2. Observations météorologiques et de surface continentale
p. 88-91
Texte intégral
1L’observation, principalement in situ, est un des ingrédients essentiels de la climatologie et des sciences du climat. D’autres sources d’information sont exploitées en climatologie (télédétection, modélisation…) mais la disponibilité de séries longues rend l’observation in situ indispensable. La durée des séries est primordiale, par exemple pour aborder les variations décennales du climat.
2De tels systèmes d’observation ont été mis en place en réseau dès le Siècle des Lumières, à l’initiative de sociétés savantes. Puis, une pratique opérationnelle systématique s’est développée au milieu du XIXe siècle, avec la création de services météorologiques dans plusieurs pays. Tout s’accélère alors : la conférence de Bruxelles de 1853 instaure des pratiques d’échanges d’observations et de standardisation ; et en 1854, la catastrophe maritime de Crimée conduit à la création de services d’observation et d’alerte en France et en Grande-Bretagne. En 1856, 24 points de mesure tenus par des employés de l’administration du télégraphe fonctionnent en France : ils forment le réseau de météorologie télégraphique de l’Observatoire de Paris, qui publie quotidiennement, dès novembre 1857, son Bulletin international. La première carte météorologique sur l’Europe, datée du 7 septembre 1863, y est éditée (figure 1) peu après. En 1865, 70 dépêches en provenance de plusieurs pays européens arrivaient chaque jour entre 9 h et 11 h 30 à l’Observatoire…
3Le bénéfice de cette activité séculaire est aujourd’hui considérable pour l’étude du climat car elle livre à la recherche actuelle des séries obtenues grâce à des protocoles de mesures relativement stables sur plus d’un siècle.
L’emploi des observations
4Les observations servent à caractériser le climat et à en alimenter l’analyse. Précieusement conservées, puis exploitées grâce aux statistiques et à la modélisation, les observations documentent les phénomènes et les épisodes particuliers qu’elles décrivent dans toutes leurs dimensions, fournissant pour les différents paramètres – pression, température, humidité, précipitations, vent… – répartitions spatiales, évolutions temporelles et tendances, distributions statistiques, durées de retour, anomalies, records, etc. La climatologie conserve les observations, les valide, les exploite et fournit des produits d’entrée utiles aux différents secteurs d’activité du pays. Tout comme la description des événements extrêmes, la fourniture de longues séries aptes à l’étude de la variabilité naturelle du climat et à son interaction avec le signal anthropique de changement climatique, est particulièrement importante pour la recherche.
5La climatologie est la vigie du climat : elle transforme les observations en indicateurs qui en décrivent les évolutions et contribuent à sa compréhension. Utilisées brutes, après des contrôles qualité visant à en garantir l’employabilité, les observations sont exploitées sous forme de longues séries et d’indicateurs (références pour la validation des modèles de climat) ou assimilées dans des systèmes numériques (cf. IV-4) qui permettent de compléter les éléments observés (analyses, réanalyses) ouvrant d’autres possibilités d’investigation.
6Les données prises directement en sortie des systèmes de mesure ne sont pas exploitables directement : elles doivent faire l’objet d’un contrôle qualité qui peut, pour certains produits, être sophistiqué.
Les différentes sources d’observation
7Les observations météorologiques in situ collectées aujourd’hui par les services français ont deux origines principales. La première provient des mesures de routine effectuées notamment par Météo-France, service météorologique national, dans le cadre de réseaux d’observation, ou par différents opérateurs pour leurs activités liées à la météorologie (opérateurs de l’État tels les services d’hydrologie ; acteurs économiques et entreprises tels EDF ; instituts de recherche tel l’INRA*).
8La seconde source d’observations provient des campagnes de mesures effectuées pour des besoins de recherche qui visent un phénomène ou un théâtre particulier. Par nature, les campagnes d’observation scientifiques sont ciblées, mais elles mettent généralement en œuvre des technologies avancées qui peuvent préfigurer des systèmes ayant vocation à être pérennisés et déployés en réseau ultérieurement. Des périodes intensives d’observation peuvent y être prévues, qui mobilisent des moyens exceptionnels apportés par les acteurs internationaux – par exemple, moyens aériens ou maritimes. Certaines campagnes de mesures s’inscrivent sur le long terme et mettent en place des réseaux pluridisciplinaires intégrés dont la pérennisation ultérieure constitue souvent un enjeu qui peut être non seulement régional mais également global. Ainsi, le réseau d’observations mis en place pour AMMA* (Analyse Multidisciplinaire de la Mousson Africaine) constitue un apport décisif pour les différentes applications météorologiques et climatologiques ; de même, les différents systèmes déployés autour des pôles lors de l’année polaire internationale renforcent la capacité de surveillance, d’analyse et de prévision ; enfin, l’Observatoire Hydro-Météorologiques Cévennes-Vivarais vise à la compréhension de l’hydrologie cévenole. Le maintien à long terme de tels observatoires est crucial pour le monitoring du climat et pour une meilleure compréhension de la machine climatique.
9Quelles qu’en soient leurs origines, les observations acquises sont conservées dans des banques de données numériques, qui rendent l’accès ultérieur aisé. Les pratiques de duplication et sauvegardes régulières en garantissent la pérennité – ce patrimoine acquis chèrement ne saurait être perdu.
Données anciennes
10Une part significative des observations réalisées depuis le XIXe siècle, voire avant, n’est pas prête à l’emploi. Des volumes importants se trouvent encore sous forme de manuscrits ou d’imprimés, conservés par les opérateurs d’observation ou dans des services d’archives spécialisés ; d’autres se répartissent dans une multitude d’endroits : académies savantes, services historiques, bibliothèques et diverses institutions. La préservation de ces documents est un enjeu essentiel. Leurs recherche, localisation, inventaire, analyse de l’intérêt scientifique sont les premiers jalons d’une chaîne d’activité que l’ensemble des programmes internationaux de recherche sur le climat invite à établir. Les documents étant préservés, idéalement sous forme numérique, il faut encore saisir les valeurs et informations qu’ils contiennent.
11Ce « Data Rescue », pour prendre le terme des programmes internationaux qui y incitent, permet ainsi de reconstruire de précieuses séries d’observation ou d’obtenir des informations tout aussi indispensables sur les conditions d’obtention des données, métadonnées qui entrent dans les protocoles de contrôle qualité. La sauvegarde du patrimoine français, particulièrement riche du fait d’une histoire météorologique et scientifique féconde, est un enjeu vital des sciences climatiques aujourd’hui. Elle suppose la mobilisation conjointe de climatologues, d’historiens et d’archivistes (cf. II-10).
Types d’observations
12Les observations météorologiques in situ documentent les principaux paramètres qui décrivent l’état de l’atmosphère : température, humidité, pression, vent, etc. Elles sont obtenues sur des stations fixes (stations au sol, bouées météorologiques…) ou mobiles (radio-sondes sous ballons, bouées dérivantes, avions de ligne, navires…).
13Les observations sont souvent réalisées pour les besoins conjoints de la météorologie opérationnelle, de la climatologie et des sciences connexes, pratiques permettant une mutualisation bénéfique, non seulement en termes de coût mais également de co-localisation des points de mesure. Les spécifications de mesure pour le climat sont principalement données par les guides du Système Mondial d’Observation du Climat (SMOC*). L’optimisation des réseaux d’observation, visant par exemple à combler les zones trop pauvrement observées, est également coordonnée par les organismes internationaux pour la météorologie et le climat, Organisation Météorologique Mondiale (OMM*) au premier chef.
14D’autres types d’observations sont obtenus par télédétection. L’observation spatiale procure une quantité considérable de données, obtenues avec des types variés de capteurs, et couvre l’ensemble du globe. Cet avantage est cependant amoindri par une durée encore relativement faible des séries et l’inhomogénéité introduite par des missions successives. Aussi, actuellement, des programmes de retraitement homogènes des différentes séries à partir des signaux bruts des capteurs sont engagés par les principales agences spatiales, et inversement, les spécifications des nouveaux programmes les orientent davantage sur ce besoin de continuité si critique pour le climat. La télédétection est également mise en œuvre à partir de la surface terrestre, dans différentes gammes de fréquences sonores ou électromagnétiques : radars, sonars, lidars… Le principe de mesure demeure toujours d’étudier le trajet aller-retour et les modifications du signal émis par les hydrométéores rencontrés. De même, des programmes visent aujourd’hui au retraitement des séries disponibles, en veillant à l’homogénéité des traitements.
Traitement des observations
15Les instruments utilisés pour les mesures à des fins d’étude du climat doivent faire l’objet d’attentions particulières, d’ordre métrologique. Par exemple, le service en charge de l’observation à Météo-France effectue des calibrations régulièrement, suivant des protocoles documentés, et ce pour l’ensemble du parc professionnel géré. Les mouvements de capteurs d’une station à l’autre, les interventions diverses sur les systèmes et tout élément pouvant contribuer à un impact sur la mesure non représentatif d’une évolution climatique sont consciencieusement notés et documentés, enrichissant les métadonnées descriptives qui documentent les protocoles de mesures et la vie de la mesure.
16L’homogénéité des observations est une des qualités essentielles pour leur emploi à des fins d’études climatiques. Les signaux recherchés sont en effet de signature relativement faible. Aussi, toute pollution de la série par des artefacts de mesures doit être évitée. L’évolution des pratiques, telles que des changements de type d’instrument, des déplacements de site de mesure, ou les modifications des conditions environnementales de mesure, sont autant d’éléments qui laissent une trace dans la série d’observation in fine et bruitent inutilement le signal climatique.
17C’est pour cette raison qu’un protocole de traitement spécial, baptisé « homogénéisation », est appliqué à certaines séries de mesure destinées à des études particulièrement fines, notamment de détection* et d’attribution* du changement climatique.
18Les erreurs liées à une couverture spatiale et temporelle incomplète, aux changements d’instruments de mesure et de modes d’observation, aux effets d’urbanisation, aux mesures elles-mêmes et à leur transcription, aux modifications dans l’environnement des stations de mesures… sont autant de pièges à éviter. L’évaluation de l’impact de ces artefacts sur le signal résultant doit être évalué : par exemple, pour ce qui concerne les erreurs d’échantillonnage, la couverture des données depuis 1880 est suffisante pour estimer la température moyenne globale annuelle avec une erreur inférieure à 0,2 °C ; les études sur les effets d’urbanisation montrent qu’ils n’ont qu’un impact sur la tendance de température inférieur à 0,06 °C par siècle sur les continents, donc d’un ordre de grandeur plus faible que la tendance elle-même ; etc. Les ruptures dans l’homogénéité des séries de données dues à des changements de localisation des postes d’observation, d’instruments, d’abri météorologique, ou tout autre changement pouvant affecter la mesure, sont aussi prises en compte dans les reconstructions et les estimations d’erreurs associées.
Contrôles, corrections, qualité des bases
19Au cours de ces dernières années, les services météorologiques ont entrepris un important travail de numérisation des données anciennes et une analyse statistique des données, pour identifier de manière systématique les valeurs aberrantes et les ruptures d’homogénéités et pour les corriger. Au quotidien, les données engrangées subissent des contrôles qualité automatiques – plus de 150 tournent à ce jour à Météo-France : contrôles de vraisemblance*, de fourchettes de valeurs, de cohérences spatiales, temporelles, interparamètres… – qui signalent toute anomalie à des climatologues qui, au jour le jour, expertisent ces données en leur ajoutant des codes qualité, en les supprimant, les invalidant ou les corrigeant. La traçabilité de ces actions est conservée.
20Les opérations d’homogénéisation de longues séries ne relèvent pas des travaux de routine. Appliquées à des séries d’observations voisines géographiquement, les techniques d’homogénéisation se fondent sur l’utilisation de tests statistiques sophistiqués de détection des ruptures d’homogénéité et sur l’application de méthodes de correction de ces hétérogénéités. La plupart de ces procédés prennent en compte les informations relatives à l’historique des stations lorsqu’il est connu (dates de changement de thermomètres, dates de déplacement des stations…). La multiplication des différentes techniques d’homogénéisation a récemment motivé le lancement d’une action coordonnée européenne (action « Advances in homogenisation methods of climate series ; integrated approach ») destinée à mettre au point et à appliquer des procédures d’inter-comparaison. Dans ce contexte, des tests ont été réalisés en aveugle sur des séries de données « climatiques » fictives présentant des tendances, auxquelles sont ajoutées au hasard des données aberrantes, des manques, des ruptures et des tendances parasites. Ces tests montrent l’efficacité des méthodes mises en œuvre dans leur capacité à restituer les tendances « climatiques » des séries initiales.
21Dans le cas de la France, les travaux de détection menés ces dernières années (projet IMFREX* par exemple – Impact sur la Fréquence des Extrêmes) se sont appuyés sur environ 70 séries de température homogénéisées couvrant l’ensemble du XXe siècle. L’étape d’homogénéisation et de correction de valeurs aberrantes s’avère absolument nécessaire pour l’analyse des tendances climatiques de long terme aux échelles qui nous intéressent ici. En effet, il n’est pas rare de constater que des tendances linéaires locales calculées sur l’ensemble du siècle à partir de données non corrigées soient inversées après homogénéisation. D’autres données sont désormais disponibles : 150 séries en température ont ainsi été intégrées récemment dans la BDClim* et Météo-France poursuit actuellement un travail visant à développer la capacité d’homogénéisation afin de livrer plus régulièrement à la communauté scientifique des séries homogénéisées en températures ou précipitations.
22Plusieurs études ont été conduites ces dernières années à partir des séries de données de température mensuelles homogénéisées sur le territoire métropolitain ou des séries de température quotidiennes sélectionnées suivant un critère d’homogénéité à l’échelle mensuelle. Ces études portent notamment sur la variabilité du climat, la détection du changement climatique d’origine anthropique et sur les extrêmes de température. Des travaux de recherche sont également menés sur les techniques d’homogénéisation concernant des séries quotidiennes. L’objectif étant d’étudier les effets d’anthropisation – l’environnement de mesure évoluant progressivement au fur et à mesure que l’urbanisation augmente autour du site de mesure – ainsi que les événements extrêmes.
Bibliographie
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Références bibliographiques
• S. JOURDAIN - La constitution et le traitement des longues séries climatologiques à Météo-France : quelles archives aujourd’hui pour mieux gérer les risques demain ?, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2010.
10.4267/2042/20099 :• J.-M. MOISSELIN et B. DUBUISSON - « Évolutions des valeurs extrêmes de température et de précipitations au cours du XXe siècle en France », La Météorologie, 2006.
10.4267/2042/36245 :• P. BESSEMOULIN, et O. BOUCHER - « Les besoins en observations pour la climatologie », La Météorologie, 2002.
Auteurs
Climatologue, Ingénieur en chef des Eaux, des Ponts et des Forêts, Membre de l’Académie de Marine, Directeur de la Climatologie, Météo-France, Toulouse.
philippe.dandin@meteo.fr
Météorologue climatologue, Ingénieur Général des Ponts Eaux et Forêts, Responsable du groupe de recherche climatique au CNRM, Toulouse.
serge.planton@meteo.fr
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2012