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Des années croisées France-Chine à la recherche sur la Chine

p. 485-487


Texte intégral

1Mars 2004

2Ceux qui comme moi n’aiment guère les rituels officiels doivent le reconnaître : telles qu’elles ont commencé, les années croisées France-Chine sont plutôt une bonne surprise. En effet, elles ont abrité des activités souvent intéressantes, et elles suscitent un incontestable intérêt dans le public français. La preuve est donc faite que la Chine est pour la France un partenaire culturel d’importance même si la relation franco-chinoise demeure politiquement et économiquement bien plus problématique que les célébrations officielles le laissent croire.

3Les chercheurs et les enseignants spécialisés sur la Chine ont, comme il est normal, beaucoup contribué à ces activités par leurs ouvrages, leurs traductions, leurs articles, leurs commentaires, leurs participations aux expositions, etc. Mais leur brio ne doit pas cacher l’état difficile de la recherche sur la Chine.

4Je ne me risquerai pas dans une évaluation scientifique qui appellerait des comparaisons internationales, des distinctions entre les différents domaines de la recherche et sans doute aussi d’importants débats méthodologiques. Je ne prétendrai pas non plus que la situation est plus difficile que pour les autres grandes aires de civilisation. Au contraire, j’estime que, comme dans toutes les principales « area studies », la recherche sur la Chine souffre de deux grandes faiblesses, les unes hélas banales, les autres spécifiques.

5Pour nous en tenir à l’essentiel, disons que comme la plupart de nos collègues, nous manquons à la fois de postes et de moyens de travail. Ce n’est pas parce que ces faiblesses sont générales et ce n’est pas non plus parce que les responsables des ministères des Affaires étrangères et de la Recherche ainsi que du Centre national de la recherche scientifique et de nombreux établissements font du mieux possible avec les budgets dont ils disposent qu’il ne faut pas les regretter publiquement. Au contraire : nos protestations publiques ne peuvent que faciliter leurs propres efforts.

6Les bourses de doctorat sont insuffisantes, et plus encore les bourses post-doctorales qui permettraient aux jeunes docteurs d’attendre une affectation : c’est pourquoi les meilleurs d’entre eux s’orientent de plus en plus vers les universités nord-américaines. Le manque de postes entraîne un malthusianisme général et, chez nombre de jeunes chercheurs (pourtant mieux formés et plus internationalisés, donc en fait meilleurs que nous l’étions nous-mêmes à leur âge) des découragements et des comportements de précaution très compréhensibles. Le plus grave est sans doute qu’il nous empêche de déplacer aussi rapidement qu’il le faudrait les champs de recherche prioritaires : ainsi, pour me limiter à la Chine contemporaine, nous n’avons pas pu développer autant qu’il l’aurait fallu les travaux d’économie politique de la Chine post-maoïste, travaux dont l’intérêt à la fois intellectuel et utilitaire est pourtant évident.

7Nous manquons aussi de moyens de financer la recherche, comme tous nos autres collègues. Ce manque nous empêche souvent nous aussi de nous lancer dans des projets lourds et limite notre accès aux grands colloques internationaux : il exagère ainsi nos faiblesses et conduit beaucoup à croire que nous déclinons quand nous ne sommes tout simplement pas présents. Le plus grave est à mon sens qu’il a pour effet de limiter les missions sur place.

8Je voudrais insister sur ce point car, dans le cas présent, il est particulièrement grave. Durant de longues années, la recherche française sur la Chine s’est développée sans grands rapports avec la Chine populaire, et cela pour des raisons fort compréhensibles : à savoir que la Chine n’était qu’entrouverte, que l’on y entendait surtout de la propagande et que ses institutions de recherche s’efforçaient même de contrôler les programmes de coopération. On en est venu à ce paradoxe inévitable d’une recherche sur la Chine hors de Chine et sans guères de contacts avec elle. Or, depuis quelques années, ces défauts se sont partiellement estompés. La recherche sur place est devenue moins compliquée dans le même temps où les publications chinoises s’amélioraient sensiblement. En d’autres termes, les missions sur place sont devenues bien plus utiles qu’autrefois, et c’est pourquoi tant de collègues européens ou américains font désormais des « terrains » en Chine. Au Centre de l’École française d’Extrême-Orient à Pékin s’est ajoutée une Antenne expérimentale de sciences humaines et sociales également implantée dans la capitale chinoise alors que le Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC) poursuivait ses activités à Hong Kong. Mais ces implantations ne pourront vraiment développer leur rôle que si les institutions françaises se trouvent en situation d’augmenter également leurs dépenses de mission, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui…

9Je ne voudrais pas donner l’impression de céder au catastrophisme ou de joindre simplement ma voix aux protestations générales sur les budgets de la recherche. Les études chinoises en France ne sont pas à la veille de s’effondrer, c’est vrai. Mais au moment où les hommes d’affaires français salivent devant le marché chinois, au moment aussi où le grand public comprend mieux l’ampleur des enjeux, nous devrions à mon sens hausser la voix. Et rappeler ce qui est vrai dans tous les domaines : à savoir que l’effort de recherche est préalable à tout le reste, et que la baisse des budgets publics entraîne des inquiétudes très graves. La question est posée du maintien du niveau de la recherche française sur la Chine, et donc de ses moyens : si elle n’est pas abordée à l’occasion des années croisées France-Chine, quand diable le sera-t-elle ?

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