14. Modélisation des paléoclimats
p. 182-185
Texte intégral
1Les enregistrements climatiques disponibles mettent en évidence de nombreuses périodes au climat très différent du climat actuel. Le dernier million d’années est dominé par l’alternance, tous les 100 000 ans environ, de périodes chaudes, dites interglaciaires, comme la période actuelle, et de périodes glaciaires caractérisées par la présence de calottes de glace sur les continents de l’hémisphère Nord. Auparavant, la Terre a connu, durant le Précambrien, des périodes d’englacement total de plusieurs dizaines de millions d’années, mais aussi des périodes chaudes à l’époque du supercontinent Pangée* au Trias* ou encore à la limite Éocène*-Paléocène* (cf. I-8). Comprendre ces situations climatiques constitue l’objectif principal de la modélisation des paléoclimats.
Simulations réalistes
2Les simulations de paléoclimats sont obtenues en utilisant les mêmes modèles que pour les études des climats actuels ou futurs mais avec des forçages ou conditions aux limites différentes. Il faut alors attendre que le système climatique soit à l’équilibre avec ces nouvelles conditions. Dans les années 1980, les premiers modèles dérivés des modèles météorologiques ne représentaient que l’atmosphère (cf. V-2). Des simulations sur 10 ans, durée déjà conséquente pour les calculateurs de l’époque, suffisaient à atteindre l’équilibre. Depuis les années 1990, l’océan est intégré dans les modèles. Ceux-ci requièrent alors plusieurs centaines d’années pour atteindre l’équilibre, durée devenue accessible grâce à des calculateurs plus puissants. Aujourd’hui, les durées envisageables pour nos simulations sont de l’ordre du millier d’années, ce qui est très court en regard des échelles de temps géologiques. On simule donc dans la plupart des cas des « instantanés » climatiques correspondant à des forçages externes* ou conditions aux limites fixes et non l’évolution du climat passé sous des forçages variables sur plusieurs dizaines de millénaires. La figure 1 donne quelques exemples de conditions aux limites utilisées pour la simulation de climats passés. Pour de nombreux paléoclimats, celles-ci ne sont pas connues très précisément. Il faut alors émettre des hypothèses sur ces conditions, hypothèses qui s’ajoutent à celles à la base des modèles eux-mêmes.
Évaluation
3Les indicateurs paléoclimatiques tels que les pollens ou les assemblages floristiques, la composition des sédiments marins, la teneur en isotopes* de l’oxygène, du carbone, ou d’autres espèces chimiques, les faciès lithologiques, sont autant d’informations montrant l’évolution du système climatique (cf. III-11, III-16 et III-17). Ces données ne sont ni des thermomètres ni des pluviomètres. Cependant des calibrations et validations par rapport au climat actuel permettent de reconstruire des grandeurs climatiques telles que les températures ou les précipitations pour le passé. D’autres données, en revanche, restent essentiellement qualitatives.
4En apparence, la manière la plus simple de comparer simulations et reconstructions paléoclimatiques est de considérer les résultats du modèle pour chaque site disposant de reconstructions et de les comparer directement aux reconstructions climatiques. Cela pose cependant plusieurs problèmes. Tout d’abord, les résultats du modèle sont donnés pour le point de grille* en question, généralement représentatif d’une région plus grande que celle représentée par l’enregistrement lui-même, surtout si le site est situé en terrain complexe. Ce problème peut être levé lorsqu’il existe des reconstructions pour de nombreux sites, organisées en bases de données et effectuées suivant les mêmes méthodes. Il peut aussi devenir moindre si des méthodes de descente d’échelle spatiale sont utilisées pour mieux prendre en compte la complexité du terrain. Mais dans ce cas, les facteurs de différences entre modèles et données peuvent résulter à la fois du modèle de climat et de la méthode de descente d’échelle. Les méthodes de simple comparaison entre résultats de modèles et reconstructions sont la première étape d’une comparaison plus poussée. Si elles considèrent plusieurs modèles et des données bien réparties, elles sont déjà très instructives (cf. VI-6).
5Les indicateurs paléoclimatiques sont souvent sensibles au climat d’une saison particulière ou à une variable* climatique donnée. Cette sensibilité doit être respectée lors de la comparaison entre les résultats des modèles et les données. Par exemple, les reconstructions basées sur des données polliniques sont souvent exprimées en termes de température du mois le plus froid ou le plus chaud d’un cycle annuel. Ce mois n’est pas le même suivant la localisation du site. Il est important de recalculer cette température à partir des résultats du modèle climatique, plutôt que de supposer, par exemple, que le mois le plus froid est le mois de janvier en tout point de l’hémisphère Nord. Ces variables sont appelées « bioclimatiques ». Elles sont un langage commun entre modèles et reconstructions climatiques.
6La méthode la plus élégante pour s’affranchir du problème de l’interprétation climatique d’un paléo-indicateur est finalement d’en inclure une représentation dans le modèle lui-même. Ce travail a par exemple été effectué pour les isotopes de l’oxygène dans l’océan et dans la calcite* des foraminifères*. Les valeurs de ces isotopes simulées par le modèle sont directement comparables aux mesures effectuées sur les organismes fossiles prélevés dans les sédiments* marins. L’interprétation du signal mesuré est alors grandement facilitée.
Expériences de sensibilité
7Les simulations menées avec des modèles de circulation générale sont globales. Elles permettent ainsi de comprendre les liens entre des changements climatiques enregistrés en des sites distants les uns des autres. Par exemple, de nombreux enregistrements montrent, pour la dernière période glaciaire, une variabilité dite rapide, dont l’échelle caractéristique s’étend de quelques dizaines à un millier d’années. Une des hypothèses pour expliquer le lien entre ces variations climatiques en des sites très éloignés les uns des autres est celle d’un changement rapide de l’intensité de la circulation océanique méridienne de retournement en Atlantique (cf. I-5). Cette hypothèse peut être testée à l’aide d’un modèle océan-atmosphère en provoquant des variations de la circulation océanique. On constate alors que pour une circulation océanique ralentie, l’Atlantique Nord se refroidit, tandis que l’Atlantique Sud se réchauffe, la zone de Convergence Intertropicale* se décale vers le Sud, la mousson indienne devient moins intense, comme le suggèrent les enregistrements. Ces simulations confirment alors l’hypothèse émise à partir des enregistrements. La dynamique amenant ces flux d’eau douce issue des glaciers reste cependant mal comprise et appelle au couplage des modèles climatiques du Système Terre avec des calottes polaires.
8Pour tester l’impact de chaque forçage ou condition aux limites, il est possible, avec les modèles climatiques, d’effectuer des « expériences de sensibilité » qui permettent de comprendre les expériences réalistes. Par exemple, pour le climat glaciaire, les principaux changements de conditions aux limites sont d’une part, la diminution des gaz à effet de serre* et d’autre part, la présence d’énormes calottes glaciaires dans l’hémisphère Nord. La figure 2 montre les changements en température moyenne annuelle dus à chaque forçage pris indépendamment par rapport à la réponse totale. L’impact des calottes est prépondérant aux moyennes latitudes nord, alors que dans les tropiques, le forçage le plus important est la diminution des gaz à effet de serre*. Dans certaines régions comme l’Atlantique Nord, la réponse à l’ensemble des conditions aux limites est loin d’être égale à la somme des réponses à chaque facteur considéré individuellement. Ces expériences de sensibilité permettent ainsi de mettre en évidence les non-linéarités de la réponse du système climatique*.
9Il est possible de mieux connaître les conditions aux limites pour une période en effectuant une série d’expériences dans lesquelles ces conditions sont peu à peu ajustées pour s’approcher du climat déduit des indicateurs climatiques. L’exemple donné en figure 3 concerne le Permien* supérieur (255 Ma). Le contexte paléogéographique de cette période est très différent de l’actuel puisque la majorité des continents est regroupée en un supercontinent : la Pangée*. Les simulations montrent que le climat d’une partie de la Laurussie* s’avère particulièrement sensible à la hauteur des reliefs qui bordent ce continent, plus qu’à tout autre forçage. En l’absence de relief, les masses d’air humide en provenance de l’océan téthysien engendrent de fortes précipitations sur la Baltique. Or, le type de végétation et les faciès lithologiques suggèrent un climat semi-aride, là où les modèles proposent un climat tropical chaud. L’augmentation de la hauteur de la chaîne jusqu’à une modeste altitude de 2 000 mètres permet alors de réconcilier le climat simulé et les données.
Perspectives
10Le développement des modèles climatiques porte non seulement sur l’amélioration de la représentation des composantes existantes mais aussi sur l’incorporation dans ces modèles de nouvelles composantes, telles que le cycle du carbone, l’impact des aérosols ou les calottes glaciaires. Ces modèles offriront de nombreuses opportunités d’évaluer la réponse de ces nouvelles composantes, mais aussi les impacts de leurs rétroactions sur le système océan-atmosphère pour des conditions climatiques passées.
11Dans l’état actuel de la modélisation, certaines questions restent très ouvertes, telles que la capacité des modèles climatiques à reproduire des climats dont le gradient* méridien de température est très différent de l’actuel. Pour le climat glaciaire en effet, les modèles peinent à reproduire des températures aussi froides que celles mesurées dans les glaces du Groenland. Pour le Crétacé* Moyen (100 Ma) et plus généralement pour les périodes chaudes du Tertiaire (Éocène*, il y a 55 Ma ; Miocène Moyen, il y a 15 Ma), les modèles ne sont pas capables de simuler des températures aux pôles aussi chaudes qu’envisagées par certaines reconstructions.
12Pour des climats plus proches de l’actuel, des méthodologies pour la comparaison entre modèles et données à haute résolution temporelle (échelles de temps décennales ou inférieures) restent à développer. L’étude de la variabilité à ces échelles de temps est un point crucial pour valider les prévisions des climats futurs grâce aux variations passées du climat.
Bibliographie
Références bibliographiques
• S. JOUSSAUME - Climat d’hier à demain, CNRS Éditions, 1994.
• A. BERGER - Le climat de la Terre : un passé pour quel avenir ?, De Boeck Université, 1992.
Auteurs
Modélisatrice des paléoclimats, Chargée de Recherche au CNRS, LSCE, Gif-sur-Yvette.
masa.kageyama@lsce.ipsl.fr
Modélisateur de paléoclimats, Professeur des universités, IPGP, Paris.
fluteau@ipgp.fr
Climatologue, Chargée de Recherche à l’IRD, LOCEAN, Paris.
myriam.khodri@ird.fr
Paléoclimatologue, Directeur de Recherche au CEA, LSCE, Gif-sur-Yvette.
gilles.ramstein@lsce.ipsl.fr
Modélisateur de paléoclimats, Chargé de Recherche au CNRS, LSCE, Paris.
didier.roche@lsce.ipsl.fr
Océanographe et climatologue, Chargé de Recherche au CNRS, LSCE, Paris.
didier.swingedouw@lsce.ipsl.fr
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012