13. La partie continentale du cycle du carbone
p. 69-71
Texte intégral
Échelles courtes
1Le cycle du carbone continental sur les temps courts (de la seconde à quelques milliers d’années) est essentiellement lié au fonctionnement des écosystèmes. Dans son cycle naturel, le CO2 de l’atmosphère est fixé par les plantes lors du processus de photosynthèse : c’est la production primaire brute. Ce carbone va servir à la plante à synthétiser des sucres, qui sont à la fois la source d’énergie et les briques élémentaires pour la constitution des tissus. Plus la température augmente et plus la photosynthèse est efficace jusqu’à un seuil d’environ 30 °C à partir duquel elle décroît. Par ailleurs, plus la concentration en CO2 dans l’atmosphère augmente et plus la photosynthèse est efficace. Cependant cet effet de fertilisation sature à partir d’un certain niveau de CO2. Il existe ainsi principalement deux types de photosynthèses : les plantes de type C4 représentées par les principales plantes herbacées en zone tropicale pour lesquelles la concentration actuelle en CO2 est déjà saturante ; et les plantes de type C3 englobant tous les autres végétaux et dont le niveau de saturation se situe autour de 1 000 ppm* de CO2. Enfin le stress hydrique diminue fortement l’efficacité de la photosynthèse. La quantité de carbone absorbée par l’ensemble de la biosphère* terrestre sur une année est estimée à 120 GtC (120 milliards de tonnes) ce qui représente 1/6e de la quantité totale de CO2 contenue dans l’atmosphère.
2L’énergie consommée par les végétaux pour leur propre fonctionnement produit du CO2. On estime que cette respiration autotrophe représente sur l’année environ la moitié de la photosynthèse. Elle dépend principalement de deux facteurs : la biomasse et la température. Ainsi, lorsque la température augmente de 10 °C, la respiration double. Celle-ci est également proportionnellement plus forte pour une forêt tropicale que pour la forêt boréale. La quantité de carbone absorbée par la photosynthèse et disponible après respiration autotrophe est appelée production primaire nette. Elle représente la quantité de biomasse produite sur l’année. Elle est d’environ 60 GtC par an à l’échelle du globe. Cette biomasse produite finit soit par être consommée par les animaux, soit par mourir et être décomposée par les micro-organismes. Ce processus de décomposition réémet le carbone contenu dans la biomasse vers l’atmosphère (respiration hétérotrophe). Comme pour la respiration autotrophe, la vitesse de décomposition de la matière organique augmente de façon exponentielle en fonction de la température. Mais cette vitesse dépend également de l’humidité des sols, du type de matière organique qui est plus ou moins difficile à décomposer et enfin du type de sol qui peut conduire à une protection physique plus ou moins grande de cette matière organique. La décomposition s’accroît avec l’humidité du sol et émet du CO2 tant que ce dernier n’est pas saturé en eau. Lorsque le sol arrive à saturation et que les conditions deviennent anoxiques, la vitesse de décomposition se réduit fortement mais le CO2 émis est remplacé par du méthane dont l’effet de serre* est neuf fois plus important que celui du CO2 mais avec une durée de vie dans l’atmosphère d’une dizaine d’années. La différence entre l’assimilation et la somme des respirations autotrophe et hétérotrophe représente le flux net de carbone échangé entre les surfaces continentales et l’atmosphère. En condition d’équilibre climatique, sur une période suffisamment longue, il devrait y avoir un équilibre presque parfait entre le flux de photosynthèse et de respiration, si bien que le flux net de carbone devrait être proche de 0. En réalité, une partie de la matière organique des sols est lessivée par drainage et ruissellement puis est transportée via les rivières et les fleuves jusqu’à l’océan. Ce flux représente environ 0,8 milliard de tonnes de carbone. De même, il existe une forte variabilité interannuelle du flux net de CO2 lié à la variabilité climatique*. On estime ainsi que 90 % de la variabilité est liée à la variation du cycle continental court. Actuellement le cycle du carbone est en situation de déséquilibre, les surfaces continentales stockant en moyenne 1,2 GtC par an (avec une large incertitude). En réalité ce déséquilibre provient de deux termes opposés. D’un côté, l’utilisation des terres (en majorité la déforestation mais aussi les pratiques agricoles comme le labour) conduit à un déstockage de carbone d’environ 1,8 GtC. par an. À l’inverse, la biosphère terrestre absorbe environ 3 milliards de tonnes de carbone. Ce stockage vient de l’accroissement de la productivité* des écosystèmes liée en premier lieu à l’effet de fertilisation du CO2, à l’accroissement du dépôt d’azote atmosphérique dans les zones fortement anthropisées et enfin du changement climatique. Ce stockage est aussi en partie dû à la reforestation en Europe et en Amérique.
Échelles de temps géologiques
3Le cycle continental long (ou géologique) du carbone implique différents mécanismes plus ou moins bien connus et quantifiés à ce jour. Pour contrebalancer l’apport de carbone par le dégazage volcanique de la planète, il a existé et existe encore des mécanismes compensateurs et stabilisateurs de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère. Sans eux, le CO2 aurait dû s’accumuler dans l’atmosphère et l’effet de serre résultant n’aurait pas permis la vie.
4Le premier de ces mécanismes est l’interaction des minéraux constitutifs des roches avec le CO2 des sols issu des respirations autotrophes et hétérotrophes. En se dissolvant dans l’eau des sols, une partie de ce gaz carbonique forme l’acide carbonique qui libère des protons*. Ceux-ci sont neutralisés par les réactions chimiques de l’altération qui transforment la roche en produits secondaires de type argiles et oxydes*, libérant des ions en solutions, dont l’ion HCO3- (ion bicarbonate) ou l’ion calcium Ca2+. Les eaux d’écoulement et les eaux de nappe évacuent les produits dissous de ces réactions vers l’ultime réservoir qu’est l’océan. Des recombinaisons chimiques se produisent alors, la mieux connue étant la fabrication de calcaire (CaCO3), qui piège les ions calcium et bicarbonates issus de l’altération continentale selon la réaction suivante :
Ca2+ + 2HCO3- ⇔ CACO3 + CO2 + H2O
5Cette réaction montre que pour deux atomes de carbone pris à l’atmosphère par l’altération, seul un est séquestré sous la forme de calcaire, l’autre repart dans le système océan-atmosphère. Elle montre également, que pour la stabilisation du CO2 atmosphérique, l’altération des calcaires « ne sert à rien », car elle consomme autant de CO2 (réaction de gauche à droite) que n’en libère la précipitation du calcaire dans les océans (réaction de droite à gauche). Ainsi, les géochimistes considèrent que seule l’altération par le gaz carbonique de minéraux silicatés calciques* est importante. Le double mécanisme de la dissolution chimique partielle des silicates et la précipitation de calcaire dans les océans sont donc une opération essentielle pour l’évolution de la Terre, de son atmosphère et de son océan. Il s’agit d’un véritable mécanisme de séquestration géologique du carbone. Les modèles les plus récents du cycle du carbone à longue échelle de temps incorporent cette séquestration géologique, qui, parce que les réactions chimiques de l’altération répondent positivement à une augmentation de température, agit comme un mécanisme régulateur (cf. II-14). Une Terre plus riche en CO2 sera plus chaude, les réactions de l’altération chimique y seront plus vigoureuses et elle séquestrera plus de carbone sous forme de calcaire. Cycle court et cycle géologique sont donc intimement liés même si les mécanismes de l’altération chimique restent mal connus. Certains pensent que le CO2 n’intervient pas directement sur les minéraux, mais plutôt que les micro-organismes et en particulier les champignons de la rhizosphère*, en sécrétant des acides, dégradent les minéraux avant d’être eux-mêmes transformés en acide carbonique.
6À l’échelle globale, le flux de carbone piégé par l’altération des silicates et la précipitation des calcaires dans les océans sont de l’ordre 0,07 GtC/an, un flux proche du flux de C apporté par les volcans, mais mille fois plus faible que le flux de photosynthèse et de respiration. Toutefois, le flux global de gaz carbonique consommé annuellement par l’altération des roches (carbonates et silicates) est de l’ordre de 0,3 GtC/an. Analysé finement, ce flux montre l’importance de l’altération des roches volcaniques, qui même si elles ne représentent que de faibles superficies à la surface de la Terre, sont responsables de 30 % du flux global de consommation du carbone atmosphérique. Ce flux révèle également l’importance des chaînes de montagne et le couplage avec l’érosion physique des reliefs. Les constantes de temps caractéristiques de cette séquestration inorganique du carbone sont du million d’années car les cinétiques d’altération des minéraux de la croûte terrestre, la précipitation océanique ou l’équilibration de l’océan et de l’atmosphère pour le CO2 sont des réactions lentes. Chacun des réservoirs qui participe à ce cycle a également sa propre dynamique (nappes aquifères*, écoulement de subsurface, dynamique de l’océan).
7La planète dispose d’un autre moyen pour séquestrer du carbone atmosphérique sur des périodes de temps géologiques : la séquestration de carbone sous la forme de matière organique des sols, dissous ou solide, dans les rivières. Ce carbone constitue une « fuite » du cycle du carbone à l’échelle de l’écosystème car il échappe à la décomposition de la respiration hétérotrophe et va se déposer dans les bassins sédimentaires où il échappe à l’action de l’oxygène. Les roches sédimentaires anciennes sont donc un réservoir considérable de carbone accumulé au cours des temps géologiques que l’homme exploite très partiellement pour ses besoins énergétiques. Ce flux de carbone organique quittant les continents est estimé à 0,07 GtC/an, mais il est mal connu car il n’est pas mesuré systématiquement. De plus, certaines régions du globe comme les îles tropicales soumises aux cyclones peuvent connaître des événements extrêmes qui séquestrent subitement des quantités importantes de carbone organique dans l’océan. Par rapport aux 0,8 GtC/an du cycle court évoqué plus haut, ce flux est le flux net de ce qui est effectivement fossilisé et tient compte des mécanismes estuariens et côtiers de décomposition. Enfin, certains pensent que le flux de carbone organique actuellement séquestré dans les sédiments* océaniques est compensé par un flux de carbone émis dans l’atmosphère lorsque les matières fossiles présentes à l’affleurement dans les chaînes de montagne s’oxydent au contact de l’air. Comme dans le cas des calcaires, si le flux d’oxydation du carbone sédimentaire est équivalent au flux de carbone qui est séquestré dans les sédiments modernes, alors le « sous-cycle » organique fossile ne peut constituer un mécanisme planétaire significatif pour moduler la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère et donc le climat à grande échelle de temps. Il est évident que l’homme, en accélérant l’oxydation des matières organiques fossiles pour en tirer de l’énergie, provoque un déséquilibre très important dans le sous-cycle géologique du carbone organique.
Bibliographie
Référence bibliographique
• M. ROTARU, J. GAILLARDET, M. STEINBERG et J. TRICHET - Les climats passés de la Terre, Vuibert, 2006.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le climat à découvert
Ce livre est cité par
- de Marsily, Ghislain. (2013) Le développement durable à découvert. DOI: 10.4000/books.editionscnrs.10608
- Mosseri, Rémy. Jeandel, Catherine. (2013) Le développement durable à découvert. DOI: 10.4000/books.editionscnrs.10579
- (2016) Climatologie et paléoclimatologie. DOI: 10.3917/dunod.fouca.2016.01.0395
- Euzen, Agathe. Jeandel, Catherine. Mosseri, Rémy. (2015) L'eau à découvert. DOI: 10.4000/books.editionscnrs.9754
- Yiou, Pascal. (2013) Le développement durable à découvert. DOI: 10.4000/books.editionscnrs.10834
- Masson-Delmotte, Valérie. (2012) Controverses climatiques, sciences et politique. DOI: 10.3917/scpo.belan.2012.02.0039
- Gioda, Alain. (2015) Les savoirs des sciences sociales. DOI: 10.4000/books.irdeditions.10821
- Masson-Delmotte, Valérie. Treut, Hervé Le. Paillard, Didier. (2013) L'énergie à découvert. DOI: 10.4000/books.editionscnrs.10901
- Dandin, Philippe. Tourre, Yves. (2013) Le développement durable à découvert. DOI: 10.4000/books.editionscnrs.10610
- Poitou, Jean. (2013) Composition atmosphérique et bilan radiatif. Reflets de la physique. DOI: 10.1051/refdp/201333028
- Lamarre, Denis. (2013) Propos d’un géographe climatologue sur les changements climatiques. Une approche, des perspectives. Bulletin de l'Association de géographes français, 90. DOI: 10.4000/bagf.1358
- Pottier, Antonin. (2016) Comment l’environnement transforme-t-il la discipline économique ?. Annales des Mines - Responsabilité et environnement, N° 83. DOI: 10.3917/re1.083.0045
- Tabeaud, Martine. Brédif, Hervé. (2013) Aux grands maux faut-il toujours préférer les grands remèdes ?. Bulletin de l'Association de géographes français, 90. DOI: 10.4000/bagf.1336
- Masson-Delmotte, Valérie. Landais, Amaëlle. (2014) Explorer l’évolution du climat grâce aux glaces de l’Antarctique et du Groenland. Reflets de la physique. DOI: 10.1051/refdp/201441012
- Poitou, Jean. (2016) Visite dans les rouages du climat. Reflets de la physique. DOI: 10.1051/refdp/201649010
- C. Aykut, Stefan. (2015) Comment se construit la confiance dans les sciences et les politiques du climat ? Retour sur un colloque international. Natures Sciences Sociétés, 23. DOI: 10.1051/nss/2015022
Le climat à découvert
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3