7. L’usage des terres
p. 208-210
Texte intégral
1La reconnaissance du rôle de l’Homme sur le climat est généralement associée à l’augmentation de la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre* (GES) et en aérosols d’origine anthropique, et à leurs implications sur le forçage radiatif* de la Terre (IPCC 2007). Pourtant l’Homme a également profondément modifié les paysages dès sa sédentarisation et pour divers usages. Le terme « usage des sols » regroupe des perturbations variées (mises en cultures, pâturages, urbanisation, exploitation forestière…) qui impactent non seulement la situation météorologique mais également les sols, les réserves d’eaux, la biodiversité, les émissions de gaz à effet de serre et de composés biogéniques*, et finalement le climat. Ces impacts directs ou indirects liés à ces usages, ont été d’autant plus importants que la population mondiale a plus que doublé au cours des 50 dernières années.
2Dans les simulations climatiques conduites aujourd’hui, seuls les changements de couverture végétale, l’irrigation et les flux de CO2 résultant des divers usages des sols sont considérés, mais cela de façon non systématique.
Les changements d’occupation des sols
3Plus de 15 millions de km2 sont aujourd’hui exploités par l’agriculture, soit 11 % des terres émergées non englacées, et plus de 34 millions de km2 sont couverts de prairies cultivées ou pâturées (24 % des terres émergées). Ces estimations proviennent de reconstructions historiques (rares à l’échelle du globe) de l’étendue des zones fortement anthropisées qui combinent une grande variété de sources à travers des algorithmes d’allocation des terres et d’interpolation spatiale : estimation de la population, statistiques agricoles et forestières, données satellite.
4Les scénarios futurs d’usages des terres sont fournis par des « Modèles d’Évaluation Intégrée » qui proposent des aménagements compatibles avec un ensemble de contraintes démographiques et socio-économiques. Ces scénarios futurs étant développés indépendamment des reconstructions historiques, un gros travail d’harmonisation a été conduit pour pouvoir simuler continûment le climat entre le passé et le futur. L’extension des zones cultivées et celle des zones pâturées sont les principales variables que l’on fait évoluer dans les modèles à partir des données annuelles fournies sur une grille régulière de 0,5° × 0,5° (~ 50 km de résolution*) de l’an 1700 à l’an 2100. Les autres variables proposées sont aujourd’hui trop complexes pour la plupart des modèles. La biosphère* terrestre est représentée de façon simplifiée dans les modèles globaux et régionaux de climat sous la forme d’une dizaine/vingtaine de grands types de biomes, ou de types fonctionnels de plantes (caractérisés par leur différente morphologie et certaines particularités physiologiques). Aujourd’hui, la plupart des modèles différencie les herbacées naturelles de l’agriculture, même si cette dernière est représentée de façon encore très fruste, et ce pour pouvoir inclure l’évolution de ces zones cultivées au cours du temps. Les prairies par contre, comme les forêts, sont généralement considérées comme naturelles (ni fauches ni coupes).
5Malgré cette extrême simplification, plusieurs hypothèses sont requises pour combiner ces fractions d’agriculture/pâturages à la carte de végétation naturelle imposée au modèle de climat ou simulée par le modèle de végétation. Les cartes de référence sont en général représentatives de la décennie en cours et comportent donc déjà une extension de zones agricoles qui est délicate à incorporer puisque d’origine différente. Nous ne disposons d’aucune information concernant la couverture végétale des zones qui étaient encore naturelles au début de l’ère industrielle. Il nous faut donc émettre des hypothèses. Nous ne savons pas, dans le futur, quels seront les choix privilégiés de mise en culture. Déforestation ? Disparition de zones pastorales ? Assèchement de marécages ? Nous devons là encore faire des hypothèses. La figure 1 illustre les différents choix possibles pour qu’une région, initialement couverte de végétation naturelle (50 % de forêts et 50 % d’herbacées), devienne agricole à 50 %. Selon la stratégie employée – convertir l’intégralité des forêts (ou des herbacées) en cultures, ou réduire proportionnellement forêts et herbacées – le paysage, les flux simulés, et par conséquent les situations météorologiques ne seront pas les mêmes.
6Tout changement d’usage des terres conduit à la modification d’un ensemble de caractéristiques physiques de la surface, l’une des plus étudiée étant l’albédo*. En effet, les herbacées reflètent généralement plus de lumière que les forêts (elles absorbent moins d’énergie solaire). La déforestation historique a donc produit une diminution de l’énergie radiative absorbée par la Terre et donc, un refroidissement si l’on ne tient compte que de ses impacts biogéophysiques*. Mais l’effet d’une déforestation ne s’arrête pas là. Les forêts ont également tendance à évaporer plus d’eau, ce qui conduit à refroidir la surface par rapport aux prairies/cultures. Elles exercent plus de friction sur les masses d’air ce qui affecte l’efficacité des échanges entre surface et atmosphère. Connus depuis longtemps, ces autres effets sont difficilement quantifiables car ils ne modifient pas nécessairement l’énergie totale absorbée par la Terre mais agissent plus localement sur les flux à l’interface surface/atmosphère et donc sur la température et la ressource en eau. Ils sont de plus très variables selon les régions : on estime que leur rôle est capital dans les zones tropicales, alors qu’en régions tempérées leur importance fait toujours débat. Dans le contexte de la déforestation historique des régions tempérées, le facteur dominant reste le refroidissement lié à l’albédo. En revanche, dans les décennies à venir, la déforestation des régions tropicales sera prédominante, conduisant potentiellement à un réchauffement, au moins localement, dû à la diminution de l’évapotranspiration.
L’irrigation
7L’irrigation consiste à prélever de l’eau dans les rivières, les barrages ou les nappes souterraines vers les zones superficielles que l’on veut cultiver. La surface des terres irriguées s’est beaucoup accrue dans la seconde moitié du XXe siècle. L’Asie couvre 70 % des surfaces totales irriguées et l’Amérique 17 % (figure 2). En humidifiant les sols, l’irrigation provoque une augmentation de l’évapotranspiration, et par conséquent, un refroidissement de la surface et une humidification de l’air, car elle est généralement effectuée au moment des sécheresses. Dans certaines régions particulières pour lesquelles la situation de la dynamique atmosphérique s’y prête, on a aussi constaté un changement du régime des pluies : soit elles arrivent plus tôt en automne, soit elles augmentent dans les régions aux alentours de la zone cultivée par irrigation.
8La modélisation du climat peut tenir compte de l’irrigation en imposant une condition humide sur les sols, et avoir en retour la réponse en évapotranspiration et en température. Cependant, comprendre l’effet de l’irrigation sur le bilan hydrologique et le régime des pluies requiert un modèle qui conserve l’eau lors du cycle global. Ceci impose de définir, dans un modèle dont la résolution est de l’ordre de 100 km, les bassins versants et les différents fleuves ou rivières compatibles avec la maille, de représenter des réservoirs profonds dont la constante de temps peut dépasser l’année, et d’acheminer l’eau d’infiltration et de ruissellement vers les fleuves et les sols profonds pour atteindre finalement l’océan : c’est ce que l’on appelle le « schéma de routage ». L’irrigation potentielle – quantité d’eau que l’on devrait apporter aux plantes pour satisfaire totalement leurs besoins hydriques – est calculée en fonction de la demande climatique et des caractéristiques des écosystèmes irrigués que sont les prairies et cultures. La demande en irrigation sera plus ou moins satisfaite selon l’état du stock d’eau dans les réservoirs de prélèvement, modélisés dans le schéma de routage. La quantité d’eau requise est prise prioritairement dans le réservoir fleuve puis dans les réservoirs profonds si nécessaire. Le modèle peut même prendre en compte le cas extrême de pénurie d’eau. On a ainsi pu montrer qu’aux États-Unis, l’irrigation favorisait le recyclage de l’eau évaporée en précipitations seulement sur la partie ouest du bassin du Mississippi. L’effet simulé sur la mousson indienne (cf. I-6) est double : le refroidissement retarde le déclenchement des pluies, et ce résultat est d’autant plus intéressant qu’il s’opposerait à l’effet de l’augmentation des GES ; a contrario, en automne, quand la pluviométrie s’atténue, l’apport supplémentaire de vapeur d’eau par l’évapotranspiration accroît la pluviométrie.
Les émissions de CO2 résultant de la déforestation
9Le flux net de CO2 lié aux changements d’utilisation des terres est aujourd’hui estimé à 10 % des émissions de carbone d’origine anthropique. La déforestation tropicale a largement dominé ce flux ces 30 dernières années. Dans le dernier rapport du GIEC* (2007), cette fraction des émissions de CO2 était considérée comme un « forçage externe* » au système et donc imposée au même titre que les émissions liées à la combustion d’énergie fossile. Les changements d’usage des terres n’étaient pas encore inclus dans les modèles, sauf pour trois d’entre eux.
10La nouvelle génération de modèles couplés climat-carbone (cf. V-10) prend en compte de façon explicite le changement d’utilisation des sols en tant que « forçage externe ». Le modèle calcule ainsi non seulement les impacts biogéophysiques*, mais également les flux de CO2 associés à ces usages. Les modèles de végétation intégrés à ces modèles de climat ont en effet une représentation complète du cycle du carbone : processus de photosynthèse, croissance et mortalité de la biomasse, accumulation et décomposition de matière organique dans les sols, feux, etc. Cependant, pour simuler les flux de CO2 associés à un changement d’utilisation des sols, les modèles font en général une série d’hypothèses. Par exemple, dans le cas d’une déforestation, le modèle suppose qu’une fraction de la biomasse est directement émise dans l’atmosphère (via des feux) ; une fraction (produits du bois à courte durée de vie) est stockée pour une période relativement courte (10 ans) avant d’être décomposée et émise dans l’atmosphère sous forme de CO2 ; enfin, une fraction (produits du bois à longue durée de vie) est stockée pour une période longue (100 ans) avant d’être finalement décomposée et réémise dans l’atmosphère sous forme de CO2. Différentes hypothèses doivent être faites sur le devenir de la biomasse souterraine (racines), l’impact de la déforestation sur la stabilité des sols (érosion) et sur la dynamique de la décomposition de la matière organique. Ces hypothèses variant d’un modèle à l’autre, les émissions ainsi calculées seront certainement entachées d’une incertitude non négligeable. Elles sont très difficiles à valider étant donné qu’il n’existe pas de données observées d’émissions liées au changement d’utilisation des sols.
11Les modèles de végétation inclus dans les modèles de climat connaissent aujourd’hui une évolution qui leur permet de mieux prendre en compte le fonctionnement des zones agricoles, des zones pastorales et des forêts gérées. L’inclusion de ces dernières évolutions nous permettra sous peu d’affiner notre représentation de l’évolution des zones fortement anthropisées dans le temps, et leurs impacts sur le cycle hydrologique, les cycles biogéochimiques et le climat.
12Par ailleurs, les composés biogéniques émis par la végétation ont un impact important sur la composition chimique de l’atmosphère qui n’est pas encore pris en compte dans les modèles, mais qui fait l’objet de nouvelles études.
Bibliographie
Références bibliographiques
• N. DE NOBLET-DUCOUDRÉ - Biosphère terrestre et climat : une complicité mise en evidence, Dans L’Homme face au climat, Collège de France, 2006.
• N. DE NOBLET-DUCOUDRÉ et J.-L. DUPOUEY, 2007 - « Le rôle ambigu des forêts », La Recherche, n° 414, 2007.
Auteurs
Modélisation couplée biosphère terrestre-atmosphère, Chercheur au CEA, LSCE, Gif-sur-Yvette.
nathalie.de-noblet@lsce.ipsl.fr
Modélisateur de la biosphère continentale, Chargé de Recherche à l’École Polytechnique Fédérale de Zurich, Suisse.
edouard.davin@env.ethz.ch
Physicienne de l’Atmosphère et du Climat, Professeur Émérite, Ancienne Directrice de l’École Doctorale « Sciences de l’Environnement », Ancienne Présidente du Conseil Scientifique de l’IPSL, Membre de l’Académie d’Agriculture, LMD, Paris.
katia.laval@lmd.jussieu.fr
Ingénieur modélisation surface continentale, Post-doctorant au CNRS, LOCEAN, Paris.
magulod@locean-ipsl.upmc.fr
Climatologue, Directeur de Recherche au CNRS (en détachement), Professeur à l’Université d’Exeter (GB).
p.friedlingstein@exeter.ac.uk
Modélisation de la végétation, Chargée de Recherche CNRS, CNRM-GAME, Toulouse.
christine.delire@meteo.fr
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012