5. Bilan de masse des glaciers et des calottes polaires
p. 99-101
Texte intégral
1Au sein de la cryosphère*, les entités qui influencent le plus les variations du niveau de la mer sont les glaciers et les deux grandes calottes polaires. Nous décrivons ici les méthodes qui permettent d’estimer leur bilan de masse, variable qui reflète leur état de santé et permet de quantifier leur contribution à la hausse du niveau marin. Les fluctuations glaciaires et leur exploitation comme indicateur climatique sont traitées dans la section III-18.
Bilan de masse des glaciers
2Le terme « glaciers » regroupe les glaciers de montagne (Alpes, Himalaya…), les champs de glace (Patagonie, Alaska…) et les petites calottes (Islande, Arctique canadien…). Si tous ces glaciers disparaissaient, le niveau des mers s’élèverait de 60 cm environ. Deux méthodes (glaciologique et géodésique) dominent pour estimer leur bilan de masse, alors que le suivi de l’altitude de la ligne de neige en fin de saison d’ablation* (période durant laquelle le glacier perd de la masse) ou la « pesée » des plus grands massifs glaciaires par la gravimétrie spatiale restent plus marginales.
Méthode glaciologique
3Elle repose sur des sondages effectués dans la zone d’accumulation (où le glacier accumule chaque année de la neige) et sur le relevé de l’émergence de balises implantées dans la zone d’ablation où de la glace est perdue (figure 1). En extrapolant ces relevés ponctuels (mais aussi nombreux que possible) à tout le glacier, on déduit son bilan de masse. La méthode glaciologique a été déployée dès les années 1950 sur des glaciers des Alpes et d’Amérique du Nord et elle permet de disposer de précieuses séries temporelles pour étudier la relation glacier/climat aux échelles décennales.
4Ce sont surtout ces bilans glaciologiques qui sont exploités pour estimer la contribution des glaciers à la hausse du niveau marin (figure 2). L’extrapolation est délicate puisque le nombre de glaciers suivi sur le terrain est limité (une cinquantaine parmi plus de 200 000), les séries temporelles sont parfois courtes et discontinues et cette méthode échantillonne mal les plus grands glaciers, notamment ceux qui, à leur front, libèrent des icebergs dans l’océan.
Méthode géodésique (ou cartographique)
5Ici, la comparaison de topographies réalisées à une ou plusieurs années d’intervalle permet de mesurer les variations d’altitude de la surface du glacier et, par intégration, sa variation de volume. La précision de cette méthode dépend directement de la qualité des topographies (ou modèles numériques de terrain, MNT) comparées. Les MNT les plus précis (précision altimétrique de 20 cm) sont déduits de mesures aéroportées par LIDAR*, de couples stéréoscopiques de photographies aériennes ou d’un maillage dense du glacier au GPS. Mais ces techniques sont difficiles à mettre en œuvre sur de grands glaciers (> 50 km2), parfois difficiles d’accès. Pour étudier les plus grands massifs glaciaires et prendre en compte le vêlage (perte d’icebergs vers la mer), les glaciologues exploitent aujourd’hui les observations des satellites. Ainsi, en Alaska et en Patagonie, des topographies satellitaires récentes ont pu être comparées avec d’anciennes cartes (déduites, elles, de photographies aériennes) pour préciser les pertes de masse au cours des 3 ou 4 dernières décennies.
6Les pertes des glaciers, équivalentes à 0,3-0,5 mm/a de niveau des mers entre 1950 et 1995, se sont accélérées récemment et la contribution des glaciers à la hausse du niveau marin est estimée aujourd’hui à ~1 mm/a (figure 2).
Bilan de masse des calottes polaires
7Les calottes polaires antarctique et groenlandaise contiennent suffisamment de glace pour élever le niveau des mers de, respectivement, 57 m et 7 m. Elles sont si vastes et inaccessibles que c’est seulement depuis l’avènement de l’altimétrie satellitaire en 1991 que leur bilan de masse peut être mesuré (figure 2).
La méthode géodésique (ou altimétrique)
8Depuis 1991, des satellites radars altimétriques (AIR suivi d’ERS-2, ENVISAT* et maintenant CRYOSAT*-2) répètent inlassablement l’acquisition de profils d’altitude à travers les calottes et cartographient ainsi leurs variations de volume mois après mois. Une des difficultés dans l’exploitation de l’altimétrie radar est la pénétration de l’écho dans le manteau neigeux et, en conséquence, la sensibilité de la méthode à l’évolution temporelle de ce manteau. Cette limitation est moins forte pour l’altimétrie laser (satellite ICESat*) puisque l’onde ne pénètre pas dans la neige. Cependant ICESat* n’a été lancé qu’en 2003 et n’a fonctionné qu’épisodiquement jusqu’à sa fin de vie en 2009. Comme pour l’altimétrie radar et comme pour la méthode géodésique appliquée aux glaciers, une incertitude forte concerne la conversion de la variation de volume en variation de masse puisque la densité du matériel gagné ou perdu peut varier d’un facteur deux selon les zones.
La méthode des flux
9Cette méthode combine les observations et la modélisation afin de comparer les apports par accumulation de neige et les pertes. Pour les pertes, la situation diffère fortement entre l’Antarctique et le Groenland. En Antarctique, la fonte en surface est quasi absente et les pertes se font via le mouvement des glaciers vers l’océan. Au Groenland par contre, les pertes se partagent à part quasi égale entre la fonte en surface et le flux de glace à la mer. Une des incertitudes de cette méthode est la quantification de l’accumulation puisque les mesures sur le terrain sont rares et l’estimation de cette grandeur depuis l’espace (à partir des satellites micro-ondes) est délicate. Une stratégie consiste donc à utiliser des modèles de circulation atmosphérique pour estimer l’accumulation passée ou pour projeter son évolution future. Ces mêmes modèles permettent aussi d’estimer la fonte en surface et le regel d’une partie de l’eau de fonte dans le manteau neigeux. Les flux de glace vers l’océan sont eux déduits des vitesses de surface (mesurées par satellite) multipliées par l’épaisseur de glace. Cette dernière variable* est très mal connue pour les immenses calottes polaires ce qui augmente encore les incertitudes sur les bilans obtenus par cette méthode.
La méthode gravimétrique
10Mise en orbite en mars 2002, la mission GR ACE* (Gravity Recovery & Climate Experiment) comprend deux satellites qui se suivent à 500 km d’altitude. GRACE permet une cartographie globale des variations du champ de gravité* avec une résolution* de ~400 km et permet donc de « peser » les calottes polaires et d’identifier les zones où les pertes de masse sont les plus fortes. La principale incertitude vient de la difficile correction des effets du rebond postglaciaire, une part importante du signal mesuré par GRACE. Depuis 2002, les mesures gravimétriques présentent des disparités mais suggèrent que la somme des pertes de glace en Antarctique et au Groenland expliquerait environ 1 mm/a de la hausse du niveau moyen des mers. La gravimétrie, par définition intégratrice, ne renseigne pas directement sur les causes de ces pertes. Les autres méthodes indiquent qu’elles sont dues surtout à l’accélération des fleuves de glace et, pour le Groenland uniquement, à l’augmentation de la fonte en surface. De plus, ces pertes semblent croître depuis les années 1990 (figure 2) mais il faut rester prudent car il existe de fortes différences entre les méthodes et nous manquons encore de recul pour comprendre la variabilité naturelle de ces calottes polaires.
Bibliographie
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Références bibliographiques
• A. CAZENAVE, et E. BERTHIER - « La montée des océans. Jusqu’où ? », Pour la Science, 20-27, 2010.
10.4000/books.irdeditions.9972 :• B. FRANCOU et C. VINCENT - Les glaciers à l’épreuve du climat, Belin, IRD, 2007.
• F. RÉMY - L’Antarctique. La mémoire de la Terre vue de l’espace, CNRS Éditions, 2003.
• K. STEFFEN and al. - Cryospheric Contributions to Sea-Level Rise and Variability, in Understanding Sea-Level Rise and Variability, edited by J. A. Church et al., 2010.
Auteurs
Glaciologue, Chargé de Recherche au CNRS, LEGOS, Toulouse.
etienne.berthier@legos.obs-mip.fr
Glaciologue, Ingénieur de recherche au CNRS, Responsable du Service d’observation GLACIOCLIM, Représentant français du World Glacier Monitoring de l’Unesco, LGGE, Grenoble.
christian.vincent@ujf-grenoble.fr
Glaciologue, Chargé de Recherche au CNRS, LGGE, Saint-Martin-d’Hères.
durand@lgge.obs.ujf-grenoble.fr
Climatologue, Directeur de Recherche au CNRS, Directeur adjoint du LGGE, Grenoble.
krinner@ujf-grenoble.fr
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012