2. Forçages solaires et perturbations interplanétaires
p. 191-194
Texte intégral
1Le cycle solaire qui s’est achevé en 2009 par un niveau d’activité exceptionnellement bas a suscité une quantité sans précédent d’études et de déclarations sur l’impact présumé de l’activité solaire sur le climat. S’il n’y a guère de doute quant à l’influence de l’activité solaire sur le climat (cf. VI-1), les mécanismes sont nombreux et complexes.
2La figure 1 dresse le bilan énergétique des diverses contributions solaires et révèle une saisissante disparité des valeurs. La majeure fraction de la puissance solaire nous parvient sous forme de rayonnement électromagnétique*, pour lequel le consensus actuel admet une valeur moyenne de 1 360,8 W/m2 au sommet de l’atmosphère, à l’équateur et à midi. Environ 30 % de ce rayonnement est réfléchi ; le reste est majoritairement absorbé dans la basse atmosphère et au niveau du sol. Seule sa partie plus énergétique (la composante UV*) est absorbée plus haut. Le Soleil contribue aussi sous forme de rayonnement corpusculaire, constitué essentiellement de protons relativistes émis de façon sporadique lors d’éruptions solaires. En termes énergétiques, cette contribution est environ 10 millions de fois plus faible que celle du forçage radiatif*. Une autre contribution très faible mais permanente est celle du vent solaire, très variable, qui perturbe l’environnement terrestre et provoque une cascade d’événements dont la précipitation dans l’atmosphère de protons et d’électrons de haute énergie. Enfin, encore plus faible est la contribution des rayons cosmiques, qui peuvent atteindre les plus basses couches de l’atmosphère. Ces différents vecteurs d’interaction entre le Soleil et la Terre diffèrent énormément en énergie, en variabilité et en couverture spatiale. Tous ont pourtant un impact potentiel sur le climat ; aucun ne peut a priori être exclu et la validation (ou l’invalidation) définitive d’un mécanisme devient une tâche ardue, qui ne se résume jamais à une explication simpliste et nécessite au contraire un examen critique, dans un cadre multidisciplinaire.
Les mécanismes physiques
Effet du rayonnement UV
3Une partie du flux UV, en particulier la composante extrême-UV (ou EUV*, 10-120 nm) et les rayons X* mous (XUV, 0,1-10 nm), agit sur les hautes couches atmosphériques, où il est absorbé par O2 et N2 (en dessous de 150 km) et O (au-dessus) en excitant, dissociant et ionisant l’atmosphère. Nous sommes alors dans un mélange gazeux composé de neutres (la thermosphère) d’une part, et d’ions et électrons (l’ionosphère) d’autre part. Les valeurs des concentrations électroniques et ioniques, ainsi que leurs températures, dépendent donc fortement de l’activité solaire. Entre le minimum et le maximum solaire, le flux EUV varie de 20 à 100 %, la température du gaz neutre et celle des ions au-dessus de 200 km peut être multipliée par 2,5 et la température électronique par 3 à 4.
4L’absence de flux UV côté nuit engendre une dynamique importante de la haute atmosphère, liant les deux faces de la Terre. Mais en ce qui concerne le climat, le couplage le plus important entre basses et hautes couches atmosphériques se fait par les « ondes de gravité* » : le chauffage depuis la troposphère* résulte en une dilatation non linéaire jusqu’à la haute atmosphère avec des oscillations de la minute à l’heure sur plusieurs milliers de kilomètres horizontaux. La concentration neutre peut être multipliée par plusieurs dizaines à 400 km. Les électrons et ions atmosphériques, liés au gaz neutre mais également aux champs électriques et magnétiques sont perturbés par les ondes de gravité. Par ailleurs, l’inclinaison de la Terre implique des différences entre les deux hémisphères ce qui conduit par exemple dans l’hémisphère d’été, à la formation des nuages « noctilucents » à haute latitude, entre 75 et 85 km. Dans la thermosphère apparaît une accélération du système de vent méridien et, autour des tropiques, du vent zonal.
Effet du vent solaire
5Le vent solaire est un flux variable de plasma principalement constitué de protons et d’électrons de 10-100 eV et qui balaye en permanence la magnétosphère terrestre (figure 2). Il est issu de l’atmosphère solaire et ses caractéristiques dépendent essentiellement de la configuration du champ magnétique à la surface du Soleil ; il est donc modulé par le cycle solaire. Il existe cependant deux contributions distinctes à la variabilité du vent, qui sont comparables à l’échelle du cycle solaire mais pourraient en revanche connaître sur le long terme des évolutions différentes. La première est due à l’alternance entre vents lents et rapides, qui perturbent l’équilibre dynamique entre champ géomagnétique et vent solaire. Ces alternances sont permanentes, mais les vents rapides, qui déclenchent de l’activité géomagnétique, sont plus fréquents en fin de cycle solaire. L’autre contribution provient de perturbations interplanétaires d’origine solaire, plus sporadiques mais plus violentes, telles que les éjections de masse coronale, qui se produisent surtout lorsque le cycle solaire est dans une phase de forte activité.
6Le bouclier géomagnétique force le vent solaire à épouser la forme du champ en créant la magnétopause (figure 2). Le contournement de la cavité magnétosphérique par le vent engendre une séparation des charges due aux forces de Lorentz* qui produit un champ électrique à travers toute la magnétosphère. Environ 10 % du vent solaire traverse la magnétopause. Il s’ensuit un système de courants magnétosphériques complexe : courant de traversée de queue côté nuit, courant annulaire autour de l’équateur, courants alignés au-dessus des ovales auroraux… Leur intensité est fonction de la pression du vent solaire sur la cavité magnétosphérique ; elle est variable pour la plupart des systèmes de courant, mais la fréquence des événements est modulée par le cycle solaire.
7Ces courants se ferment dans l’ionosphère terrestre. Leurs effets sont nombreux : échappement des ions qui constituent ainsi le vent polaire, chauffage Joule dû à la friction ion/neutre, etc. De plus, ces courants perturbent le champ magnétique et leur effet se ressent jusqu’au niveau du sol en y produisant une tension induite qui génère d’autres courants. L’effet climatique, vraisemblablement faible, n’est pas encore bien connu. En revanche, la signature de ces courants induits dans les enregistrements magnétiques au sol constitue une observation indirecte mais néanmoins précieuse de l’impact de l’activité solaire. Certaines de ces archives remontent au début du XIXe siècle.
8Après ce passage magnétosphérique, le vent solaire pénètre sous forme de précipitations de protons et d’électrons dans la haute atmosphère (> 70 km), soit directement autour des pôles magnétiques soit après un passage magnétosphérique, dans les ovales auroraux vers 65° de latitude magnétique. Les effets sont identiques à ceux du rayonnement EUV (excitation, dissociation, ionisation et chauffage) avec une variabilité cependant plus forte et plus complexe, et de surcroît la génération d’aurores polaires. Les pôles magnétiques sont des entrées quasi directes du vent solaire ; aux latitudes plus basses les précipitations de particules sont aussi issues du vent solaire, mais pénètrent dans l’atmosphère après un parcours dans des zones de piégeage, dont les ceintures de radiation (figure 2) où elles peuvent subsister pendant plusieurs semaines.
Rayonnement cosmique
9Le rayonnement cosmique est principalement constitué de protons relativistes (avec une énergie supérieure à 1 GeV) majoritairement issus de restes de supernovae. La Terre baigne en permanence dans un flux de telles particules qui peuvent atteindre la troposphère, dont elles sont la principale source d’ionisation, 10 km au-dessus du sol. Or, en traversant l’héliosphère, ce flux est modulé par l’effet conjugué du champ magnétique solaire et terrestre et de la turbulence* du milieu interplanétaire. Il en résulte un des mécanismes les plus faibles et pourtant les plus controversés du lien Soleil-climat, qui pourrait influencer les processus de nucléation dans la basse atmosphère et ainsi affecter le taux de formation des nuages. Un Soleil plus actif réduit le rayonnement cosmique, avec pour conséquence un déficit en noyaux de condensation et donc une nébulosité* plus faible.
10Ce mécanisme, connu de longue date, est récemment revenu sur les devants de la scène pour expliquer les variations récentes du climat ainsi que celles à l’échelle géologique. Son impact réel a été démenti par plusieurs études récentes, même si la question n’est pas close en raison de la complexité des processus de formation des nuages, et du rôle des aérosols (cf. VI-4). Les mêmes rayons cosmiques sont aussi responsables de la production d’isotopes cosmogéniques* tels que le 14C et le 10Be, dont le taux de production sert d’indice d’activité solaire et permet de reconstruire cette dernière sur l’Holocène, voire au-delà.
Rôle du circuit électrique
11L’impact du rayonnement cosmique est intimement lié à celui du circuit électrique terrestre. Un faible courant d’environ 2 picoA/m2 s’écoule en permanence de l’ionosphère vers le sol sous l’effet d’un puissant champ électrique entretenu par l’activité orageuse. Ce champ ainsi que la conductivité de l’air sont altérés par la pénétration dans la moyenne et basse atmosphère de particules de haute énergie (protons solaires ou rayons cosmiques) et par les changements de potentiel dans les régions polaires suite à des modifications du champ géomagnétique. Ces modifications du circuit électrique sont mal connues en raison de leur caractère sporadique et local. Leur impact présumé sur les processus de nucléation (et donc de formation des nuages) est tout aussi mal connu. En 1989, la découverte de phénomènes lumineux transitoires a relancé l’intérêt pour le circuit électrique ; il s’agit de décharges lumineuses qui remontent de la troposphère jusque vers l’ionosphère lors des orages atmosphériques et offrent ainsi un couplage aussi direct qu’inattendu entre ces couches.
Aspects méthodologiques
12Il existe de nombreuses similitudes entre l’étude du forçage solaire, qui agit surtout au niveau de la haute atmosphère, et celle des forçages internes, qui interviennent davantage dans la basse atmosphère. Les deux forçages impliquent une palette de mécanismes non-linéaires, fortement couplés et font intervenir des processus de nature très différente (radiatifs, particulaires, etc.). Les deux forçages ont une action très variable dans le temps et dans l’espace : certains processus sont intermittents et localisés (la précipitation de particules énergétiques) alors que d’autres (le forçage radiatif) agissent au niveau du globe entier. Le recours aux modèles est donc indispensable pour lier les différentes échelles et compenser en partie le manque criant de couverture spatio-temporelle dans les observations.
13Mais il existe aussi de fortes différences, qui expliquent des disparités méthodologiques parfois importantes. D’abord, les mécanismes du forçage solaire agissent très majoritairement du haut vers le bas et les rétroactions y jouent un rôle secondaire. Une des rares exceptions est le refroidissement observé dans la haute atmosphère, qui est engendré par la concentration accrue de gaz à effet de serre* dans les couches inférieures. Le circuit électrique et son impact sur la nucléation sont une autre exception. Ensuite, les mesures in situ sont rarissimes dans la zone comprise entre 40 et 250 km d’altitude, qui constitue un « no man’s land ». Or c’est justement dans cette zone qu’interviennent des processus importants qui sont susceptibles de coupler la forte variabilité de la haute atmosphère aux plus basses couches. La partie inférieure de cette zone (la mésosphère) est une véritable zone frontière physique et structurelle, car elle marque la transition entre un milieu neutre et fortement collisionnel en dessous, et un milieu ionisé et non-collisionnel au-dessus. Ceci a des conséquences importantes sur la modélisation du transport de matière et d’énergie, qui est de nature purement hydrodynamique en dessous (le milieu est décrit comme un fluide continu) et couplé cinétique/fluide au-dessus, avec prise en compte des champs électrique et magnétique, qui sont à longue portée. Ces deux approches complémentaires sont difficiles à réconcilier, et impliquent généralement des communautés différentes.
14Notre manque actuel de compréhension du couplage Soleil-climat peut être attribué à diverses contraintes méthodologiques, notamment :
- Le caractère récent de notre connaissance du milieu spatial. Les premières observations du vent solaire remontent aux débuts de l’ère spatiale, ce qui représente au mieux 4 décennies de données. L’histoire plus ancienne de la variabilité solaire est relativement mieux documentée, grâce à divers traceurs d’activité comme les isotopes cosmogéniques*.
- De nombreuses études du lien Soleil-climat s’appuient sur l’omniprésence du cycle solaire de 11 ans dans les données climatiques. Or, de telles corrélations disent peu sur la causalité et sur la nature des mécanismes sous-jacents puisque la plupart des paramètres solaires sont modulés en phase par le même cycle. Par ailleurs, l’impact à d’autres échelles de temps peut difficilement être extrapolé à partir de celui à 11 ans. Ces études statistiques révèlent donc au mieux la fonction de transfert du système à l’échelle de 11 ans seulement, mais ne renseignent pas sur l’enchaînement des mécanismes. Pour les dissocier, il faudrait idéalement étudier des événements individuels, mais ceci est rarement faisable en raison du fort niveau de bruit naturel dans le système climatique*.
- Les variations rapides de l’activité solaire (échelle du jour et en deçà) ont souvent été occultées sous prétexte qu’elles sont intégrées par les grandes constantes de temps du système climatique. Or la modulation de la fréquence d’apparition de ces effets peut in fine avoir un impact significatif. C’est notamment le cas avec les effets induits par la modulation du vent solaire, qui constitue probablement un des aspects les moins bien documentés du rôle de l’activité solaire.
- Enfin, la durée de vie limitée des missions spatiales et le processus de sélection des missions rendent très difficiles les campagnes d’observation à long terme. Un des gros problèmes reste donc le manque de continuité dans les observations du Soleil et du milieu spatial.
15Selon le GIEC*, plus de 90 % de la variabilité climatique* actuelle peut être expliquée par des effets anthropiques. Le reste pourrait être attribué, entre autres, au forçage solaire. La complexité des mécanismes mis en jeu et le manque d’observations expliquent en partie (mais ne justifient pas) l’absence de réponse certaine de la communauté scientifique à cette interrogation. Il existe en revanche un réel intérêt récent pour les effets à court terme. Ceci a donné lieu à une nouvelle discipline, la « météorologie de l’espace », avec un volet appliqué orienté vers l’étude des impacts sur les systèmes technologiques et les êtres vivants. Alors que notre connaissance progresse, on assiste maintenant de façon naturelle à un glissement des intérêts vers les échelles de temps plus longues. Le minimum solaire de 2009 aura sans aucun doute contribué à l’émergence d’une « climatologie de l’espace ».
Bibliographie
Références bibliographiques
• J. LILENSTEN et J. BORNAREL - Sous les feux du Soleil : vers une météorologie de l’espace, Grenoble Sciences, EDP Sciences, 2001.
• J. D. HAIGH, M. LOCKWOOD, and M. S. GIAMPAPA - The Sun, Solar Analogs and the Climate, Springer Verlag, 2005.
Auteurs
Spécialiste des environnements spatiaux et de leur forçage par l’activité solaire, Directeur de Recherche au CNRS, Éditeur en chef de « Space Weather Space Climate », IPAG, Grenoble.
jean.lilensten@obs.ujf-grenoble.fr
Physicien en relations Soleil-Terre, Professeur des universités, LPC2E, Orléans.
ddwit@cnrs-orleans.fr
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2012