11. L’espace interstellaire
p. 114-122
Texte intégral
1Les étoiles et les galaxies sont des objets célestes familiers de tous. Depuis toujours, il suit de regarder le ciel pour découvrir notre Galaxie, la Voie lactée, et ses étoiles. Nous savons aujourd’hui que l’Univers comprend des dizaines de milliards de galaxies et que chacune de ces galaxies est constituée de cent milliards d’étoiles. Ces galaxies sont nées à partir de petites bosses dans la distribution de la matière et elles continuent aujourd’hui à grandir. Les étoiles ne sont pas immuables : certaines meurent alors que d’autres naissent. L’Univers se fait et se défait et cette action prend place dans l’espace entre les étoiles : l’espace interstellaire. Nous pouvons y voir aujourd’hui des étoiles semblables au Soleil mourir et d’autres naître et grandir à partir des atomes de l’Univers.
2Risquons une analogie où le ciel est à l’image de notre Terre. Les galaxies y sont les villes lumineuses, les étoiles et leurs systèmes planétaires les habitations, et l’espace interstellaire les rues et la campagne continuellement animées par tout ce qui se passe. À un moment de son histoire où l’homme prend conscience de la taille finie de la Terre, l’immensité de l’espace interstellaire le fait rêver. À travers ses livres de science-fiction, il a déjà imaginé de maintes façons les voyages interstellaires ainsi que la visite d’extra-terrestres. Les astronomes eux découvrent l’espace interstellaire en l’observant avec leurs télescopes. Ils y cherchent les origines de notre étoile et celle du Système solaire. Cette histoire nous est bien sûr encore largement inconnue, mais cherchons à partager ce que les observations nous disent et que nous tentons de comprendre.
Notre environnement interstellaire
3Avec une densité moyenne d’un atome par cm3, le milieu interstellaire est infiniment ténu par rapport à l’atmosphère terrestre, et même par rapport au vide que les physiciens créent dans leurs laboratoires. Le Système solaire se déplace à travers ce milieu continuellement modelé par son interaction avec les étoiles. Le Système solaire est depuis plusieurs millions d’années dans une cavité de plusieurs centaines d’années lumières, vidée de sa matière par l’explosion d’une vingtaine de supernovae. La découverte d’un isotope radioactif de l’atome de fer dans des sédiments marins est peut-être associée à l’arrivée sur Terre de matière synthétisée lors d’une de ces explosions s’étant produites proche du Soleil. Notre environnement interstellaire est traversé par plusieurs nuages et le Système solaire est depuis 50 000 ans dans l’un d’entre eux qu’il fend à la vitesse vertigineuse de 100 000 km/h. Ce nuage interstellaire qui nous entoure, dit le nuage local, est celui dont nous connaissons le mieux la composition et l’état physique, même si peu de cette matière nous parvient.
Fig. 1 – La frontière entre le Système solaire et le milieu interstellaire avec la position des 2 sondes Voyager qui sont aujourd’hui à l’intérieur de la zone d’interaction. L’interaction génère des particules de haute énergie dont la direction d’arrivée vient d’être cartographiée pour la première fois par le satellite IBEX. Cette carte révèle une concentration inattendue du flux de particules qui pourrait être associée à la déformation du champ magnétique interstellaire par le mouvement relatif du Système solaire par rapport au nuage local. Ce schéma montre que le flux serait maximum là ou le champ magnétique est le plus cintré. (Adler Planetarium et Southwest Research Institute)
4À 15 milliards de kilomètres de la Terre (100 fois la distance de la Terre au Soleil), la matière interstellaire est arrêtée par le vent solaire – de la matière éjectée de la couronne (la haute atmosphère) du Soleil. L’intensité du vent solaire varie au cours du cycle d’activité du Soleil. Il crée un écran magnétique qui nous isole de l’espace interstellaire et nous fait voyager dans la Galaxie à l’intérieur d’une sorte de capsule spatiale. La matière interstellaire s’écoule autour de nous comme l’eau autour d’un bateau, mais cet écran magnétique, lui, n’est pas totalement étanche. Il laisse passer un vent interstellaire constitué d’atomes neutres, principalement des atomes d’hydrogène et d’hélium. De petites particules solides d’origine interstellaire ont aussi été identifiées à l’intérieur du Système solaire par les sondes interplanétaires Ulysses et Galileo. Les deux sondes Voyager sont parties à la rencontre du nuage local, après leur exploration de Jupiter, Saturne, Uranus puis Neptune1.
Voyager à sa rencontre
5Voyager 1 s’échappe à une vitesse de 3,6 unités astronomiques (le rayon de l’orbite de la Terre autour du Soleil, soit 150 millions de kilomètres) par an dans la direction du mouvement relatif du Soleil par rapport au nuage local, à 35° de l’écliptique (le plan des planètes). Voyager 2 voyage dans une direction symétrique par rapport à l’écliptique. Les deux sondes sont aujourd’hui à une centaine d’unités astronomiques de notre Terre. Elles ont récemment traversé la frontière de l’héliosphère (la zone d’influence du Soleil) marquée par le choc entre le vent solaire et le nuage local. L’expansion du vent solaire y est arrêtée par la matière interstellaire. Les deux sondes traversent aujourd’hui une zone d’interface où matière interstellaire et vent solaire interagissent. Elles pourraient en sortir avant que nos collègues américains ne perdent le contact avec elles dans une dizaine d’années. Leurs instruments pourraient alors donner les premières mesures physiques in situ de la matière interstellaire.
6Le Système solaire fait un tour autour du centre de notre galaxie en 220 millions d’années. Le long de ce voyage, son environnement interstellaire se modifie et agit sur l’étendue de l’héliosphère et le flux de matière interstellaire qui arrive sur Terre. L’impact de ces variations sur l’histoire de la Terre, de son atmosphère et du climat est le sujet de nombreuses spéculations, mais aussi d’études scientifiques. Pour savoir si la traversée de nuages interstellaires avec des densités plus grandes que celle du nuage local a pu avoir un impact majeur sur l’histoire de la Terre, il nous faut comprendre la physique de l’interaction entre vent solaire et matière interstellaire. L’étude de l’interface entre Système solaire et milieu interstellaire est l’objet de la mission spatiale IBEX. Ce satellite en orbite autour de la Terre depuis 2008, détecte en continu des atomes qui arrivent jusqu’à la Terre. Il cartographie leur direction d’arrivée et de là l’interaction entre le nuage local et le vent solaire. Les premières cartes du ciel réalisées par ce satellite viennent d’être publiées2.
Un environnement durable
7Entrons dans l’espace interstellaire nous y retrouvons les atomes qui nous viennent du début de l’histoire de l’Univers, formés 300 000 ans après le Big Bang, il y a 13,7 milliards d’années. Le Big Bang a formé des atomes d’hydrogène et d’hélium et de faibles traces d’autres atomes légers comme le deutérium et le lithium 7. Depuis, ces atomes ont servi à former de nombreuses générations d’étoiles, mais la matière interstellaire est encore pour l’essentiel constituée d’hydrogène et d’hélium. Dans chaque étoile, des réactions nucléaires de fusion produisent de nouveaux atomes, comme le carbone, l’oxygène, l’azote et le fer qui nous sont familiers (voir le chapitre 12). Cette transformation n’a lieu qu’au centre des étoiles, là où la température est suffisamment élevée pour permettre les réactions nucléaires. À la fin de leur vie, les étoiles rejettent leurs atomes dans l’espace interstellaire, mais très peu des atomes d’hydrogène et d’hélium ont été transformés en nouveaux atomes. Aujourd’hui, dans la Galaxie, les atomes synthétisés dans les étoiles ne représentent que 2 % de la masse de la matière interstellaire. Une première moitié de ces éléments se trouve sous forme atomique ou moléculaire et constitue avec l’hydrogène et l’hélium le gaz interstellaire. L’autre moitié est sous forme de particules solides que nous appelons grains interstellaires et qui constituent ensemble la poussière interstellaire. La taille des grains va du nanomètre au micron. Cette poussière joue de multiples rôles dans l’évolution de l’Univers qui ne serait pas le même sans elle.
8La découverte des deux composantes de la matière interstellaire, gaz et poussières, fut étroitement liée à notre perception des dimensions réelles de notre galaxie dans les années 1930. Sa dimension était largement sous-estimée jusqu’à ce que l’on réalise que dans le visible on ne voit que les étoiles proches du Soleil. Les taches sombres le long de la Voie lactée ne sont pas dues à une absence d’étoiles mais à l’extinction de leur lumière par la poussière interstellaire. Le Soleil est à la périphérie d’un immense disque d’étoiles, à plusieurs dizaines de milliers d’années lumières d’un centre qui dans le visible nous est caché par la poussière. La découverte du gaz interstellaire est associée à l’identification de signatures spectrales spécifiques à certains atomes et molécules. La longueur d’onde des raies d’émission et d’absorption dépend de la vitesse du gaz. Cet effet a permis de séparer les raies associées aux étoiles de celles du gaz interstellaire. Elle nous a aussi révélé le mouvement de rotation de la matière autour du centre de la Galaxie.
Fig. 2 – Image d’une étoile à la fin de sa vie, la « nébuleuse papillon », prise par le télescope spatial Hubble avec la nouvelle caméra installée lors de la dernière visite des astronautes. Le gaz de l’étoile, enrichi des atomes et de particules solides qu’elle a fabriqués, est dispersé et va se mélanger à la matière interstellaire. Le cœur très chaud de l’étoile est à nu. Son rayonnement rend la matière très lumineuse, mais comme dans une région de formation d’étoiles les concentrations les plus denses de gaz et de poussière sont sombres car opaques au rayonnement stellaire. L’étoile au centre de l’image entre les deux ailes du papillon est entourée d’un disque de matière très dense dont nous ne pouvons que deviner la présence sur cette image. (NASA)
9La poussière se forme dans les enveloppes denses et chaudes des étoiles à la fin de leur vie, y compris dans la matière éjectée par les supernovae. Dans l’espace interstellaire, la poussière change au gré des conditions physiques locales. Elle est détruite dans les régions les plus ténues et les plus chaudes mais jamais complètement, ce qui lui permet de se reconstruire dans les régions denses de l’espace interstellaire par addition d’atomes et de molécules du gaz, et aussi coagulation entre particules solides. La poussière réémet dans l’infrarouge l’énergie qu’elle absorbe des étoiles. Cette émission est restée longtemps inaccessible faute de détecteurs appropriés mais aussi parce que ce rayonnement est très difficile à observer au sol. Il faut sortir de notre atmosphère pour l’observer dans toutes ses caractéristiques. Après le lancement de plusieurs observatoires infrarouges spatiaux. Le rayonnement infrarouge des grains interstellaires est aujourd’hui une source principale d’information sur la nature de cette poussière et sur le milieu interstellaire dans son ensemble. Ce rayonnement permettra bientôt de cartographier le champ magnétique de la Galaxie.
Un espace magnétisé
10Comme le Soleil et la Terre, le milieu interstellaire est soumis à des champs magnétiques. Ceux-ci sont des acteurs incontournables que nous invoquons souvent dans nos interprétations des observations, tout en n’ayant pas encore complètement appréhendé la multiplicité des rôles qu’ils jouent dans l’évolution de la matière interstellaire. La découverte du magnétisme de la Galaxie est liée à celle des rayons cosmiques. Sans le champ magnétique interstellaire, ces particules, accélérées par les supernovae à des vitesses relativistes, auraient vite fait de quitter la Galaxie. La force magnétique les retient en les faisant tourner à l’intérieur de la Galaxie. Le champ magnétique est, lui, tenu par les particules chargées : les ions et les grains interstellaires. Ces trois composantes du milieu interstellaire : la matière, le champ magnétique et les rayons cosmiques, constituent un ensemble dynamique. Ils agissent continûment les uns sur les autres et nous ne pouvons pas comprendre l’un d’entre eux sans prendre en compte les deux autres.
11Les observations montrent que la lumière des étoiles est polarisée (le champ électrique associé à la lumière a une direction préférentielle de vibration) et qu’elle est d’autant plus polarisée que l’extinction par la poussière interstellaire est grande. C’est ainsi que fut découvert le champ magnétique galactique dans les années 1940. L’émission de la poussière dans l’infrarouge est elle aussi polarisée. La poussière joue ici le rôle de l’aiguille d’une boussole en indiquant la direction du champ magnétique là où elle se trouve dans la Galaxie. Cette émission infrarouge permet de construire une carte du champ magnétique galactique. L’importance du champ magnétique est avérée depuis longtemps, mais les observations dont nous disposons sont encore très fragmentaires. Les observations stellaires ne sont pas continues et ne permettent pas de sonder les régions denses du milieu interstellaire. Le rayonnement des électrons relativistes est lui aussi polarisé, mais il ne nous donne qu’une vision globale. La polarisation du rayonnement infrarouge des poussières est la seule qui permette de cartographier le champ magnétique à l’intérieur des nuages interstellaires là où il agit sur l’évolution de la matière interstellaire et la formation des étoiles. Nous attendons beaucoup de la mission spatiale Planck pour nous fournir, enfin, cette information3.
12Le satellite Planck effectue, en effet, un relevé complet du ciel aux longueurs d’onde d’émission du rayonnement associé au Big Bang, le fond cosmologique micro-onde à 2,7 K. Les détecteurs de Planck enregistrent à la fois l’intensité et la polarisation de l’émission du ciel qui réunit le fond cosmologique microonde et l’émission de la poussière de la Galaxie. La mesure de la polarisation du fond cosmologique est un des objectifs prioritaires de cette mission, mais on ne parviendra pas à l’atteindre sans une séparation précise des contributions cosmologiques et galactiques à la polarisation. Pour préciser la théorie du Big Bang, c’est-à-dire la compréhension de la genèse de l’Univers, il faut caractériser la structure du champ magnétique de la Galaxie. Avec Planck, nous aurons ainsi pour la première fois une cartographie continue du champ magnétique associé à la matière interstellaire. Ces observations permettront de quantifier un élément majeur du milieu interstellaire et de progresser dans la compréhension de l’action du champ magnétique sur la matière interstellaire et la formation des étoiles.
Un univers moléculaire
13Dans la Galaxie, le gaz interstellaire est irradié par les photons ultraviolets et X, ainsi que les rayons cosmiques. Il est également soumis à l’action des étoiles, les explosions des supernovae, et plus généralement tout événement qui y dépose de l’énergie. À l’instar de ce que nous observons dans l’environnement interstellaire autour du Soleil, la plus grande partie du milieu interstellaire est occupée par du gaz ionisé, très ténu, chauffé à plusieurs millions de degrés par les supernovae. Les contrastes de densité sont cependant saisissants. Les étoiles se forment dans des nuages interstellaires où la densité est 1 million de fois plus grande que dans leur espace environnant. Dans ces nuages, les atomes s’assemblent en molécules. Les processus physiques et chimiques qui permettent aux molécules de s’y former, et de survivre sont au cœur de la recherche sur le milieu interstellaire.
14Cette évolution chimique débute par la formation de la molécule H2, la plus abondante. La molécule H2 ne peut se former par la simple association de deux atomes d’hydrogène car, pendant le temps très court de leur rencontre, les deux atomes ne parviennent pas à se débarrasser de l’énergie nécessaire pour se retrouver dans un état moléculaire lié. Les densités interstellaires sont trop faibles pour permettre à un troisième atome d’emporter cette énergie de formation car les rencontres à trois atomes sont rarissimes. La formation d’H2 se produit à la surface des grains interstellaires, entre un atome d’hydrogène qui y réside et un deuxième qui le retrouve. La poussière joue ici le rôle de catalyseur de la réaction. Les molécules d’H2 se protègent mutuellement du rayonnement ultraviolet des étoiles qui est susceptible de les dissocier. Elles sont grégaires et ne survivent que groupées à l’intérieur de nuages interstellaires.
Fig. 3 – Ces trois images d’un même nuage interstellaire illustrent la nature turbulente des mouvements qui les animent. Ces images sont le résultat d’observations de la raie d’émission de l’hydrogène atomique avec l’interféromètre de Penticton en Colombie Britannique. La haute résolution spectrale des observations permet de mesurer l’émission en fonction de la vitesse de déplacement du gaz. La turbulence et le champ magnétique régissent l’évolution dynamique de la matière qui conduit à la formation de nouvelles étoiles. Les observations du satellite Planck permettront de cartographier la structure du champ magnétique à travers ce nuage. (University of Toronto and DRAO, National Research Council of Canada)
15La formation d’H2 est suivie par celle de nombreuses autres molécules par réactions entre des ions (des atomes ou des molécules ionisés) et des molécules. Ces réactions ont lieu directement entre particules de gaz, sans que la poussière ait à jouer un rôle de catalyseur. Elles conduisent à la formation de nombreuses molécules interstellaires, en particulier le monoxyde de carbone CO, la molécule la plus abondante après H2. À la surface des nuages, les ions sont produits par le rayonnement ultraviolet. À l’intérieur des nuages, ce rayonnement est très atténué et ce sont les rayons cosmiques qui produisent l’ionisation qui entretient les réactions chimiques. La chimie interstellaire est à l’œuvre, elle est une clé qui ouvre la voie à la formation de nouvelles étoiles.
Les étoiles naissent du froid
16La Galaxie contient la matière interstellaire nécessaire pour former plusieurs milliards de nouveaux Soleils. Où, quand et comment les conditions initiales de la formation stellaire sont-elles réunies ? Les observations permettent d’identifier des étoiles à toutes les étapes de leur vie. Les étoiles jeunes sont toujours associées à des nuages de gaz moléculaire très froids, dont la température est autour d’une dizaine de degrés Kelvin. C’est à cette température très basse que la masse de gaz susceptible de se condenser sous l’effet de la gravité et de donner naissance à des étoiles parvient à se réunir. Pour former des étoiles, la matière venant du milieu interstellaire doit donc nécessairement devenir très froide. Le refroidissement du gaz est physiquement lié à la capacité des molécules et des grains interstellaires à rayonner. Plus le gaz est dense, plus il rayonne et plus il est froid, et réciproquement, plus il est froid, plus il se condense. Mais comment ce processus s’enclenche-t-il ?
17Les circonstances locales mais aussi globales décident du chemin qui s’ouvre à la formation d’étoiles. Où, quand et aussi avec quelle efficacité la matière interstellaire est transformée en nouvelles étoiles ? On observe dans l’espace interstellaire des nuages qui se transforment presque entièrement en étoiles et d’autres qui, au contraire, sont remarquablement inefficaces à former des étoiles. La Galaxie contient des amas de plusieurs dizaines de milliers d’étoiles. Dans d’autres galaxies où la formation des étoiles est plus efficace, ces amas stellaires comprennent jusqu’à un million de membres regroupés dans un périmètre de quelques années lumières équivalente à la distance du Soleil à l’étoile la plus proche, Alpha du Centaure. On observe aussi des galaxies qui forment 1 000 fois plus d’étoiles que la Voie lactée. D’où vient cette grande disparité ?
18Nous sommes loin de comprendre les circonstances qui permettent à la gravité de surmonter les deux forces qui s’opposent à elle : la pression du gaz et la force magnétique. Une fois que la gravité l’emporte, le processus de formation stellaire démarre. Une petite étoile de la taille du Soleil met quelques millions d’années à se former. Les étoiles de plus grande masse se forment plus vite. Les astrophysiciens explorent deux paradigmes qui ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Une première approche est de considérer que la gravité prend progressivement, de manière quasi statique, le dessus sur les autres forces. La condensation du gaz est alors lente et globalement peu efficace. Des étoiles pourraient ainsi se former en petits groupes séparés les uns des autres. D’autres études proposent une vision dynamique de la formation des étoiles. La gravité l’emporte là où la rencontre entre masses de gaz animés de vitesses supersoniques déclenche une onde de choc. Le choc chauffe le gaz et le comprime. Dans un nuage, le temps de refroidissement du gaz chaud est court. Il peut prendre place avant que les circonstances dynamiques à l’origine de l’onde de choc et de la compression subséquente disparaissent. Le gaz est alors beaucoup plus dense après le choc qu’avant. La condensation du gaz permet alors la formation d’un amas regroupant un grand nombre d’étoiles. Des simulations numériques sont entreprises pour quantifier ces scénarios et les confronter aux observations.
Fig. 4 – La nébuleuse de la Carène est une région de formation d’étoiles parmi les plus spectaculaires de la Galaxie. Cette image composée à partir d’observations prises par le télescope spatial Hubble, illustre la superposition du gaz chaud et froid. Les couleurs lumineuses caractérisent l’émission du gaz chauffé par des étoiles sorties de leur nuage parent, alors que les régions froides au sein desquelles de nouvelles étoiles continuent à se former sont sombres, car les poussières qui y sont concentrées éteignent la lumière des étoiles. (NASA)
19Les étoiles de masse plus grande que celle du Soleil sont relativement peu nombreuses, mais leur impact sur la matière interstellaire est important car elles sont très lumineuses. Une étoile de 20 masses solaires a une luminosité 100 000 fois supérieure à celle du Soleil. Elle est le siège de réactions nucléaires beaucoup plus rapides que dans celui-ci et termine sa vie dans une explosion de supernova après quelques millions d’années. Au cours de sa vie, elle éjecte de grandes quantités de gaz formant un puissant vent stellaire. Cette évolution rapide et violente se produit au milieu du nuage interstellaire où elle est née, alors que d’autres étoiles de masse plus petite sont encore en train de naître. Les images du télescope spatial Hubble nous donnent une vision spectaculaire de cette évolution croisée de la matière dans les régions de formation d’étoiles, où l’on trouve le chaud et le froid enchevêtrés l’un dans l’autre. Cette interaction conduit à la formation de plusieurs générations d’étoiles avant que la matière ne se disperse. Cette imbrication du froid et du chaud, entre ce qui se fait et se défait, est une propriété générale de la matière interstellaire qui se manifeste dans d’autres contextes astrophysiques liés à l’évolution des galaxies.
Observer la matière froide
20La compréhension de la formation des étoiles passe par une meilleure connaissance des conditions physiques qui prévalent dans les nuages denses et froids de la Galaxie. La molécule H2 est le principal constituant de ces nuages, mais cette molécule est invisible quand le gaz est plus froid que 100 K. À ces températures, les collisions entre molécules ne sont pas suffisamment énergétiques pour exciter la molécule vers un état d’où elle peut émettre. Ce problème ne se présente pas avec les molécules plus lourdes comme CO qui continuent à émettre même à très basse température. Il faut donc avoir recours à CO, ses isotopes et d’autres molécules interstellaires moins abondantes, pour étudier le gaz interstellaire froid. Les télescopes de l’Institut de Radio-Astronomie millimétrique (l’IRAM)4 situés dans les Alpes françaises et la Sierra Nevada en Andalousie effectuent ce type d’observations depuis 30 ans avec des instruments toujours plus performants. L’interféromètre ALMA, en construction au Chili (voir le chapitre 31), permettra des progrès considérables dans ce domaine.
21Nous attendons aussi beaucoup du satellite d’observation Herschel5 lancé en même temps que Planck le 14 mai 2009 par l’Agence spatiale européenne. Ce nouvel observatoire spatial est conçu pour détecter avec une sensibilité et une efficacité sans précédent le rayonnement dans l’infrarouge lointain (au-delà de 100 microns) émis par la poussière interstellaire. Ces observations vont nous fournir le premier inventaire de la matière interstellaire froide et de la matière pré-stellaire qu’elle abrite. Dans la Voie lactée, les observations seront suffisamment précises pour identifier des condensations pré-stellaires de façon individuelle. L’observation des autres galaxies donnera une vision globale du processus de formation stellaire. Les télescopes au sol qui ont une plus grande résolution angulaire seront essentiels pour caractériser l’état d’évolution des sources découvertes par Herschel.
22Le satellite Herschel réalisera également l’analyse spectroscopique du gaz interstellaire. On disposera bientôt d’une analyse spectrale continue, de l’infrarouge lointain aux ondes millimétriques, de plusieurs sources astrophysiques choisies pour couvrir la diversité des environnements interstellaires. Ces observations devraient mettre en évidence de nouvelles molécules interstellaires qui aideront à caractériser l’évolution chimique de la matière interstellaire dans des conditions physiques extrêmement variées : des nuages denses et froids à des environnements circumstellaires où la température peut dépasser 1 000 K.
Fig. 5 – Le glycolaldehyde (C2H4O2) et l’aminoacétonitrile (NH2CH2CN) sont deux molécules organiques découvertes dans la Galaxie avec les télescopes de l’IRAM, dont le télescope de 30 m de diamètre situé en Andalousie au sommet du Pico Veleta (en bas à droite de l’image). Ces détections sont particulièrement significatives car elles sont des précurseurs chimiques de molécules associées à la chimie de la vie sur Terre. Le glycolaldehyde est un sucre qui peut réagir pour former des molécules de ribose. L’aminoacétonitrile est proche du plus simple des acides aminés, la glycine. Le satellite Herschel de l’Agence spatiale européenne (en bas à gauche de l’image) va étendre l’exploration de la complexité chimique dans les régions de formation stellaire à un domaine spectral uniquement accessible de l’espace. (IRAM et ESA.)
Une complexité moléculaire étonnante
23En quarante ans, plus de 140 molécules interstellaires ont été identifiées. Le grand nombre de raies d’émission qui restent à être identifié et l’ouverture d’un domaine spectroscopique encore inexploré par le satellite Herschel sont autant de perspectives de nouvelles découvertes. La diversité des molécules interstellaires est particulièrement surprenante quand on sait combien les conditions physiques y sont extrêmes. Certaines des molécules témoignent de cette adversité : elles sont particulièrement réactives et n’existent pas de ce fait sur Terre. D’autres comme la molécule d’eau, le dioxyde de carbone, le méthane ou le méthanol nous sont par contre familiers. Une grande partie des molécules interstellaires est organique, c’est-à-dire fondée sur la chimie du carbone. La chimie interstellaire développe un lien tangible avec l’exobiologie qui a pour objet l’étude des processus physique et chimique pouvant mener à l’apparition de la vie et à son évolution. Cette science interdisciplinaire comprend aujourd’hui l’étude de l’évolution de la matière organique vers des structures complexes dans le milieu interstellaire. Comment se forment les molécules dans l’espace interstellaire et quel degré de complexité chimique y est atteint ?
24Les moléculaires interstellaires sont découvertes pour la plupart dans les régions de formation d’étoiles, là ou de jeunes étoiles chauffent la matière. Dans la phase pré-stellaire, le gaz et la poussière sont tous deux très froids : les molécules se collent sur les grains interstellaires et forment une couche de glace moléculaire à leur surface, comparable au givre présent les matins d’hiver dans nos jardins. Comme sur Terre, l’eau est le principal constituant de ce givre. L’eau est mélangée à d’autres molécules interstellaires car seules les molécules les plus volatiles, en particulier la principale d’entre elles H2, restent gazeuses. Ce mélange solide n’est pas inerte chimiquement. Les atomes et les molécules mélangées dans les glaces réagissent pour former de nouvelles molécules comme le dioxyde de carbone CO2, formaldéhyde H2CO et le méthanol CH3OH d’probablement beaucoup autres molécules qu’il est difficile d’identifier sous la forme solide.
25Lors de la naissance de l’étoile, l’énergie gravitationnelle libérée par la concentration de la matière puis, une fois son activité nucléaire démarrée, son rayonnement, sublime la glace moléculaire. Son évaporation de la surface des grains de poussière s’accompagne de nombreuses réactions chimiques, à l’instar de ce qui est observé dans le Système solaire quand les comètes s’approchent du Soleil. Des processus similaires conduisent dans les deux cas à la complexification de la matière, en particulier organique, par réaction entre les molécules libérées dans le gaz. Il nous reste beaucoup à comprendre et à apprendre dans ce scénario. Quels sont les rôles respectifs des réactions chimiques dans le gaz et à la surface des grains ? Quel est l’impact de l’étoile jeune, son rayonnement et aussi l’éjection de matière qui accompagne sa formation ? Ces acteurs jouent ensemble une pièce où se forment et se détruisent les molécules pour avancer vers une complexification de la matière moléculaire que nous commençons à peine de déchiffrer.
26La mise en service du grand interféromètre ALMA constituera un pas majeur dans l’étude de la complexité moléculaire. En permettant de sonder les environnements pré-stellaires et circumstellaires à petite échelle, ALMA facilitera l’identification des conditions et des mécanismes de formation et de destruction des molécules. Son gain en sensibilité permettra également de détecter des molécules plus complexes ou moins abondantes que celles déjà connues. Pour pouvoir identifier de nouvelles espèces, il faut être guidé par une compréhension des processus chimiques pouvant produire des candidats potentiels. Il est également indispensable de préparer et d’accompagner les observations par des prédictions expérimentales et théoriques des spectres des molécules attendues. Les astrophysiciens travaillent sur ce sujet avec des physiciens et des chimistes pour identifier et caractériser des réactions chimiques qui se déroulent dans le milieu interstellaire.
La matière proto-planétaire
27L’exploration de l’Univers s’étend aujourd’hui à la matière proto-planétaire. Nous connaissons depuis longtemps le Système solaire et depuis peu un nombre rapidement grandissant de systèmes planétaires autour d’autres étoiles. Les nouvelles planètes nous surprennent car elles sont différentes de celles du Système solaire. Leur découverte fait de l’étude de la formation des systèmes planétaires un champ de recherche aussi général et important que celui de la formation des étoiles. Quand la matière interstellaire se condense pour former une étoile, la conservation de son moment angulaire conduit à la formation d’un disque de matière. Ce disque va former, sur des échelles de temps comparables, l’étoile et son système planétaire. Les observations permettent aujourd’hui d’obtenir des images des disques proto planétaires, d’étudier la cinématique de leur gaz, leur composition chimique et leur évolution en fonction de l’âge de l’étoile. Dans un avenir proche, on pourra sonder la matière dans les parties intérieures des disques circumstellaires, là où les planètes se forment.
28L’étude de la formation des systèmes planétaires constitue un nouveau défi de l’astrophysique. Dans les parties intérieures des disques, la densité est beaucoup plus grande que dans le milieu interstellaire et l’évolution physique et chimique de la matière y est beaucoup plus rapide. La formation des planètes passe par la formation de corps solides de taille kilométrique qui peuvent ensuite grandir en concentrant le gaz autour d’eux par attraction gravitationnelle. La poussière interstellaire apparaît ici comme la « brique » de base qui va permettre la construction des planètes. Il faut comprendre où et comment dans le disque les grains interstellaires s’agrègent entre eux. Le gaz, qui représente l’essentiel de la masse du disque et des planètes géantes comme Jupiter, joue bien sûr aussi un rôle important. Les planètes gazeuses ne pourront se former que si le gaz est encore présent quand la poussière se condense en corps solides. On sait que les disques perdent en moins d’une dizaine de millions d’années leur gaz. Sur cette échelle de temps, le gaz peut avoir été chassé par l’action de la jeune étoile sur son environnement avant que les planètes n’aient pu se former.
29Les premières étapes de la formation des planètes sont déterminantes dans la formation des systèmes planétaires. Elles dépendent des processus physiques et chimiques mis en œuvre dans la matière interstellaire. Même si les mesures les plus récentes vont à l’encontre d’une filiation directe entre la matière interstellaire et la matière primitive du Système solaire (les glaces et grains cométaires, et les météorites carbonées), il est admis que les mêmes processus sont responsables de la complexification de la matière organique dans le Système solaire et dans l’espace interstellaire.
Où sont les atomes de l’Univers
30Repartons pour terminer ce récit du très petit au très grand. La compréhension de l’Univers à grande échelle, construite à partir de la théorie du Big Bang, est devenue, sur certains aspects, remarquablement précise. La matière atomique, celle qui nous est familière, ne représente que 4 % de l’énergie (c’est-à-dire de la masse) de l’univers, soit 1/6 de la contribution de la matière noire (voir chapitre 20). De nombreuses expériences sont dédiées à la recherche de la matière noire, mais il nous faut aussi chercher où sont les atomes de l’univers ? De toutes les questions qui jalonnent cet exposé, celle-ci peut paraître la plus étonnante mais elle reflète une réalité dont nous n’avons pris pleinement conscience que récemment : le gaz interstellaire et les étoiles ne représentent ensemble que 10 % des atomes de l’Univers.
31Une partie des atomes qui restent à découvrir se trouve dans l’espace intergalactique, hors de la sphère d’attraction gravitationnelle représentée par le halo des galaxies. Nous ne tenons là qu’une réponse partielle car le problème subsiste si nous faisons l’inventaire des atomes à l’échelle des galaxies. Dans notre Galaxie, celle que nous connaissons la mieux, l’inventaire le plus complet, fondé sur l’ensemble des observations disponibles, aboutit à une masse totale en atomes qui ne représente que 25 % de celle qu’elle devrait contenir. Ce bilan a d’abord conduit à chercher des corps compacts de très faible luminosité, des naines brunes (des étoiles de masse trop faible pour déclencher les réactions de fusion de l’hydrogène) ou des naines blanches (les résidus d’étoiles mortes). Des programmes ambitieux ont été consacrés à la recherche de courtes amplifications de la lumière dues à des étoiles du centre de la galaxie et aux galaxies satellites de la nôtre : les nuages de Magellan. L’effet de lentille gravitationnelle qui est attendu quand la lumière passe très près d’objets compacts n’a été observé que très rarement.
32La « piste » interstellaire est, depuis, devenue celle qui apparaît la plus prometteuse. Deux possibilités existent, elles ne s’excluent pas l’une l’autre et pourrait apporter chacune une contribution significative. Dans la première, les atomes manquants seraient cachés dans le halo de la Galaxie, sous la forme d’un gaz ionisé très ténu, capable d’émettre dans le domaine des rayons X « mous », faiblement énergétiques. Cette hypothèse a été évoquée très tôt dans l’étude de la Galaxie dans d’autres circonstances, mais les preuves de l’existence de ce halo ne sont encore qu’indirectes. En particulier, les caractéristiques physiques et morphologiques des nuages que l’on observe en train de tomber vers la Voie lactée montrent que leur chute n’est pas libre et qu’ils interagissent avec du gaz présent dans son halo. La deuxième possibilité est-elle plus spéculative et débattue. Elle suppose que les atomes manquants sont sous forme de gaz moléculaire froid. Ce gaz serait caché dans les parties extérieures du disque galactique, loin des régions où se forment les étoiles. Les observations très précises de l’émission des poussières dans l’infrarouge par les satellites Planck et Herschel permettront peut-être d’identifier cette matière froide cachée et de valider cette deuxième hypothèse.
33Les atomes manquants sont liés à la formation de la Galaxie. Ils constituent un réservoir de matière interstellaire dont la galaxie dispose pour continuer à grandir. Depuis plusieurs milliards d’années, la Galaxie forme des étoiles à un rythme régulier en consommant quelques masses solaires de gaz par an. Elle contient aujourd’hui le gaz nécessaire pour former des étoiles à ce taux pendant un milliard d’années. Où trouvera-t-elle le gaz nécessaire pour continuer ? Pour répondre à cette question, il faut comprendre comment les atomes cachés pourraient s’intégrer dans les parties des galaxies où se forment les étoiles. Nous tenons ici un des fils qu’il nous faut continuer à suivre pour trouver ce que l’univers nous cache.
34Ce bref parcours à travers l’espace interstellaire, un champ de connaissances et de recherches au cœur de l’Univers se termine ici. Ce récit laisse beaucoup de questions sans réponses, mais au moins autant de promesses de découvertes qui continueront à nous surprendre.
Bibliographie
Références bibliographiques
• Thérèse Encrenaz, 2004, À la recherche de l’eau dans l’univers, Paris, Belin.
• James Lequeux, Agnès Acker, Claude Bertout et Jean-Pierre Lasota, 2008, Étoiles et matière interstellaire, Paris, Ellipses.
• James Lequeux (avec le concours d’Edith Falgarone et Charles Ryter), 2002, Le milieu interstellaire, Paris, EDP Sciences.
• Richard Monier, 2006, Les étoiles et le milieu interstellaire : Introduction à l’astrophysique, Paris, Ellipses.
• Florence Raulin-Cerceau, Pierre Léna et Jean Schneider, 2002, Sur les traces du vivant : de la Terre aux étoiles, Paris, Le Pommier.
• Jacques Reisse, 2006, La longue histoire de la matière : Une complexité croissante depuis des milliards d’années, Paris, PUF.
• Frank Shu, 1982, The Physical Universe : Introduction to Astronomy, University Science Books.
Notes de bas de page
Auteur
Directeur de recherche au CNRS à l’Institut d’Astrophysique spatiale et à l’université Paris-Sud Orsay. Ses travaux portent sur la poussière interstellaire, la physique de la matière interstellaire et la formation des étoiles et des galaxies. Il a participé au développement de l’astronomie spatiale infrarouge, du premier relevé du ciel avec le satellite IRAS dans les années 1980 jusqu’à aujourd’hui où il travaille sur les résultats scientifiques des missions Herschel et Planck. Il a contribué à la création du programme national interdisciplinaire Physique et Chimie du Milieu interstellaire dont il a été directeur puis président
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012