18. Les fluctuations des glaciers de montagne, archives des paléoclimats continentaux
p. 128-129
Texte intégral
1Représentant à peine 0,3 % du volume total de la cryosphère* actuelle, les glaciers de montagne, dits « glaciers alpins », (1 à 104 km2) ont une dynamique interne qui leur confère un temps de réponse court (<50 ans) vis-à-vis des fluctuations climatiques. Ils ont ainsi la capacité d’enregistrer les soubresauts du climat avec une très bonne résolution temporelle. En outre, les fluctuations des glaciers alpins sont les seuls indicateurs paléoclimatiques disponibles dans certaines régions de haute altitude. La particularité de ce champ d’étude est sa transversalité disciplinaire. Déchiffrer les informations paléoclimatiques à partir des formes d’érosion et des dépôts glaciaires est en effet une discipline à l’interface entre les sciences de la Terre, la géochronologie* et la physique des glaciers. Elle exige des collaborations étroites entre les géomorphologues sachant interpréter et cartographier les formations glaciaires, les géochronologues qui utilisent des méthodes variées – dont les techniques modernes de la géochimie – pour dater avec précision les formes glaciaires et les glaciologues pour faire le lien entre les variations des volumes glaciaires et celles des principaux paramètres climatiques (températures et précipitations).
Interprétation et datation
2Le travail des géomorphologues consiste à analyser les paysages pour reconstituer avec précision l’extension des paléoglaciers. L’objectif est d’identifier les principales formes d’origine glaciaire modelées dans le paysage : vallées en auge*, moraines frontales et latérales, roches moutonnées*. Cet exercice tire profit de l’association des techniques modernes d’imagerie (données satellites, photos aériennes, modèles numériques de terrain) et du précieux travail de terrain qui permet de choisir sans ambiguïté les objets les plus adaptés à la datation. Cette démarche aboutit à une cartographie des stades paléoglaciaires, indispensable pour reconstruire les variations de volume successives des paléoglaciers, qui serviront de base à une interprétation paléoclimatique quantitative.
3Il est également fondamental de pouvoir dater de manière fiable et précise les anciennes formations glaciaires. Ceci permet in fine de comparer les signaux enregistrés par les glaciers avec les autres archives climatiques (e.g. carottes de glaces, paléoniveaux lacustres, sédiments* océaniques) et ainsi, d’améliorer notre compréhension des dynamiques paléoclimatiques régionales et globales.
4L’étude des isotopes cosmogéniques* in situ est une des méthodes les plus courantes pour dater les formes d’origines glaciaires. Elle a le double avantage d’être applicable dans des contextes géographiques variés et sur de grandes échelles de temps (de 100 ans à plus de 100 000 ans). Cette méthode géochimique se base sur l’analyse des isotopes* 3He, 10Be et 36Cl présents dans les roches de surface. Dès qu’une roche cesse d’être recouverte par un glacier, elle se trouve exposée au rayonnement* de particules cosmiques de haute énergie qui produisent des réactions nucléaires dans les minéraux proches de la surface, engendrant avec le temps une accumulation de ces isotopes. Sous réserve d’un échantillonnage rigoureux (figure 1), cette technique permet de dater avec précision le dépôt d’une moraine* glaciaire ainsi que la vitesse de la déglaciation. Aujourd’hui, la précision relative de ce chronomètre naturel est de 5 %, dans le meilleur des cas. Mais plusieurs équipes concentrent leurs efforts pour améliorer ce chiffre. Dans ce cadre, d’autres chronomètres (comme le carbone 14 ou la lichénométrie*) sont utilisés pour apporter de précieuses contraintes temporelles indépendantes et affiner l’échelle de référence des isotopes cosmogéniques.
Modélisation
5Pour reconstruire les conditions paléoclimatiques locales, les chercheurs utilisent la modélisation numérique d’une part, pour appliquer les lois d’écoulement de la glace et ainsi reconstituer la géométrie du paléoglacier, et d’autre part pour établir la relation qui relie son bilan de masse aux variables météorologiques.
6Certains modèles physiques complexes décrivent l’ensemble des échanges d’énergie entre l’atmosphère et la surface du glacier. Cette approche requiert une importante instrumentation de terrain pour fournir des données exhaustives à hautes résolutions spatio-temporelles. Or, les variables atmosphériques (humidité relative, vent, albédo*) ne sont généralement pas disponibles dans le passé, et il est donc nécessaire d’utiliser des modèles empiriques plus simples dits « degré-jour » qui relient la fonte à la moyenne des températures positives par l’intermédiaire d’un facteur de proportionnalité appelé facteur degré-jour. Ces deux approches sont complémentaires car les modèles physiques permettent pour l’actuel de réaliser des tests de sensibilité et de hiérarchiser les processus responsables de la fonte. Les effets de premier ordre peuvent ainsi être inclus dans les modèles empiriques. La modélisation a pour but d’établir les températures et les précipitations qui permettent de reconstituer le paléoglacier.
7Cependant, une extension glaciaire donnée étant au premier ordre assimilable à une équation à deux inconnues (température, précipitation), il n’y a pas une solution unique et plusieurs couples précipitationstempératures sont des solutions possibles. Dans le cas du dernier maximum glaciaire de l’île d’Hawaï (19-16 kA), les pollens ont permis de contraindre les paléoprécipitations de manière indépendante. Couplée à la modélisation des glaciers, cette contrainte a permis d’établir que le refroidissement en haute altitude (>4 000 m) était de l’ordre de 7 °C dans le Pacifique central (figure 2).
Bibliographie
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Références bibliographiques
10.4000/books.irdeditions.9972 :• B. FRANCOU et C. VINCENT - Les glaciers à l’épreuve du climat, IRD/Belin, 2007.
• P. WAGNON, C. VINCENT, D. SIX et B. FRANCOU - Glaciers, forces et fragilités, Glenat, 2007.
• S. JOUTY et S. COUTTERAND - Glaciers, mémoire de la planète, Hoëbeke, 2009.
Auteurs
Géochimiste, Chargé de Recherche au CNRS, CRPG, Nancy.
blard@crpg.cnrs-nancy.fr
Glaciologue, Chargé de Recherche à l’IRD, Coresponsable de l’observatoire des glaciers GLACIOCLIM, LGGE/LTHE, Grenoble.
patrick.wagnon@lgge.obs.ujf-grenoble.fr
Glaciologue, Responsable de la partie andine de l’observatoire des glaciers GLACIOCLIM, LGGE, Grenoble.
antoine.rabatel@lgge.obs.ujf-grenoble.fr
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L'archéologie à découvert
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012