Introduction à la deuxième partie
p. 55-58
Texte intégral
1Le mélange et le croisement actuel de populations dans Salonique sont sans commune mesure avec la situation qui prévalait avant l’annexion. Les éléments étrangers sont aujourd’hui en position marginale, la plupart du temps soumis à des durées de séjour limitées, au bord du refoulement dans certains cas. Leur présence est tolérée. L’homogénéité grecque-orthodoxe du peuplement est pourtant le fruit d’un processus qui a altéré, puis transformé, toutes les structures démographiques et sociales de la capitale macédonienne. Comment imaginer qu’une refonte interne aussi profonde ait pu être accomplie en si peu de temps ?
2Du point de vue strictement démographique, Salonique n’a pas toujours été entièrement grecque. Pendant la période ottomane, la ville était le centre culturel de trois civilisations réunies, qui coexistaient dans les Balkans : celle des Chrétiens, des Musulmans et des Israélites. Nulle part ailleurs dans l’Empire ottoman ne se trouvait exprimée avec autant d’acuité la bigarrure cosmopolite balkanique. Les récits de voyageurs y puisaient le ferment original de leurs descriptions urbaines. H. Holland dresse en 1812, un siècle exactement avant la Libération, un tableau vivant de la ville et de ses habitants :
« The population [of Salonica] is composed of four distinct classes, Turks, Greeks, Jews, and Franks ; the last comprizing all those inhabitants who are natives of the other parts of Europe, whether English, French, Germans, or Italians. The Turks probably forai somewhat less than half the whole population of the city. Though thus intermixed with other communities of people, they préserve ail their peculiar national habits1... ».
3De son côté, V. Bérard écrit en 1897 que
« Salonique n’est pas une ville turque. [...] Un tiers de la population est musulmane et la moitié de ces Musulmans, encore, se souviennent de leur origine grecque, albanaise ou juive. [...] Mais Salonique n’est pas grecque non plus, ni serbe, ni bulgare. À vrai dire, Salonique n’est même pas une ville macédonienne. Par sa situation, par sa population, elle ne tient presque pas de la Macédoine : elle ne fait pas corps avec le reste du pays. [...] Salonique est juive2. »
4De ce mélange multi-ethnique, il ne reste de nos jours presque aucune trace. Les petites communautés arméniennes, catholiques, juives ou valaques se sont intégrées au sein de la société grecque dont elles ont adopté presque tous les attributs. Les Turcs et Slaves ont disparu. Les Juifs ont été déportés et exterminés pendant la Seconde Guerre mondiale. La grécité de Salonique est le double résultat d’un processus primaire d’expansion – conquête militaire, expulsion des Turcs et des Bulgares – et de repli – réfugiés d’Asie Mineure, Rossopondi. Toutefois, l’espace urbain plus que la population conserve les traces des mutations.
5Ainsi, l’altération des composantes ethno-confessionnelles et la modification du cadre urbain sont allées de pair, sans jamais se dissocier. La fin de l’ordre ottoman et l’hellénisation progressive de la population engendrent une restructuration sociologique et spatiale dont le coup d’envoi est donné à l’occasion de l’incendie de 1917. La distribution des différents habitants de la ville en quartiers d’affinités convergentes, ancrés autour de lieux de culte distincts, héritage du système du millet3 ottoman, ne sera pas réintroduite comme par le passé, à chacun des multiples incendies qui ont régulièrement ravagé une ville bien trop fragile face à ce type de fléau. Dénué du support démographique adéquat, ce système organisationnel n’avait plus lieu d’être. Mais la décision politique allait précipiter la transition, et marquer définitivement dans le paysage de Salonique les signes d’une nouvelle donne. Elle plaçait les Juifs au centre d’un projet d’assimilation de grande envergure.
6Lorsqu’en 1962 fut célébré le jubilé du cinquantenaire de la Libération, la transition était déjà entérinée depuis dix ans. La première moitié du siècle rassemble, en effet, les événements liés à la restructuration interne de la métropole, qui ouvrirent le champ à une revitalisation, et à une expansion sans précédent. Cette ère nouvelle ne s’inscrit cependant pas en rupture. Elle est au contraire entièrement conditionnée par les remaniements antérieurs. Plus qu’utile, l’analyse rétrospective se révèle indispensable.
Notes de bas de page
1 H. Holland, Travels in the lonian Isles, Albania, Thessaly, Macedonia, etc. during the years 1812 and 1813, Londres, 1815, pp. 319-320.
2 V. Bérard, La Macédoine, op. cit., pp. 166-186.
3 Terme désignant une minorité ethnique ou religieuse autogérée de l’Empire ottoman.
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Salonique au XXe siècle
Ce livre est cité par
- Santilli, Anthony. (2013) Penser et analyser le cosmopolitisme. Le cas des Italiens d’Alexandrie au XIXe siècle1. Mélanges de l'École française de Rome. Italie et Méditerranée. DOI: 10.4000/mefrim.1516
- Maria Gravari‑Barbas, . (2010) Culture et requalification de friches: le front pionnier de la conquête des marges urbaines. Méditerranée. DOI: 10.4000/mediterranee.4390
- Yerolympos, Alexandra. (2005) Formes spatiales d’expansion urbaine et le rôle des communautés non musulmanes à l’époque des Réformes.. Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée. DOI: 10.4000/remmm.2801
Salonique au XXe siècle
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