7. Les paramétrisations physiques
p. 162-165
Texte intégral
Les modèles de circulation générale atmosphérique
1Les prévisions des évolutions futures du climat reposent sur la mise en œuvre sur des supercalculateurs de modèles numériques complexes qui intègrent dans le temps et dans l’espace les équations qui régissent la météorologie sur la base d’équations bien connues, comme les équations de Navier-Stokes (cf II-1). Les ordinateurs ayant une capacité de mémoire finie, l’échelle de la représentation de ces modèles climatiques est limitée (cf. V-4). Les variables d’état du modèle sont typiquement des grandeurs moyennes sur des « mailles » ou « volumes de contrôle » couvrant l’ensemble de l’atmosphère. À l’échelle de ces mailles, on peut résoudre explicitement les équations de base : connaissant l’ensemble des variables à un instant donné, il est possible de calculer les nouvelles valeurs de ces variables dans une heure en tenant compte de ce qui entre et sort du volume. À ces calculs comptables, s’ajoutent des termes de forçage, comme les forces de pressions ou la force apparente de Coriolis* pour la quantité de mouvement, le chauffage par absorption de rayonnement solaire ou infrarouge pour la température, les changements de phase pour la vapeur d’eau…
Plongée dans une « colonne » de modèle
2Avec des mailles horizontales d’une centaine de kilomètres de côté, on rate des processus essentiels pour la météorologie et le climat : les mouvements turbulents de petite échelle, les nuages, l’hétérogénéité de la surface… Les « paramétrisations physiques » ont justement pour but de rendre compte de ces processus.
3Plus que la maille individuelle du modèle, c’est la « colonne atmosphérique » qui constitue le cadre principal de conception et développement de ces paramétrisations. Cette idée, qui met l’accent sur la dimension verticale, est à la fois essentielle et trompeuse. En effet, pour une colonne typique de modèle (figure 1) de 100 km de côté à la base, on peut empiler verticalement jusqu’à une cinquantaine de mailles sur les 30 premiers kilomètres (qui contiennent environ 97 % de la masse de l’atmosphère). La « colonne » du modèle ressemble donc davantage à un mille-feuille.
4Cette structure du maillage est liée aux caractéristiques du système étudié. Les systèmes météorologiques ont des dimensions horizontales beaucoup plus grandes que l’échelle des variations verticales. Quand on fait un trajet de plusieurs centaines de kilomètres, il est courant d’observer des champs de nuages présentant des propriétés statistiques homogènes, qu’il s’agisse d’un « plafond » de stratus* ou d’un champ de petit cumulus de beau temps répartis tous les quelques km. Verticalement, cette couche nuageuse aura généralement une structure très marquée, avec par exemple 1 km au-dessus de la surface dépourvu de nuages, puis une couche de nuages, puis à nouveau l’atmosphère claire.
Paramétrisations : définition et principes
5L’objet d’une paramétrisation physique est de représenter l’impact d’un processus particulier sur l’évolution temporelle des variables d’état du modèle, à savoir les valeurs moyennes de la température, de l’humidité ou du vent. Cette paramétrisation repose sur une description approximative des caractéristiques moyennes de ce processus au sein d’une colonne du modèle. Cette description fait intervenir de nouvelles équations mathématiques qui font elle-même intervenir de nouvelles variables internes à la paramétrisation, qui caractérisent l’état du processus : intensité de la turbulence* dans une maille du modèle, fraction de la maille couverte par des nuages…
6Ces équations ne décrivent pas l’état de chacun des nuages contenus à l’intérieur de la maille mais visent à rendre compte des propriétés moyennes ou statistiques de ces processus. On fait alors l’hypothèse qu’au sein d’une maille du modèle, les propriétés statistiques du processus considéré ne varient pas horizontalement. Par conséquent, les processus n’auront pas d’effet sur les transferts horizontaux. Les paramétrisations rendent donc uniquement compte de transferts verticaux d’énergie, de quantité de mouvement ou de constituants entre les mailles ou couches du mille-feuille. L’effet de ces transferts verticaux est introduit sous forme de forçages additionnels dans les équations du modèle global.
7Ces paramétrisations sont bâties à la fois sur une connaissance phénoménologique des processus en question, sur certains principes de base de la physique, parfois mais plus rarement sur une théorie statistique permettant un fondement plus solide.
L’exemple de la diffusion turbulente
8Une des paramétrisations les plus classiques, utilisée très au-delà de la modélisation du climat, est celle de la diffusion turbulente. Les mouvements de petite échelle turbulents sont plus importants près de la surface où ils sont soumis au forçage du vent et au forçage thermique (figure 1).
9Pour comprendre l’effet de cette turbulence, imaginons que la première couche du modèle soit chargée en particules émises par les voitures. L’air entraîné vers le haut par les mouvements turbulents, depuis cette couche, aura tendance à être plus chargé en particules que l’air entraîné vers le bas depuis les couches supérieures dans les mêmes mouvements turbulents. La turbulence va donc produire un mélange vertical de ces particules. C’est par un raisonnement analogue que l’on passe de la description particulaire du mouvement aléatoire des molécules à l’intérieur d’un gaz à la formulation macroscopique de la diffusion moléculaire de la mécanique des fluides. Les équations sont similaires à ceci près que la diffusivité moléculaire est remplacée par une diffusivité turbulente, liée à la taille et à l’intensité des tourbillons. Le calcul de cette diffusivité peut être fait sur la base de développements très sophistiqués en perturbations des équations de Navier-Stokes. Ces théories permettent de relier cette diffusivité turbulente aux variables de grande échelle du modèle : la turbulence sera plus développée si le vent varie rapidement sur la verticale ou pour une atmosphère plus instable, autant de caractéristiques que l’on peut estimer à partir des profils verticaux des variables d’état de notre modèle sur la colonne considérée.
Modèles statistiques de nuages
10À l’échelle microscopique, la présence d’eau condensée (liquide ou solide) dans l’atmosphère provient du fait que l’air ne peut contenir de l’eau sous sa forme vapeur que jusqu’à une certaine valeur dite « de saturation ». Si le rapport de mélange de l’eau q (rapport entre la masse volumique de la vapeur d’eau et de l’air qui la contient) devient plus petit que le rapport à saturation qsat (par exemple si on refroidit suffisamment la masse d’air), de l’eau condense. Une première paramétrisation simple de nuages consisterait, pour chaque maille du modèle, à comparer l’humidité q moyenne dans la maille (notre variable* d’état) à l’humidité à saturation qsat, calculée à partir de la pression et de la température moyennes de la maille. En dessous de la saturation, on supposera que la maille n’est pas nuageuse. Au-dessus, on aura condensation partout dans la maille. C’est ce que l’on appelle un modèle « tout ou rien ». On arrive dans ce cas systématiquement à des couvertures nuageuses uniformes.
11Pour obtenir des couvertures fractionnaires, il faut supposer que l’humidité n’est pas constante au sein de la maille. On peut pour cela considérer notre variable d’état humidité q comme la valeur moyenne d’une variable aléatoire. On pourra alors définir une fraction de la maille couverte par les nuages, comme la fraction de la maille sur laquelle on a q > qsat. On commence alors à former des nuages avant d’atteindre la saturation à grande échelle, sur la fraction la plus humide de la maille. Ainsi, si l’humidité fluctue de plus ou moins 10 % à l’intérieur de la maille, des nuages commenceront à se former quand on approchera de 90 % de la saturation. Une paramétrisation très simple consiste à imposer une forme de distribution (par exemple une distribution normale de loi gaussienne) et une largeur de distribution, ce qui permettra d’obtenir un modèle passant continûment d’une situation claire à une situation partiellement nuageuse puis à une couverture nuageuse continue (figure 2).
12Dans la réalité évidemment, la forme et la largeur de la distribution sous-maille de la vapeur d’eau varient. Cette distribution est intimement liée aux mouvements convectifs et turbulents. En effet, la température décroît fortement avec l’altitude ; de ce fait, les parties d’une maille pour lesquelles l’air monte sont généralement plus humides que les parties associées à des mouvements descendants.
13C’est le cas des cumulus de beau temps qui se créent au sommet de panaches d’air chauds montant depuis la surface sous l’effet de la poussée d’Archimède. Ces panaches thermiques, qui font le bonheur des amateurs de planeurs, apparaissent quand la surface chauffe sous l’effet du Soleil pendant la journée : l’air chaud devient plus léger que l’air des couches supérieures. La figure 3 illustre cette organisation en panaches ou cellules convectives. On suppose qu’une maille du modèle peut être séparée horizontalement entre des parties ou l’air monte (associées aux panaches thermiques) et une partie où l’air descend. Pour chaque variable du modèle, on introduit une variable interne associée, à savoir la valeur de cette variable dans le panache ascendant ainsi que des variables caractérisant les panaches (vitesse ascendante, surface couverte par les panaches ascendants, taux d’entraînement latéral d’air dans les panaches, etc.). C’est en haut de ces panaches thermiques que se forment les cumulus.
14Avec cette paramétrisation des panaches thermiques introduite récemment dans le modèle de l’IPSL*, le calcul de la couverture nuageuse peut être fait à partir d’une distribution sous-maille de l’eau composée de deux distributions en cloche, la première correspondant à l’humidité dans le panache et la seconde à l’humidité (moindre) autour des panaches. La largeur de ces distributions peut elle-même être estimée sur la base de considérations physiques.
15Pour finir, les caractéristiques des panaches, de la distribution sous-maille de l’eau, de la couverture nuageuse, sont utilisées pour calculer des termes de forçages qui interviennent dans toutes les équations du modèle : transport vertical de la température, de la quantité de mouvement et de l’eau par les panaches ; puits de vapeur d’eau et chauffage associés à la condensation ; chauffage et refroidissement indirect par l’absorption et émission de rayonnement* par les nuages.
Conclusion
16Depuis les années 1950, les équipes de recherche suivent la voie tracée par Charney pour améliorer et sophistiquer davantage la représentation de l’eau et des nuages dans les modèles de climat. Il reste cependant difficile aujourd’hui de communiquer sur cette problématique.
17Le développement des paramétrisations physiques repose sur un mélange de bagage physique et de connaissance encyclopédique de la phénoménologie des processus modélisés. De plus, au cours des dernières années, la priorité a été portée sur la course à la résolution et sur la constante complexification des modèles du système climatique*.
18Cependant, le développement des paramétrisations physiques est un enjeu de premier plan pour les recherches sur le changement climatique. En effet, ces paramétrisations sont une des clefs de la bonne représentation de la météorologie et du climat dans les modèles de circulations, et elles sont une des sources principales de dispersion entre les projections du changement climatique futur avec ces modèles. Par ailleurs, la bonne représentation des autres composantes du système repose également pour une bonne part sur de bonnes paramétrisations : pas de bon modèle du cycle du carbone ou de la composition atmosphérique sans une bonne représentation des flux radiatifs, des pluies, du transport convectif, etc. Enfin, les processus décrits dans les paramétrisations sont notamment tous ceux qui intéressent les « impacts » du changement climatique : distribution des pluies, températures de surface, flux radiatifs, etc.
19Au-delà de l’amélioration des modèles de climat, la séparation entre les processus à grande échelle et ceux à la base des paramétrisations est nécessaire pour mieux comprendre le système climatique.
Auteur
Physicien du climat, Directeur de Recherche au CNRS, Directeur adjoint du LMD, Responsable du développement du modèle de climat LMDZ, Paris.
frederic.hourdin@lmd.jussieu.fr
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2012