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9. Les supernovae

p. 96-103


Texte intégral

Une longue histoire

1Cinq fois au cours du dernier millénaire, une étoile brillante est apparue dans le ciel à un endroit où rien n’était auparavant visible. La nouvelle venue déclinait ensuite en quelques mois avant de disparaître. Trois événements de ce type furent observés au Moyen Âge, en 1006, 1054 et 1181 et deux autres à la fin de la Renaissance en 1572 et 1604. L’objet de 1006 fut le plus brillant, surpassant en intensité la planète Vénus. Celui de 1054, suivi attentivement par les astronomes chinois, est associé à la fameuse nébuleuse du Crabe observée aujourd’hui dans la constellation du Taureau (figure 1). L’objet de 1181, qui fut le moins spectaculaire atteignit cependant la magnitude 0 (c’est-à-dire l’éclat de la brillante étoile Véga). Baptisées « étoiles-hôtes » en Extrême-Orient parce qu’elles semblaient s’inviter dans le ciel, ces trois objets étaient en réalité des supernovae. L’origine du terme remonte à l’astronome danois Tycho-Brahé qui observa celle de 1572. Il rapporta ce qu’il avait vu dans un traité « À propos de l’étoile nouvelle » (De Nova Stella) et la dénomination « nova » est ensuite restée pour désigner une étoile présentant une brusque et considérable augmentation de luminosité. À peine trente ans après Tycho-Brahé, Kepler observa la supernova de 1604 et nota régulièrement les variations de son éclat. Plus aucune supernova ne fut ensuite visible à l’œil nu jusqu’à celle découverte en février 1987 dans le Grand Nuage de Magellan (une petite galaxie irrégulière, satellite de la Voie lactée). La supernova de 1987 fut cependant nettement moins spectaculaire que les cinq supernovae historiques, toutes situées dans notre Galaxie. À la distance du Grand Nuage de Magellan (150 000 années-lumière) elle ne dépassa pas la magnitude 4.5, ce qui la plaçait à la limite de la visibilité à l’œil nu. Il s’agissait malgré tout de la plus brillante supernova depuis 1604 et les moyens considérables mis en œuvre pour l’étudier ont fait faire d’important progrès à notre compréhension du phénomène.

2L’étude moderne des supernovae commence avec Fritz Zwicky qui, à partir des années 1930, organise un programme de recherche systématique, d’abord au Mont Wilson puis au Mont Palomar, tous deux en Californie. En comparant les clichés d’un grand nombre de galaxies pris à intervalles réguliers, il remarque parfois la présence d’une étoile dont l’éclat a augmenté au point de rivaliser avec celui de la galaxie tout entière ! Pour qualifier ces objets extraordinaires, Zwicky accole alors le préfixe « super » au mot nova, le terme nova restant utilisé pour désigner une autre classe d’explosions stellaires beaucoup moins violentes. Le programme de longue haleine initié par Zwicky fut particulièrement fructueux puisqu’il mena à la découverte de plus de 300 supernovae en quarante ans. Toutes ces supernovae détectées dans des galaxies extérieures, à des millions d’années-lumière, étaient bien sûr invisibles à l’œil nu. Leur étude permit néanmoins d’accumuler un grand nombre d’observations qui servirent de base aux premiers développements théoriques. Dès 1938, Zwicky proposa que les supernovae soient le résultat de l’effondrement du cœur d’une étoile, l’énergie gravitationnelle libérée étant à l’origine de l’explosion. En 1960, Fred Hoyle et William Fowler montrèrent qu’une combustion nucléaire en milieu dit « dégénéré1 » devient très vite explosive. Ces idées sont à l’origine des mécanismes proposés aujourd’hui pour expliquer les deux grands types de supernovae.

La classification spectrale des supernovae

3La séparation des supernovae en deux grands types a été introduite par Rudolph Minkowski dans les années 1940 sur des bases spectroscopiques (figure 2). Les supernovae de type I (SN I) sont caractérisées par l’absence d’hydrogène dans leur spectre alors que les supernovae de type II (SN II) présentent les raies de Balmer de l’hydrogène. Au voisinage du maximum de lumière les raies sont vues en absorption sur un continu ayant grossièrement la forme d’un corps noir dont la température diminue au cours du temps. Les raies d’absorption sont décalées vers le bleu par effet Doppler ce qui permet d’estimer à près de 10 000 km/s la vitesse d’expansion de l’enveloppe éjectée par la supernova. Après quelques mois, à la suite de la dilution causée par l’expansion, l’aspect du spectre change radicalement. Le niveau du continu chute et les raies apparaissent en émission. Dans cette phase dite « nébulaire », l’enveloppe est devenue transparente et les mécanismes de rayonnement à l’œuvre s’apparentent à ceux des nébuleuses. Les supernovae de type II sont dominées par les raies de l’hydrogène aussi bien près du maximum de lumière que dans la phase nébulaire. La situation est plus complexe pour les SN I ; aussi, dans les années 1980, trois sous-classes ont été définies : les SN Ia, Ib et Ic. Ces trois sous-classes ont en commun l’absence d’hydrogène mais se distinguent par la nature des raies présentes dans le spectre au maximum de lumière et dans la phase nébulaire. Dans les SN Ia le spectre au voisinage du maximum est dominé par des éléments de masse intermédiaire (Si, Mg, S, Ca) avec en particulier une raie intense du silicium ionisé. Plus tard, dans la phase nébulaire sont essentiellement représentés le fer et des métaux voisins comme le cobalt. Les SN Ib sont caractérisées par les raies de l’hélium (au maximum de lumière) alors que dans la phase nébulaire l’oxygène domine. Enfin dans les SN Ic l’oxygène apparaît d’emblée.

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Fig. 1 – La nébuleuse du Crabe est le reste de la supernova décrite par les astronomes chinois en 1054. Les filaments observés sont enrichis en oxygène, azote, fer, néon et soufre et se déplacent à plus de 1 000 km/s. L’étoile rejette ainsi des éléments chimiques synthétisés au cours de sa vie et d’autres formés au cours de l’explosion elle-même. La lueur bleue provient du rayonnement d’électrons accélérés par le pulsar formé à la suite l’effondrement du cœur de l’étoile (image obtenue avec le télescope VLT « Kueyen » de l’Observatoire européen austral, ESO)

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Fig. 2 – Spectres comparés des différents types de supernovae dans le domaine visible une semaine après le maximum de lumière. Les SN II (spectre b) sont dominées par les raies de l’hydrogène alors que celles-ci sont absentes dans les SN I. Les SN Ia (spectre a) montrent des raies d’éléments de masse intermédiaire (en particulier une forte raie du silicium ionisé). Les SN Ib (spectre d) sont caractérisées par la présence d’hélium alors que celui-ci est absent des SN Ic (spectre c)

La courbe de lumière des supernovae

4Aux différents types de supernovae identifiés par spectroscopie correspondent également des différences dans l’évolution de la luminosité au cours du temps (la courbe de lumière, figure 3). Dans les SN Ia, le maximum est atteint après une vingtaine de jours. Il est suivi d’un déclin rapide qui ralentit après 50 jours. Dans un diagramme où la magnitude est portée en ordonnée et le temps en abscisse, l’évolution est alors linéaire, ce qui correspond en fait à une décroissance exponentielle de la luminosité (la magnitude étant une échelle logarithmique). Au maximum de lumière, une SN Ia brille comme plusieurs milliards de Soleils, et l’intensité de ce maximum tout comme la forme générale de la courbe de lumière, apparaissent remarquablement uniformes d’un événement à l’autre. La classe des SN Ia se comporte comme un exemple astronomique de « chandelles standards » ce qui permet de les utiliser pour étudier la géométrie et l’évolution de l’Univers en les observant jusqu’à des distances cosmologiques (plusieurs milliards d’années-lumière). Les courbes de lumière des SN Ib et Ic présentent des analogies avec celles des SN Ia mais avec beaucoup moins de régularité d’un événement à l’autre. Les SN II affichent des différences encore plus marquées. Certaines ont, entre 25 et 75 jours après le maximum, un plateau au cours duquel la luminosité décline assez peu. D’autres décroissent plus rapidement sans passer par la phase « plateau ». Cette diversité est attribuée aux différences parfois considérables de dimensions et de composition chimique de l’étoile qui explose. L’uniformité des courbes de lumière des SN Ia témoigne au contraire qu’au moment de l’explosion les caractéristiques de l’étoile sont très semblables d’un événement à l’autre.

Populations parentes et fréquence des supernovae

5De nouveaux indices sur la nature des étoiles responsables des supernovae peuvent être obtenus par l’étude de la fréquence des différents types d’explosions dans les galaxies. Les résultats montrent de forts écarts selon les types de supernovae. Les SN Ia sont présentes à la fois dans les galaxies elliptiques et les galaxies spirales alors que les SN II (ainsi que les SN Ib et Ic) sont absentes des elliptiques. Les SN II, Ib et Ic apparaissent directement liées aux régions de formation d’étoiles. Elles sont observées préférentiellement dans les bras spiraux et sont donc absentes des galaxies elliptiques qui ne forment plus d’étoiles depuis des milliards d’années. À l’inverse, les SN Ia sont associées aux vieilles populations stellaires. On les trouve réparties assez uniformément dans les spirales et non pas seulement localisées au voisinage des bras spiraux. Leur présence dans les elliptiques montre qu’elles peuvent se produire au sein de populations stellaires très anciennes. Une distinction nette est donc à faire à l’intérieur du groupe des supernovae de type I entre les SN Ia d’une part et les SN Ib et Ic d’autre part. Les SN Ia forment un ensemble séparé et homogène alors que les SN Ib et Ic se rapprochent clairement des SN II du point de vue de leur population stellaire d’origine.

Bilan énergétique

6Les supernovae sont parmi les événements les plus violents se produisant dans l’Univers, et l’énergie libérée dans l’explosion est considérable. Il faut pouvoir l’estimer avec une précision raisonnable avant d’entreprendre la construction de modèles théoriques. L’énergie lumineuse est la plus directement accessible à travers l’observation de la courbe de lumière. En intégrant le flux reçu au cours du temps et par la connaissance (approchée) de la distance de la galaxie hébergeant la supernova, on obtient pour l’énergie lumineuse des valeurs voisines de 1042 Joules pour les types I comme pour les types II. Le rayonnement n’est cependant pas la seule forme d’énergie produite par une supernova. L’énergie cinétique de l’explosion est calculée à partir d’une estimation de la masse éjectée et de la vitesse d’expansion des couches stellaires mesurée par l’effet Doppler. Les valeurs de 1 à 10 masses solaires obtenues et des vitesses d’expansion atteignant 10 000 km/s donnent une énergie cinétique d’environ 1044 pour tous les types de supernovae. Il est difficile de prendre conscience de l’énormité d’un tel nombre : c’est par exemple l’énergie totale que produira le Soleil au cours des dix milliards d’années qu’il passera à brûler de l’hydrogène !…

7Les astronomes avaient pourtant la conviction que les SN II (et aussi les SN Ib et Ic) devaient produire sous forme de neutrinos encore cent fois plus d’énergie. Cette hypothèse s’est trouvée spectaculairement confirmée par la détection d’une poignée de neutrinos issus de la supernova du Grand Nuage de Magellan. Le 23 février 1987 (c’est-à-dire la veille de la découverte visuelle de la supernova) les détecteurs de Kamiokande (Japon) et IMB (États-Unis) enregistrèrent en une dizaine de secondes respectivement 12 et 8 neutrinos d’énergie comprise entre 8 et 35 MeV. Ces détecteurs avaient été construits dans le but de mettre en évidence l’instabilité du proton prédite par les théories de Grande Unification en physique des particules. Il s’agit de grandes piscines remplies d’eau (2 000 tonnes pour Kamiokande, 5 000 tonnes pour IMB) dont les parois sont couvertes de photomultiplicateurs capables d’enregistrer le rayonnement produit quand une particule chargée traverse le détecteur à une vitesse plus grande que la vitesse de la lumière dans l’eau (rayonnement Tcherenkov). Elles n’ont donné aucun résultat probant sur l’instabilité du proton, mais se sont transformées en de remarquables « télescopes » à neutrinos. En pratique, ce sont les antineutrinos électroniques qui, en interagissant avec les protons de l’eau, transforment ces derniers en neutrons avec libération d’un positon. C’est ce positon qui est détecté, grâce au rayonnement Tchérenkov qu’il produit. La dizaine d’antineutrinos enregistrée par les expériences Kamiokande et IMB permet, en utilisant la connaissance de la sensibilité des détecteurs, de remonter au flux d’antineutrinos reçu sur Terre. On obtient ensuite, à partir de la distance du Grand Nuage de Magellan, le nombre total d’antineutrinos produits par la supernova. On considère enfin que les trois familles de neutrinos et d’antineutrinos sont émises en proportions comparables. L’énergie totale emmagasinée par les neutrinos de la supernova du Grand Nuage de Magellan peut alors approximativement être estimée à six fois celle transportée par les antineutrinos électroniques, seuls détectés par l’expérience. Sa valeur dépasse 1046 Joules, soit plusieurs centaines de fois l’énergie cinétique ! Cette énergie est perdue par la supernova en quelques secondes (la durée de réception des neutrinos sur Terre) ce qui correspond à une puissance de 1046 Watts, comparable à la puissance lumineuse émise par l’ensemble des galaxies de l’Univers observable ! Malgré son caractère apparemment spectaculaire, l’émission lumineuse des SN II (et aussi celle des SN Ib et Ic) ne représente donc que 1 % de l’énergie cinétique de l’explosion et 1/10 000 de l’énergie emportée par les neutrinos. Du point de vue énergétique, les SN II, Ib et Ic sont donc avant tout des événements d’astronomie « neutrinos » dont seule une très petite partie nous est accessible. Dans le cas des SN Ia, l’explosion ne s’accompagne pas d’une aussi forte production de neutrinos. L’énergie totale du phénomène est donc limitée aux 1044 d’énergie cinétique, l’énergie rayonnée étant environ cent fois plus faible.

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Fig. 3 – Courbes de lumière des différents types de supernovae. Les SN Ia (en rouge) et les SN Ib (en bleu) ont une évolution assez similaire mais les SN Ia sont plus brillantes. Les SN II-P (en vert) présentent un palier ou plateau après le déclin initial qui peut durer jusqu’à 75 jours alors que les SN II-L (en noir) décroissent en deux branches linéaires après le maximum

Premières idées théoriques

8La somme des données d’observations accumulées sur les super novae permet de dresser un premier « portrait-robot » des étoiles responsables des différents types d’explosions. À l’origine des SN Ia se trouvent des objets appartenant aux vieilles populations stellaires et qui se présentent au moment de l’explosion dans un état très semblable d’un événement à l’autre.. Environ 1044 Joules d’énergie cinétique sont libérés, et l’examen détaillé des restes des supernovae de 1006, 1572 et 1604 (toutes trois sans doute de type Ia) indique que l’étoile est entièrement détruite dans l’explosion. Les SN II, Ib et Ic sont quant à elles, produites par des étoiles de courte durée de vie et donc massives (la durée de vie des étoiles est une fonction fortement décroissante de leur masse) qui ne sont présentes que dans des régions où la formation stellaire est active. Au terme de leur évolution, ces étoiles massives sont affectées d’un fort vent stellaire qui peut leur faire perdre une part plus ou moins grande de leur enveloppe d’hydrogène. Quand celle-ci a totalement disparu, se forme alors une étoile de type Wolf-Rayet qui produit en explosant une SN Ib, si une couche d’hélium subsiste en surface, et une SN Ic si l’hélium a aussi été emporté par le vent, laissant à nu les régions les plus profondes, riches en oxygène. L’explosion des SN II, Ib et Ic ne détruit pas entièrement l’étoile. Les couches externes sont éjectées mais le cœur stellaire se transforme en un résidu compact et dense. Un tel résidu a été observé dans la nébuleuse du Crabe, reste de l’explosion de 1054, sous la forme d’une étoile à neutrons en rotation rapide (appelé aussi pulsar).

9Les modèles d’explosion invoqués pour expliquer les SN Ia d’une part, les SN II, Ib et Ic d’autre part, s’inspirent des idées initialement proposées par Zwicky, Fowler et Hoyle. Dans les deux cas, le concept de masse limite de Chandrasekhar joue un rôle central. La masse de Chandrasekhar, voisine de 1,4 masse solaire, correspond à la masse maximale possible pour un objet supporté par la pression des électrons dégénérés. La pression de dégénérescence remplace à haute densité la pression classique du gaz, d’origine thermique. Elle est de nature quantique et provient du mouvement rapide des électrons confinés en grand nombre dans un petit volume. Le rayon d’un objet supporté par la pression des électrons dégénérés diminue quand sa masse croît. Au voisinage de la limite de Chandrasekhar, la réduction du rayon devient très importante, la masse volumique augmente considérablement de même que la température par effet de compression. Si l’objet est inerte du point de vue nucléaire, la contraction se poursuit jusqu’au moment où le rayon atteint environ 1 000 km. Une instabilité gravitationnelle se produit alors, qui conduit aussitôt à un effondrement rapide, en quelques centaines de millisecondes. Si à l’inverse, le milieu contient un « carburant » nucléaire susceptible de s’allumer, l’augmentation de masse volumique et de température au voisinage de la limite de Chandrasekhar provoque l’allumage, en général avant que survienne l’instabilité gravitationnelle. Et comme l’ont montré Fowler et Hoyle, une combustion nucléaire en milieu dégénéré est hautement instable.

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Fig. 4 – Vue d’artiste d’une naine blanche en accrétion peu avant l’explosion d’une supernova de type Ia. Le compagnon, une petite étoile de moins d’une masse solaire, transfère de la masse vers la naine blanche via un disque dont la température augmente quand on se rapproche du centre. Quand la masse de la naine blanche atteint 1,4 Mʘ, la combustion nucléaire explosive du carbone et l’oxygène se déclenche, détruisant entièrement l’étoile (image Don Dixon)

Les supernovae de type Ia

10Le scénario proposé pour expliquer l’explosion des SN Ia invoque l’embrasement nucléaire catastrophique d’une naine blanche. Les naines blanches représentent le stade final de l’évolution des étoiles jusqu’à 8 ou 9 fois la masse du Soleil. Elles sont supportées par la pression des électrons dégénérés et leur rayon est comparable à celui de la Terre. Elles sont pour la plupart constituées d’un mélange de carbone et d’oxygène. Une naine blanche isolée est un objet très stable, mais beaucoup d’étoiles appartiennent à des systèmes binaires avec possibilité de transfert de masse d’une composante à l’autre (figure 4). Si la masse d’une naine blanche peut augmenter par accrétion dans un système binaire, le carbone et l’oxygène qui la constituent vont s’allumer au centre de l’étoile quand celle-ci approchera la limite de Chandrasekhar. Ce scénario général explique beaucoup de propriétés observées dans les SN Ia. Les naines blanches sont des objets anciens appartenant à la vieille population stellaire des galaxies, l’explosion se produit quand l’étoile est proche de la limite de Chandrasekhar. Sa masse est alors toujours voisine de 1,4 masse solaire, ce qui pourrait naturellement expliquer l’uniformité des courbes de lumière des SN Ia. La combustion explosive du carbone et de l’oxygène mène aux éléments du groupe du fer (nickel, cobalt) quand elle se produit à haute densité et à aux éléments de masse intermédiaire quand elle a lieu en milieu plus dilué. Ces caractéristiques évoquent les résultats de la spectroscopie des SN Ia qui montrent que la matière éjectée dans l’explosion est dominée en périphérie par des éléments comme le silicium, le magnésium ou le calcium et en profondeur par le fer et le cobalt. Enfin, la combustion nucléaire de 1.4 masse solaire de carbone et d’oxygène libère environ 1044 Joules, ce qui est juste la quantité nécessaire pour expliquer l’énergie cinétique de l’explosion. Ce scénario fournit un cadre pour l’élaboration de modèles plus détaillés. Ceux-ci cherchent à préciser par exemple les conditions de l’allumage du carbone et de l’oxygène, la dynamique de l’explosion ou encore à calculer la courbe de lumière et l’abondance des éléments produits. Dans tous les modèles, la combustion nucléaire explosive qui embrase la naine blanche provoque sa destruction complète. La « flamme nucléaire » traverse la naine blanche en une seconde environ, produisant dans les régions centrales entre 0.6 et 0.8 masse solaire de nickel 56. Cet isotope du nickel est radioactif et se désintègre en quelques semaines en cobalt 56 puis en fer 56. Les restes de l’étoile sont dispersés à des vitesses voisines de 10 000 km/s. C’est la radioactivité du nickel 56 et du cobalt 56 qui alimente la courbe de lumière des SN Ia. L’énergie produite par radioactivité (sous forme de positons et de photons gamma) est absorbée par l’enveloppe en expansion qui la réémet dans le domaine visible. Le pic de luminosité provient de la décroissance du nickel 56 en cobalt 56, qui est essentiellement terminée après une dizaine de jours. Le maximum de la courbe de lumière intervient pourtant au bout de vingt jours car le temps d’émergence du rayonnement est initialement long devant la période radioactive. Plus tardivement, quand l’expansion a dilaté l’enveloppe, l’énergie provenant de la radioactivité est émise sans délai. Conformément aux observations, la luminosité suit alors une loi exponentielle dont le taux de déclin correspond à la période de décroissance du cobalt 56.

Les supernovae de type II, Ib et Ic

11Les supernovae de type II, Ib et Ic représentent le stade ultime de l’évolution des étoiles massives. Au-delà de dix fois la masse du Soleil, les étoiles brûlent dans une succession de réactions de fusion tous les éléments jusqu’au fer, l’élément le plus stable du point de vue nucléaire. Elles développent ainsi une structure en « pelure d’oignon » où le cœur de fer est entouré d’une couche de silicium en combustion à laquelle succèdent des couches d’oxygène, de néon, de carbone, d’hélium et une enveloppe d’hydrogène. Le rayon de cette enveloppe dépend beaucoup de l’efficacité du vent stellaire. Il peut atteindre un milliard de kilomètres dans la phase supergéante rouge ou avoir complètement disparu si l’étoile est devenue une Wolf-Rayet. Le cœur de fer situé au centre de l’étoile est au contraire très petit. Il est supporté par la pression des électrons dégénérés et son rayon ne dépasse pas quelques milliers de kilomètres. Sa masse augmente par suite de la combustion du silicium dans la couche qui l’entoure (le fer est la « cendre nucléaire » du silicium) et elle se rapproche de la limite de Chandrasekhar. Le fer ne pouvant donner lieu à des réactions de fusion, le cœur atteint le seuil d’instabilité gravitationnelle alors que sa densité centrale est de quelques milliers de tonnes par cm3 et son rayon voisin de 1 000 km. Un modèle réduit de l’étoile au milliardième illustre l’énorme contraste de taille entre le cœur grand comme une tête d’épingle et l’enveloppe dont le rayon atteint 1 000 m dans le cas d’une supergéante rouge et 25 m dans celui d’une supergéante bleue ! L’effondrement du cœur qui suit l’instabilité se produit en une centaine de millisecondes et on conçoit aisément que l’enveloppe ne puisse réagir en un temps si court. Elle reste spectatrice des événements qui ont lieu en profondeur avant d’être frappée par une onde de choc se propageant vers l’extérieur. Le cœur apparaît donc comme le moteur de l’explosion dont l’enveloppe est le révélateur pour le monde extérieur. Le résultat final de l’effondrement du cœur est la formation d’une étoile à neutrons (ou éventuellement d’un trou noir si l’étoile est très massive). L’énergie potentiellement disponible dans la transformation du cœur de fer en une étoile à neutrons correspond à peu près à l’énergie de liaison gravitationnelle (GM2/R, avec M = 1,4 masse solaire et R~10 km, rayon de l’étoile à neutrons, G étant la constante de gravitation). Cette énergie vaut quelque 1046 Joules et suffit donc à expliquer l’émission neutrino des SN II.

12Reste à comprendre comment ce qui débute par un effondrement peut finalement convertir 1 % de l’énergie en une explosion dirigée vers l’extérieur. La première phase de l’effondrement est caractérisée par une réorganisation des espèces nucléaires présentes dans le cœur. Des noyaux riches en neutrons normalement instables en milieu dilué, peuvent se former par captures électroniques (dans une capture électronique un proton d’un noyau se transforme en neutron en absorbant un électron et en libérant un neutrino). Quand la densité atteint 1012 g/cm3, l’espèce nucléaire la plus représentative du cœur contient une trentaine de protons et près de soixante neutrons ! Au-delà de 1012 g/cm3 se produit un événement tout à fait extraordinaire. Les neutrinos, qui interagissent pourtant si peu avec la matière, vont se trouver piégés dans le cœur qui s’effondre. En raison de l’augmentation de la densité, leur vitesse de diffusion vers l’extérieur devient en effet plus faible que la vitesse d’effondrement. Le cœur des supernovae est ainsi le seul endroit de l’Univers actuel où les neutrinos sont couplés à la matière (neutrinos et matière ont été également couplés dans l’Univers très primordial). Le piégeage des neutrinos provoque l’arrêt des captures électroniques et l’effondrement se poursuit avec un rapport du nombre de protons au nombre de neutrons fixé à environ 0.35. La réduction du nombre d’électrons par captures électroniques affecte la pression et modifie en conséquence la dynamique de l’effondrement.

13La région profonde du cœur, représentant 0,7 ou 0,8 masse solaire, se contracte de manière « autosimilaire » la vitesse étant proportionnelle au rayon alors que la région plus périphérique suit en chute quasi libre. La limite entre les deux zones correspond au rayon sonique pour lequel la vitesse de l’effondrement est égale à la vitesse locale du son. Quand la densité centrale atteint la densité de la matière nucléaire, soit 2.1014 g/cm3 (200 millions de tonnes par cm3), les nucléons entrent en contact et ils opposent alors une grande résistance à toute compression ultérieure. L’effondrement cesse et la matière rebondit sur elle-même. L’information sur le rebond ne peut cependant être transmise au-delà du rayon sonique et une discontinuité de vitesse se forme entre le cœur profond qui rebondit et la zone externe qui continue à s’effondrer. Les deux régions entrent en collision et, dans le choc qui s’ensuit, le cœur profond cède l’essentiel de son énergie cinétique à la zone périphérique qui est violemment éjectée vers l’extérieur. Ce mécanisme de rebond « superélastique » peut être illustré à l’aide d’une expérience simple utilisant deux balles en caoutchouc de masses différentes (dans un rapport de 1 à 3 environ). En les lâchant en contact l’une au-dessus de l’autre (la plus massive en position inférieure) on s’aperçoit que la plus légère rebondit bien plus haut que la position de départ alors que la plus massive qui a cédé son énergie reste posée sur le sol.

14Dans la supernova, l’onde de choc qui se propage vers l’extérieur emporte une énergie qui est initialement suffisante pour provoquer l’explosion de l’étoile. Cela ne suffit cependant pas à garantir le succès du mécanisme de rebond. Une partie de la matière traversée par le front de choc subit en effet une photodésintégration totale c’est-à-dire que les noyaux sont brisés en protons et neutrons. Ce processus extraordinairement coûteux en énergie contribue à affaiblir le choc qui, dans la plupart des simulations, cesse de progresser après quelques centaines de kilomètres. Un moyen de réinjecter de l’énergie dans le choc a été proposé par Jim Wilson du laboratoire Livermore en 1985 ; au moment où celui-ci stagne, un flux gigantesque de neutrinos commence à s’échapper du cœur profond de la supernova qui évacue ainsi son énergie thermique. Ce sont ces neutrinos, transportant quelque 1046 Joules, qui ont été vus par les expériences Kamiokande et IMB. Il suffit qu’ils déposent 1/1 000 de leur énergie derrière l’onde de choc pour que celle-ci reparte et provoque une explosion. Le mécanisme proposé par Wilson est la capture des neutrinos par les nucléons produits par la photodésintégration des noyaux. Les premières simulations traitant ce processus de manière détaillé ont montré qu’une explosion pouvait se produire, mais que l’énergie n’atteignait que marginalement le niveau escompté pour une supernova. À partir du début des années 90, il fut réalisé que la zone située derrière le choc et chauffée par les neutrinos, était convectivement instable et devait donc être traitée à l’aide de simulations numériques à deux dimensions au moins. Celles-ci ont montré que la convection favorisait l’explosion en permettant la circulation de la matière entre le choc et la zone où le chauffage est le plus intense (figure 5). Malgré cela, les différents groupes qui réalisent ces simulations très complexes ne sont toujours pas parvenus à un consensus sur les conditions qui déterminent le succès d’une explosion (pour certains groupes l’étoile explose, pour d’autres non). De récents travaux font jouer un rôle important à une instabilité particulière, dite « advective-acoustique », qui pourrait favoriser le chauffage par les neutrinos et ainsi garantir la réussite de l’explosion. Dans ce cas, l’onde de choc, après avoir un moment stagné, repart vers l’extérieur en traversant d’abord la couche de silicium où une petite quantité de nickel 56 est formée par nucléosynthèse explosive. L’énergie initialement présente dans le choc est ensuite déposée sous forme thermique et cinétique dans le reste de l’étoile qui entre en expansion. La forme de la courbe de lumière va dépendre des contributions relatives de la radioactivité et de l’énergie thermique. Si le rayon de l’étoile qui explose est très grand (supergéante rouge) l’énergie thermique domine le début de l’évolution et est responsable de la phase en plateau observée dans beaucoup de SN II. Si au contraire, l’étoile est une Wolf-Rayet sans enveloppe d’hydrogène et de petit rayon, le rôle joué par l’énergie thermique est négligeable et la courbe de lumière alimentée par radioactivité ressemble à celle des SN Ia.

15La supernova du Grand Nuage de Magellan correspondait à une situation intermédiaire : son étoile parente, identifiée sur des images prise avant l’explosion, était une supergéante bleue d’environ 50 rayons solaires (au lieu de 1 000 pour une supergéante rouge). La courbe de lumière ne montra pas de plateau et l’évolution après 150 jours, directement contrôlée par la radioactivité, permit d’estimer à 0.07 Mʘ 56 produite. Plus la masse de nickel tardivement (après 200 jours) la dilution de l’enveloppe en expansion ne permit plus à tous les photons gamma de radioactivité d’être absorbés par le gaz et ils purent être observés directement par des détecteurs embarqués sur satellite ou sur ballon (les rayons gamma sont arrêtés par l’atmosphère). Ces photons provenaient de la désexcitation de noyaux de fer 56, eux-mêmes produits à partir du cobalt 56. Les transitions observées correspondaient à des énergies de transition bien précises (à 847 et 1 238 keV) et il s’agissait donc de raies gamma, témoignant directement de la présence dans l’enveloppe d’éléments fraîchement synthétisés dans l’explosion.

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Fig. 5 – Schéma montrant le développement de la convection dans le cœur d’une supernova 166 ms après le début de l’effondrement. Le cœur profond (en bleu) a déjà rebondi sur lui-même et les neutrinos qui s’en échappent chauffent la zone plus externe qui devient convective. Si le chauffage est assez efficace l’onde de choc qui jusque-là stagnait vers 2x107 cm = 200 km, reprend sa progression vers l’extérieur et fait exploser l’étoile (image CEA/MPA)

Conclusion

16Des chroniques médiévales jusqu’aux simulations numériques sur des ordinateurs ultra-rapides, les supernovae n’ont cessé d’intriguer. Le feu d’artifice cosmique qui met fin à la vie d’une étoile est l’un des phénomènes les plus violents de l’Univers. La compréhension des mécanismes d’explosion est un défi pour la physique stellaire mais le rôle joué par les supernovae dans l’évolution des galaxies est également considérable. En rejetant dans le milieu interstellaire les éléments lourds synthétisés durant sa vie passée ou au moment même de l’explosion, une étoile contribue à l’enrichissement chimique de la galaxie à laquelle elle appartient. Le carbone qui constitue l’architecture des molécules biologiques ou encore l’or de nos bijoux ont ainsi été forgés dans des étoiles qui ont explosé il y a plus de cinq milliards d’années. Les supernovae sont également la source principale d’injection d’énergie dans le milieu interstellaire. Leurs restes forment de gigantesques bulles de gaz chaud aux frontières desquelles se forment de nouvelles étoiles dont certaines exploseront un jour à leur tour en supernovae…

Bibliographie

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Pour en savoir plus

Articles parus dans des revues grand public

• Hillebrandt W., Janka H. T. et Müller E., 2005, « Supernovae : des explosions énigmatiques », Pour la Science, n° 336, p. 54.

• Mochkovitch R., 2004, « La prochaine supernova galactique », La Recherche, n° 379, p. 54.

10.1515/9780691221663 :

• Weaver T. et Woosley S., 1989,« La grande supernova de 1987 », Pour la Science, n° 144, p. 46.

Ouvrage plus spécialisé

• Arnett D., 1996, Supernovae and Nucleosynthesis, Princeton, Princeton University Press.

Notes de bas de page

1 Un milieu est dit « dégénéré » quand la pression et la température qui y règnent cessent d’être reliées entre elles.

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