La médecine chinoise, une médecine traditionnelle à l’épreuve de la modernité
p. 537-540
Texte intégral
1Décembre 2009
2Le système médical qui s’est développé en Chine pendant une période de plus de deux mille ans présente un caractère d’exception historique et anthropologique. D’une part, sa construction s’est opérée, dans la longue durée, avec une remarquable continuité épistémologique. D’autre part, la Chine est le seul pays dans l’histoire des civilisations qui a conservé, ou plus précisément réimplanté, son système médical traditionnel, en tant que médecine d’État, dans les années 1950, avec un statut officiel comparable à celui de la biomédecine.
3Les théories de la médecine traditionnelle chinoise (MTC) sont principalement définies par ses textes fondateurs auxquels tous les praticiens et chercheurs se réfèrent encore aujourd’hui. Le plus important est le Huangdi neijing [Classique interne de l’empereur Jaune], ouvrage composite dont les parties les plus anciennes sont peut-être antérieures au IIIe siècle avant J.-C., mais qui a subi des pertes et a fait l’objet d’ajouts et de réorganisations jusqu’au VIIe siècle. D’autres ouvrages « classiques » et une abondance de traités et de commentaires constituent la source épistémologique principale de la médecine chinoise savante, complétée sur le terrain par des formes plus populaires, fondées sur une transmission orale. Il en découle la conception selon laquelle aucun phénomène vital ne peut être analysé en dehors de son contexte organique et universel : les structures et fonctions de l’être humain constituent un ensemble indivisible et interactif en permanente adaptation à son environnement cosmique, climatique, psychologique… Pour le médecin chinois, la vie se définit comme l’enracinement d’une conscience organisatrice (shen), sur une essence individualisée (jing), à partir de laquelle elle conduit, personnalise et anime des souffles universels (qi), dans une forme corporelle (xing). Les théories du yin/yang (dialectique d’opposition et de complémentarité) et des wuxing [cinq mouvements], omniprésentes dans la pensée chinoise, sont à l’origine de tout un système de correspondances et de relations entre organes, sentiments, tissus corporels, fonctions physiologiques…
4En outre, le corps humain est perçu comme un empire, les viscères ne sont pas des groupes de tissus mais des ministères et des administrations au service d’un gouvernement (on emploie d’ailleurs volontiers les termes d’empereur, de chancelier, de général, d’intendant ou de divers fonctionnaires pour les définir). Les informations qu’ils transmettent et reçoivent sont véhiculées grâce à un réseau complexe de jingluo [Méridiens et Ramifications] sur lesquels sont répartis les points d’acupuncture.
5Les théories sur les causes des maladies ont évoluées et se sont précisées tout au long de l’histoire de la médecine chinoise, avec une étape marquante, la division en trois catégories d’étiologies. C’est Chen Wuze, en 1174, qui en a établi la classification, en distinguant les causes externes, d’origine climatique, les causes internes, liées aux débordements émotionnels, et les autres causes, inclassables dans les deux groupes précédents. Ce raisonnement prévaut encore dans la pratique contemporaine.
6S’appuyant sur ces concepts, le diagnostic s’effectue en deux étapes. La première phase consiste à recueillir des signes et symptômes à travers quatre modes d’investigations traditionnellement nommés sizhen [quatre diagnostics] : observation (teint du visage, langue…), olfaction/audition (voix, toux, odeurs corporelles…), interrogatoire (antécédents, signes et symptômes subjectifs…) et palpation (particulièrement celle des pouls radiaux). À partir de cette collection d’informations, le praticien établit un double diagnostic : bianbing [identification de la maladie], dont le principe consiste à nommer un état morbide sans prendre en considération ses causes et son développement et bianzheng [identification du syndrome] qui détermine le tableau clinique en terme de processus étiopathogénique. C’est surtout à partir de ces zheng [syndromes], spécifiques à la MTC, que le thérapeute va élaborer un principe de traitement.
7La médecine chinoise comprend une démarche préventive et un ensemble de branches thérapeutiques. La plus importante est une pharmacopée très riche : environ 6 000 substances et près de 100 000 formules sont répertoriées (mais, dans la pratique, on utilise environ 600 substances et entre 500 et 1 000 formules). Parmi les autres techniques de soin, il faut principalement mentionner l’acupuncture et la moxibustion, le massage, les exercices physiques, respiratoires et psychiques regroupés sous le nom de qigong [exercices sur le Qi] et une « diétothérapie » qui associe des recommandations alimentaires et l’intégration de drogues de la pharmacopée chinoise à des recettes culinaires.
8Jusqu’au début du XXe siècle, en Chine, le savoir médical reposait sur une transmission de maître à disciple, fréquemment dans un cadre familial. Très jeune, parfois dès l’enfance ou l’adolescence, l’élève commençait sa formation par l’apprentissage des textes classiques, puis la poursuivait en suivant les consultations de son professeur. Cependant, la médecine n’était pas toujours un choix professionnel initial. Parfois, des circonstances imprévues, au détour d’une carrière de fonctionnaire, la maladie ou d’autres circonstances, amenaient un lettré à s’y intéresser, de façon provisoire ou persistante. Nombre de traités de référence ont pour auteurs d’anciens magistrats voire des ministres devenus des médecins respectés et célèbres à l’occasion de circonstances imprévisibles. Ceci a sans doute induit ou renforcé cette représentation du « corps-empire » et orienté les stratégies thérapeutiques, nettement influencées par des conceptions politiques, économiques ou militaires, comme en témoigne le vocabulaire de la MTC. On pourrait croire que la transformation des anciens modes d’apprentissage en cursus universitaires nationaux, qui s’est opéré définitivement il y a plus de cinquante ans, a remplacé toutes les formes de transmissions traditionnelles. Il n’en est rien. Paradoxalement, ceux-ci ont même été légitimés par le ministère de la Santé qui, à la fin des années 1950, a organisé la répartition d’étudiants entre un certain nombre de laozhongyi [« vieux » médecins chinois] afin que leur expérience soit préservée et transmise.
9Aujourd’hui, les facultés de médecine chinoise forment les étudiants aux grades de xueshi (5 ans), puis, après trois années supplémentaires, au shuoshi ; enfin, après trois autres années d’études, au boshi qui conclut donc un cursus de onze ans. Ces durées sont identiques pour la médecine occidentale, le choix entre les deux disciplines s’opérant directement à la fin du cursus secondaire. Chacun des deux systèmes a ses propres hôpitaux, ses instituts de recherche, son académie nationale et son administration centrale. Durant la préparation au xueshi, les étudiants reçoivent un enseignement qui comprend environ 3 800 heures de cours dont 950 sont dévolues aux matières générales (langues, sciences…), le reste se répartissant entre la MTC (environ 70 %) et la biomédecine (environ 30 %). Enfin, après une formation de base dans l’une ou l’autre médecine, certains étudiants s’orientent vers un cursus appelé zhongxiyi jiehe [Combinaison de médecine chinoise et de médecine occidentale].
Auteur
Docteur en médecine traditionnelle chinoise Docteur en histoire et civilisations
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