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3. L’éclairement spectral absolu du Soleil

p. 195-198


Texte intégral

1La Terre reçoit son énergie de deux sources : la chaleur transmise au travers de sa surface depuis ses couches internes et le Soleil. Cependant, la seconde est environ 8 000 fois plus importante que la première, ce qui fait du Soleil la seule source d’énergie pour la Terre.

2Le Soleil produit son énergie sous deux formes, les photons et les particules (électrons, protons*…) dont le flux varie en fonction du temps. Les photons solaires agissent sur les surfaces continentales et océaniques, et sur l’atmosphère terrestre (figure 1) en fonction de leur longueur d’onde selon quatre effets principaux : photoabsorption*, photodissociation*, photoionisation* et diffusion. L’amplitude de ces effets peut être calculée à partir des propriétés des espèces concernées et de l’éclairement spectral absolu* du Soleil.

Difficultés de mesure de l’éclairement spectral solaire

3Tout d’abord, le Soleil est une étoile variable qui présente une périodicité voisine de 11 ans avec une amplitude variable et des transitions entre cycles différentes, parfois rapides comme en 1959 ou lentes comme en 1900. On ne peut donc pas adopter un éclairement unique dépendant d’un modèle fixe de variabilité solaire. Des périodicités plus longues ont été décelées grâce à des informations indirectes telles que la variation de concentration des isotopes cosmogéniques*. Il existe très peu de mesures fiables concernant l’éclairement solaire avant 1970. Par ailleurs, la précision de mesure des caractéristiques de l’atmosphère de la Terre (concentration des espèces, température, paramètres dynamiques) s’accroît régulièrement. Il en résulte que sa modélisation nécessite une connaissance de plus en plus précise de l’éclairement spectral absolu*. De plus, pour les études climatiques, il existe des périodes particulièrement intéressantes telles que le XVIIe siècle, le début du XIXe siècle et le milieu de ce siècle dominé par un volcanisme important. Outre l’éclairement total, ces modèles requièrent la connaissance de l’éclairement spectral et sa reconstitution à l’échelle historique. Enfin, l’atmosphère terrestre engendre des absorptions partielles ou totales qui conduisent à mesurer l’éclairement solaire total et spectral hors atmosphère. En orbite, les photons solaires du domaine de l’extrême ultraviolet (EUV*) et les particules de l’environnement spatial altèrent en général l’échelle absolue des mesures.

Domaines d’application

4De toute évidence, le premier domaine d’application de l’éclairement spectral solaire concerne la physique du Soleil pour étudier la composition, la température de ses différentes régions et leurs variabilités à différentes échelles de temps. L’éclairement spectral permet de comprendre et de modéliser les propriétés des atmosphères planétaires en mettant en œuvre les réactions photochimiques qui conditionnent leurs propriétés et permettent de les comparer aux mesures afin de s’assurer que les processus représentés dans les modèles sont appropriés. Il y a plusieurs années la physique du climat était essentiellement concernée par la valeur de l’éclairement total et sa variation dans le temps. Aujourd’hui, l’éclairement spectral ultraviolet (UV*) doit être aussi reconstruit en raison du couplage dynamique entre la stratosphère* et la troposphère* dont on estime qu’il joue un rôle important dans l’amplification des effets de la variabilité solaire. Enfin la météorologie de l’espace s’intéresse aux variations de l’éclairement solaire spectral comme moyen de détection de phénomènes solaires (éruption solaire, éjection coronale de masse) qui influencent et perturbent notre environnement. Les mesures spectrales principalement dans l’EUV* complètent les informations fournies par l’imagerie.

Variabilité solaire

5La première évidence de la variabilité solaire est constituée par l’apparition et la disparition des taches solaires montrant des échelles de temps de plusieurs cycles. À l’opposé, les mesures spectrales dans le domaine EUV* ont montré une variabilité à l’échelle de la minute. La variabilité solaire indique que différents processus sont en action dans la zone solaire convective et au-dessus, expliquant pourquoi l’éclairement solaire spectral et total varie (cf. II-3).

Mesure de l’éclairement spectral absolu* hors atmosphère

6La mesure de l’éclairement spectral depuis le sol n’est possible qu’au-dessus de 300 nm en raison de l’absorption des photons solaires par l’ozone de l’atmosphère. Néanmoins, l’ozone présente aussi une bande d’absorption dans le visible et il existe de nombreuses bandes d’absorption dans l’infrarouge dues à la vapeur d’eau. Des méthodes de correction existent, mais elles ont une précision limitée, même lorsque les conditions météorologiques sont favorables. En conséquence, la mesure hors atmosphère s’impose par ballons, fusées ou satellites.

7Les satellites offrent la possibilité de mesures de longue durée en accord avec la variabilité attendue du Soleil. Les ressources en masse, puissance électrique et volume disponibles à bord du satellite fournies à l’expérimentateur sont maintenant beaucoup plus importantes que lors des premières mesures dans l’UV*. Néanmoins, le vieillissement de l’instrumentation en environnement spatial reste la difficulté majeure. Plusieurs méthodes ont été imaginées : doublement de l’instrumentation, ré-étalonnage par fusée transportant un instrument identique, protection des optiques par des dioptres mobiles ré-étalonnables, lampes de référence, limitation au strict nécessaire du temps d’exposition, utilisation d’étoiles de référence photométrique, redondance des mesures par des instruments indépendants et enfin le retour des instruments au laboratoire pour étalonnage après mission grâce à la navette spatiale. Chaque méthode présente ses avantages et ses inconvénients dont il résulte que l’éclairement solaire absolu est connu avec une précision de 2 à 3 % dans le visible et l’infrarouge et de l’ordre de 20 % dans le domaine des rayons X*.

DOMAINE SPECTRAL (nm)

ORIGINE

RÉGION

VARIABILITÉ UNDÉCENNALE

> 300

Photosphère

Stratosphère et troposphère

0,1 %

250

Haute photosphère

Stratosphère et troposphère

5 %

200

Haute photosphère

Stratosphère

10 %

170

Haute photosphère

Stratosphère

30 %

Ly α

Chromosphère

Basse thermosphère

Facteur 2

91,1-Ly β

Chromosphère et région de transition

Région D

2

8-91

Chromosphère et région de transition

Région E

3

3,5-8

Couronne

Région F

6-10 (éruption)

0,2-0,6

Couronne

Région E, D

10

Fig. 1 – Origine des émissions dans l’atmosphère solaire en fonction de la longueur d’onde, de leur variabilité et des régions de l’atmosphère terrestre concernées. 1 nanomètre = 10-9 mètres

Les mesures

8Les missions ont été sélectionnées en fonction de besoins scientifiques très précis. Les domaines de l’EUV et des rayons X ont été observés en raison de leur rôle dans l’ionisation des couches supérieures de l’atmosphère pour l’optimisation des transmissions radioélectriques et l’étude des propriétés de ces régions dans lesquelles circulent les satellites. Plus tard, le trou d’ozone a conduit à mesurer le domaine UV en négligeant l’EUV, le visible et l’infrarouge, entraînant une absence de mesure pendant une vingtaine d’années.

Image

Fig. 2 – À gauche : l’éclairement spectral solaire ATLAS 3 à une unité astronomique en fonction de la longueur d’onde, montrant de l’UV à l’IR les raies d’absorption de Fraunhofer*. À droite : l’éclairement spectral solaire présenté en coordonnées logarithmiques de façon à distinguer le domaine EUV dominé par les raies d’émission dont la raie Ly α de l’hydrogène de grande intensité

9Dans les années 1970, les différences entre les mesures UV atteignaient 30 %. La mesure de l’ozone et de l’éclairement spectral solaire UV, ainsi que la détermination de l’indice du magnésium* II, furent entreprises à l’aide du spectromètre SBUV en 1978. L’instrument fut amélioré et mis en opération en 1984 à bord des satellites de la NOAA*. C’est avec les missions SpaceLab I (1983) et SpaceLab II (1984) qu’un accord entre les mesures à mieux que 5 % fut trouvé. Plus récemment, les spectromètres SUSIM* et SOLSTICE* placés à bord du satellite UARS* de la NASA*, mesurèrent depuis la raie de l’hydrogène Lyman α (121,1 nm) jusqu’à 400 nm entre 1991 et 2005. Le domaine de mesure EUV* fut repris en 1998 par la mission SNOE*, puis en 2003 par SORCE* et en 2008 par SOLAR* à bord de la station spatiale. Aujourd’hui, la modélisation du climat étant au centre des préoccupations, ces domaines font l’objet d’observations systématiques.

10En raison de la dégradation des instruments en orbite, des missions indépendantes de courtes durées avec retour des instruments furent lancées. C’est ainsi que les missions ATLAS 1, 2, 3 embarquèrent sur la navette de la NASA trois spectromètres : SSBUV*, SUSIM et SOLSPEC* couvrant respectivement les domaines 170-400 nm, Ly α - 400 nm et 200-2 400 nm. Ces trois missions de 10 jours avec retour des instruments au laboratoire permirent de valider les mesures en cours à bord de UARS et d’évaluer leur précision absolue à 5 %. Les observations effectuées depuis septembre 1991 à décembre 2005 ont fourni la variabilité de l’éclairement spectral pendant le cycle 22 solaire et sa valeur absolue de Ly α à 400 nm.

11Embarqué par les missions ATLAS et EURECA*, SOLSPEC fut le premier instrument qui observa hors atmosphère le spectre solaire visible et infrarouge jusqu’à 2 400 nm. Il permit de construire deux spectres composites à deux niveaux d’activité solaire correspondant à ceux des missions ATLAS 1 et 3. Ils couvrent le domaine 0,5-2 400 nm et utilisent des mesures par fusées de 0,5 nm à Ly α et les mesures UARS et ATLAS. L’incertitude au-dessus de 200 nm est estimée à 3 %. Au-dessus de 2 400 nm, l’éclairement spectral a été étendu par un spectre théorique pour calculer l’éclairement total qui a été comparé à celui mesuré simultanément à bord d’ATLAS et de UARS. Une différence de 1,2 % a été trouvée, une valeur inférieure à la précision des mesures, c’est pourquoi aucune normalisation ne fut ultérieurement effectuée.

12Le développement de la modélisation de l’atmosphère et du climat conduisit les agences spatiales en 1998 à proposer des missions ayant pour objet la mesure de l’éclairement spectral solaire absolu depuis les rayons X jusqu’à l’infrarouge. Depuis 2001, dans le domaine EUV-UV, des mesures sont ainsi effectuées par l’instrument SEE à bord du satellite TIMED*. Par ailleurs, la mission SOLAR, placée dans le module Colombus de la Station Spatiale Internationale est composée de trois instruments :

INDICATEURS

VARIABILITÉ EN 11 ANS

DISPONIBLES DEPUIS

H α

1,2 %

≈ 1950

Ca II K

46 %

1974

He (1 083 nm)

200 %

1980

Mg II (280 nm)

10 %

1978

Ly α

200 %

1969

F10,7

> 400 %

1947

Nbre de taches

0 à 200

1609

Flux galactique

50 %

≈ - 5000

Fig. 3 – Les indices de l’activité solaire

13SOL-ACES, SOLSPEC et SOVIM* mesurent respectivement l’éclairement spectral EUV ; le domaine de l’UV à 3 000 nm et l’éclairement total. Lancée en 2008, SOLAR bénéficiera de la montée du cycle 24. Enfin, la mission SORCE lancée en janvier 2003 comporte deux spectromètres et un radiomètre mesurant respectivement l’éclairement spectral des rayons X à 2 400 nm et l’éclairement total.

14Les instruments décrits ci-dessus ont permis de construire l’éclairement spectral solaire pour la période d’activité minimum entre les cycles 23 et 24. Ils ont été comparés au spectre ATLAS 3 qui a été obtenu dans des conditions voisines d’activité. Ces trois spectres sont voisins et les différences sont compatibles avec leur précision absolue. Dans l’IR, la comparaison entre SIM et ATLAS 3 ne présente pas d’intérêt en raison de la normalisation effectuée par SIM sur ATLAS 3. SDO* mis en orbite en 2010 enregistre des images et mesure l’éclairement dans l’EUV. Enfin, PICARD mis en orbite en juin 2010 par le CNES*, mesure l’éclairement total et quelques canaux spectraux dans l’UV, le visible et l’IR.

Reconstruction de l’éclairement spectral

15Les études climatiques requièrent la connaissance de l’éclairement solaire total et spectral à des périodes où aucune de ces mesures n’existait, comme au XVIIe siècle. Les indices solaires sont des quantités qui ont la propriété de représenter une caractéristique du Soleil. Par exemple, le nombre de taches à la surface du Soleil est une indication de son activité. La figure 3 présente plusieurs indices à l’échelle du cycle de 11 ans. Leurs variations à cette échelle sont toutes corrélées, avec toutefois un bruit résiduel tenant aux conditions météorologiques pour les mesures au sol, le bruit de mesure, ou l’effet de la rotation solaire dont l’amplitude est différente d’un indice à l’autre. Cette table montre que le nombre de taches solaires peut être utilisé jusqu’à 1609 environ. Pour les périodes antérieures, seule la concentration des isotopes cosmogéniques est utilisable, les taches solaires relevées par les astronomes-astrologues chinois n’étant pas toujours fiables.

16La méthode consiste à représenter la variabilité solaire spectrale à l’aide de la valeur de l’indice choisi au moment de la mesure ou d’une combinaison d’indices. Il convient de noter qu’aucun indicateur ne peut représenter la variabilité spectrale à toute longueur d’onde, car l’indice correspond à une certaine altitude dans l’atmosphère solaire et sera donc représentatif des émissions ayant pour origine cette altitude ou au mieux une altitude voisine. C’est ainsi que l’indice du Mg II sera approprié à l’UV, mais que les émissions ayant leur siège dans la zone de transition ou dans la couronne (figure 1) seront mieux représentées par l’indice à 10,7 cm. Notons que de façon générale les reconstructions de l’éclairement total et spectral ne sont pas uniques et que d’autres modèles de fondement moins empirique existent aussi. Le modèle COSI* permet de retrouver le spectre ATLAS 3 mesuré dans l’échelle absolue avec une différence moyenne de 2 % et de reconstituer l’éclairement solaire jusqu’au XVIIe en utilisant les variations de concentrations des isotopes cosmogéniques. Si, dans les périodes récentes, les reconstructions sont en assez bon accord, leurs divergences s’accroissent vers le passé.

Conclusion

17Depuis la mise en orbite d’UARS en 1991, on dispose d’une base de données sur la variation de l’éclairement solaire spectral et sa valeur absolue, cependant limitée au domaine Ly α - 410 nm. Les valeurs absolues ont été validées par les missions ATLAS 1, 2 et 3. En 2003, SORCE a été mis en orbite pour étendre vers l’EUV, le visible et le proche IR le domaine de mesure. En 2008, SOLAR a mis en œuvre ce type de mesure depuis la station spatiale. Pour des raisons de modélisation du climat, la reconstruction de l’éclairement total et spectral du passé est maintenant possible, mais des désaccords importants existent entre les reconstructions disponibles.

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