5. Effet des éruptions volcaniques sur le climat
p. 201-203
Texte intégral
1Les éruptions volcaniques « majeures », caractérisées par un « Volcanic Explosivity Index » (VEI) ≥ 4 (Simkin and Siebert, 1994), expulsent dans la stratosphère* des quantités considérables de gaz et d’aérosols qui affectent le bilan radiatif de la planète et son climat (cf. II-4). Les gaz volcaniques acides, majoritairement du SO2 gazeux mais aussi des composés halogénés (HCl, HF, HBr), modifient également la chimie de la stratosphère en affectant en particulier le cycle de l’ozone. Ce sont les fines particules de sulfates, issues de la transformation du SO2 gazeux injecté, qui ont un effet radiatif dominant. L’effet radiatif direct est un réchauffement de la basse stratosphère et un refroidissement net des températures à la surface de la Terre qui peut persister pendant des mois à plusieurs années après l’éruption. L’exemple le plus spectaculaire est celui de l’éruption cataclysmale du Tambora (Indonésie, VEI = 7) en avril 1815, qui a été suivie d’une année « sans été » en 1816 et par un refroidissement global moyen de 0,7 °C. Un exemple plus récent de ces effets, directement quantifiés, a été apporté par l’éruption plinienne* du volcan Pinatubo en juin 1991 (Philippines, VEI = 6, ΔT ≈ -0,4 °C). L’impact climatique des éruptions dépend donc de leur magnitude (masse de gaz et poussières émises, hauteur d’injection) mais aussi de la dispersion du nuage d’aérosols volcaniques, variable selon la position géographique du volcan et l’époque de l’année (saison) à laquelle l’éruption intervient. Ainsi, à magnitude égale, les éruptions tropicales ont un effet climatique plus global que les éruptions des hautes latitudes, car dans la stratosphère leurs aérosols sont transportés dynamiquement vers les hautes latitudes par la circulation de Brewer-Dobson. Il existe également des effets radiatifs indirects s’exerçant à travers la circulation atmosphérique et donc l’état dynamique de l’océan et de l’atmosphère. Par conséquent, les relations quantitatives entre forçage volcanique et dynamique du climat (par exemple comment cela affecte le phénomène ENSO*) sont complexes et encore mal comprises.
Injections dans l’atmosphère
2La quantification de l’impact climatique du volcanisme sur des échelles de temps longues est difficile car on ne dispose d’observations directes et complètes que pour l’éruption du mont Pinatubo de 1991. Pour estimer l’intensité des éruptions passées on doit se baser sur des indices qui tentent de refléter la charge en aérosols volcaniques injectée dans la stratosphère. Le forçage volcanique est estimé en utilisant divers critères comme le VEI, lui-même estimé d’après les dépôts, ou encore à partir des teneurs en sulfates et acides piégés dans les couches de glace annuelles des carottes de glaces polaires (IVI, Ice core Volcanic Index*). Les pics de concentration en sulfate dans les carottes de glace des deux pôles sont de bons marqueurs d’éruptions volcaniques tropicales majeures dont l’impact climatique est global. La conversion des mesures d’acide sulfurique dans les glaces en épaisseur optique et autres paramètres microphysiques des aérosols volcaniques est ensuite calibrée grâce aux observations instrumentales des éruptions récentes, telle que celle du Pinatubo dont le pic d’acide sulfurique est bien détecté dans les carottes de glace. Cette approche fait l’hypothèse que la microphysique des aérosols pour les éruptions encore plus fortes, qui ont jalonné le dernier millénaire, est semblable à celle des éruptions récentes.
3La reconstruction à l’aide de l’intensité des éruptions passées peut nous permettre de comprendre comment l’activité volcanique influence les climats présents et passés. Mais l’intensité des éruptions à elle seule ne permet pas de prédire les changements de température de l’atmosphère et de l’océan. La localisation de l’éruption, son intensité, la composition gazeuse émise, la chimie stratosphérique et la microphysique de l’aérosol doivent aussi être prises en compte.
4La localisation de l’injection et le type d’éruption déterminent sa hauteur de pénétration ainsi que la symétrie ou non des retombées aux pôles. Dans le cas de méga éruptions (VEI > 7), au-delà d’un certain seuil de flux de matière injectée, la colonne éruptive s’effondre et seule une fraction des cendres franchit la tropopause* avec les gaz. Lorsque l’injection passe cette barrière, la même chimie qui intervient en présence de nuages stratosphériques polaires entre en jeu et la présence ou non des acides HCl et HBr est alors déterminante pour prédire les pertes d’ozone stratosphérique. Cette chimie est soumise à des effets de saturation. Il est aussi important de noter qu’au-dessus d’une altitude de 35 km, H2SO4 est photolysé et réapparaît sous forme gazeuse en SO2.
5Radiativement, la taille de l’aérosol est prépondérante : celle-ci dépend du mélange de vapeur d’eau, de cendres et de SO2 qui a été injecté. Les processus de coagulation et de condensation contrôlent la taille de cet aérosol. L’extinction, qui entraîne le refroidissement stratosphérique et troposphérique, est fonction du rapport entre le rayon effectif de l’aérosol et la longueur d’onde. Pour des éruptions dont le volume de gaz injectés dans l’atmosphère est inférieur à 10 fois celui émis par le Pinatubo, les techniques récentes développées par Baroni et al. permettent de savoir si l’injection a atteint la stratosphère. Ces travaux constituent une avancée notable pour améliorer la description de l’effet de ces volcans. Reste à connaître la composition gazeuse afin de déterminer la perte en ozone. Les incertitudes sont plus importantes dans le cas des mégaéruptions car les colonnes d’injection peuvent s’effondrer. Enfin, si nous voulons pouvoir reconstruire l’influence des volcans sur les températures de l’atmosphère et de l’océan sur des échelles de temps de milliers voire de centaines de milliers d’années, comprendre la relation entre la composition des gaz et cendres injectées et la taille de l’aérosol stratosphérique paraît déterminant. Il faut aussi pouvoir déterminer les quantités d’espèces émises qui sont de nature à détruire l’ozone stratosphérique.
Impacts sur l’océan
6Le volcanisme modifie aussi les températures de l’océan. Des simulations numériques réalisées à partir du modèle américain CM2.1 du laboratoire de dynamique des fluides géophysiques montrent que les diminutions du contenu en chaleur de l’océan global induites par les éruptions du Tambora et du Pinatubo furent les plus fortes des XIXe et XXe siècles. Le refroidissement simulé de l’océan est de 1 °K pour le Tambora et de 0,4 °K pour le Mont Pinatubo, avec un pic 3 ans après l’éruption. À nouveau, en conséquence du manque d’observations, la réponse dynamique et thermodynamique de l’océan reste relativement mal connue. Elle est essentiellement étudiée à l’aide de simulations numériques. L’anomalie négative de température se propage depuis la surface jusque dans les couches plus profondes de l’océan (2 000 à 3 000 m) et persiste durant une à deux décennies après l’éruption. En région tropicale, on observe au contraire un réchauffement des températures de subsurface (10 à 100 m) qui refléterait une diminution de l’intensité des vents. Ces perturbations ont un impact sur la circulation océanique de grande échelle, composante la plus lente du système climatique* dont la réponse se fait sur des constantes de temps de l’ordre de plusieurs décennies au siècle.
7Au refroidissement de l’océan s’ajouterait une réduction des précipitations aux hautes latitudes, donc un accroissement de la salinité des eaux de surface. Plusieurs modèles de climat suggèrent que ces modifications des champs de température et de salinité concourent à intensifier la circulation océanique méridienne moyenne, mais ce résultat n’est pas détecté dans tous les modèles. Les interactions entre troposphère* et stratosphère* pourraient également jouer un rôle dans le renforcement de la circulation océanique méridienne. Le réchauffement induit par l’absorption du rayonnement solaire par l’aérosol volcanique aux basses latitudes modifie le gradient de géopotentiel* entre les pôles et l’équateur et renforce le vortex polaire.* Les jets troposphériques sont ainsi déplacés vers les pôles, les vents de la basse troposphère s’intensifient et accentuent la plongée d’eaux aux hautes latitudes. Cependant, en règle générale, les modèles climatiques actuels ne représentent pas correctement les processus stratosphériques et ont tendance à sous-estimer la variabilité de la circulation atmosphérique et sa réponse au forçage volcanique. Enfin, la glace de mer est également sensible au forçage volcanique. On détecte un accroissement du couvert et du volume de glace de mer en hiver environ 5 ans après les éruptions, conséquence directe du refroidissement océanique.
8Pour conclure, alors que le temps de relaxation* des perturbations atmosphériques dues aux grandes éruptions volcaniques est de l’ordre de quelques années, le temps de retour de l’océan profond (T, S et circulation) à un état non perturbé serait de l’ordre de plusieurs décennies au siècle. Ceci signifie que les effets des éruptions volcaniques majeures du XXe siècle sont susceptibles d’avoir atténué le réchauffement global actuel, et plus particulièrement au cours de la deuxième moitié du siècle, et doivent donc être pris en compte dans les simulations globales de l’évolution future du climat. Cela implique aussi que l’on peut s’attendre à des effets cumulatifs importants dans le cas de séquences d’éruptions rapprochées (e.g. milieu du XIIIe siècle) ou, pire, lors des méga-éruptions comme celles du Toba (Indonésie, - 76 000 ans, VEI = 8) ou de Yellowstone (USA, - 640 000 ans, > 1 000 km3).
Bibliographie
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Références bibliographiques
• M. BARONI, M. H. THIEMENS, R. J. DELMAS and J. SAVARINO - « Mass-Independent Sulfur Isotopic Compositions in Stratospheric Volcanic Eruptions », Science, 315, 2007.
10.1029/1998RG000054 :• A. ROBOCK - « Volcanic eruptions and climate », Reviews of Geophysics, 38, 2000.
• G. STENCHIKOV, T. L. DELWORTH, V. RAMASWAMY, R. J. STOUFFER, A. WITTENBERG, and F. ZENG - « Volcanic signals in oceans », J. Geophys. Res., 114, 2009.
Auteurs
Géochimiste paleoclimatologue, Directrice de Recherche au CNRS, LSCE, Gif-sur-Yvette.
marie-alexandrine.sicre@lsce.ipsl.fr
Climatologue, Chargée de Recherche à l’IRD, LOCEAN, Paris.
myriam.khodri@ird.fr
Océanographe, Chargée de Recherche à l’IRD, LOCEAN, Paris.
juliette.mignot@locean-ipsl.upmc.fr
Volcanologue, Directeur de Recherche au CNRS, IPGP, Paris.
pallard@ipgp.fr
Ingénieur climatologue, Chercheur au CEA, LSCE, Gif-sur-Yvette.
yves.balkanski@lsce.ipsl.fr
Géochimiste et paléoclimatologue, Professeur au Collège de France, Titulaire de la chaire de l’évolution du climat et de l’océan, Membre de l’Académie des sciences, Directeur adjoint du CEREGE, Aix-en-Provence.
bard@cerege.fr
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L'archéologie à découvert
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012