14. Les galaxies
p. 146-156
Texte intégral
1Même si dans les environnements urbains il devient difficile de la distinguer, la Voie lactée reste l’objet le plus spectaculaire à voir dans le ciel d’été. Et c’est encore plus vrai dans l’hémisphère sud, où elle présente une alternance de zones très brillantes et très sombres. Elle y est flanquée de deux tâches laiteuses : les Nuages de Magellan. Ces trois objets sont des galaxies. Le mot même de galaxie vient du grec et signifie justement « voie lactée ». Mais qu’est-ce qu’une galaxie ? Comment se forment-elles ? Comment évoluent-elles ? Depuis la découverte de leur nature réelle en tant qu’objet isolé et séparé de notre propre galaxie au début du XXe siècle, la compréhension que nous en avons n’a cessé de s’améliorer. Et grâce aux nouvelles possibilités d’observations offertes depuis une trentaine d’années par les satellites, nous avons maintenant une bonne connaissance de leurs constituants et des mécanismes d’échanges en ces constituants. La diversité et, l’efficacité de ces mécanismes est fascinante. Malgré leurs dimensions colossales, entre 10 et 100 millions d’années lumière, les galaxies sont de formidables machines à recycler. C’est grâce à leur existence et à l’efficacité des processus à l’œuvre que progressivement des étoiles et des planètes habitables se sont formées.
2Deux chapitres de ce livre sont consacrés aux galaxies. Le premier décrit la nature des galaxies, leurs constituants et leurs interactions. Le deuxième décrit les premières étapes de leur formation et de leur évolution.
Qu’est-ce qu’une galaxie ?
3Une galaxie est un ensemble composé d’étoiles et d’un milieu diffus situé entre les étoiles. Ce milieu interstellaire est lui-même complexe. Il peut se présenter sous plusieurs formes suivant les conditions auxquels il est soumis. On trouve du gaz neutre composé principalement d’hydrogène et d’hélium, du gaz moléculaire concentré dans des nuages denses, et, dans les régions les plus chaudes, du gaz ionisé à une température de supérieure à 10 000 K. En plus du gaz, le milieu interstellaire est rempli de poussières microscopiques, principalement des composés carbonés voisins du graphite pour les plus petits (0,1 micron), ou des grains de silicate pour les plus gros (1 micron). On sait maintenant qu’il y a des échanges continus entre les différentes phases du milieu interstellaire et entre le milieu interstellaire et les étoiles. Ce sont ces échanges qui constituent le moteur des galaxies.
Fig. 2 – Deux aspects de galaxies spirales. L’image de gauche correspond à une galaxie vue de face. On y distingue nettement des bras spiraux lumineux et bleus. Le reste du disque est moins lumineux, et apparaît strié de bandes sombres dues à des poussières interstellaires absorbant la lumière émise par les étoiles. La partie centrale devient plus jaune, ce qui traduit la présence d’étoiles froides et vieilles qui sont réparties dans le bulbe de la galaxie. La figure de gauche montre une galaxie spirale vue sur la tranche. Le disque apparaît pratiquement en absorption, à cause des poussières interstellaires. Le bulbe est nettement visible comme la partie renflée dans les régions centrales de la galaxie. On voit aussi que le disque stellaire est beaucoup plus épais que le disque gazeux, marqué par les poussières. Cela tient aux propriétés respectives du gaz et des étoiles. Le gaz peut perdre de l’énergie par rayonnement ou par collisions entre les particules du gaz. Perdant de l’énergie, il peut se condenser en un disque mince. Les étoiles peuvent être assimilées à un gaz sans collision. Elles ne peuvent donc pas perdre leur énergie cinétique et restent concentrées dans un disque épais. (NGC1232, et NGC4565, ESO.)
4Les galaxies se présentent sous de nombreuses formes. Le premier paramètre entrant en ligne de compte est la luminosité. Dans le visible, la luminosité d’une galaxie provient de celle des étoiles qu’elle contient. Plus il y a d’étoiles, plus la galaxie est lumineuse. Comme la majorité des étoiles présentes ressemblent au Soleil, on utilise souvent une unité de mesure égale à la luminosité du soleil : L0. En première approximation, une galaxie ayant une luminosité de 1 milliard de luminosités solaires contient environ 1 milliard d’étoiles. Les galaxies les plus petites ont quelques centaines de millions de luminosités solaires (108 L0), tandis que les plus grosses des luminosités de quelques milliers de milliards de luminosités solaires (1012 L0). Les galaxies les plus brillantes le sont 10 000 fois plus que les plus petites.
5De nombreuses propriétés des galaxies semblent liées à leur luminosité, en particulier, leur type morphologique. Depuis Hubble au début du XXe siècle, les astronomes ont coutume de classer les galaxies en fonction de leur apparence. Certaines galaxies sont très régulières, de forme quasi elliptique, tandis que d’autres, comme notre Voie lactée, se présentent sous la forme d’un disque et d’un bulbe sphéroïdal, le disque montrant une structure spirale barrée ou non. Enfin, d’autres galaxies se présentent sous forme d’un disque, mais avec une structure mal définie, voire franchement irrégulière. À cette séquence morphologique des galaxies : elliptiques, spirales et spirales barrées, irrégulières, correspond également une séquence des propriétés physiques. En moyenne la masse des galaxies décroît, des galaxies elliptiques, les plus massives, aux galaxies irrégulières, les moins massives. Le rapport masse du milieu interstellaire sur masse des étoiles augmente des galaxies elliptiques vers les galaxies irrégulières. Une galaxie elliptique n’a pratiquement pas de gaz interstellaire, tandis qu’une galaxie irrégulière peut contenir 30 à 40 % de gaz ; les galaxies spirales ayant un contenu gazeux de 10 à 20 %.
6L’analyse spectrale des galaxies permet de déterminer la nature des étoiles dans les galaxies. Les galaxies elliptiques sont composées presque exclusivement d’étoiles de petite masse et vieilles de plusieurs milliards d’années. Les irrégulières ont une forte composante d’étoiles jeunes et massives. Les galaxies spirales possèdent deux structures distinctes, un bulbe sphéroïdal contenant une population stellaire voisine de celle des galaxies elliptiques, et un disque mince qui contient une population mélangée d’étoiles jeunes et vieilles et du gaz interstellaire. On a également pu déterminer que l’abondance des éléments chimiques autres que l’hydrogène et l’hélium étaient plus importante dans les galaxies elliptiques que dans les galaxies irrégulières, les galaxies spirales ayant quant à elles, des variations importantes centre bord, le centre étant plus riche que le bord. Ces variations systématiques font naturellement penser à une séquence évolutive. Plusieurs interprétations furent proposées et rejetées. On sait maintenant que cette séquence s’explique en grande partie par une évolution plus ou moins rapide dans chaque galaxie, contrôlée en premier lieu par la masse initiale de la galaxie. Plus la masse d’une galaxie est grande, plus vite se déroule son évolution.
Fig. 3 – Une galaxie irrégulière : on ne voit qu’un disque irrégulier avec des régions de formations d’étoiles (ici en rouge) qui se répartissent suivant une chaîne peu marquée. La couleur du disque est très homogène, sans une région avec une dominante d’étoiles vieilles comme dans le bulbe des galaxies spirales. (NGC 1427 A, ESO.)
Le cycle d’évolution d’une galaxie
7Dans ses phases initiales, une galaxie est constituée d’un halo de matière noire et de matière normale : atomes, ions, protons, neutrons, etc.. Cette matière normale, aussi appelée matière baryonique du fait qu’elle est composée principalement de particules appartenant à la famille des baryons représente environ 1/10 de la masse de matière noire. La matière noire n’entre pas en ligne de compte pour l’évolution ultérieure de la galaxie en dehors de son influence gravitationnelle qui la stabilise, et lui permet d’évoluer comme un système fermé. C’est elle qui domine la masse de la protogalaxie et donc détermine le potentiel gravitationnel dans lequel se meut la matière baryonique. Initialement, cette dernière se trouve sous une forme gazeuse. Sous l’influence de la gravitation, ce gaz se condense. Il se forme des nuages, qui, eux-mêmes, peuvent se fragmenter pour former les premières étoiles. Ce processus est continu. Dès qu’une région gazeuse atteint une densité critique, elle commence à former des étoiles. Une des phases importantes du cycle galactique consiste donc à transformer le gaz interstellaire en étoiles.
8Une fois les étoiles formées, elles évoluent suivant des processus qui leur sont propres. En simplifiant, une étoile est une boule de gaz qui tend à se contracter sous l’influence de la gravitation. Mais les densités et les températures des régions centrales des étoiles sont telles que des réactions nucléaires s’y produisent spontanément, dégageant une grande quantité d’énergie et de rayonnement, générant une pression contrebalançant l’effondrement dû à la gravitation. Ces réactions nucléaires produisent de nouveaux noyaux. On peut donc, à partir d’une protoétoile composée uniquement d’hydrogène et d’hélium, synthétiser par ces réactions nucléaires des noyaux lourds dont les plus abondants sont le carbone, l’azote et l’oxygène. Pendant leur évolution, et surtout à la in, les étoiles perdent de la matière de manière continue. Cette matière retourne dans le milieu interstellaire et se mélange au milieu interstellaire initial. Mais ce gaz éjecté possède une composition chimique différente du gaz initial puisqu’il est enrichi des éléments générés à l’intérieur des étoiles. Grâce à ces éjections, puis à la dilution des éjecta, le gaz interstellaire s’enrichit en éléments lourds synthétisés dans les étoiles. Les nouvelles étoiles qui se formeront à partir de ce gaz enrichi synthétiseront de nouveaux éléments, et ainsi de suite. Progressivement, le gaz interstellaire et les étoiles s’enrichissent en éléments lourds.
9Une galaxie est donc une machine à recycler le gaz interstellaire. Une étoile isolée, en dehors d’une galaxie, synthétiserait les mêmes éléments que si elle était dans une galaxie, mais cela ne servirait à rien, puisque les éléments synthétisés seraient éjectés, mais pas recyclés dans les nouvelles générations d’étoiles. Dans une galaxie, au contraire, rien n’est perdu, et les éléments synthétisés par une génération d’étoiles servent à enrichir les générations ultérieures.
Fig. 4 – Représentation schématique du cycle de la matière dans une galaxie. Le gaz interstellaire se condense pour former des étoiles, et celles-ci, à la fin de leur vie, éjectent dans le milieu interstellaire un gaz enrichi en nouveaux éléments chimique générés par des réactions nucléaires au cœur des étoiles. Les étoiles de petite masse ayant des temps d’évolutions supérieurs à l’âge de l’univers ne contribuent pas à ce cycle, de même que les objets compacts, naines blanches, étoiles à neutrons et trous noirs qui sont les résidus de l’évolution stellaire des étoiles plus massives. Une galaxie est une machine qui transforme son gaz en étoiles et recycle le gaz enrichi dans de nouvelles étoiles. Comme environ 80 % de la masse est perdue à chaque génération d’étoiles, la quantité de gaz diminue de manière continue et le cycle d’évolution d’une galaxie s’arrête lorsqu’il n’y a plus de gaz disponible
10Ce cycle de transformation du gaz en étoiles et des étoiles en gaz interstellaire ne peut pas se poursuivre indéfiniment. Les processus de formation d’étoiles font qu’ils se forment des étoiles de masse très variables, depuis des étoiles ne faisant qu’un dixième de la masse du Soleil, jusqu’à des étoiles qui sont proches d’une centaine de masses solaires. Et l’évolution des étoiles dépend de leur masse. Plus elle est petite, moins vite elle évolue. Une étoile d’une dizaine de masses solaires vit quelques centaines de millions d’années. Une étoile comme le Soleil évolue sur une dizaine de milliards d’années. Les étoiles moins massives que le Soleil évolue donc sur des échelles de temps qui sont supérieures à l’âge actuel de l’Univers. Du point de vue du cycle de transformation d’une galaxie, on peut considérer qu’elles représentent une masse perdue. Et ces étoiles sont les plus nombreuses à se former. Les étoiles massives ne perdent pas toute leur masse. À la fin de leur évolution, elles donnent naissance à des objets compacts n’évoluant pas ou peu. Suivant la masse initiale, ces objets compacts seront des naines blanches, des étoiles à neutrons ou des trous noirs. Et, là encore, c’est une masse perdue pour le cycle d’évolution d’une galaxie. En moyenne, la masse perdue représente quelque 80 % de la masse d’étoiles formées. L’efficacité du recyclage est donc faible. Seuls 20 % de la masse transformée en étoiles retourne au milieu interstellaire. L’évolution d’une galaxie se traduit donc par une transformation progressive du gaz interstellaire en étoiles et s’arrête lorsque presque tout le gaz est transformé en étoiles et en objets compacts n’évoluant que peu sur les échelles de temps cosmiques.
Les mécanismes en œuvre
11La diversité des mécanismes mis en œuvre pour arriver à ce résultat est stupéfiante.
12En premier lieu, la gravité reste la force principale à l’œuvre. C’est elle qui assure d’abord que la galaxie reste un système fermé. Quelles que soient ses transformations successives, la matière présente dans une galaxie à un moment donné le restera tout au long de l’évolution de la galaxie, sauf dans quelques cas sur lesquels nous reviendrons. C’est elle aussi qui fait que les nuages interstellaires peuvent se condenser en étoiles, et enfin, c’est elle qui fait que les étoiles se contractent jusqu’à atteindre des densités et des températures centrales telles que des réactions nucléaires peuvent s’y produire. Sans la gravité, il n’y aurait pas de galaxies, ni d’étoiles, ni de formation d’étoiles.
13Pour former une étoile à partir du milieu interstellaire, il faut d’abord que le gaz se refroidisse et se condense en nuages denses. Une fois ces nuages formés, ils peuvent alors continuer à se condenser pour donner des protoétoiles. Au début, il y a deux mécanismes en œuvre, la condensation de la partie centrale qui devient de plus en plus dense, et l’accrétion du gaz restant dans le nuage par la protoétoile. Elle grossit jusqu’au moment où la densité et la température dans les régions centrales sont suffisantes pour déclencher des réactions nucléaires. Dès ce moment, le rayonnement lumineux de l’étoile devient suffisant pour arrêter la chute du gaz sur l’étoile, et même faire évaporer le nuage parent. La proto-étoile est devenu une étoile qui va évoluer avec sa physique propre.
14La physique d’une étoile est gouvernée par trois processus principaux : les réactions nucléaires qui synthétisent de nouveaux éléments et qui deviennent la source d’énergie principale, la gravitation qui tend à faire tomber la matière vers le centre de l’étoile, et le chauffage du gaz de l’étoile par les réactions nucléaires qui, par pression de radiation ou par des mouvements convectifs, s’oppose à l’effondrement de l’étoile sur elle-même. L’équilibre entre ces trois phénomènes dépend de la masse initiale de la proto-étoile. Une étoile très massive, au-delà d’une dizaine de masses solaires évoluera très vite, en quelques millions d’années seulement, synthétisera des éléments lourds au-delà du carbone, de l’azote et de l’oxygène, tel que l’aluminium, le silicium ou le fer, et finira sa vie par une explosion brutale : la partie centrale se condensera en trou noir, tandis que la partie externe sera éjectée par une onde de détonation, déclenchant de nouvelles réactions nucléaires capables de générer des éléments chimiques très lourds, plus lourds que le fer. C’est ce qu’on appelle une supernova de type II. Avant l’explosion finale, l’étoile a déjà perdu une grande partie de son enveloppe externe à cause de la pression de radiation due au rayonnement interne de l’étoile. Ce phénomène, appelé vent stellaire, se retrouve dans toutes les étoiles, mais est particulièrement important dans les étoiles massives. Une étoile de quelques masses solaires évolue sur des échelles de temps de quelques centaines de millions d’années. Elle ne sera pas capable de générer des éléments très lourds, mais sera très efficace pour la synthèse du carbone, de l’azote et de l’oxygène. À la fin de sa vie, la partie centrale se transforme en étoile à neutrons. Les zones externes sont éjectées dans le milieu interstellaire principalement au cours des phases finales de l’évolution de l’étoile, par des processus plus calmes que dans l’explosion d’une supernova. Les étoiles comme le Soleil, ou plus petites, évoluent sur des échelles de temps d’une dizaine de milliards d’années, et ne contribuent que peu à l’enrichissement du milieu interstellaire. Durant la phase stellaire, c’est l’énergie nucléaire qui est la source principale d’énergie. Elle l’est bien sûr pour l’étoile elle-même, mais elle l’est également indirectement pour le milieu interstellaire.
Fig. 5 – Le cycle énergétique des galaxies. Lors du cycle d’évolution d’une galaxie de très nombreux phénomènes physiques sont mis en œuvre. De la gravitation qui est responsable de la cohésion globale de la galaxie, mais aussi de la formation des étoiles ou de la dynamique du gaz interstellaire, à l’énergie nucléaire capable de synthétiser de nouveaux éléments chimiques dans les étoiles en passant par des processus physicochimique dans le milieu interstellaire, pratiquement tous les phénomènes physiques connus se retrouvent dans l’évolution des galaxies
15Le chauffage du gaz interstellaire est principalement dû aux étoiles. Cela se passe de deux manières. La plus simple est celle qui est due au rayonnement lumineux des étoiles. Les étoiles rayonnent en première approximation suivant les mécanismes d’émissions des corps noirs. C’est-à-dire qu’elles rayonnent dans tout le domaine des ondes électromagnétiques. On peut observer le Soleil aussi bien en rayons X, que dans le visible, ou en radio. Par contre, la forme et l’intensité du spectre d’émission changent avec la température de surface de l’étoile. Une étoile comme le Soleil, avec une température de surface voisine de 6 000 K, émet principalement dans l’infrarouge proche. Une étoile très massive, avec une température supérieure à 40 000 K, émettra un flux ultraviolet très intense. Plus une étoile est massive, plus elle est chaude, avec un rayonnement dans le bleu et l’UV et plus elle dégage d’énergie. Les photons émis par les étoiles vont interagir avec les particules du milieu interstellaire et contribuer à chauffer ce gaz. Les photons les plus efficaces sont bien sûr les photons UV qui possèdent le plus d’énergie, mais, les photons visibles et infrarouges, étant beaucoup plus nombreux, ont une contribution non négligeable dans le bilan énergétique global. Les photons UV, au-delà d’une certaine énergie sont capables d’ioniser l’hydrogène atomique, principal composant du milieu interstellaire. Cela se produit surtout autour des étoiles les plus chaudes, et donc très jeunes. Tout le gaz autour de ces étoiles est ionisé, et on observe une bulle de gaz chaud que l’on appelle une région HII. L’autre manière de chauffer le gaz est due aux collisions entre le gaz éjecté par les étoiles, en particulier par lors de l’explosion d’une supernova. La matière éjectée se déplace à une vitesse supersonique, et crée une onde de choc dans le milieu interstellaire. Cette onde de choc se propage dans le milieu interstellaire, laissant derrière elle une bulle de gaz chaud, que l’on appelle un reste de supernova. Le gaz interstellaire émet lui aussi de la lumière, mais cette émission est dominée par des raies d’émission des ions, des atomes et des molécules qui le composent.
16Le gaz interstellaire contient également des poussières. Les grains de poussières sont des grains d’une taille voisine du micron, composés de silicates, comme l’olivine, de carbone plus ou moins graphité et de glaces. Les poussières représentent 1 % de la masse du milieu interstellaire, mais sont responsables de la plus grande partie de l’absorption de la lumière émise par les étoiles dans le milieu interstellaire. Ces poussières sont chauffées par le rayonnement interstellaire à des températures comprises entre 10 K et 60 K, suivant l’intensité de ce rayonnement. Dans les régions de formation d’étoiles où l’on trouve beaucoup d’étoiles jeunes et chaudes, les grains sont à des températures élevées, 60 K environ, tandis que dans les régions pauvres en étoiles leur température peut être aussi basse que 10 K. À ces basses températures les grains de poussière rayonnent, mais uniquement dans l’infrarouge lointain.
Tab. 1 – Principaux constituants du milieu interstellaire
17Le milieu interstellaire absorbe donc le rayonnement produit par les étoiles. Lorsqu’on observe le spectre d’une galaxie, on observe donc la superposition du spectre des étoiles, et celui du milieu interstellaire. Leur proportion relative dépend beaucoup de la nature des galaxies. Dans une galaxie elliptique, très pauvre en gaz interstellaire, le spectre est dominé par les étoiles ; dans une galaxie spirale, on voit les deux superposés ; mais dans certaines galaxies subissant des événements de formation d’étoiles intenses, la quantité de gaz moléculaire et de poussières est telle que pratiquement tout le rayonnement des étoiles est absorbé, et que l’on ne voit plus que le rayonnement infrarouge des poussières.
18Le milieu interstellaire est lui-même un système très complexe. Comme on l’a vu, près des étoiles chaudes, le gaz est ionisé et les molécules détruites par le rayonnement UV des étoiles. Loin de celles-ci, on trouve un milieu neutre et des poussières froides. Et dans les régions les plus denses du milieu interstellaire neutre, des molécules se forment et se concentrent dans des grands nuages. Le tableau résume les principales propriétés des différentes phases du milieu interstellaire
19Ce milieu est très différent du gaz auquel nous sommes habitués. Pour le sens commun, cela s’apparente plus au vide qu’à un gaz. Dans des conditions normales sur terre 1 cm3 de gaz contient quelque 1019 molécules. Et même dans ce qu’on appelle couramment l’ultra vide, on trouve encore plus d’un million (106) de particules par cm3. Dans le milieu interstellaire neutre, les densités vont de 0,1 à 10 atomes par cm3. Cela revient à dire que les atomes ont un libre parcours moyen allant de 1 000 km à 1 million de km. C’est-à-dire qu’un atome doit parcourir au moins la distance de Paris à Marseille pour interagir avec un autre atome. Mais la taille des galaxies fait que malgré ces très faibles densités, le milieu interstellaire est le lieu de très nombreuses réactions physicochimiques.
20Ce milieu est loin d’être statique. Il y a de continuels transferts d’une phase à l’autre. Prenons un nuage moléculaire au sein duquel se forment des étoiles. Lorsque celles-ci sont actives, leur rayonnement fait s’évaporer le nuage, les molécules sont détruites, et les atomes s’ionisent, donnant naissance à une région HII. Puis les étoiles évoluant, elles disparaissent, ou deviennent trop froides pour ioniser le gaz. Celui-ci perd de l’énergie par son rayonnement, et redevient neutre. Par des réactions catalytiques à la surface des grains de poussières, des molécules se reforment à partir des atomes, les molécules sont plus froides et peuvent se condenser dans des grands nuages. Et ainsi de suite. C’est grâce à cette continuelle transformation du milieu interstellaire que l’on peut recycler les éléments synthétisés dans les étoiles. Ceux-ci sont éjectés dans le milieu interstellaire pendant les phases actives de la vie des étoiles ; ils sont éjectés soit dans des régions HII, soit dans des restes de supernova. Et c’est parce que ces régions chaudes finissent par se refroidir et se mélanger avec les régions froides que les nouveaux nuages moléculaires se trouvent enrichis par la génération précédentes d’étoiles, et donneront naissance à des étoiles plus riches en éléments lourds que leurs prédécesseurs. Toute l’évolution d’une galaxie est finalement contrôlée par cette physico-chimie complexe qui se déroule dans un milieu presque vide.
La formation d’étoiles : le moteur de l’évolution
21Une galaxie qui ne forme plus d’étoiles n’évolue quasiment plus. Ses étoiles vieillissent, elle devient de plus en plus rouge et de moins en moins lumineuse. Comme les collisions entre étoiles sont inexistantes, les étoiles conservent leur énergie cinétique et se distribuent régulièrement dans le potentiel gravitationnel. C’est la configuration que l’on trouve dans les galaxies elliptiques, et c’est la fin de toutes les galaxies. La rapidité de l’évolution d’une galaxie, d’une masse de gaz initiale, à une galaxie passive uniquement composée d’étoiles dépend de l’efficacité de la formation d’étoiles. Plus elle sera intense, plus l’évolution sera rapide.
Fig. 6 – Images de la galaxie Centaurus A à différentes longueurs d’onde. a. Image dans le visible. On distingue une galaxie elliptique sous-jacente barrée par un disque de poussière. Vraisemblablement, ce système résulte de la collision entre une galaxie elliptique et une galaxie spirale. Les étoiles des deux systèmes se sont mélangées pour donner une galaxie plus grosse. Le gaz de la galaxie spirale a reformé un disque qui se trouve au milieu de la galaxie résultante de la fusion. Ce gaz est rempli de poussières, c’est pourquoi, il apparaît en sombre sur la galaxie elliptique. b. Image dans l’infrarouge proche. Cette longueur d’onde correspond au pic d’émission des étoiles qui composent la galaxie. À cette longueur d’onde, la poussière est beaucoup moins absorbante que dans le visible. Le disque gazeux est donc nettement moins visible et l’image est dominée par les étoiles de la galaxie elliptique c. Image dans l’infrarouge moyen. À cette longueur d’onde, les étoiles n’émettent pratiquement plus de lumière. Au contraire, on atteint le domaine d’émissions des poussières présentes dans le disque. Cette image est pratiquement l’opposé de la précédente. On ne voit que le disque, et plus les étoiles. On distingue au centre du disque un noyau très brillant. d. Image en rayons X. Elle permet de comprendre la nature du noyau vu en infrarouge. Il s’agit d’un trou noir de quelques millions de masses solaires, qui se nourrit en accrètant le gaz du disque. Ce phénomène d’accrétion s’accompagne d’un processus d’émission de particules à des vitesses relativistes dans des jets collimatés, symétriques par rapport au trou noir. On distingue aussi une émission d’un gaz chaud qui occupe presque toute la galaxie (en rouge sur l’image), et une région de choc (en jaune en bas de l’image) due à l’interaction du jet avec le gaz chaud de la galaxie. e. Composite d’images dans le visible, les X et les micro-ondes. On y retrouve les différents constituants identifiés sur les images précédentes, mais, en plus, on voit l’extension des jets très loin du noyau central. f. Image en ondes radios. On ne voit plus que les jets de particules relativistes, qui, grâce à leurs mouvements émettent un rayonnement de type synchrotron observable en radio. La galaxie elle-même n’est plus visible. C’est en combinant les informations venant de tout le spectre électromagnétique, des X à la radio, que l’on peut comprendre ce qui se passe dans un système aussi complexe qu’une galaxie. (NGC 5128, Centaurus A, a. ESO, b. 2 MASS, IPAC, University of Massachusets, c. Spitzer Space Observatory, JPL-NASA, d. Chandra, NASA/CXC/CfA, e. ESO/WFI (Optical) ; MPIfR/ESO/APEX/A. Weiss et al. (Submillimetre) ; NASA/CXC/CfA/R. Kraft et al. (X-ray), f. X-ray : NRAO.)
22On ne comprend pas encore très bien tous les mécanismes qui contrôlent l’effondrement des nuages moléculaires et la naissance des protoétoiles. La turbulence du gaz et le champ magnétique dans les nuages jouent certainement un rôle, mais nous n’avons pas encore de théories permettant d’expliquer le détail de la formation d’étoiles. Par exemple, nous ne savons pas pourquoi on forme des étoiles de différentes masses. Si la physique de la formation d’étoiles reste encore mal connue, on peut néanmoins obtenir des relations empiriques qui lient la formation d’étoiles à grande échelle aux conditions physiques prévalant dans les galaxies.
23La radioastronomie a d’abord permis d’observer le gaz neutre, grâce à la raie à 21 cm de longueur d’onde de l’hydrogène atomique. Dans les années 70, la radioastronomie dans le domaine millimétrique a ouvert le champ à l’observation des molécules et des nuages moléculaires, et les grands télescopes dans le visible ont servi à étudier le gaz ionisé dans les régions HII et les restes de supernova. À partir des années 80, des observatoires embarqués sur des satellites, d’abord en X, puis en infrarouge, ont été utilisés pour observer les phases les plus chaudes du milieu interstellaire émettant en rayon X, et les plus froides, les poussières, émettant en infrarouge. Nous avons donc à notre disposition un arsenal de moyens observationnels qui nous permettent de mieux comprendre ce qui se passe dans les galaxies.
24Une première relation empirique montre que le taux de formation d’étoiles dépend de la densité du gaz interstellaire. Plus le gaz est dense en moyenne, plus on forme d’étoiles. Une loi, appelée loi de Schmidt, relie le taux de formation d’étoiles à la densité de surface du gaz élevée à une puissance comprise entre 1 et 2 suivant les auteurs. Cette loi n’est pas physique, car la grandeur qui aurait un sens serait la densité volumique du gaz, et pas la densité surfacique. Mais, malheureusement, on ne peut pas mesurer cette densité volumique. Telle quelle, cette loi n’est pas surprenante. Elle exprime simplement le fait qu’il faut du gaz pour former les étoiles. Mais, en plus de cette dépendance, il y a un effet de seuil. En dessous d’une certaine densité, on ne forme plus d’étoiles. Pour former des étoiles, il faut donc comprimer le gaz jusqu’à atteindre au minimum cette densité critique. Et c’est là qu’intervient la dynamique du gaz interstellaire.
25Il y a plusieurs manières d’obtenir la densité critique. La plus simple, et qui peut se produire dans n’importe quelle galaxie, est la turbulence qui tend à créer des fluctuations de densité importante pouvant servir à condenser les gaz neutres en nuages moléculaires. Ce processus donne naissance à des étoiles distribuées aléatoirement dans le temps et l’espace. Un deuxième mécanisme est lié aux ondes de choc générées par les supernovas. Si on forme un petit amas d’étoiles massives, elles vont exploser à peu près en même temps, et les restes de chaque supernova vont pouvoir se mélanger créant ainsi une super bulle de gaz chaud, et une onde de choc très violente dans le milieu interstellaire. Cette onde choc est capable de comprimer le gaz interstellaire, et elle sert de détonateur pour former de nouvelles étoiles. La formation d’étoile peut donc, par contagion, se propager sur de grandes distances dans une galaxie. Ce sont ces deux types de formation d’étoiles, spontané et induit, qui dominent la formation d’étoiles dans les galaxies irrégulières et les galaxies spirales ayant des bras peu marqués.
26Dans une galaxie, le gaz se répartit dans un disque en rotation. Les étoiles du disque tournent aussi. Ces mouvements créent dans le disque des ondes de densité qui tournent également, d’où leur aspect de spirales plus ou moins enroulées, mais avec une vitesse plus faible que le gaz. Celui-ci, rentrant dans l’onde de densité, est freiné, et une accumulation de gaz se produit au passage de l’onde, exactement comme sur une autoroute les bouchons se forment derrière un camion. Cette compression est suffisante pour générer une formation d’étoiles intense dans les bras spiraux. Les étoiles se forment donc en suivant le tracé des ondes de densités. C’est l’origine des bras spiraux dans les galaxies spirales. Ils sont visibles car ils sont le lieu d’une formation d’étoiles importante, produisant des étoiles chaudes, bleues et lumineuses. Les ondes de densités les plus intenses sont excitées par une barre centrale. La formation d’une barre est une instabilité gravitationnelle. Un disque en rotation n’est pas stable, et il tend naturellement à former une barre en son centre. Une fois la barre formée, elle excite des ondes de densités, et elle est capable de canaliser un flux de gaz vers le centre de la galaxie, suivant son grand axe. Ce flux de gaz est suffisant pour alimenter une très intense formation d’étoiles dans la zone centrale. La combinaison de ces deux phénomènes, ondes de densités fortes, et chute de gaz vers le centre, expliquent pourquoi la formation d’étoiles est plus rapide et plus marquée dans les galaxies barrées que dans les autres galaxies spirales.
27Le dernier mécanisme pour stimuler la formation d’étoiles se produit lors des collisions de galaxies. Les galaxies ne sont pas des objets isolés. Elles se trouvent toujours associées à d’autres dans des groupes allant de quelques dizaines de galaxies jusqu’à quelques milliers. Elles s’influencent mutuellement. Environ 10 % des galaxies sont suffisamment proches l’une de l’autre pour que cela induise des effets visibles dans leur morphologie. Des effets de marées déforment les régions extérieures et les étoiles arrachées à une galaxie commencent par former de longs filaments, puis se répartissent de manière plus homogène loin de la galaxie. Les galaxies se déplaçant à grande vitesse l’une par rapport à l’autre, de quelques centaines à quelques milliers de km/s, ces phénomènes sont dynamiques et ces interactions peuvent faire évoluer les deux galaxies en inter action de manière spectaculaire. Pour les étoiles, il n’y a rien de catastrophique. Elles sont arrachées de leurs orbites initiales autour du centre de la galaxie, et forment ces grands filaments. Mais pour le gaz, il peut se produire des effets plus violents. En particulier si les galaxies rentrent réellement en collision. Dans ce cas, dans la zone de collision, il se produit une onde de choc entre le gaz des deux galaxies. Cette onde de choc stimule la formation de nuages moléculaires géants, d’où une formation d’étoiles intense. Dans la plupart des cas, ces régions de formation d’étoiles sont très obscurcies, et on ne peut les observer que dans l’infrarouge. Ce fut une des plus grands succès du satellite IRAS en 1983 que de montrer qu’il existait des galaxies tellement obscurcies que pratiquement tout le rayonnement des étoiles était absorbé et que ces galaxies n’étaient pratiquement visibles qu’en infrarouge. Et toutes ces galaxies lumineuses en infrarouge sont des galaxies en interaction violente, avec un taux de formation d’étoiles intenses, 10 à 100 fois plus grand que celui qu’on observe dans une galaxie spirale normale.
Fig. 7 – Galaxies en collisions. Ce système de deux galaxies en collision est connu sous le nom de galaxies des antennes à cause de très grands bras lumineux qui s’échappent des parties centrales des deux galaxies en collision. Ces antennes sont dues à des effets de marées qui arrachent les étoiles de leur orbite normale et les concentrent dans ce type de structure. a. Image à grand champ dans le visible montrant la zone de collision des deux galaxies et les antennes formées par les effets de marées. b. Gros plan sur la partie centrale dans le visible. On distingue deux structures ovoïdes, correspondant chacune à une des galaxies qui sont entrées en collision. La galaxie du haut présente de nombreuses régions de formation d’étoiles (en bleue sur l’image) analogue à celles que l’on trouve dans les galaxies spirales. Entre les deux galaxies, on voit de grandes régions sombres dues à des poussières. Ces régions sont celles ou les milieux interstellaires des deux galaxies initiales se rencontrent, générant une forte compression du gaz par des ondes de chocs. c. La même région, mais en infrarouge. Les régions les plus lumineuses sont ici les régions obscurcies de l’image (b). Les chocs, dans la région de collision font que le gaz est comprimé à des densités telles qu’il est capable de se transformer en étoiles avec une très grande efficacité. La plus grande partie de la formation d’étoiles dans ce système en interaction se déroule dans cette zone de collision, qui est complètement obscure dans le visible. Il faut des observations en infrarouge pour comprendre où et comment se forment les étoiles dans les galaxies. (NGC4038-NGC4039, a. © 2001-2007 by Daniel Verschatse, b. M. Rushing/NOAO, c. NASA/JPL-Caltech/Z. Wang, Harvard-Smithsonian CfA.)
La régulation du cycle d’évolution
28Pour que le recyclage galactique fonctionne correctement, il faut que le cycle galactique se déroule ni trop vite, ni trop lentement. Trop vite, il n’y aurait pas le temps de reprendre les éjectas des premières étoiles pour enrichir les générations suivantes, trop lentement, il n’y aurait rien à recycler. Dans une galaxie très petite, la première génération d’étoiles crée un grand nombre de supernovae, dont les restes sont suffisamment proches pour se mélanger et former une gigantesque bulle de gaz chaud qui englobe toute la galaxie. Ce gaz peut être même tellement chaud qu’il s’échappe de la galaxie, créant un vent galactique. Ce vent vide la galaxie de son gaz, interdisant la formation de nouvelles étoiles. C’est ce phénomène qui fait que l’on n’observe pas de galaxies plus petites que quelques centaines de millions de masses solaires.
29Dans une galaxie de taille normale, un phénomène analogue se produit mais sans aller jusqu’à créer des vents destructeurs pour la galaxie. Autour d’une région de formation d’étoiles va se créer une grande bulle de gaz chaud due au rayonnement UV des étoiles jeunes et à la percolation des restes de supernovae. Comme on l’a expliqué précédemment, cette bulle en expansion comprime le gaz interstellaire à sa périphérie, et l’onde de choc résultante peut stimuler la formation d’étoiles au pourtour de cette bulle. Par contre, il n’est plus possible de former des étoiles dans la bulle chaude, car le gaz ne peut pas se condenser. Il faut attendre que les étoiles chaudes disparaissent et que le gaz se refroidisse. C’est un processus qui dure quelques dizaines de millions d’années. Former des étoiles dans une région à un instant donné se traduit par l’impossibilité de former de nouvelles étoiles dans une région plus grande que la région initiale où se sont formées les étoiles. Et on comprend intuitivement que plus intense sera la formation d’étoile, plus grande sera la bulle chaude qui en résultera. La formation d’étoiles contient en elle-même son propre mécanisme de régulation. Dans la galaxie, les deux phases du milieu interstellaire, le gaz neutre et le gaz ionisé coexistent. La fraction de gaz chaud est contrôlée par le chauffage dû aux étoiles jeunes et aux supernovae. Plus on forme d’étoiles, plus la fraction de gaz ionisée augmente, plus celle de gaz neutre diminue, et plus la formation d’étoiles qui ne se fait que dans le gaz neutre et froid se ralentit. Cette autorégulation du système est très efficace. Et, dans les faits, les fractions relatives de gaz chauds et froids sont très constantes d’une galaxie spirale à une autre et n’évoluent que peu au cours de l’évolution du disque d’une galaxie. C’est ce mécanisme de régulation qui fait qu’une simple loi reliant la formation d’étoiles à la densité de surface du gaz, comme la loi de Schmidt, fonctionne.
30L’évolution d’une galaxie se fait donc par une succession de périodes calmes et agitées. Pendant les phases calmes, une formation d’étoiles modérée se produit avec des processus de régulation qui empêchent tout emballement. Ces épisodes sont entrecoupés de phases violentes générées par des collisions avec leurs voisines. À chacun de ces événements, un sursaut de formation d’étoiles se produit, et les galaxies se déforment. Une fois la collision terminée, le gaz restant reforme un disque, les étoiles retombent, mais sur des orbites plus lointaines, et la galaxie recommence à vivre son petit train-train.
Troubles de voisinage
31Pour la simplicité de l’exposé, jusqu’ici nous n’avons considéré les galaxies que comme des systèmes isolés. Ce n’est qu’une simplification. Dans la réalité l’évolution des galaxies est très dépendante de leur entourage. Et ce pour une raison simple. Les galaxies ne se forment pas n’importe où au hasard. Elles se forment dans des régions denses de la structure filamentaire de la matière noire, au croisement de deux filaments par exemple. Ce qui fait qu’elles se forment presque toujours en groupes, allant de quelques dizaines à quelques milliers de galaxies. Et la distance moyenne entre galaxies dans ces groupes est du même ordre de grandeur que la taille des galaxies. Par exemple, la distance entre le centre de la Voie lactée et la galaxie la plus proche, le Grand Nuage de Magellan, n’est que 2 fois plus grande que le diamètre de la Voie lactée. Les galaxies sont donc en constante interaction avec leurs voisines et avec le gaz intergalactique qui reste encore disponible dans les filaments. L’exemple des Galaxies des Antennes montre quels sont les résultats d’une collision récente entre deux galaxies : formation d’étoiles intense et localisée, déformation de la structure. Les étapes ultimes de ce type de collisions peuvent aller jusqu’à la fusion des deux galaxies initiales et l’apparition d’une galaxie plus grosse. Dans les amas denses de galaxies, on trouve au centre de ces amas des galaxies géantes qui se nourrissent des galaxies plus petites qui tombent vers le centre de l’amas. Ce cannibalisme est un cas extrême. Mais dans tous les cas, il se produit des interactions presque continuelles, que certains auteurs n’ont pas hésité à appeler du « harcèlement galactique ». La fusion des galaxies entre elles, et l’apport de gaz intergalactique dans les galaxies jouent un rôle important pour leur évolution. Mais, pour l’instant, on ne comprend pas encore complètement ces mécanismes, même si les simulations numériques de plus en plus détaillées permettent de mieux visualiser ce qui peut se passer.
Conclusion
32Le mot « galaxie » est un nom du domaine courant. Toutes les émissions pour enfants parlent de héros venant d’autres galaxies, et les livres et films de science-fiction ne sont pas en reste. Elles sont aussi populaires par leur grande taille qui permet d’observer les plus proches d’entre elles avec de petits télescopes. Mais au-delà de leur beauté visuelle, ce sont des objets fascinants. Si un système mérite le nom de système complexe ce sont les galaxies. La diversité des phénomènes en jeux, la diversité des échelles spatiale et temporelle sont uniques. Une galaxie comment ça marche ? On peut répondre, mais, comme le démontre ce chapitre, il faut un assez long développement, et encore sans rentrer dans les détails. Le plus étonnant est que cela marche. Les galaxies évoluent, forment des étoiles, des planètes en recyclant perpétuellement les produits synthétisés à chaque génération. C’est un système dans lequel rien n’est perdu, excepté la lumière émise. Et heureusement pour nous, qu’elles émettent de la lumière, sinon nous ne les verrions pas et nous ne pourrions pas les étudier.
33À l’heure où le développement durable est tellement à la mode, les galaxies nous montrent un système qui fut globalement capable de se maintenir et de s’enrichir pendant une dizaine de milliards d’années. L’exemple vient du ciel !
Bibliographie
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Références bibliographiques
* = référence facilement accessible ; ** = difficulté « intermédiaire » ; *** = référence « spécialisée »
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Auteur
Directeur de l’Institut d’Astrophysique de Paris du CNRS et de l’université Pierre et Marie Curie. Il est directeur de recherche au CEA, où il a accompli l’essentiel de sa carrière, ayant en particulier dirigé le Service d’Astrophysique du CEA de 1993 à 2001. Ses travaux scientifiques portent sur l’évolution des galaxies, et sur le développement d’instruments pour des observatoires au sol et dans l’espace. À ce titre, il est le co-responsable scientifique de l’instrument SPIRE de l’observatoire spatial Herschel lancé par l’Agence Spatiale Européenne le 14 mai 2009. Une grande partie des programmes scientifiques d’Herschel est dédiée à l’observation des galaxies
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012