Les communautés du Néolithique ancien dans le sud du Portugal
p. 663-671
Résumés
Le Néolithique ancien est connu au Sud du Portugal surtout par des fouilles récentes d’habitats de plein air. Ceux-ci, tels que les habitats mésolithiques, occupent des aires vastes, ouvertes et sablonneuses, situées sur la falaise littorale et sur les rives des cours d’eau, jusqu’à 40 km de la mer. Ces habitats néolithiques ont révélé des structures de combustion : foyers en cuvette à pierres chauffées, empierrements et « fours ». L’industrie lithique révèle des traditions héritées du substrat mésolithique régional. La céramique est décorée par des impressions au poinçon (le cardial est rare) et par des cordons. Au Néolithique ancien évolué, la céramique présente des impressions très variées et des incisions. L’économie paraît se baser sur la chasse, sur la récolte de coquillages et sur la pêche, bien qu’enrichie par des formes élémentaires de production d’aliments.
Early Neolithic is known in Southern Portugal mainly through récent excavations in open-air sites. These sites, as the regional mesolithic ones, occupie large, open and sandy areas along the coast and near the rivers up to 40 km from the sea. They reveal fire structures : cooking holes (pits with burnt stones), cobbled-floors and small kilns. The lithic industry shows that the role of mesolithic populations, in neolithization, is présent. The Cardium-impressed sherds are rare and most of the pottery bears other impressions and cordons. The impressed décoration of pottery becomes more varied and we can see a progressive increase regarding incised sherds. The earliest phase of neolithic economy seems based on marine mollusc-collecting, hunting and possibly herding and in a reduced agriculture activities.
Texte intégral
1La connaissance du Néolithique ancien dans le sud du Portugal - la région la mieux étudiée jusqu’à présent en ce qui concerne cette période - est encore très fragmentaire et présente d’innombrables lacunes. Seule l’Aire de Sines, dans l’Alentejo littoral, a fait l’objet, dans les huit dernières années, de prospections et de fouilles systématiques. En effet, le Cabinet de l’Aire de Sines, organisme officiel de planification, parallèlement aux travaux d’implantation d’un important complexe urbain, industriel et portuaire, déploie une intense activité archéologique, dirigée par les auteurs du présent travail, afin de sauver les gisements archéologiques menacés par les travaux en cours. C’est ainsi qu’ont été effectuées des fouilles dans quelques habitats de plein air (Vale Pincel I, Vale Vistoso, Salema, Montum de Baixo), qui ont permis de connaître la stratégie de peuplement, l’organisation de l’espace et les types de structures d’habitat. Elles ont également révélé des éléments de nature stratigraphique qui indiquent l’existence de deux horizons successifs durant le Néolithique ancien : l’horizon du plein Néolithique ancien et l’horizon du Néolithique évolué. Nous avons également identifié dans l’Aire de Sines les premiers habitats littoraux appartenant au Mésolithique (faciès géométrique), et, dans l’un d’eux (Samouqueira), nous avons noté l’existence de vestiges de néolithisation. Toutefois font encore défaut de bonnes successions stratigraphiques qui permettraient d’établir nettement la relation entre ces horizons mésolithiques et ceux du Néolithique ancien. Nous ne possédons non plus aucune datation absolue, en raison de l’absence de charbons en quantités suffisantes pour permettre l’analyse. En effet, ces gisements de plein air, toujours situés dans des zones sablonneuses, sont sujets à un lessivage intense. En ce moment, nous essayons d’utiliser la thermoluminescence pour déterminer la date d’éléments de structures de combustion. Finalement, le milieu sablonneux des gisements ne permet pas la conservation de la faune.
2D’autres organismes ont également contribué, dans les dernières années, bien que d’une manière moins systématique, à la connaissance du Néolithique ancien ou de tradition ancienne dans le sud du Portugal. Ainsi, le Musée d’Archéologie et d’Ethnographie de Setubal, sous la direction des auteurs, a identifié, et parfois fouillé, d’autres habitats de plein air, les uns du Néolithique ancien évolué (Gaspeia, à Alvalade du Sado, et Fonte de Sesimbra, à Sesimbra), les autres du Néolithique de tradition ancienne (Comporta), ce dernier contenant des restes de faune bien conservée.
3Les Services Géologiques du Portugal, qui procèdent depuis longtemps, avec Jean Roche, à des fouilles dans les concheiros mésolithiques de la vallée du Tage (Muge), ont publié récemment (Zbyszewski et col., 1981) les résultats de travaux réalisés dans les gisements de plein air de Cabranosa (Sagres).
4J. Pinho Monteiro, M. Varela Gomes et Cunha Ser-rao (1978) ont identifié, à Caramujeira (Algarve), des vestiges d’occupation du néolithique ancien (phase évoluée) et du Néolithique final.
5Cunha Serrao et G. Marques (1971) ont isolé à Lapa do Fumo (Sesimbra) un niveau avec de la céramique, peut-être du Néolithique ancien évolué, niveau sous-jacent, et nettement discontinu par rapport à une couche du Néolithique récent et datée par le 14C de 3090 ± 160 av. J.C.
6M. Farinha dos Santos (1971) a publié quelques fragments de céramique cardiale et des flèches à tranchant transversal provenant de la grotte d’Escoral (Montemor-o-Novo), mais dont les contextes sont, pour l’instant, toujours inconnus.
7Finalement, les auteurs, avec M. Farinha dos Santos (1974), ont publié une première note sur les anciennes fouilles de Manuel Heleno dans le concheiro mésolithique de Cabeço de Pez (Vallée du Sado), dont les niveaux supérieurs ont fourni des tessons de poterie incisée ou à impressions, associés à une industrie lithique du Mésolithique final.
Substrats mésolithiques
8Le Néolithique ancien du Sud du Portugal s’est affirmé, au cours de travaux récents, comme un phénomène culturel auquel ont participé les populations mésolithiques autochtones qui n’ont pas été à l’écart d’importantes influences véhiculées par le bassin méditerranéen. En effet, nous constatons que :
les populations du Néolithique ancien recherchent les mêmes conditions écologiques (zone plane, ouverte et sablonneuse) que leurs prédécesseurs mésolithiques, pour implanter leur habitat, la proximité de la mer ou des rivières étant un important facteur de fixation ; confirmant cet aspect (permanence, au Néolithique, de la stratégie du peuplement mésolithique), on observe que nombre des habitats néolithiques se situent en des endroits déjà occupés au Mésolithique (Moita do Sebas-tiao - Vallée du Tage ; Cabeço do Pez - Vallée du Sado ; Samoqueira - littoral au sud de Sines) ou au voisinage des gisements mésolithiques (Vale Pincel I). D’une manière générale, le développement des forces productives devait être assez faible, comme il ressort de l’analyse des structures d’habitat et de la faible densité du mobilier archéologique dans quelques habitats néolithiques de plein air, notamment à Montum (Meli-des), qui reflètent également un indice de sédentarisation excessivement bas ;
les industries lithiques du Néolithique ancien correspondent au terme d’une évolution que nous pouvons faire remonter au niveau inférieur du concheiro mésolithique de Moita do Sebastiao (7350 ± 350 ans B.P. et 7080 ±130 ans B.P.) et qui n’a pas de rupture nette.
Qui étaient ces hommes du Mésolithique ?
9L’industrie lithique de Moita do Sebastiao (gisement qui représente la phase ancienne des concheiros mésolithiques de Muge) offre une fréquence très faible de grattoirs, perçoirs, racloirs et de burins ; les encoches et les denticulés sont bien représentés (31 %), tels que les géométriques (29,05 %). Dans ce groupe typologique les segments de cercle sont absents ; les triangles ne représentent que 0,75 % et les trapèzes 28,30 %, le type le mieux représenté étant le trapèze asymétrique à grande troncature rectiligne. L’industrie de Moita do Sebastiao montre de nettes affinités avec celle de la Cueva de la Cocina I.
10On perçoit l’évolution de cette industrie au concheiro de Cabeço da Amoreira (7030 ± 350 ans B.P. et 6050 ± 300 ans B.P.) qui offre (niveau inférieur) des similitudes avec la Cocina II. Au niveau inférieur de Cabeço da Amoreira, les lamelles à bord abattu représentent un pourcentage de 5,65 %, contre 1,30 % à Moita do Sebatiao. Les encoches et les denticulés sont fréquents (19,80 %) et les géométriques deviennent très importants (42,44 %). Le sous-groupe des segments représente 0,94 %, les trapèzes 9,43 °/o et les triangles 29,4 %. Le triangle type Muge, à troncatures longues et concaves, est très caractéristique. La technique du microburin est bien représentée dans les deux gisements de la vallée du Tage. Au niveau supérieur de Cabeço da Amoreira, il est intéressant de souligner que le pourcentage des lamelles à bord abattu s’élève à 7,3 %, les encoches et les denticulés baissent sensiblement (8,39 %) et les géométriques (les triangles dominant largement, surtout le type Muge) atteignent 56,20 %. Le sous-groupe des segments accuse une augmentation de 4,39 %.
11Dans la couche profonde de Cabeço da Amoreira ont été découverts des tessons de céramique à empreintes de petites branches ou de tiges de graminées (argile de couvertures de cabanes ?). De la couche supérieure, détruite, de Moita do Sebastiao, ont été publiées quelques céramiques à décor d’impressions et d’incisions du Néolithique ancien ou ancien évolué.
12Au concheiro mésolithique de Cabeço do Pez (Vallée du Sado) a été identifié un niveau à céramique du Néolithique ancien associée à une industrie lithique dont les segments de cercle atteignent 21 %. Les triangles et les trapèzes sont faiblement représentés. Il faut noter la présence du trapèze à petite troncature retouchée, type caractéristique de la Cocina III. Un autre concheiro de la Vallée du Sado (Barrada do Grilo) a fourni un ensemble industriel dont les armatures sont des segments de cercle et où est présente la retouche plate et envahissante.
13Finalement, il importe de signaler les deux gisements mésolithiques récemment découverts, et encore non fouillés, de la falaise littorale au sud de Sines. Il s’agit de Vale Marim et de Samouqueira. Leur étude pourra se révéler du plus haut intérêt pour la connaissance du processus de néolithisation dans la région. Vale Marim, à 1 km seulement de Vale Pincel I, fournit une industrie lithique essentiellement lamellaire, où les trapèzes sont abondants. On constate la technique du microburin.
14L’industrie de Samouqueira possède, à côté d’objets microlithiques, notamment trapèzes en silex, une nombreuse industrie macrolithique sur éclats de grau-wacke, entre autres une hache « mirense ». Cette trouvaille a été interprétée comme un héritage du faciès épipaléolithique « mirense » essentiellement macrolithique, bien représenté au sud de Porto Covo et à Vila Nova de Milfontes.
Evolution du Néolithique ancien
15A Vale Pincel I, il a été possible de constater la succession suivante : à la base du niveau archéologique, les structures de combustion étaient exclusivement en cuvette à remplissage de pierres chauffées et, en ce qui concerne la céramique, seule était présente la décoration impressionnée et plastique (cordons et mamelons). A la partie supérieure du niveau archéologique surgissent les premiers empierrements et la première décoration incisée (sillon au-dessous du bord), qui se présente principalement en coupes hémisphériques. Or, aussi bien les empierrements que ce dernier type de décoration se développent en deux autres habitats de la région de Sines (Vale Vistoso et Salema), où la décoration impressionnée est plus variée, la décoration incisée très abondante, les cordons sont plus rares et l’outillage lithique, qui était essentiellement lamellaire à à Vale Pincel I, se manifeste maintenant sur éclats et s’écarte nettement d’une possible tradition mésolithique régionale.
16Ces observations nous ont conduits à établir, comme hypothèse de travail, pour l’évolution du Néolithique ancien de l’Alentejo littoral, deux horizons susceptibles d’être étendus à d’autres régions du sud du pays : le plein Néolithique ancien, représenté par Vale Pincel I et Cabra-nosa (Sagres), et le Néolithique ancien évolué, présent à Vale Vistoso et Salema, et très probablement aussi à Mon-tum, Gaspeia (Alvalade do Sado), Fonte de Sesimbra, Lapa do Fumo (Sesimbra) et Caramujeira (Lagoa).
17Comme nous l’avons dit plus haut, l’industrie lithique, la stratégie d’implantation de l’habitat, et même le type d’économie manifeste dans le plein Néolithique ancien (Vale Pincel I et Cabranosa) permettent d’admettre que les premières communautés néolithiques du Sud du Portugal se sont constituées à partir de l’évolution des groupes mésolithiques autochtones. D’autre part, le processus de néolithisation trouverait dans l’acculturation un de ses principaux facteurs : les contacts entre les groupes du sud du Portugal et d’autres zones de l’extrémité occidentale de la Méditerranée seraient fréquents, comme semble l’indiquer la décoration de notre céramique, où les impressions cardiales sont généralement rares et la thématique et la technique utilisées révèlent de fortes affinités avec celles de l’Andalousie et celles de la région d’Oran.
La stratégie de peuplement et les structures d’habitat
18Le Néolithique ancien est représenté principalement dans le Sud du Portugal par les habitats de plein air. Ceux-ci, de même que ceux du Mésolithique, sont situés dans des zones sablonneuses, planes, ouvertes et sans conditions naturelles de défense, soit au voisinage de la falaise littorale (Vale Pincel I, Vale Vistoso, Samouqueira), soit à quelques kilomètres de la côte, sur les rives de cours d’eau (Fonte de Sesimbra, Montum de Baixo, Salema, Cabranosa, Caramujeira), soit encore à plusieurs dizaines de kilomètres du littoral (Gaspeia, sur la rive gauche du Sado, à Alvalade). Ils s’organisent en différents noyaux d’habitations, séparés entre eux de quelques mètres et dispersés sur le vaste espace occupé qui, à Vale Pincel I, atteint jusqu’à près de 200 m × 500 m. A Salema, un des habitats les plus petits, la superficie occupée est d’environ 150 m × 250 m.
19Le caractère dispersé des diverses unités d’habitation a été particulièrement manifeste à Vale Pincel I, lors de l’observation des talus d’une autoroute qui traverse le gisement dans le sens est-ouest.
20La faible densité des matériaux, surtout céramiques, semble indiquer une occupation peu prolongée. Ce fait est particulièrement évident à Montum, où le nombre de tessons par m2 est de 0,7 pour la totalité de la zone fouillée.
21Salema offre une occupation moins dispersée et la céramique y existe en densité très supérieure. Il faut noter que c’est dans ce gisement que se trouvent des structures d’habitat plus élaborées -« fours »- et un nombre plus élevé d’outils en pierre polie, en rapport avec la pratique de l’agriculture (herminettes, meules).
22A Vale Pincel I, le site considéré comme le plus ancien de l’Aire de Sines, on a identifié des fonds de cabane constitués par de légères dépressions (environ 0,25 m de profondeur), ouverts dans les sables, et dont la longueur atteint jusqu’à 10 m. A l’intérieur était creusée une petite cavité destinée au foyer. Les habitations devaient être certainement couvertes de matériaux périssables d’origine végétale.
23A l’extérieur, à proximité de la cabane, étaient situés des foyers implantés dans des cavités dissymétriques, presque toujours à plan ovale, d’environ 0,90 à 1,40 m de long, 0,80 à 1,10 m de large et 0,20 à 0,40 m de profondeur. Ces structures de combustion, très simples, présentaient de nombreux galets fracturés sous l’action du feu. Ils avaient été ajoutés au combustible afin de conserver la chaleur.
24A la partie supérieure du niveau archéologique de Vale Pincel I, ont été reconnus quelques empierrements subcirculaires, de 0,40 m à 1 m de diamètre. Il s’agit d’un type de structure qui va se développer dans la phase évoluée du Néolithique ancien de l’Alentejo littoral. En effet, à Salema, Vale Vistoso et Montum de Baixo (ainsi qu’à Gaspeia, déjà nettement à l’intérieur du Bas-Alentejo), ont surgi de nombreux empierrements formés par des concentrations de galets sous l’action du feu. Disposés en une couche unique, les cailloux définissent des surfaces subcirculaires, généralement d’environ 0,90 m de diamètre.
25A Salema, les empierrements sont associés à des structures de plan ovale (environ 0,50 × 0,80 m), avec parois d’argile cuite, qui, vers le haut, s’inclinent légèrement à l’intérieur. Par suite de la destruction de leur partie supérieure, provoquée par les travaux agricoles, elles se présentent, en plan, sous la forme d’un anneau ovale d’argile cuite. Quelques-unes ont le fond empierré par les galets qui ont subi l’action du feu, ce qui, à côté du fait que l’argile des parois est cuite, semble indiquer que ces structures ont été utilisées comme petits fours.
26A Montum de Baixo, habitat relativement proche de celui de Salema, et où l’occupation humaine était dispersée et de faible densité, les empierrements sont associés à des fossés remplis de cendres, avec quelques rares pierres chauffées. Ces fossés ont pu servir à recueillir les sous-produits des combustions effectuées sur les empierrements. Dans ce gisement ont été également identifiés d’autres types de structures de combustion : des foyers à plat ; en cuvette, avec des pierres chauffées ; des foyers à cuvette remplis de sable argileux très rubéfié, parfois avec des pierres chauffées.
27A Gaspeia (Alvalade do Sado) sont surtout fréquents les empierrements (normalement de 0,50 m de diamètre environ) et les foyers à cuvette avec des pierres chauffées.
L’industrie lithique
28Nous avons déjà noté, aussi bien dans le concheiro mésolithique de Cabeço da Amoreira (Vallée du Tage), que dans le concheiro de Cabeço do Pez (vallée du Sado), une augmentation du pourcentage des segments de cercle des niveaux inférieurs aux niveaux supérieurs, ce sous-groupe des armatures géométriques étant particulièrement bien représenté dans la Vallée du Sado (Cabeço do Pez).
29L’industrie lithique de Vale Pincel I (Néolithique ancien plein) révèle des traditions héritées du substrat mésolithique régional comme le montrent le groupe typologique des géométriques (8,9 %) - représenté par des segments - et la technique de débitage, à prédominance lamellaire (45 % de lamelles dans le total des produits de débitage ; l’indice de transformation des lamelles en outils est de 44,7 %) ; le style Montbani prédomine.
30Le groupe des géométriques, très important dans les industries mésolithiques, où existe un déséquilibre en sa faveur (car ces armatures jouaient un rôle important dans l’activité des populations, qui vivaient en grande partie de la pêche et de la chasse), est plus réduit dans le Néolithique ancien. Cette réduction, parfaitement compréhensible, confère donc à l’industrie lithique un plus grand équilibre entre les différents groupes typologiques. D’autre part, la microlithisation accentuée, manifeste à Cabeço do Pez, assume parfois des formes plus poussées dans le Néolithique ancien (géométriques pygmées, microlamelles à bord abattu, micrograttoirs, microperçoirs).
31Le groupe typologique le mieux représenté à Vale Pincel I est celui des lamelles à retouche partielle, irrégulière, oblique et peu profonde (19,6 %), suivi des grattoirs (12,5 %) et des encoches et denticulés (11,6 %). Aussi bien les perçoirs que les lamelles à dos sont présents pour 7,1 %. On a constaté la technique du coup de microburin. Par rapport à la typologie mésolithique, on note, dans le Néolithique ancien, une certaine diversification morphologique, et des formes surgissent qu’il est difficile d’encadrer dans des types précis. D’autre part apparaissent pour la première fois des éléments de faucille avec le lustré des céréales (7,1 %). Les flèches à tranchant transversal sont rares à Vale Pincel I et plus fréquentes à Cabranosa (Ponta de Sagres).
32L’industrie en pierre polie est très rare. Les instruments ne sont que partiellement polis. A Vale Pincel I on n’a trouvé qu’une hache à section transversale subcirculaire et un fragment de meule.
33Dans le Néolithique ancien évolué, l’industrie lithique s’écarte nettement de l’industrie mésolithique. Ici, les éclats (39,0 %) sont plus abondants que les lamelles (15,2%); même si l’on compare les fréquences d’éclats et de lamelles transformés en outils, on constate que les éclats dominent légèrement (Fonte de Sesimbra). La relation 1/L, calculée pour les éclats entiers de Fonte de Sesimbra, a montré que les éclats larges et très larges atteignent un total de 76 %, ce qui accentue encore l’éloignement de cette industrie par rapport à l’industrie de débitage lamellaire. Il y a donc un écart évident entre cette technique de débitage et celle de Vale Pincel I, essentiellement lamellaire. Les outils peu spécialisés (à retouche partielle, irrégulière, oblique et peu profonde) prédominent, comme on l’a déjà observé à Vale Pincel I. Les géométriques deviennent rares. On note la technique du microburin.
34L’industrie en pierre polie se développe. Apparaissent des haches et herminettes entièrement polies. Les meules sont plus fréquentes. Dans le gisement de Salema on a même trouvé divers exemplaires réutilisés dans les empierrements.
La céramique
35La céramique de la base du niveau archéologique de Vale Pincel I (plein néolithique ancien) est friable, épaisse et se manifeste sous des formes peu variées et simples, dérivées de l’œuf et de la sphère. La décoration dominante comporte des impressions au poinçon appliqué obliquement ; la décoration plastique est également très abondante et comprend des cordons horizontaux ou verticaux fréquemment décorés d’impressions et des mamelons situés près du bord ou sur le bord ; l’ornementation à la coquille est rare. La décoration imprimée forme des bandes horizontales et verticales distribuées sous le bord. A la partie supérieure du niveau d’occupation de Vale Pincel I surgit, associée à cette poterie, une céramique plus compacte et mince sous forme de coupes hémisphériques, dont le décor se limite à un sillon juste au-dessous du bord. Ce type de décoration est très abondant à Salema, par conséquent en une phase du Néolithique ancien que nous considérons évoluée.
36A Cabranosa (Sagres), où il n’y a pas d’éléments qui permettent de penser à l’existence de plus d’un niveau d’occupation du Néolithique ancien, on a recueilli des fragments appartenant à six récipients : deux présentent une décoration au Cardium ; les autres ont une décoration imprimée non cardiale (impressions faites à l’ongle) et plastique (cordons lisses ou avec impressions et mamelons). Les formes sont globulaires ou à fond conique, avec anses perforées horizontalement ou verticalement et (ou) avec boutons. Un grand vase ovoïde possède un petit col droit.
37L’horizon que nous avons attribué au Néolithique ancien évolué, très bien représenté à Salema, offre une décoration imprimée, plastique et incisée. Les impressions dénotent l’utilisation d’une grande variété de matrices ; les U, les coins et les carrés sont fréquents (on trouve aussi, bien que rarement, les impressions cardiales). La décoration incisée est très abondante et constituée soit par un sillon horizontal situé sous le bord de coupes en calotte, soit par des traits horizontaux, verticaux, obliques et en zigzags, associés entre eux et formant des motifs complexes ; on note la présence de décorations « peignées ».
38La décoration plastique se réduit exclusivement aux mamelons ; les cordons sont rares. On trouve des mamelons perforés et de petites anses. Les formes des vases, bien que sphériques et ovoïdes, comme à Vale Pincel I ou à Cabranosa, montrent maintenant de nouvelles variantes, en conséquence d’épaississements et d’inflexions du bord.
39Cette céramique du Néolithique ancien évolué du sud du Portugal a son parallèle dans le « Groupe de Fur-ninha » (Guilaine et Veiga Ferreira, 1970), et des affinités nettes avec celle de l’Andalousie et d’Oran.
40Il faut noter l’apparition de ce type de poterie dans les niveaux supérieurs de Cabeço do Pez (Vallée du Sado), associée à une industrie du Mésolithique final riche en segments de cercle. Le groupe qui a habité Cabeço do Pez, indiscutablement autochtone, attaché à un mode de production essentiellement (sinon exclusivement) déprédateur, a reçu, par la voie de l’acculturation, un des éléments caractéristiques du processus de la néolithisation.
41Dans les deux horizons considérés, la céramique cardiale est relativement rare, ce qui, pour l’instant, ne nous permet pas de parler d’un Néolithique ancien caractéristiquement cardial dans le Sud du Portugal. Il semble que l’on constate une situation identique dans tout le sud-ouest de la Péninsule Ibérique (Andalousie), où des datations récentes 14C font remonter des niveaux avec céramique imprimée non cardiale, ou rarement cardiale et incisée, à la première moitié du Ve millénaire (Cueva del Nacimiento : 6 780 ±130 ans, soit 4 830 av. J.-C.) et, plus discutablement, au VIe millénaire (Cueva de Nerja : 5 940 ± 170, 5.210 ± 180 et 5 180 ± 150 av. J.-C. ; Cueva de la Dehesilla : 5 720 ± 400, 5 170 ± 200 et 5 090 ± 170 av. J.-C. ; Cueva Chica de Santiago : 5 940 ± 180 et 5 290 ± 230 av. J.-C.). Il est donc possible qu’à l’extrémité occidentale de la Méditerranée, la céramique du Néolithique ancien, bien que s’intégrant dans le monde de la céramique imprimée circumméditerranéenne, présente un faciès différent de celui qui a été identifié en Catalogne et dans le Sud de la France.
L’économie
42Le peu que nous pouvons dire en ce moment sur l’économie des premières populations néolithiques du Sud du Portugal est fondé, sauf de rares exceptions, sur des preuves indirectes. En effet, parmi les habitats de plein air connus jusqu’à présent, seul Cabranosa a fourni des restes de faune. On n’a découvert dans aucun d’entre eux des graines carbonisées. Aucun diagramme pollinique n’a été obtenu jusqu’à présent. Toutefois, leur localisation (soit sur la falaise littorale et au voisinage de plages, soit à l’intérieur, auprès de cours d’eau, sur des terrains franchement sablonneux, faciles à travailler, mais peu productifs), l’industrie de pierre taillée (avec de nombreux instruments destinés à des activités à caractère déprédateur et quelques-uns seulement destinés à la pratique de l’agriculture), l’industrie en pierre polie (avec de rares outils, et presque toujours grossiers, et quelques meules) suggèrent, d’une manière générale, une économie fondée en grande partie sur la chasse, sur la récolte de coquillages marins et sur la pêche, bien qu’enrichie par des formes élémentaires de production d’aliments. A Cabranosa (Sagres) sont très abondantes les coquilles de Patella, Mytilus, Venerupis decussata et de Thais haemastoma. Bien que les fouilleurs de ce gisement ne signalent pas la présence d’os de mammifères, nous avons eu l’occasion de recueillir, dans les restes d’une structure de combustion, un maxillaire d’ovicapridé.
43Il faut également considérer les éléments de faune bien conservés du gisement de Comporta, qui, bien qu’appartenant au Néolithique moyen et récent, peuvent correspondre à un prolongement du mode de vie le plus courant dans le Néolithique ancien du littoral de l’Alentejo. La population qui s’est fixée ici vivait essentiellement de la pêche et du ramassage des coquillages marins ; elle chassait de petits animaux (lapins ou lièvres) et des oiseaux (peut-être marins) ; l’élevage du bétail n’est que faiblement documenté (présence du mouton), et les outils liés à l’activité agricole sont extrêmement rares.
44Si, d’un côté, l’économie des communautés du Néolithique ancien a dû se prolonger, sans grandes modifications, dans certaines zones où, d’après le contexte écologique, la pratique de la pêche et le ramassage des coquillages marins se révèlent essentiels à la subsistance et à l’équilibre du groupe, comme on l’a constaté à Comporta, entre Troia et Melides, d’un autre côté, elle a dû évoluer vers des formes supérieures, par le développement des forces productives liées à l’agriculture et à l’élevage du bétail. Cela a pu se produire, par exemple, à Salema. Dans ce gisement, qui semble intégrer un moment avancé du Néolithique ancien du Sud du Portugal, on a constaté la présence d’une industrie de pierre taillée très éloignée du fonds traditionnel mésolithique, et d’un outillage de pierre polie relativement nombreux avec un nombre élevé de meules et l’existence de structures d’habitat très spécialisées et élaborées, que l’on peut rattacher indirectement à des pratiques agricoles (des « fours »). En outre, l’organisation de l’espace montre à Salema que le peuplement semble concentré, les différentes structures d’habitat se succédant sans discontinuité nette.
45Ainsi, il est possible que Salema se situe à la base de la ligne évolutive qui, grâce à des conditions écologiques favorables au développement de l’économie agropastorale, a donné origine, vers le début du IVe millénaire, aux premières formes du mégalithisme. Ajoutons à ce propos qu’à 400 m seulement de Salema, à Marco Branco, a été identifié une sépulture que nous considérons comme proto-mégalithique.
Bibliographie
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Notes de fin
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