10. Climat de la France : apport de l’histoire
p. 111-112
Texte intégral
1Les climatologues ont récemment pris conscience de la nécessité de se doter d’une profondeur historique pour mieux comprendre les évolutions actuelles et affiner les modélisations des évolutions futures. Alors que l’on a de cesse de parler du caractère « inédit » des événements extrêmes, l’histoire apporte un éclairage nettement plus nuancé. Elle interpelle les climatologues quand il s’agit de savoir si ces catastrophes procèdent d’un dérèglement quelconque ou si elles font partie de la machinerie climatique ordinaire.
Le climat dans son histoire
2Il faut attendre les années 1970 pour que la notion d’« histoire du climat » émerge dans la littérature scientifique comme une science à part entière dont le fondement repose sur l’interprétation des témoignages descriptifs du climat tirés des sources. De facto, l’histoire du climat accorde le primat aux archives et par conséquent à la période historique pour laquelle les témoignages écrits deviennent fiables et donc interprétables dans une perspective climatique. Ce champ de la recherche historique fut donc conçu comme un moyen de décrire le climat, ses variations durant les temps historiques et l’impact de ces changements sur les sociétés. Ce contenu a sensiblement évolué à l’étranger vers une ouverture forte et assumée en direction des sciences sociales, l’histoire du climat se situant désormais à l’interface des sciences de l’environnement et de l’histoire. En France, le paradoxe veut que la communauté historienne française, en dépit des travaux fondateurs d’Emmanuel Le Roy Ladurie, fasse preuve d’une certaine incrédulité sinon d’hostilité à l’égard de cet objet historique qu’est le climat. Second paradoxe, ce désintérêt disciplinaire national est inversement proportionnel à la masse d’archives disponibles en raison d’une tradition administrative ancienne, véritable exception française.
Les matériaux de l’historien
3L’historien du climat recourt concurremment aux données directes et indirectes. Les premières désignent les informations issues des archives qui décrivent le temps qu’il fait à une date donnée. Si leur teneur est surtout instrumentale, on y trouve également des descriptions précises d’événements climatiques extrêmes. A contrario, les secondes traduisent plutôt l’influence de la météorologie sur les composantes naturelles que sont la biosphère* et l’hydrosphère. Elles renseignent de manière indirecte sur les inondations, les embâcles ou encore les stades végétatifs.
4Pléthoriques et variées, les sources phénologiques* permettent l’étude des variations que font subir les climats aux phénomènes périodiques de la végétation et du règne animal, dès le XIIIe siècle dans le cas français. Si elles bénéficient d’une reconnaissance certaine de la part des paléoclimatologues, elles n’en demeurent pas moins sujettes à discussion. On reproche à leurs utilisateurs de ne pas tenir compte d’un certain nombre de paramètres anthropiques fondamentaux comme les changements culturels et les contextes géopolitique et épidémiologique. Il revient donc à l’historien, spécialiste des archives, d’intervenir afin de « dépolluer » les séries de leur empreinte sociale. Ainsi, la contextualisation des bans de vendanges de la ville de Besançon entre 1525 et 1850 a prouvé que les événements militaires et les épidémies de peste jouèrent un rôle décisif dans la fixation des dates de récoltes, à hauteur de 25 %. Enfin, il convient de rappeler que l’emploi de la phénologie pour reconstruire les climats du passé comporte une limite de taille : sa saisonnalité, qui accorde le primat à la belle saison au cours de laquelle croît la plante.
5Les archives administratives offrent deux atouts de taille : la continuité chronologique et l’homogénéité de l’information. Les fonds urbains contiennent des sources de première main que sont les délibérations municipales et les comptes des villes au sein desquelles le volet météorologique est omniprésent. Tout événement extrême avait un impact sur les infrastructures (ponts, moulins, canaux) et le fragile équilibre socio-économique de la cité. Plus encore, les sources urbaines résolvent le problème de la représentativité saisonnière*. En effet, à la différence des campagnes, la morte-saison n’existe pas en ville et les élus expriment la même sensibilité à une sécheresse estivale qu’à un embâcle* hivernal. Dès le XVIIe siècle, en France, la monarchie crée des administrations spécialisées, productrices d’archives climatiques. Aux registres* de chablis (arbres déracinés par les vents) tenus depuis les années 1560 par l’administration des Eaux et Forêts s’ajoutent les rapports de mer des Amirautés implantées sur les littoraux français et qui relatent les événements maritimes extrêmes (tempêtes, submersions, tsunamis, etc.). C’est également à partir de cette époque que nous disposons des premières observations météorologiques avec la fondation de l’Académie royale des sciences (1666) et de l’Observatoire de Paris (1669). De plus, les journaux et les livres de raison rédigés par des particuliers sont autant de sources complémentaires qui font la part belle au fait météorologique tandis que les archives religieuses offrent une plus grande diversité documentaire entre les processions « pour la pluie » ou « pour la sérénité du temps ».
Les frontières de l’histoire climatique
6Parmi toutes les interrogations soulevées par le changement climatique, une question majeure émerge : les récents événements extrêmes peuvent-ils être étudiés en comparaison avec des événements historiques afin d’évaluer de manière plus précise les conséquences sociales et économiques qui peuvent en découler ? Révèlent-ils exclusivement un dérèglement de la machine climatique mondiale ? Ne livrent-ils pas aussi une autre réalité : celle de la vulnérabilité croissante de nos sociétés ? Désormais, chaque catastrophe climatique alimente un intense débat entre hommes politiques, opinion publique et spécialistes concernant l’évaluation du coût d’un changement climatique non maîtrisé. Pour les décideurs, il s’agit d’estimer le niveau, ainsi que la distribution spatiale et temporelle des impacts produits par les événements extrêmes. Or, les recherches historiques conduites en France au cours des cinq dernières années ont mis en lumière le caractère permanent de la menace climatique et les formes de prise en charge des crises climatiques passées. Dans le cas des submersions littorales, les résultats historiques ont révélé leur fréquence, leur sévérité et leur empreinte spatiale au cours des 500 dernières années. Plus encore, elles ont livré des formes originales de durabilité et de résilience des populations et des paysages littoraux.
7L’ultime ambition d’une histoire du climat serait ainsi d’évaluer plus précisément les impacts qu’eurent les fluctuations climatiques et les événements extrêmes sur nos ancêtres pour déboucher sur la création d’outils d’aide à la décision dans le cadre de politiques globales de prévention et de gestion des crises futures. À ce jour, l’approche scientifique des événements extrêmes a privilégié les entrées climatologiques et statistiques au détriment d’une étude plus orientée vers les sciences humaines.
Bibliographie
Références bibliographiques
• E. LE ROY LADURIE - L’Histoire du climat depuis l’an mil, Flammarion, 1967. Traduction anglaise : Times of Feast, Times of Famine : A History of Climate Since the Year 1000, Georges Allen & Unwin, 1972.
• E. GARNIER - Les dérangements du temps, 500 ans de chaud et froid en Europe, Plon, 2010.
• E. GARNIER et F. SURVILLE (dir.) - La tempête Xynthia face à l’histoire. Submersions et tsunamis sur les littoraux français du Moyen Age à nos jours, Le Croît vif, 2010.
Auteur
Historien du climat, Membre senior de l’Institut Universitaire de France, CRHQ/LSCE, Gif-sur-Yvette.
e.cea-cnrs@orange.fr
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2012