17. Quasars et Noyaux Actifs de Galaxies
p. 174-182
Texte intégral
1Lorsque Carl Seyfert, un jeune astronome travaillant au mont Wilson en Californie, publia en 1943 un article intitulé « Nuclear Émission in Spiral Nebulae » (« Émission nucléaire des nébuleuses spirales »), il ne se doutait pas qu’il ouvrait une boîte de Pandore qui allait déverser pendant des décennies ses lots de surprises avant de déboucher sur une véritable remise en cause de nos idées concernant l’évolution de l’Univers.
2Précisons d’abord ce que signiie ce titre. Les « nébuleuses » dont il s’agit sont des « galaxies », de forme « spirale » comme notre Voie lactée. En 1943, l’astronomie extragalactique sortait juste des limbes. On savait depuis quinze ans à peine, grâce aux mesures de distances de Edwin Hubble, que les nébuleuses spirales étaient situées en dehors de la Voie lactée, qu’elles s’éloignaient de nous, et que l’Univers était en expansion. Ensuite, le mot « nucléaire » se rapporte à la partie centrale des galaxies, parfois presque invisible, que l’on nomme le « noyau » en référence à sa petite dimension, et non pas à une énergie nucléaire. Il s’agit donc du rayonnement des « noyaux » de certaines galaxies spirales, qui ont la particularité d’être beaucoup plus brillants que la moyenne.
3Seyfert avait étudié en détail six de ces noyaux, à eux seuls presque aussi lumineux que les galaxies tout entières, et il avait fait des observations curieuses à leur sujet. Leur « spectre » révélait la présence de raies spectrales brillantes et larges. De telles raies n’étaient pas nouvelles, elles étaient semblables à celles observées dans les nébuleuses planétaires : raies des atomes d’hydrogène et raies « interdites » – appelées ainsi car elles ne peuvent exister dans des conditions terrestres – d’atomes très fortement ionisés – c’est-à-dire dont plusieurs électrons avaient été arrachés. Mais ici elles étaient ici beaucoup plus intenses et plus larges. Seyfert comprit immédiatement que cet élargissement était dû à « l’effet Doppler ». Lorsque des atomes sont animés de grandes vitesses, les transitions qu’ils subissent – à l’origine des raies spectrales – sont « décalées » par rapport à leurs positions habituelles dans le spectre. Si les atomes se rapprochent de nous, elles sont décalées vers les courtes longueurs d’onde, et vers les grandes longueurs d’onde s’ils s’éloignent. Si autant d’atomes s’éloignent et se rapprochent, il s’ensuit un élargissement de part et d’autre de la position habituelle de la raie, d’autant plus important que les vitesses sont plus grandes. Dans le cas de l’une des six galaxies de Seyfert, cet élargissement correspondait à 8 000 kilomètres par seconde, une valeur énorme par rapport aux vitesses habituelles observées dans les galaxies. Autre particularité : ces noyaux avaient une couleur très bleue. Tout ceci était inhabituel et soulevait des problèmes que Seyfert entrevoyait déjà, en particulier une libération d’énergie énorme sous forme de mouvement. Son article ne suscita cependant pas un grand engouement puisqu’il ne fut même pas cité pendant une quinzaine d’années…
4Dans les années 1950 le développement fulgurant de la radioastronomie entraîna la découverte d’un ciel tout diférent du ciel visible auquel nous avaient habitués nos yeux pendant des millénaires. En particulier, on observait des « sources radio » intenses là où il ne se trouvait rien dans le ciel visible. Heureusement, un grand télescope de cinq mètres de diamètre venait d’être installé sur le Mont Palomar – il resta inégalé pendant quarante ans – qui permit « d’identifier » deux de ces sources : il s’agissait de deux galaxies, Virgo A, une grosse galaxie de la constellation de la Vierge, et Cygnus A, une galaxie lointaine d’apparence modeste dans la constellation du Cygne. On venait de découvrir une classe nouvelle d’objets, les « radio-galaxies », rayonnant jusqu’à dix mille fois plus que notre Galaxie dans le domaine des ondes radio. Par contre, le « noyau » de ces galaxies était très faible et parfois même invisible. Autre particularité, qui n’est pas encore bien comprise, les radio-galaxies sont toujours des galaxies elliptiques.
5Par un hasard dont la Science n’est pas coutumière, on fut en mesure de comprendre immédiatement de quel phénomène il s’agissait. En effet, on était en plein développement des grands accélérateurs de particules que l’on avait nommés « cyclotrons » puis « synchrotrons », d’où émanait un rayonnement polarisé bleuté auquel on avait par analogie donné le nom de « rayonnement synchrotron » : ce rayonnement, qui est émis par les particules chargées (des électrons surtout) tournant rapidement dans le champ magnétique de l’accélérateur. Les astrophysiciens comprirent immédiatement que c’était le même rayonnement qu’ils observaient dans les radio-galaxies, mais déporté dans le domaine des ondes radio parce que le champ magnétique y était plus faible que dans les accélérateurs.
6Ceci n’était pas sans conséquence. Car si l’on appliquait la théorie du rayonnement synchrotron, on en déduisait l’existence d’une énorme quantité de particules chargées très rapides (si rapides qu’on les appelle « relativistes », pour exprimer qu’elles se déplacent à une vitesse très proche de celle de la lumière). Et en calculant l’énergie stockée dans ces particules, le britannique Geofrey Burbidge trouva qu’elle devait être égale ou supérieure au rayonnement de notre Galaxie depuis sa formation. Or, étant donné la durée de vie relativement courte de ces particules, cette énergie avait dû être libérée en au plus un centième de la vie d’une galaxie. On aurait donc dû immédiatement se poser la question de son origine : que s’était-il donc passé, quel phénomène s’était produit dans ces galaxies ? Encore une fois peu d’astronomes s’y intéressèrent et Burbidge précha dans le désert.
Une découverte inattendue, qui donne lieu à des controverses passionnées
7Au début des années 1960, on était sans le savoir en possession de tous les éléments qui auraient dû permettre de comprendre les quasars qu’on allait découvrir incessamment. La découverte vint encore de l’identification d’une source radio. Cette fois ce fut une petite étoile bleue se trouvant à la position d’une source radio, dont un astronome américain prit un spectre avec le télescope du Palomar. Le spectre montrait des raies spectrales brillantes et très larges, mais aucune n’avait une longueur d’onde connue ! Il fut donc mis dans un tiroir pendant deux ans, et l’on n’y pensa plus jusqu’à ce qu’une deuxième source radio fût identifiée en 1963, elle aussi avec une petite étoile bleue dont le spectre présentait également des raies brillantes et larges. Cette fois il fallait absolument trouver la solution de l’énigme, et c’est ce à quoi s’attacha avec succès Marteen Schmidt, travaillant également au Mont Palomar : il comprit qu’il s’agissait des raies observées dans les noyaux des galaxies de Seyfert, mais décalées vers les grandes longueurs d’onde (« vers le rouge ») de plusieurs dizaines de pourcent. Plus tard on appela ces objets « quasars », terme contracté de « quasi stellar objects », indiquant qu’ils ressemblent à de simples étoiles sur les photographies.
8Le mystère du spectre des « radio-étoiles » était résolu, mais non pour autant celui de leur nature, qui mit une quinzaine d’années à être percé. D’abord que signifiait ce décalage en longueur d’onde, systématiquement dirigé vers le rouge – d’où le nom de « redshift » en anglais (nous adopterons ici le terme de « décalage » sans préciser qu’il s’agit de décalage vers le rouge) ? On a pris l’habitude de l’exprimer par la lettre z, représentant la différence relative entre la longueur d’onde observée et la longueur d’onde au laboratoire. Un décalage de plusieurs dizaines de pourcent avait déjà été observé dans le cas d’une radio-source identifiée avec un « amas de galaxies ». Dans ce cas il n’y avait aucun doute que le décalage était « cosmologique », c’est-à-dire dû à l’expansion de l’Univers et à la loi de Hubble, et que l’amas était par conséquent très éloigné. Mais les quasars ne ressemblaient en rien à des amas de galaxies, qui sont étendus et ont des aspects diffus. Cependant, il fut rapidement admis que leur décalage spectral ne pouvait être que cosmologique, ce qui les reportaient à des distances de plusieurs milliards d’années-lumière. On déduisait alors que leur puissance visible était de l’ordre de 1039 watts. Ils étaient donc aussi lumineux que cent ou mille galaxies, et pourtant leur dimension apparente ne dépassait pas la résolution permise par la turbulence atmosphérique, soit une seconde de degré environ, correspondant à quelques milliers d’années-lumière au plus, ce qui est beaucoup plus petit que la Voie lactée par exemple. Mais ce n’était pas tout, car on découvrit rapidement que leur éclat subissait des variations importantes, parfois en moins d’une semaine. Ceci impliquait, en vertu du principe de causalité, que leur dimension devait être inférieure à une semaine-lumière, car si elle avait été plus grande, les variations auraient été étalées dans le temps que met la lumière à traverser l’objet. Plus tard, des variations encore plus rapides de l’ordre de quelques heures furent observées dans le domaine des rayons X.
9On était donc face à un problème difficile : comment un astre de la dimension d’un millionième de galaxie pouvait-il rayonner autant que mille galaxies ? Tous les spécialistes n’étaient pas prêts à admettre ce paradoxe, et il s’ensuivit une controverse passionnée qui dura une quinzaine d’années, entre ceux qui admettaient « l’hypothèse cosmologique » et ceux qui pensaient que les quasars étaient au contraire des objets proches, leur décalage spectral étant dû à une cause inconnue. D’autant que les quasars posaient sans cesse de nouveaux problèmes, en apparence insolubles dans le cadre conventionnel, mais auxquels on finissait par trouver une solution malgré tout, en attendant l’énigme suivante qui ne tardait pas. Sans rentrer dans les détails, on peut citer ainsi la « catastrophe Compton », qui conduisait à prédire la disparition rapide des quasars radio, les « vitesses superluminiques », en apparence plus rapides que celle de la lumière, ou encore des alignements et des groupes d’objets proches sur le ciel mais de décalages différents, qu’on pouvait ou non interpréter comme des f luctuations statistiques. La controverse fit long feu et se termina pour la majorité des astronomes vers la fin des années 1970, mais il reste encore maintenant, trente années plus tard, quelques astronomes (et non des moindres !) à penser que le décalage spectral des quasars n’est pas d’origine cosmologique. Il existe cependant quelques évidences convaincantes qu’il l’est, par exemple lorsque les quasars sont situés au sein d’amas de galaxies, ou bien lorsqu’ils sont démultipliés par des « lentilles gravitationnelles » constituées de galaxies lointaines situées entre eux et nous (voir le chapitre 19).
10Très curieusement, lorsqu’on considère la quantité d’idées fausses qui ont été proposées à propos des quasars, on est frappé que dès le début leurs similitudes avec les noyaux des galaxies de Seyfert aient été remarquées bien qu’elles fussent assez limitées à l’époque, et qu’on en ait déduit que les quasars sont également des « noyaux de galaxies », mais plus distants et dans une phase bien plus lumineuse encore que les noyaux des galaxies de Seyfert. Et de fait, grâce aux grands télescopes mis en service dans les années 1980 et au télescope spatial Hubble, on a pu commencer à observer une vingtaine d’années plus tard les « galaxies-hôtes » de quasars de grand décalage spectral, donc très lointains. Rapidement, on considéra aussi que les radio-galaxies étaient reliées aux quasars à cause de la colossale quantité d’énergie stockée dans leurs sources radio. Les radio-galaxies puissantes sont en général constituées de deux « lobes » symétriques s’étendant de part et d’autre de la galaxie jusqu’à des millions d’années-lumière, reliés à la galaxie par un « jet » très fin. Les quasars « radio » (car la plupart ne rayonne pas dans ce domaine) ont la même structure. Il est clair que ces lobes prennent leur source au sein de la galaxie elle-même. Mais où ? Dans les années 1970, l’interférométrie radio à très grande base (VLBI) se développa et permit de résoudre la partie centrale du jet. Et en 1978 on obtint pour la première fois la preuve qu’une source d’une dimension plus petite qu’une annéelumière et située au sein du noyau était à l’origine du jet et des lobes radio un million de fois plus grands !
11Il était donc démontré que les radio-galaxies, les noyaux des galaxies de Seyfert et les quasars étaient liés à une sorte « d’activité » à l’intérieur du noyau. On les appelle tous des « Noyaux Actifs de Galaxies (NAGs) ». Pendant une quinzaine d’années, disons jusqu’en 1980, on évoqua nombre d’hypothèses, avant qu’un consensus fût atteint et qu’on admît, suivant en particulier les astronomes britanniques Lynden-Bell et Rees, que les quasars, de même que les noyaux des galaxies de Seyfert (dont on avait entre-temps découvert des centaines d’exemplaires) contiennent un trou noir très massif attirant la matière qui, au cours de ce processus, rayonne avec une grande efficacité.
12La difficulté à admettre ce scénario provenait en partie du fait que tous les objets considérés montrent des évidences d’éjection et non d’accrétion, comme les jets de particules déjà mentionnés, tandis qu’aucune preuve directe de mouvements vers l’intérieur n’a jamais été observée, pour une raison qui va apparaître immédiatement. En 1978, l’américain Shields trouva cependant l’argument crucial en faveur de l’accrétion. Il montra que le spectre visible et ultraviolet de quelques quasars était mieux expliqué par l’existence d’un « disque d’accrétion » transportant le gaz vers le trou noir que par le mécanisme synchrotron invoqué jusqu’alors. Débuta alors ce que l’on peut nommer « le paradigme de l’accrétion sur un trou noir massif », qui n’a pratiquement jamais été remis en cause depuis, et commencèrent les véritables recherches sur les quasars et les NAGs, servies par les missions spatiales qui fournirent une ample moisson de résultats dans les domaines infrarouge, ultraviolet, X et gamma, qui permirent d’élaborer un modèle cohérent.
Des trous noirs géants qui sont loin d’être noirs !
13Depuis que l’hypothèse des trous noirs avait été émise par Karl Schwarzschild en 1916, de nombreuses études leur avaient été consacrées, mais ils restaient considérés comme des entités théoriques ayant peu de chance d’exister réellement. Ils étaient prédits comme étant le dernier stade de l’évolution d’étoiles massives ayant consommé tout leur combustible nucléaire, mais on était loin de penser que des trous noirs beaucoup plus massifs existaient aussi (on les appelle « supermassifs »). Or ce sont les seuls à avoir été observés directement, comme on va le voir.
14Ni la lumière ni la matière ne peuvent s’échapper de l’intérieur d’un trou noir, plus précisément d’une sphère appelée « l’horizon » du trou noir, sur laquelle la « vitesse de libération » serait égale à la vitesse de la lumière, soit 300 000 kilomètres par seconde (c’est l’équivalent des 11 kilomètres par seconde nécessaires à un satellite lancé depuis la Terre pour échapper à son attraction). Ceci donne un rayon de l’horizon égal à 3 1012 M/(109 Mʘ) mètres (on l’appelle « rayon gravitationnel »), où M est la masse du trou noir, et Mʘ la masse du Soleil. Il est intéressant de noter que la masse varie comme le rayon, et non comme le cube du rayon, comme ce serait le cas si on avait affaire à des étoiles normales. Donc la densité moyenne à l’intérieur d’un trou noir est d’autant plus grande que le trou noir est moins massif. Un trou noir est caractérisé seulement par trois paramètres, sa masse, sa rotation, sa charge électrique (voir à ce sujet le chapitre 18). En ce qui concerne le dernier paramètre, on n’en a aucune idée. On soupçonne que beaucoup de trous noirs supermassifs sont en rotation, mais on n’en est pas encore certain. Par contre, on verra qu’on peut en déterminer la masse assez facilement. Pour une masse d’un milliard de masses solaires, le rayon de l’horizon est de 3 heures-lumière, et la densité moyenne est modeste, voisine de celle de la Terre. L’éclat visible d’un quasar est en moyenne de 1039 watts, et varie en une semaine, indiquant que la taille de la région qui émet ce rayonnement est approximativement 100 fois celle de l’horizon d’un trou noir d’un milliard de masses solaires. Quant au rayonnement X qui varie en quelques heures, il proviendrait de régions proches de l’horizon du trou noir.
15La question qui se pose immédiatement est alors : mais comment un trou, « noir » par définition, peut-il rayonner ? Comme tout objet massif, il attire la matière environnante. Elle « tombe » sur lui, exactement comme une météorite venant de l’espace et tombant sur la Terre. La météorite est chauffée à blanc ou même évaporée par le contact avec l’atmosphère, et rayonne en devenant une « étoile filante ». Mais dans le cas d’un trou noir, la vitesse de la « météorite », au lieu d’être de quelques dizaines de kilomètres par seconde, peut atteindre cent mille kilomètres par seconde. Elle a une énorme énergie de mouvement (appelée énergie « cinétique »), et celle-ci est convertie en chaleur qui est rayonnée. L’énergie rayonnée avant que la matière traverse l’horizon peut ainsi s’élever à 30 % de son énergie au repos (le fameux E = mc2 de la formule d’Einstein). L’efficacité de conversion de la masse en énergie est donc bien supérieure à celle des réactions nucléaires dans les étoiles, puisque celle-ci est de 0.7 % et qu’elle ne concerne que le cœur central très chaud. C’est déjà une bonne raison de préférer l’accrétion sur un trou noir à d’autres mécanismes de production de l’énergie, car elle minimise la quantité nécessaire de « combustible », et par conséquent la masse de l’engin central.
16Comme pour toute étoile, la puissance rayonnée ne peut atteindre une valeur arbitrairement grande. Les photons de lumière « poussent » en effet la matière ambiante (c’est ce que l’on nomme la « pression de radiation »). Si la lumière est trop intense, elle chasse le gaz en train de tomber sur le trou noir. La luminosité pour laquelle ceci se produit correspond à l’égalité entre la pression de radiation et la force de gravité qui attire la matière. Elle ne dépend que de la masse de l’objet central, et on calcule qu’elle est égale à 1,5 1040 M/(109 Mʘ) watts. On peut d’ailleurs convertir cette luminosité en un taux de gaz accrété, en supposant que l’efficacité de conversion de masse en énergie est voisine de 10 % (une valeur moyenne pour l’accrétion sur un trou noir), et l’on trouve un taux d’accrétion de 10 M/(109 Mʘ) masses solaires par an, sans préjuger d’autres formes d’accrétion comme des étoiles entières. Si nous supposons que la puissance d’un quasar est proche de cette luminosité maximum (ce qui est le cas, d’ailleurs), on en déduit que la masse de son trou noir est voisine d’un milliard de masses solaires. Donc le rayon de l’horizon est de trois heures-lumière, ce qui correspond à la variabilité observée dans les rayons X, tandis que le rayonnement visible provient de régions situées à environ cent rayons gravitationnels.
17Or nous avons de bonnes raisons de penser que le rayonnement visible est émis à une centaine de rayons de l’horizon, tandis que le rayonnement X, lui, est émis tout près de l’horizon. La matière ne se précipite en effet pas radialement sur le trou noir, mais elle spirale en s’en rapprochant très lentement, tout en conservant une vitesse de rotation importante, proche de celle de la lumière. C’est la raison pour laquelle on ne détecte pas de mouvements de la matière tombant radialement sur le trou noir. S’il s’agit de gaz, il se réchauffe par friction sur celui déjà présent autour du trou noir et acquiert une température de plus en plus élevée. Il forme ainsi un « disque d’accrétion » dont la température augmente depuis quelques milliers de degrés à l’extérieur jusqu’à quelques centaines de milliers de degrés à l’intérieur. En conséquence sa couleur change : de rouge à l’extérieur, elle devient bleue puis ultraviolette près du trou noir, ce qui explique que les quasars soient très bleus et rayonnent essentiellement dans le domaine ultraviolet.
18Cette description est naturellement schématique. Elle néglige de nombreux détails de l’émission des NAGs, car l’émission X fait appel à des mécanismes plus complexes que celui décrit plus haut. L’une des preuves de l’existence des trous noirs est en particulier l’existence dans le domaine X d’une raie du fer déformée par des effets de Relativité Générale, prouvant qu’elle est produite au plus près du trou noir. Quant aux quasars radio et aux radio-galaxies, certains émettent dans le domaine des rayons gamma un million de fois plus énergétiques que les rayons X, par un mécanisme que nous décrivons plus loin. Toutes ces radiations sont extrêmement variables, preuve supplémentaire qu’elles sont produites dans une région très petite autour du trou noir.
19Que se passe-t-il si une étoile tout entière se rapproche du trou noir en spiralant ? S’il s’agit d’une étoile compacte en fin de vie, comme une naine blanche, une étoile à neutrons, ou même un trou noir, elle s’engouffrera telle quelle dans le trou noir supermassif sans que rien ne se passe (sauf une émission d’ondes gravitationnelles). Par contre, s’il s’agit d’une étoile de la série principale, ou mieux encore d’une géante, sa taille est telle que les forces de gravité s’exerçant du côté du trou noir seront beaucoup plus fortes que celles qui s’exercent sur le côté opposé. En conséquence, l’étoile sera brisée et transformée en gaz, dont une partie rentrera dans le trou noir après avoir rayonné et l’autre s’échappera et retournera dans sa galaxie. De tels phénomènes ont été observés sous forme de « flashes » dans le domaine X.
De l’importance du regard sur l’apparence
20On se rappelle que les spectres des quasars et des galaxies de Seyfert sont caractérisées par des raies spectrales brillantes (on dit qu’elles sont « en émission » sur un continu moins intense) et larges, dans les domaines visible et ultraviolet (l’ultraviolet est aisément observé dans les quasars car il est renvoyé dans le visible grâce au décalage spectral). C’est même cette particularité qui a permis de les découvrir. Les raies sont dues à des transitions entre deux niveaux d’énergie quantifiés des atomes. Le fait qu’elles soient « en émission », contrairement à la plupart des raies dans les spectres stellaires, et que certaines soient « interdites », prouvent qu’elles proviennent d’un milieu dilué très étendu, ce qui est assez paradoxal pour l’environnement d’un trou noir, objet dense et compact. Elles sont émises en fait à des dizaines ou des centaines de milliers de rayons gravitationnels, donc beaucoup plus loin du trou noir que le rayonnement continu. On ignore encore la nature de ce milieu, par exemple s’il s’agit de gaz qui va être accrété, ou au contraire de gaz qui s’échappe de l’environnement du trou noir. Pourtant ces raies sont riches d’informations concernant le trou noir lui-même, et ce sont même elles qui donnent la meilleure détermination de sa masse. En effet, certaines raies spectrales (celles qui ne sont pas « interdites » et sont émises plus près du trou noir) ont la propriété de varier en réponse aux variations d’éclat de l’objet. Un suivi systématique d’une quarantaine de noyaux de Seyfert et de quasars efectué pendant plusieurs années a permis de faire une sorte de tomographie de la région émettant ces raies, avec des résultats assez surprenants. On a trouvé que sa dimension est à peu près proportionnelle à la racine carrée de la puissance des objets – une relation encore mal comprise d’ailleurs. Ce qui signiie que lorsqu’on connaît la puissance, on peut en déduire la dimension de la région émissive même sans avoir efectué le suivi de l’objet. Comme les vitesses (c’est-à-dire les largeurs des raies) sont d’autant plus élevées que la masse centrale est plus grande pour une dimension donnée, on en déduit la masse. En extrapolant la relation à d’autres NAGs dont les variations n’ont pas été suivies, on a estimé ainsi la masse des trous noirs dans des milliers de quasars et de galaxies de Seyfert. Elles sont de l’ordre de cent millions de masses solaires, et ce qui est le plus curieux, c’est qu’elles sont du même ordre dans les quasars et les noyaux des galaxies de Seyfert, alors que la puissance moyenne de ces dernières est en moyenne cent fois plus faible que celle des quasars. Ce qui signiie que les quasars « accrètent » environ cent fois plus de matière par an que les noyaux des galaxies de Seyfert, alors que les masses de leurs trous noirs sont du même ordre.
Fig. 3 – Schéma unifié des objets radio et non radio, d’après Urry et Padovani. Lorsque le « tore » traverse la ligne de visée on ne voit pas le rayonnement visible et les raies larges. On voit donc une Seyfert 2 ou une radio-galaxie. Lorsqu’on vise exactement dans la direction du jet (s’il existe) on voit une BL Lac ou un Blazar (c’est-à-dire une BL Lac mais avec des raies spectrales en émission). Entre les deux, on voit les Seyfert 1 et les quasars, radio ou non
21Dix ans après avoir commencé à étudier en détail les galaxies de Seyfert, on a pris conscience qu’elles étaient en fait divisées en deux classes : les Seyfert de type 1, dont le spectre présente à la fois des raies larges et des raies relativement étroites, et les Seyfert de type 2, qui n’ont que ces dernières. C’était un mystère de plus. En 1985, les Américains Antonucci et Miller proposèrent un moyen « d’unifier » les Seyfert 1 et les Seyfert 2. Ils avaient observé une Seyfert 2 en lumière polarisée, et avaient découvert des raies larges dans son spectre. Ils en déduisaient que les Seyfert 2 ont également une « région des raies larges », mais que celle-ci est cachée à notre vue par un milieu absorbant, et que nous en voyons l’image « réfléchie » dans notre direction, probablement par des électrons, comme si nous l’observions à travers un périscope. Ce qui cacherait à notre vue la région centrale des noyaux des galaxies de Seyfert dans certaines directions serait une sorte de disque épais contenant des poussières, qui serait lui-même la prolongation du disque d’accrétion. Cette vision est encore largement acceptée, et elle a conduit à une réinterprétation de tous les NAGs dans le cadre de ce que l’on nomme le « Schéma Unifié » où la direction d’observation par rapport à l’axe du disque d’accrétion joue un rôle prépondérant.
22L’un des succès du Schéma Unifié a été d’expliquer les diférences entre les objets rayonnant dans le domaine radio. En efet, comme nous l’avons dit, ceux-ci présentent des « jets », qu’on peut légitimement supposer dirigés suivant l’axe du disque. On connaissait depuis longtemps un petit nombre d’objets radio qui n’avaient pas de jets mais des sources radio très compactes, et avaient des propriétés très particulières : ils variaient très rapidement, n’avaient pas de raies spectrales, leur rayonnement était polarisé, etc. On les appelait des « BL Lac », du nom de la première, découverte dans la constellation du Lézard (Lacertae). En 1977, les Britanniques Blandford et Rees avaient suggéré que les BL Lac contenaient un jet relativiste orienté presque exactement dans la direction de l’observateur. Le rayonnement synchrotron du jet se propageant vers nous est alors amplifié, tandis que le rayonnement du disque d’accrétion et les raies spectrales ne le sont pas. De plus, à cause d’un autre effet relativiste de contraction du temps, toute variation de flux devient un phénomène dramatique, et le rayonnement amplifié est également fortement polarisé. Ce fut la première indication que la direction doit avoir une grande influence sur l’apparence des NAGs.
23Or il se trouve que les BL Lac sont justement les objets qui rayonnent le plus dans le domaine gamma très énergétique. Une interprétation est que les photons synchrotron de faible énergie (radio, ou même visible) rencontrent les électrons relativistes – ceux-là mêmes à l’origine du rayonnement synchrotron – qui leur cèdent leur énergie. Les photons sont alors transformés en photons gamma de grande énergie, tout ceci se produisant préférentiellement dans la direction du jet, donc de l’observateur. On appelle ce processus l’effet « Compton inverse ». « Inverse » car il correspond à une perte d’énergie des particules, contrairement à ce qui se produit lorsque de la lumière est absorbée. Cependant certains attribuent le rayonnement gamma énergétique non pas aux rayonnements de particules légères comme les électrons, mais plutôt à la désintégration de protons. Quelle que soit l’interprétation, le phénomène est en tout cas toujours beaucoup plus fort dans la direction du jet.
24Par la suite, on découvrit encore d’autres relations avec la direction d’observation. On s’aperçut que les radio-galaxies les plus puissantes (comme Cygnus A, mentionné au début du chapitre) contenaient un noyau semblable à celui d’une galaxie de Seyfert, ou même à un quasar, si l’objet est suffisamment lointain, avec un spectre fait de raies larges et brillantes sur un continu intense. Mais ce noyau n’apparaît pas en lumière visible car il est caché à notre vue par le disque de poussières identique à celui des noyaux de galaxies de Seyfert de type 2. Ce sont donc en fait les contreparties des quasars radio, lorsqu’on les regarde à travers le disque de poussières.
25Il reste de grandes énigmes à résoudre concernant les jets. Ce sont eux qui alimentent les sources radio dans les radio-galaxies et les quasars radio, et ceux-ci ne sont qu’une minorité parmi les NAGs. Qu’est-ce qui pousse la matière à former un jet dans certains objets et pas dans d’autres ? Comment ces jets peuvent-ils garder leur intégrité et ne pas se disperser ni s’évaser sur des millions d’années-lumière ? Pourquoi les radio-galaxies (donc celles contenant les jets) sont-elles toujours des galaxies elliptiques ? Etc. De nombreux modèles ont été proposés pour décrire ces jets, mais aucun n’est encore totalement satisfaisant. L’un des modèles les plus populaires est celui du jet formé au-dessus du disque d’accrétion magnétisé, où les particules sont accélérées par un effet de fronde. Enfin, dans le mécanisme de « Blandford-Znajek » (du nom de ses promoteurs), le champ magnétique du disque d’accrétion, pénètre le trou noir et pompe son énergie de rotation. Ce processus impliquerait donc que les NAGs radio abriteraient des trous noirs en rotation, les NAGs non radio des trous noirs sans rotation, et que par conséquent les trous noirs des galaxies elliptiques seraient en rotation. C’est sans doute le cas, comme on va le voir.
L’invasion des trous noirs géants
26Dans les années 1990, il restait cependant encore plusieurs mystères. Pourquoi les quasars étaient-ils tellement plus lumineux que les noyaux des galaxies de Seyfert alors que les masses du trou noir sont pratiquement identiques ? La seule différence que l’on peut trouver entre les deux types d’objets, c’est que les quasars sont beaucoup plus éloignés que les galaxies de Seyfert, puisque ces dernières sont dans notre environnement local, tout au plus à quelques dizaines de millions d’années-lumière, tandis que les quasars sont situés à des milliards d’annéeslumière. Serait-ce la cause de leur « activité » plus grande ?
27Il faut se rappeler qu’espace et temps sont intimement liés dans l’Univers. Les quasars nous envoient une lumière qu’ils ont émise il y a des milliards d’années. Sont-ils restés lumineux depuis cette époque ? Il est facile de se convaincre que non, car si c’était le cas, ils auraient dû engloutir une telle quantité de matière qu’ils auraient à l’heure actuelle des masses exagérément grandes, dont on n’a trouvé aucun exemple nulle part. Ils sont donc éteints depuis longtemps. Dès le début des années 1980, le polonais Soltan ainsi que le britanique Rees, avaient été frappés également par un autre fait important. On commençait à connaître un nombre suffisant de quasars à différentes distances pour en déduire avec précision comment ils avaient évolué au cours de la vie de l’Univers. On pouvait alors déterminer la quantité de matière totale accumulée dans les trous noirs des quasars en se fondant sur la simple hypothèse que leur puissance est due à l’accrétion de gaz et que les quasars rayonnent avec leur puissance maximum (hypothèse qui minimise la masse). On en tirait la conclusion que pratiquement chaque galaxie devrait à l’heure actuelle contenir un trou noir supermassif éteint ou peu lumineux. Les galaxies de Seyfert ne représentant qu’un pourcent environ de l’ensemble des galaxies, c’est donc dans les galaxies « normales », à noyau non actif, qu’il fallait rechercher les « trous noirs éteints ».
28Le seul moyen pour « peser » les noyaux presque invisibles des galaxies normales est de mesurer les mouvements des étoiles ou du gaz qui les entourent : comme nous l’avons déjà mentionné, à une distance donnée du noyau, plus la vitesse est grande, plus la masse est élevée. La quête commença dans les années 1980, mais ne donna des résultats que dans les années 1990, grâce au télescope spatial de Hubble et aux grands télescopes au sol avec lesquels on parvenait à mesurer les vitesses jusqu’à seulement une dizaine d’années-lumière du centre dans les galaxies les plus proches. On découvrit ainsi que des masses gigantesques, parfois d’un milliard de masses solaires, étaient dissimulées dans les noyaux des galaxies normales, et qu’aucun rayonnement visible ne correspondait à ces masses ! Ce n’était pas encore suffisant pour prouver qu’il s’agissait bien de trous noirs, car des amas d’étoiles compactes auraient aussi bien fait l’affaire.
29En 1995, deux faits majeurs se produisirent. Le premier fut la mesure des vitesses de nuages de molécules d’eau orbitant dans le noyau de la galaxie NGC 4258, amplifiés par effet « maser » (l’équivalent des lasers dans le domaine micro-onde). Ces nuages se déplacent dans un disque avec des vitesses obéissant parfaitement aux lois de Kepler (les mêmes qui s’appliquent aux planètes du Système solaire), prouvant l’existence d’une masse de 35 millions de masses solaires à l’intérieur d’un rayon de l’ordre d’un dixième d’année-lumière. La même année, les Allemands Eckart et Genzel annoncèrent les premiers résultats d’un vaste programme d’observation des mouvements propres des étoiles du centre de notre Galaxie, démarré en 1992 avec le télescope de 3m60 de nouvelle technologie (le NTT) à l’ESO au Chili. Les mouvements propres permettent de mesurer les vitesses projetées sur le plan du ciel (et non leurs projections sur la ligne de visée, comme c’est le cas avec l’effet Doppler) lorsque l’on connaît la distance des astres observés. Ils prouvaient l’existence d’une masse noire de quelques millions de masses solaires à l’intérieur d’une région de 0,05 année-lumière, à peu près à la position de la radio source Sagittarius A* située au centre dynamique de la Galaxie. Par la suite, les mesures furent raffinées, en y ajoutant les vitesses mesurées par effet Doppler, et l’on put observer le mouvement à trois dimensions dans l’espace des étoiles orbitant autour du trou noir, dont l’une qui passe à peine à quelques heures-lumière de Sagittarius A* avec une vitesse de 5 000 kilomètres par seconde. Il ne subsistait alors plus aucun doute : seule la présence d’un trou noir supermassif expliquait les observations de NGC 4258 et du Centre Galactique. Du coup, on pouvait de façon assez certaine affirmer que les autres masses noires détectées étaient également des trous noirs supermassifs, et qu’il y en avait donc probablement dans presque toutes les galaxies !
30En 1998, l’américain Magorrian et ses collaborateurs annoncèrent qu’ils avaient trouvé une relation entre la masse des trous noirs dans les noyaux des galaxies normales proches et la luminosité des bulbes de ces galaxies. Le bulbe est une région sphéroïdale dont la taille et la luminosité dépendent du type morphologique de la galaxie : pratiquement absent dans les galaxies irrégulières et certaines spirales, il est omniprésent dans les galaxies elliptiques dont certaines sont réduites au seul bulbe. Un peu plus tard, on découvrit une autre relation plus évidente encore entre la masse des trous noirs et la masse des bulbes (représentée par la dispersion de vitesse des étoiles). Il semble que les NAGs suivent également cette relation, confirmant qu’il n’y a rien de fondamentalement différent entre les noyaux actifs et les calmes. Grosso modo, la masse du trou noir est le millième de la masse du bulbe. C’était une découverte fondamentale… et encore une fois inattendue !
31Deux autres résultats obtenus à peu près à cette époque concernaient l’évolution de la formation stellaire au cours du temps, et le rôle des interactions entre les galaxies. En ce qui concerne le premier, et grâce encore une fois à la mise en service des grands télescopes, on a découvert une importante population de galaxies nées à peu près deux milliards d’années après le Big Bang (ce qui correspond à un décalage de 3), exactement lorsque culminait aussi la puissance des quasars. Quant au deuxième, on savait depuis longtemps que des galaxies en train de fabriquer des étoiles de façon intensive étaient toujours en interaction forte avec une autre galaxie, et les images profondes du ciel montraient que les quasars étaient entourés de galaxies perturbées, très souvent en collision. Par ailleurs les simulations par ordinateur réalisées ces dernières années permettent de vérifier qu’effectivement ces interactions favorisent la formation d’étoiles grâce aux ondes de choc qu’elles provoquent, et qu’en même temps, elles drainent le gaz vers le centre des galaxies, favorisant l’approvisionnement du trou noir. Il est donc naturel de trouver que les deux types d’activité, formation d’étoiles et activation du trou noir central, sont fortement liés. Et si les quasars sont plus lumineux que les galaxies de Seyfert, c’est tout simplement que dans le passé, l’Univers était plus dense qu’actuellement, les galaxies plus proches les unes des autres, et que les interactions et même les fusions de galaxies y étaient par conséquent plus fréquentes et plus violentes.
32L’un des résultats des simulations numériques fut aussi de montrer que la fusion de deux galaxies spirales conduit à une galaxie elliptique, ce qui pourrait expliquer la présence de sources radio uniquement dans les galaxies elliptiques. On a vu que les jets pouvaient prendre naissance près des trous noirs en rotation. Or lorsque deux galaxies fusionnent, leurs trous noirs risquent fort de fusionner aussi pour former un trou noir en rotation rapide (c’est le même phénomène qui se produit lorsqu’un patineur en train de tourner rapproche ses bras de son corps : il tourne alors plus vite). On résout ainsi un mystère perdurant depuis des décennies.
33Il restait à rassembler ce faisceau de résultats pour déboucher sur une véritable révolution de nos idées concernant la formation et l’évolution des galaxies. Pendant près de quarante ans, on avait considéré que les quasars étaient un phénomène marginal affectant une minorité de galaxies dans des temps anciens, et l’on n’en tenait pas compte lorsque l’on essayait de modéliser l’évolution des galaxies. Or on a découvert qu’en fait toutes les galaxies contiennent un trou noir supermassif qui, pour grossir, a dû passer par le stade de quasar. Mieux encore, la forte relation entre la masse du bulbe et celle du trou noir (pourtant différant en taille par des facteurs de millions ou même de milliards), prouve que ces deux entités ont été formées et ont évolué en même temps. Maintenant, lorsqu’on étudie l’évolution des galaxies en utilisant le scénario standard de « matière noire froide » de formation des structures (voir le chapitre 16), on calcule le nombre de fusions et d’interactions, et l’on étudie l’évolution des trous noirs et la mise en activité des quasars. Une idée qui tend à s’imposer est que l’évolution du trou noir supermassif lui-même pourrait conditionner celle de la galaxie, par la création d’un jet qui chaufferait fortement ou chasserait le gaz environnant la galaxie, stoppant la formation d’étoiles et l’accrétion sur le trou noir. Si c’est bien le cas, on peut dire que le monde marche à l’envers…
34Nous avons ainsi fait le tour d’un sujet qui n’a pas cessé de bousculer en permanence nos idées reçues depuis plus d’un demi-siècle. Naturellement nous n’avons pu décrire tous les phénomènes relatifs aux quasars ou plus généralement aux Noyaux Actifs de Galaxies. Par exemple nous n’avons pas parlé d’un mode d’accrétion répandu parmi les radio-galaxies : l’accrétion sans émission de rayonnement, ou presque. Nous n’avons pas parlé des « sources superluminiques » qui frappent l’imagination, ni des « vents », ces flots de gaz issus de régions proches du trou noir, qui pourraient diminuer l’efficacité de l’accrétion. Nous n’avons pas parlé non plus des « raies en absorption » des quasars, qui ont été à l’origine d’une riche branche de la cosmologie observationnelle, et de bien d’autres choses encore. Et surtout nous n’avons pas mentionné les multiples projets proposés ou en cours de réalisation qui nous donneront dans l’avenir encore d’autres informations sur ces objets fascinants qui n’ont certainement pas fini de nous étonner.
Bibliographie
Références bibliographiques
• Camenzind Max, 1997, Les noyaux actifs de galaxies : galaxies de Seyfert, QSO, quasars, lacertides et radiogalaxies, Berlin, Springer
• Luminet Jean-Pierre, 2006, Le destin de l’Univers : trous noirs et énergie sombre, Paris, Fayard.
• Combes Françoise, 2008, Mystères de la formation de galaxies : Vers une nouvelle physique ?, Paris, Dunod.
• Collin-Zahn Suzy, 2009, Des quasars aux trous noirs, Paris, EDP Sciences et Histoire.
Auteur
Directeur de recherche retraitée, associée à l’Observatoire de Paris-Meudon. Ses recherches ont porté principalement sur les noyaux actifs de galaxies et les quasars, et ont donné lieu à environ 150 publications. Elle a publié deux ouvrages sur les quasars et a reçu deux prix de l’Académie des Sciences
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012