité par Athènes-Le Pirée, centre d’attraction quasi exclusif de l’É-gée. Salonique devient en quelque sorte grecque par délégation.
30Les limites quantitatives de l’échantillon de 1915, tiré de la seule commune de Salonique, ne nuisent que très légèrement à la lisibilité des résultats. Les trois quarts (76 %) des conjoints sont nés dans le département. La stabilité de la population est remarquable. Comment pourrait-il en être autrement, alors que quelques années plus tôt la Grèce du nord tout entière relevait encore d’Istanbul ? La Thrace ne sera intégrée qu’en 1920. Les Grecs « libres » sont peu enclins à franchir la frontière pour venir s’installer en Macédoine ottomane. Ces chiffres, qui se rapportent à des naissances globalement survenues à la fin du xixe siècle, traduisent la réalité de frontières quasi hermétiques. Si Crétois et Cycladiens apparaissent déjà, leur installation est en revanche très récente. A contrario, les conjoints nés en Thrace, en Chalcidique et dans les nomes de Serres et de Naousa, prouvent la continuité de l’aire d’influence sur les régions du nord de l’Égée, dans le cadre de la mobilité limitée des dernières années de la Turcocratie.
31L’intégration de Salonique à l’Hellade n’ouvre pas immédiatement la ville à un flux migratoire national. Coupée de ses bases arrières par les nouvelles frontières, l’agglomération serait entrée dans une phase de déclin démographique inexorable, si les réfugiés n’étaient venus remplacer les éléments musulmans « échangés ». Paradoxalement, le cloisonnement géographique s’accompagne d’une recrudescence des déplacements de population internationaux.
Les natifs de l’étranger, moteur du renouvellement salonicien
32Au cours du siècle, la part des époux nés à l’étranger a subi de fortes fluctuations : ils sont 25 % en 1915, 67 % en 1930, 8 % en 1960 et 12 % en 1990. Pourtant, la continuité historique de l’aire de recrutement dépasse les ruptures politiques. Les composantes hétérogènes de la population de la ville actuelle peuvent en effet, d’un point de vue extérieur, rassurer les nostalgiques du début du siècle.
33Au début des années 1960, 1 347 des 1 474 conjoints répertoriés, soit 91 % de l’échantillon, sont nés en Grèce. Salonique n’a jamais atteint un pareil seuil d’homogénéité, et ne s’est jamais trouvée autant exclue des mouvements migratoires internationaux que dans cette période d’après guerre. Certes, les frontières toutes proches bénéficient d’un haut degré d’imperméabilité. Si une grande majorité de Grecs résidant en Albanie, Yougoslavie, Bulgarie ou Turquie ont déjà réintégré le territoire national, le reste de la diaspora, et en particulier les communistes qui se sont dispersés dans les pays de l’Est, sont cantonnés derrière le rideau de fer.
34Les effectifs sont très concentrés sur un nombre réduit de pays. La Turquie compte à elle seule 73 % de ces époux, suivie de loin par la Russie (9 %) et la Géorgie (6 %). De toute évidence, ces statistiques sont représentatives d’une situation héritée. Les Grecs nés en Turquie sont les plus présents, en raison du départ progressif des gens de la ville, mais surtout d’une « réminiscence » du grand mouvement migratoire des années 1920. Les échanges internationaux sont pratiquement nuls. L’Europe est totalement absente du paysage. L’ouverture vers cette partie du globe est un phénomène récent. Après les années 1960, le repli migratoire a cédé la place à une nouvelle phase d’expansion, mais vers des destinations nouvelles, extérieures aux Balkans et à l’Asie.
35La situation est totalement inversée au tournant des années 1930. Le contraste est saisissant : 67 % des époux sont nés hors de Grèce (479 sur 710). C’est une véritable invasion. La population connaît alors un renouvellement global de ses composantes. Les anciens habitants sont submergés par les nouveaux venus; 437 de ces 479 conjoints ont vu le jour en Turquie (91 %), treize en Géorgie (3 %) et douze en Bulgarie (3 %). Salonique n’est plus une ville ottomane depuis une quinzaine d’années, mais elle n’a jamais été aussi micrasiatique qu’après le départ des Turcs. Elle bénéficie d’une constante attraction sur les régions caucasiennes, aux confins de la mer Noire, bien que l’émigration des Pontiques, morcelée en plusieurs étapes, reste marginale. Bulgarie et Macédoine émergent également du reste de la péninsule balkanique, même s’il est délicat d’estimer l’ampleur des transferts.
36Les renseignements recueillis pour l’année 1915 doivent être examinés avec précaution. Sur les 145 mariages étudiés, 78 (54 %) ont été le fait d’Orthodoxes, 63 d’Israélites (43 %), quatre de Musulmans (3 %). Ces données ont de quoi étonner : à cette date, suite au départ de la plupart des Turcs, et en l’absence de colonisation démographique grecque, les Juifs ont été momentanément majoritaires dans la ville. Comment expliquer la prépondérance des Orthodoxes ? La mise en place des nouveaux rouages administratifs a demandé un temps d’adaptation pour que la population se conforme entièrement au nouveau système juridique. Mais cette explication est insuffisante. Les Juifs ont montré une certaine réticence face à ce dispositif.
37Dans les années 1930, à titre de comparaison, 317 des 355 mariages concernaient des époux de confession orthodoxe (89 %), contre 37 Israélites (10 %). Même après plusieurs années d’administration hellénique, les Juifs n’ont toujours pas répondu à l’attente des employés municipaux. Ont-ils adopté la politique de la chaise vide, ou bien s’agit-il d’un problème purement juridique? Leur sous-représentation chronique ne trouve pas d’éclaircissement satisfaisant.
38Ajoutons qu’aucun mariage mixte (inter-confessionnel) n’a jamais pu être relevé, que ce soit entre Chrétiens et Musulmans, ou entre Chrétiens et Israélites. Malgré la très grande proximité géographique des quartiers, l’imbrication des espaces d’activité et des professions, et les rapports quotidiens entre voisins, le cloisonnement social est tel, que des barrières infranchissables, mais invisibles, se dressent entre les diverses communautés. Le géographe qui cherche des structures, des limites spatiales, des articulations territoriales en est pour ses frais, car ces barrières sociales n’ont pas d’équivalent territorial. L’espace n’est pas, ou peu, un facteur de discrimination. Paradoxalement, il le deviendra beaucoup plus par la suite, avec l’homogénéisation communautaire de la ville et son hellénisation progressive.
39En raison du décalage temporel entre naissance et mariage, les 73 natifs étrangers de 1915 (25 % du total) ont vu le jour à la fin du xixe siècle. À ce moment, Salonique bénéficie encore d’une libre circulation des personnes dans son hinterland balkanique. Certes, la Turquie actuelle est déjà le principal pourvoyeur de migrants à destination de la métropole macédonienne avec 67 % des natifs « étrangers »; la République de Macédoine, la Serbie et la Bulgarie contemporaines totalisent 18 % des conjoints. Si la sous-représentation des éléments musulmans et israélites est cumulée avec les mouvements migratoires précoces qui convergent vers Salonique, une image approximative de la sphère d’influence démographique de la ville ottomane tardive se dessine. Les persécutions contre les Grecs d’Asie Mineure suscitent un flux préliminaire de départs, tandis que l’hellénisation de Salonique en fait désormais une destination privilégiée au sein de la mère patrie.
40La comparaison de la situation de départ avec celle, terminale, des années 1990 montre à quel point Salonique a étendu son aire d’influence sur un espace bien plus vaste que celui des lendemains de la Libération. Certes, l’évolution des moyens de communication permet aujourd’hui plus facilement aux Grecs de la diaspora de réintégrer le territoire national pour y fonder un foyer, mais la ville n’a renoué que récemment avec l’hinterland dont elle s’est toujours nourrie. Elle sort d’une longue période d’assoupissement qui a pourtant vu sa population doubler.
Les immigrés à Salonique au début des années 1990
41Les 259 conjoints nés à l’étranger au début des années 1990 (12 % des effectifs relevés) forment un ensemble pour le moins hétéroclite. L’Europe occidentale arrive en tête avec près de 43 %, en raison de l’énorme part tenue par l’Allemagne. Ce pays comptabilise à lui seul 35 % de ces époux. Sur les 90 natifs de ce pays, seuls quatre ont déclaré y résider encore. Ces chiffres confirment le retour massif vers le pays des Grecs installés en RFA à partir des années 1960. La deuxième génération, née en Allemagne, convole aujourd’hui devant le pope à Salonique. La métropole est sans conteste un pôle d’attraction pour ces « immigrés » d’un type bien particulier. Il serait intéressant d’établir une comparaison avec les autres villes macédoniennes, plus proches des villages d’origine de ces migrants économiques. Le reste des pays de l’Union européenne ne fournit qu’un contingent limité, où Suède, Royaume-Uni et France émergent à peine. Là encore, il s’agit de rejetons de Grecs émigrés.
42Tous les natifs d’Allemagne répertoriés ont vu le jour entre 1960 et 1973, au plus fort de la vague migratoire. Le niveau socio-professionnel de cette frange de la population n’est pas particulièrement élevé : les enfants n’ont apparemment pas bénéficié d’une promotion sociale qu’aurait pu susciter l’exil des parents. L’argent récolté par les ouvriers grecs employés en Allemagne n’a probablement pas été utilisé pour financer en priorité les études des descendants, mais plutôt pour subvenir aux besoins du reste de la famille stationnée en Grèce, et pour investir dans l’immobilier. Sur les 90 représentants de ce groupe, 25 sont déclarés comme employés (secteur privé), les mariées étant principalement inscrites comme femmes au foyer. On note des coiffeuses, des infirmières et quelques étudiantes. Les hommes sont ouvriers, commerçants ou mécaniciens. Un technicien en électronique, un homme d’affaires et un ingénieur se détachent du reste du groupe.
43Plus que la résidence déclarée, l’inscription, ou l’absence d’inscription, au dimotologio peut déterminer l’origine (ιθαγένεια) grecque ou étrangère des migrants. Parmi quatre personnes résidant encore outre-Rhin au moment de leurs noces, seules deux n’étaient pas inscrites sur les registres de citoyenneté d’une commune grecque. La répartition géographique de ces enregistrements nous éclaire sur l’attraction exercée par Salonique sur les migrations de retour : 39 personnes sont inscrites sur des registres du département de Salonique (soit plus d’un tiers), tandis que les autres ont été répertoriées d’abord dans les nomes de Serres, Drama, Kavala, Kilkis, Imathia et Grevena. La métropole régionale a attiré au moins deux fois plus de flux de retour qu’elle n’a suscité de migrations propres.
44Seule une mince partie de ces natifs de RFA ont mentionné de manière précise le lieu de provenance en Allemagne. L’agglomération de Stuttgart arrive en tête, suivie par Berlin, Nuremberg, Munich et Cologne5. Les plus importants regroupements concernent la vallée du moyen Neckar, de Heilbronn à Nürtingen, puis la Ruhr – Essen, Hagen, Düsseldorf, Wuppertal, jusqu’à Cologne –, et enfin la région de Francfort avec Offenbach et Aschaffenburg. Les autres colonies sont plus dispersées, aussi bien au sud (Munich, Nuremberg) qu’au nord (Berlin, Lübeck).
45Les pays de la péninsule balkanique constituent un deuxième groupe, avec 54 natifs, au premier rang desquels figurent les Albanais (15), les Turcs (12) et les Bulgares (8). Le profil des conjoints est radicalement différent. Les migrants ne sont pas, ou plus, d’origine grecque. Leur présence est surprenante, parce que nouvelle. Cette résurgence a été possible depuis l’ouverture des frontières au début des années 1990.
46La migration albanaise est un enjeu à la fois politique et économique. Elle a suscité de nombreuses tensions entre Tirana et Athènes au cours des dernières années. Parmi les quinze natifs albanais, un seul, originaire de Shkodër, était en 1991 de nationalité grecque ; aucun autre ne pouvait justifier d’une inscription sur une liste électorale. L’âge des conjoints oscille entre 20 et 48 ans. Leurs activités se rapprochent de celles occupées par les Grecs en Allemagne : sept ouvriers, cinq femmes au foyer, un maçon, un mécanicien et une institutrice. Le plus gros contingent provient de Gjirokastër, suivi ensuite par Tirana et Korçë. Les documents ne sont pas assez précis pour déterminer s’il s’agit de Grecs vorio-épirotes qui n’auraient pu faire valoir leur droit à la nationalité hellénique, ou bien d’Albanais de souche. Il se peut que le simple critère de la proximité frontalière ait joué un rôle dans le cadre de ce mouvement migratoire. La précarité du statut de ces migrants temporaires contraste fortement avec les retours d’Allemagne. L’accès à la citoyenneté grecque est une barrière déterminante.
47Nés entre 1904 et 1968, les époux originaires de Turquie appartiennent à trois groupes distincts : les Grecs nés en Asie Mineure jusqu’au début des années 1920 ; ceux nés à Constantinople jusqu’au début des années 1960 – date à laquelle la communauté grecque a été presque totalement évincée de la place ; et les citoyens turcs.
48Deux mariages exceptionnels ont été célébrés en 1991 à Salonique et Kalamaria. Le premier a scellé l’union en secondes noces d’un retraité de l’ITKA6 né à Biga en 1917, et donc âgé de 74 ans, et d’une commerçante originaire de Kyria (Drama) de 63 ans, dont c’était le premier hymen. Le second cas, encore plus exceptionnel, aurait uni un homme né en 1890 (101 ans !) dans le Caucase et une femme de quatorze ans sa cadette (une jeunette de 87 ans) originaire de Turquie, tous deux en premières noces. L’hypothèse du canular doit être écartée, le document portant la signature du directeur du lixiarchio. Ces personnes sont les derniers témoins vivants d’une génération déjà pratiquement disparue. Les Saloniciens micrasiatiques se font de moins en moins nombreux ; il faut davantage les chercher dans les registres de décès que dans les actes de mariage. Les unions moins tardives de Grecs stambouliotes ne sont pourtant pas rares, jusqu’aux années les plus récentes ; dix des douze conjoints nés en Turquie ont vu le jour à Constantinople. Parmi eux, six sont de nationalité grecque. Si aucun signe apparant n’a pu révéler la présence de Musulmans de Thrace occidentale, deux sujets turcs se sont épousés, et deux autres ont trouvé un partenaire grec.
49Les conjoints originaires de Bulgarie sont au nombre de huit. Leur identité est tout aussi délicate à déterminer. Quatre sujets hellènes ont vu le jour entre 1951 et 1964 : l’hypothèse des derniers représentants des colonies grecques de Bulgarie, qui auraient réussi à prouver leur rattachement à l’hellénisme, est hautement improbable, même si l’échange de population gréco-bulgare de 1919 n’est jamais arrivé à terme. Ce sont vraisemblablement des émigrés politiques, qui ont fui la répression de la guerre civile grecque, et leurs enfants sont nés en Bulgarie. Les lieux de naissance (Plovdiv, Shumen et Sofia) ne correspondent que partiellement avec les zones d’implantation traditionnelles des Grecs sur le Pont-Euxin. Trois d’entre eux ont choisi un conjoint hellène, un seul ayant opté pour une compagne bulgare.
50L’achat matinal de quelques koulouria7 à un marchand, qui écoulait ses produits entre Ladadika et Tsimiski (à l’arrière du port) à l’aide d’un chariot à roulettes, m’a donné l’occasion de rencontrer un de ces émigrés politiques sur le retour. Une prononciation très roulée des « r », et quelques mots prononcés en bulgare à l’adresse de clients visiblement étrangers, m’ont incité à l’interroger sur ses origines : de nationalité grecque, il avait fui la répression pour partir vivre à Sofia, où il a vivoté pendant de nombreuses années comme marchand ambulant. Son départ de Grèce lui avait été imposé pour des raisons idéologiques, domaine sur lequel mon interlocuteur s’est peu appesanti. Quelques années plus tôt, il avait décidé de reprendre le chemin de Salonique en compagnie de son fils, à la tête d’une petite entreprise commerciale.
51Restent trois autres mariages contractés entre trois conjoints grecs natifs de Grèce et trois Bulgares. Ce type d’unions mixtes semble relever des nouveaux échanges relationnels entre les deux pays. Des étudiants grecs se rendent fréquemment de l’autre côté de la frontière pour poursuivre leurs études et, inversement, de nombreux immigrants temporaires bulgares (essentiellement des femmes) envahissent l’Hellade, dans le cadre du négoce qui voit transiter quantité de marchandises de Salonique vers les pays balkaniques.
52Quant au reste de la péninsule, il est significatif de ne trouver qu’un seul natif de l’ex-République yougoslave de Macédoine, à une époque d’extrême tension entre Athènes et Skopje. Le blocage des échanges humains et commerciaux empêche de trouver un équivalent à l’émigration bulgare. L’unique cas semble encore correspondre au profil d’un descendant d’émigré politique : né en 1957 à Skopje, cet imprimeur est de nationalité grecque, enregistré au dimotologio de Naousa ; il a épousé une Salonicienne.
53Quatre des six natifs roumains sont d’origine hellénique. Issus pour la plupart de Brasov et de Bucarest, leur nationalité les rattache à la diaspora, et les inclut aussi dans la classe des réfugiés politiques. Les cinq époux provenant de Serbie ont tous vu le jour à Belgrade, et ont trouvé un partenaire grec. Seuls deux d’entre eux étaient de nationalité hellénique. Migrants économiques, leur insertion est parfois bien difficile. L’apprentissage de la langue est une étape redoutable à franchir, mais les emplois auxquels ils ont accès sont dans l’ensemble moins précaires que ceux offerts aux Albanais. Parmi eux, un seul homme revendique un statut d’ouvrier.
54En définitive, les relations politiques rythment les flux migratoires contemporains à l’échelle des Balkans, même si nombre de déplacements sont liés aux conditions économiques plus favorables, offertes par un État de l’Union européenne. Les rescapés de la guerre civile ont essaimé leurs colonies dans toute l’Europe de l’Est. C’est moins la pérennité de la diaspora grecque balkanique que la possibilité offerte aux descendants des réfugiés politiques de s’installer sur le territoire national qui transparaît dans ces registres matrimoniaux.
55Vingt-neuf personnes sont nées en ex-URSS. Avec seize natifs, le Kazakhstan constitue le deuxième pays, après l’Allemagne, et devant l’Albanie, par le nombre de conjoints recensés. Les Géorgiens et les Russes ne sont en revanche que dix. Cette supériorité numérique du Kazakhstan peut être corrélée aux caractéristiques générales des flux migratoires en provenance d’Asie centrale : la tendance à couper tout lien avec la terre natale débouche sur une forte propension à s’intégrer directement dans le pays d’accueil, contrairement aux Pontiques de Géorgie et de Russie, qui préféreront conserver leurs attaches avec les villages caucasiens8.
56Comme pour les autres pays de l’ancien bloc de l’Est, toute distinction entre les membres de la diaspora pontique déportés en Asie centrale par Staline et les réfugiés politiques qui ont fui la guerre civile grecque est impossible. Au moins huit des conjoints concernés (les autres n’ont pas précisé le lieu exact de leur naissance) proviennent de Tachkent. Seuls deux d’entre eux ne revendiquaient pas en 1991 d’inscription sur une liste électorale. La situation s’inverse pour leurs comparses caucasiens : deux natifs de Géorgie sur trois, et six natifs de Russie sur sept, n’ont pas acquis la nationalité hellénique. Du point de vue professionnel, ces migrants présentent un niveau d’éducation relativement élevé. Parmi eux (Russie, URSS, Kazakhstan et Géorgie confondus) ne figurent que trois ouvriers, et cinq femmes au foyer. Leurs qualifications s’orientent plutôt vers l’emploi en entreprise.
57L’Europe centrale totalise vingt-neuf natifs. La migration tchécoslovaque et polonaise est beaucoup moins connue que celle des Albanais. Pourtant, si l’on compte quinze conjoints originaires d’Albanie, douze proviennent de Tchécoslovaquie et dix de Pologne ; ce qui situe ces mouvements au tout premier plan. Le flux est récent, et a largement été facilité, une fois de plus, par la dissolution du bloc soviétique. Les migrants n’indiquent qu’une fois sur deux leur lieu de naissance précis. En Tchécoslovaquie, les villes d’Ostrava et Krnov, à la frontière polonaise, ainsi que Brno et Prague sont mentionnées. En Pologne, Wroclaw et Gdansk sont les deux pôles prépondérants. Il est difficile de dire quels sont les emplois réellement occupés par ces personnes, qui préfèrent signaler leur formation professionnelle. Aucun ouvrier n’est répertorié. Biologistes, étudiants et architectes côtoient les employés et les femmes au foyer. Onze des douze natifs tchécoslovaques étaient inscrits sur des dimotologia des départements de Salonique, Grevena, Kastoria et Pella en 1991. Nés entre 1947 et 1971, ils sont apparemment tous descendants de réfugiés politiques. Le même type d’arguments s’applique aux Polonais, qui comptent toutefois quelques migrants économiques dans leurs rangs.
58Le lieu de naissance des Américains et des Australiens nous ramènent aux destinations traditionnelles de la diaspora hellénique. La dernière vague de départ vers ces contrées est contemporaine de l’exode rural d’après guerre. Les migrations de retour font apparaître dix natifs brésiliens, huit américains et sept australiens. Les plus âgés ont vu le jour au début des années 1960, et leur niveau d’étude est très élevé en comparaison des enfants nés en Allemagne : beaucoup sont enseignants ou étudiants ; un chimiste et un physicien apparaissent également. Quatre natifs des États-Unis sur huit, six Brésiliens sur dix et six Australiens sur sept étaient de nationalité grecque au moment de leur mariage. Une majorité d’entre-eux choisissent de s’inscrire sur les registres de citoyenneté de Salonique, tandis que d’autres privilégient un rattachement administratif au village d’origine de la famille (nomes de Pella et de Chalcidique en tête). Les migrants australiens sont tous issus de grandes villes : Melbourne, Sydney et Adélaïde remportent tous les suffrages. En Amérique, le même phénomène prévaut, avec une dispersion plus marquée sur la côte est (Caroline du nord, New-York, Cleveland), à Santa Monica sur la côte ouest, en passant par le Nouveau-Mexique et Lincoln (Nebraska). En Amérique latine, la répartition est plus spécifique : Sao Paulo arrive au premier plan, suivie par Rio de Janeiro et Londrina, puis par des petites localités du Mato Grosso, telles que Paraiso et Sao Domingos.
59Si, jusqu’à présent, les cinq municipalités ont été englobées dans un même ensemble, les disparités intercommunales à l’intérieur de l’agglomération méritent d’être soulignées. La proportion de natifs de l’étranger varie de manière significative d’un endroit à l’autre : à Polichni, elle atteint 16 % du total, tandis que Panorama se suffit de 4 %. La municipalité de Salonique occupe une position intermédiaire, avec 12 %. Les banlieues susceptibles d’accueillir les migrants de l’extérieur s’opposent ainsi à celles soumises presque uniquement aux déplacements nationaux ou locaux.
60Cette analyse sur l’origine de la population de Salonique au début des années 1990 fournit une image très contrastée : métropole de la Grèce du nord, l’agglomération affirme aussi des prétentions internationales. Elle est à la fois un centre urbain susceptible de concurrencer la capitale athénienne sur sa propre aire d’influence et un pôle d’attraction particulièrement actif dans ses rapports avec la diaspora.
Profil sociologique et structurel du mariage au début de la décennie 1990
61En dehors de l’origine géographique, les registres matrimoniaux sont riches en infor-mations à caractère sociologique et structurel. Le choix du conjoint n’est pas le fruit du hasard, et le degré d’intégration sociale se juge à l’aune de la mixité9 ; 78 % des unions contractées par les « étrangers » ont eu lieu avec un partenaire né en Grèce. Ce chiffre s’explique aisément. La grande majorité des natifs de l’étranger sont eux-mêmes de nationalité hellénique en 1991. Seuls les Albanais font exception, et adoptent préférentiellement une forme d’endogamie, qui peut elle-même s’interpréter par la position marginale de la communauté en Grèce. Quelques réfugiés kazakhs, tchécoslovaques et polonais ont eu le même réflexe de protection. Ces mariages endoga-miques s’effectuent tout d’abord entre immigrés qui n’ont pas, ou pas encore, acquis la nationalité grecque. Les natifs d’Allemagne nous fournissent un exemple inverse : 71 mariages sur 78 comportaient au moins un Grec né dans la péninsule. Globalement, un certain hermétisme de la société hellénique transparaît : les unions avec les étrangers ne sont tolérées que si ces derniers sont d’origine grecque. Fruit de rencontres exceptionnelles, à l’occasion d’un séjour de vacances ou d’étude, quelques hymens demeurent anecdotiques et n’offrent pas matière à analyse, telles ces noces entre un Nigérian et une Suédoise.
62L’âge de l’engagement marital varie entre 16 et 101 ans, pour une moyenne établie autour de 45 ans. Les 20-30 ans sont les plus nombreux : 1 344 conjoints sont nés entre 1960 et 1969, soit près de 65 % des personnes, contre 19 % nés de 1950 à 1959 et 9 % après 1970. Ces comportements sociaux n’ont rien de surprenant. Les remariages ne concernent que 11 % des personnes, soit 226 époux. En déduire que le taux de divorce est faible demeure cependant hasardeux, car des distorsions statistiques viennent brouiller l’interprétation. Les registres compulsés ne stipulent en principe que les unions religieuses, mais l’existence de registres civils séparés n’a pu être vérifiée dans toutes les mairies. Les remariages devraient être reportés exclusivement sur ces registres, ce qui limite la représentativité de nos données au veuvage. Une légère différence apparaît au niveau du sex ratio. Les hommes (veufs) se marient en secondes noces plus fréquemment que les femmes, de préférence avec une partenaire plus jeune.
63Le rapport entre l’âge du mariage et le niveau socio-professionnel s’affirme à la lumière des unions les plus précoces, très révélatrices des comportements sociaux. Les jeunes femmes convolent plus tôt que les hommes (23 hommes contre 162 femmes nés après 1969). Chez les sujets mâles de cette catégorie figurent six ouvriers, trois marchands ambulants, deux chauffeurs de taxi, deux techniciens automobile, et chez les femmes onze coiffeuses, quarante-trois employées du secteur privé, douze étudiantes, neuf ouvrières, et soixante-quatre femmes au foyer. Le mariage va de pair avec l’exercice d’une activité professionnelle, les études retardant l’intégration dans la société active et la date des épousailles.
64À Salonique-ville, 56 % des recensés travaillent dans les services. Ils sont employés du secteur privé (181 sur 839), enseignants (60), et médecins (23). Viennent ensuite les activités de commerce, avec 10 % des époux, puis, dans l’ordre, le secteur bancaire (6 %), les emplois liés aux transports et aux communications (5 %), la construction (3,5 %), l’artisanat (3,3 %), l’industrie (2,4 %) et l’agriculture (0,2 %). Les inactifs se divisent en femmes au foyer (9 %), étudiants (3 %) et retraités (1 %). La municipalité confirme ainsi son rôle de centre administratif et commercial. Les services et les négoces les plus divers y sont représentés, qui lui confèrent une fonction spécifique au sein de l’agglomération (les milieux d’affaires ne sont jamais aussi bien représentés ailleurs), et qui fondent son emprise régionale.
65Le schéma est approximativement le même à Panorama : les services atteignent le seuil des 52 %, suivis par les activités commerciales (18 %) et les bureaux d’affaires (8 %). La haute bourgeoisie salonicienne, qui y a élu domicile, se compose surtout d’avocats et de magistrats, ainsi que d’enseignants. Un individu s’est même déclaré rentier. En revanche, aucun ouvrier n’est présent. Les femmes au foyer y sont deux fois moins nombreuses qu’ailleurs, puisqu’elles forment à peine 5 % du total. Kalamaria présente la même répartition : les services monopolisent 48 % du total des emplois, suivis par le commerce (10 %), puis le monde de la banque et des entreprises (6 %). Cette municipalité se différencie peu de Salonique.
66Les communes septentrionales diffèrent profondément dans leurs caractéristiques socio-professionnelles. La primauté des services reste constante, mais elle est moins nettement marquée : à Polichni, ces derniers représentent 36 % des emplois. Le commerce est relégué à la troisième place avec ses 10 %, devancé par l’artisanat (12 %). Le bâtiment s’offre une quatrième place avec 9,5 % des effectifs. Inversement, les milieux d’affaires et les banques ne proposent plus qu’un nombre très réduit de débouchés (2 %).
67Dans l’échelle socio-professionnelle, Menemeni se situe probablement au plus bas. Les services atteignent encore 36 % des professions déclarées ; le secteur industriel occupe la deuxième position (13 %), et l’artisanat la troisième (10 %). Les activités commerciales y sont peu développées. Le pandopolis et le vendeur à la sauvette sont les figures les plus représentatives de l’échantillon. La faiblesse des moyens financiers – voire l’indigence – semble généralisée.
68Ces diverses situations nous montrent à quel point le paysage urbain de l’agglomération abrite de forts contrastes sociaux et économiques. Les quartiers septentrionaux sont chargés de la production des biens, tandis que le centre veille à la distribution et aux fonctions directives, le Sud étant loti par les catégories socio-professionnelles les mieux instruites et les plus riches. Le mode de développement urbanistique a joué un rôle intégrateur certain. Le caractère bourgeois et campagnard de Kalamaria, au début du siècle, n’est pas directement à l’origine de la situation actuelle. La différenciation socio-économique entre quartiers découle essentiellement des délocalisations industrielles décidées après guerre, au moment où l’exode rural atteignait son acmé. Si, dans un premier temps, les immigrés ont assuré une certaine homogénéité sociale à l’agglomération, l’enrichissement qui découle de leur installation a suscité tardivement un processus de ségrégation spatiale.
L’attraction internationale de Salonique : perspective diachronique région par région
69La recherche mérite d’être affinée au niveau des localités dont sont issus les époux. Certains pays ne peuvent revendiquer de continuité migratoire significative vers la capitale macédonienne. Parmi ceux-ci figurent les pays d’outre-mer, d’Afrique, du Nouveau Monde et l’Australie, ainsi que ceux d’Europe centrale précédemment traités. Étonnamment, l’Albanie se rattache à ce groupe : les quinze natifs recensés en 1991 ont succédé à un seul individu en 1960 et en 1930. L’attraction qu’exerce Salonique sur cette partie des Balkans ne bénéficie pas d’une réelle persistance. La métropole n’est pas une destination privilégiée pour les migrants albanais, qui préfèrent peut-être la proximité de Iannina, ou la tradition d’une migration vers l’Amérique.
70La pérennité est plus prononcée pour les flux en provenance de Bulgarie et de Yougoslavie : des liens se sont maintenus malgré les obstacles géopolitiques. Les conjoints nés en Bulgarie sont au nombre de quatre en 1915. Ils sont douze au début des années 1930, zéro en 1961 et huit en 1991. Ceux qui se marient à Salonique dans la première moitié du siècle sont sans conteste d’origine grecque : ils proviennent de deux régions distinctes, connues pour être d’anciennes colonies helléniques : la province de Plovdiv et la façade maritime de la mer Noire. Ahtopol, à la frontière de la Grèce, de la Bulgarie et de la Turquie, arrive au premier plan, relayée par Nesebar, Mitchurin et Pomorie. Asenovgrad s’impose aux dépens de Plovdiv, suivie par Davidkovo et Saraneovo. La période tampon de la guerre froide a stoppé tous les déplacements possibles. En 1991, la rupture est quasi complète avec cette ancienne répartition. Le littoral est a entièrement disparu au profit des ensembles urbains : Sofia, Plovdiv, Veliko Tarnovo, Gabrovo, Shumen et Asenovgrad.
71Le même type de réorientation s’applique à la Yougoslavie. Dans la première moitié du siècle, les natifs étaient exclusivement concentrés en Macédoine, dans ces régions de peuplement grec épars, ou frontalier, de Gevgelija, Stip, Strumica, Dojran, Bitola et Skopje ; tandis qu’ils sont tous originaires de capitales nationales en 1991 (Belgrade et Skopje). Salonique semble ainsi avoir rompu ses liens avec les régions balkaniques traditionnelles. La ville s’est écartée d’un modèle d’emprise territoriale axé sur le peuplement grec, pour tisser un nouveau réseau relationnel avec les grands ensembles urbains. D’Istanbul à Belgrade, en passant par Sofia, l’attraction de Salonique est désormais relayée par les plus grandes villes de l’hinterland. Au niveau international, les transferts interurbains de population priment désormais.
72La répartition diachronique des natifs de l’ex-URSS vient confirmer les analyses précédentes. L’Asie centrale n’apparaît qu’en 1991, alors que le Caucase est une source constante de migrants depuis les années 1930. Borzomi est la première ville de départ, devant Soukhoumi et Batoumi, suivies ensuite par Tbilissi, Bakou, Akhaltsokhe, Gagra, Novorossisk, Ordjonikidze et Adler. Toutefois, les données les plus récentes ne répercutent que partiellement les bouleversements géopolitiques survenus en Asie centrale et dans le Caucase, et les flots migratoires subséquents. La majorité des natifs du Kazakhstan proviennent de Tachkent, c’est-à-dire de la ville où ont été regroupés les émigrés politiques de la guerre civile. À cette concentration géographique en Asie centrale répond une dispersion des effectifs sur le sol russe entre Moscou, Oufa, Krimsk, Tcheliabinsk et Arkhangelsk. Les lixiarchia mettent en lumière le retour des émigrés politiques en Grèce, sans répercuter les grands déplacements de population autorisés par l’ouverture des frontières : 1991 est une date trop précoce. Et il aurait été importun d’entraver le travail des employés municipaux, qui utilisent constamment les registres plus récents.
73Ce tableau ne serait pas complet sans le principal foyer d’émigration de la première moitié du siècle : la Turquie (planches 37 et 38). En 1915, l’aire de prélèvement salonicienne porte sur l’ensemble du pourtour de l’Égée. Les vilayets à forte concentration grecque s’étendent d’Izmir à Istanbul, en passant par Tekirdag, Bursa, Çanakkale et Aydin. La région du Pont arrive loin derrière l’Egée et la Thrace, de manière ponctuelle, avec seulement quatre des soixante-treize natifs d’Asie Mineure. L’interprétation de ces données est difficile. En ce lendemain de Première Guerre mondiale, les Grecs de Turquie ne sont pas dans une situation politique stable. Les exactions turques à leur encontre, notamment dans la région du Pont, poussent nombre d’Orthodoxes à l’exil. Cette précarité entraîne l’intervention militaire grecque. La récente libération de la Macédoine reporte, après la Première Guerre mondiale, l’étendard de l’Enosis sur la Thrace.
74Les données recueillies autour des années 1930 répercutent l’échange de population conclu quelques années plus tôt, et offrent la possibilité d’étudier dans le détail les colonies d’Asie Mineure. Les principales zones d’implantation correspondent à la partie nord-ouest de l’actuelle Turquie, délimitée par une ligne Kocaeli-Denizli. Le vilayet d’Izmir arrive très largement en tête des foyers d’émigration, avec 134 des 512 conjoints nés en Turquie (26 %), suivi de loin par Istanbul (48 personnes, 9 %), Kocaeli (44 personnes, 9 %) et Tekirdag (23 personnes, 5 %). Entre cette Turquie égéenne et le Pont, la continuité est assurée par l’arc de peuplement d’Isparta – Cappadoce – et Sivas ; les Orthodoxes les plus nombreux sont regroupés autour de Konya, Kayseri, Nevşehir et Nigde. Enfin, dans la région du Pont, les vilayets de Trabzon (21 natifs, 4 %) et Gümüşhane (19 natifs) ne constituent qu’une partie des établissements grecs de la côte de la mer Noire, qui s’étendent de Sinop à Rize sans interruption, rejoignant également Kars.
75Le bilan de ces résultats est contrasté : la Turquie égéenne présente 328 natifs sur 436 (75 %), suivie par le Pont (85 conjoints, 20 %), puis la Cappadoce (23 natifs, 5 %) ; données totalement conformes aux résultats du recensement de 1928. La plupart de ces réfugiés ne sont pas des citadins. Dans le département d’Izmir, à peine 25 des 134 ressortissants (19 %) sont originaires de l’agglomération. Tous les autres sont issus de villages, bourgs ou petites villes de province : Menemen, Çe§me, Foça, Ôdemi§, etc. Au contraire, dans le vilayet de Trabzon, plus de 85 % des réfugiés sont nés dans l’ancienne capitale des Comnènes, taux qui atteint 77 % dans celui d’Istanbul, mais qui chute à 5 % à Gumüşhane.
76Ces mêmes réfugiés sont encore omniprésents trente ans plus tard, même si leur nombre est plus restreint. Complètement introvertie, Salonique s’est refermée sur son hinterland macédonien. La Turquie a été vidée de ses habitants orthodoxes, à l’exception des Constantinopolitains. La situation étant de plus en plus précaire, ils fuient l’ancienne capitale pour échapper au « pogrom » lié à l’action de l’EOKA à Chypre (1954). Istanbul arrive ainsi en tête des foyers d’émigration au début des années 1960. À l’est, Trabzon fournit encore vingt et un natifs, et ne faiblit pas par rapport à l’époque de l’échange. Rize et Kars dépassent même leurs précédents records. Une émigration continue et tardive s’est maintenue en provenance du Pont. Les explications historiques sont en la matière très lacunaires.
77En 1991, les réfugiés ne se manifestent plus que par un représentant, né en 1917 à Biga, tandis que les autres natifs de Turquie sont tous regroupés à Istanbul, où ils sont nés entre 1932 et 1968. L’hellénisme d’Asie Mineure sombre définitivement dans le souvenir. Aucun mouvement migratoire conséquent dans un sens ou dans l’autre n’a pu voir le jour depuis. Les rares Musulmans de Salonique sont originaires de Thrace occidentale, et les Orthodoxes d’Istanbul ont presque entièrement disparu. Les Stambouliotes hellènes nostalgiques, qui maîtrisent parfaitement le turc, aiment encore aujourd’hui se rendre dans la ville, mais désormais à des fins touristiques...
78Les registres de mariage ne nous renseignent que partiellement sur la population présente, excluant tous les résidents précaires ou temporaires. Cette source de données n’en reste pas moins d’une grande richesse. Elle permet de cerner l’origine de la population de Salonique sur toute la durée du siècle. On constate l’exceptionnelle continuité des renseignements que ces registres nous livrent.
79Qui sont les véritables Saloniciens ? La plupart des anciens habitants du lieu ont été contraints à l’exil, ou exterminés. Avec le départ des Turcs, des Bulgares et des Juifs, la ville a perdu une partie de son identité, celle qu’elle s’était forgée pendant quatre siècles de domination ottomane. Terriblement marquée par ces départs, elle a été bouleversée par l’arrivée massive des réfugiés grecs, auxquels elle doit sa survie. La coquille quasiment vide que la Grèce a acquise a été remplie de l’extérieur. Qui n’est pas immigré ou d’ascendance immigrée à Salonique ? Là où ailleurs ils n’ont formé qu’une strate démographique adjointe à un tronc autochtone, les réfugiés ont ici fondé la ville nouvelle en assurant sa renaissance. Salonique a gagné en homogénéité ; pourtant, les habitants se souviennent encore de leurs parents d’Asie Mineure, de Bulgarie ou du Caucase. Les nouvelles relations qui se tissent depuis la chute du bloc de l’Est font entrevoir une nouvelle étape dans le rapatriement des Grecs de la diaspora, et surtout une ouverture aux populations étrangères, qui n’avaient pu fouler le sol de la métropole depuis de longues décennies.
Notes de bas de page
1 Δημοτολόγιο : registre communal de citoyenneté.
2 Ληξιαρχείο : registre communal d’état civil (naissances, mariages, décès).
3 C’est le contraire dans nombre d’îles, d’où les conjoints se déplacent à Athènes pour la cérémonie. Cf. E. Kolodny, Un village cycladien. Chora d’Amorgos, Aix-en-Provence, 1992, pp. 91-100.
4 L’ESYE n’a malheureusement pas reconduit ce type de statistique traitant du lieu de naissance lors du recensement suivant.
5 Éléments en totale conformité avec les enquêtes menées par E. Kolodny sur la question. Cf., Les Étrangers à Stuttgart, CNRS, Paris, 1977, 316 p., et Samothrace sur Neckar, Aix-en-Provence, 1982, 176 p.
6 Ἰδρυμα Κοινωνικών Ασϕαλίσεων, Fondation des assurances sociales.
7 Petit pain rond au sésame.
8 Cf. chapitre VI.
9 A. Girard, Le Choix du conjoint. Une enquête psycho-sociologique en France, INED, PUF, Paris, 1981, p. XVI : « Si les mariages ne sont plus arrangés, ils continuent à subir toutes sortes de pressions extérieures. Il en résulte un haut degré persistant d’homogamie sociale et culturelle entre les conjoints. En langage familier, la réponse à la question « qui épouse qui» est que « n’importe qui n’épouse pas n’importe qui». L’étendue du champ des éligibles se situe pour chacun dans l’espace très restreint où il a grandi et où il se meut. »
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Salonique au XXe siècle
Ce livre est cité par
- Santilli, Anthony. (2013) Penser et analyser le cosmopolitisme. Le cas des Italiens d’Alexandrie au XIXe siècle1. Mélanges de l'École française de Rome. Italie et Méditerranée. DOI: 10.4000/mefrim.1516
- Maria Gravari‑Barbas, . (2010) Culture et requalification de friches: le front pionnier de la conquête des marges urbaines. Méditerranée. DOI: 10.4000/mediterranee.4390
- Yerolympos, Alexandra. (2005) Formes spatiales d’expansion urbaine et le rôle des communautés non musulmanes à l’époque des Réformes.. Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée. DOI: 10.4000/remmm.2801
Salonique au XXe siècle
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