4. Principes physiques de l’effet de serre et de l’effet parasol
p. 50-52
Texte intégral
Spectroscopie des gaz atmosphériques
1Dans l’atmosphère, les mécanismes d’interactions entre une onde électromagnétique et les molécules gazeuses sont bien décrits par les théories de la mécanique quantique et de la physique statistique. L’énergie interne d’un système de molécules est la somme de l’énergie de translation (due à l’agitation thermique), d’énergies électroniques et d’énergies de rotation et de vibration. Lorsqu’une onde électromagnétique interagit avec une molécule gazeuse, celle-ci peut être excitée à un niveau d’énergie plus élevé. Les niveaux d’énergie des atomes ou molécules étant quantifiés, cette transition ne peut intervenir que si l’onde incidente possède une énergie égale à la différence entre deux niveaux discrets de la molécule. Une molécule excitée peut, dans un second temps, revenir à un niveau d’énergie inférieur en émettant un rayonnement*. Ces processus d’absorption et d’émission surviennent à des fréquences précises dites de résonance. Chaque molécule possède donc un système de transitions bien défini, qui se traduit par un spectre de raies d’absorption qui lui est propre. L’énergie étant inversement proportionnelle à la longueur d’onde, les plus bas niveaux d’énergie correspondent à des transitions aux plus grandes longueurs d’onde (infrarouge et micro-ondes) et les plus hauts aux longueurs d’onde du visible ou de l’ultraviolet.
2Les paramètres géophysiques tels que la pression ou la température modifient ces transitions, provoquant un élargissement des raies d’absorption, dû à la durée de vie limitée de l’état excité, à l’effet des collisions et au mouvement thermique, avec pour conséquences différentes formes spectrales pour les raies. L’intensité des raies spectrales, quant à elle, dépend de la quantité de matière active, ainsi que de la probabilité de passage d’un état à un autre de la population présente dans l’état d’origine. La forme complexe de l’intensité d’une raie est calculée selon la statistique de Maxwell-Boltzmann*, en fonction de la température. Notons enfin qu’une molécule peut être dissociée par des photons dépassant l’énergie d’ionisation de la molécule. Les niveaux ne sont alors plus quantifiés, donnant lieu à des continua d’absorption. À titre d’exemple, pour l’ozone, les bandes d’absorption d’Hartley-Huggins (200 – 360 nm) sont bien connues car elles absorbent en grande partie le rayonnement ultraviolet du Soleil.
3L’absorption des gaz présente donc une structure fine complexe, très variable en fonction de la longueur d’onde. Un calcul précis de l’absorption nécessite de connaître l’ensemble des paramètres physiques des raies. Ces informations sont disponibles dans des bases de données spectroscopiques*, dont les deux plus connues sont GEISA* et HITRAN*. Ces bases recensent actuellement les paramètres concernant 50 molécules d’intérêt atmosphérique sur l’ensemble du spectre électromagnétique. Le nombre de raies spectrales répertoriées n’a cessé d’augmenter, passant de cent mille en 1975 à près de quatre millions en 2009. Ces paramètres sont obtenus à la fois grâce à la théorie et aux mesures par spectroscopie en laboratoire. À partir de ces bases, il est possible de calculer avec précision l’absorption des gaz atmosphériques à haute résolution spectrale. Cette approche, dite « raie-par-raie », consiste à calculer l’absorption monochromatique* de chaque raie spectrale pour chaque gaz, ceci en fonction de la pression, de la température et de la quantité de gaz. Ces spectres calculés peuvent être comparés à ceux mesurés à l’aide d’interféromètres* ou de spectromètres situés au sol ou embarqués sur des plates-formes spatiales (tels que IASI* ou AIRS*). De telles comparaisons permettent de valider les paramètres spectroscopiques des gaz.
Effet de serre des gaz atmosphériques
4Si la prise de conscience du changement climatique est récente, le phénomène d’effet de serre* est connu depuis plus longtemps. Dès la fin du XIXe siècle, Joseph Fourier pose les bases physiques de l’effet de serre pour expliquer la température de l’atmosphère terrestre. En 1896, Svante Arrhenius estime, quant à lui, qu’un doublement de la concentration en dioxyde de carbone augmenterait la température moyenne à la surface de la Terre d’environ 4 °C. En effet, l’atmosphère terrestre est peu absorbante pour le rayonnement solaire incident aux courtes longueurs d’onde (0,3 – 4 μm) qui peut donc facilement atteindre la surface de la Terre (figure 1). Une partie de ce rayonnement est réfléchie vers l’espace ; une autre partie est absorbée et réchauffe la surface. Par contre, dans les grandes longueurs d’onde (4 – 70 μm), le rayonnement renvoyé par la Terre est majoritairement absorbé, excepté dans la fenêtre infrarouge (vers 10 μm) où l’on peut constater que l’atmosphère est semi-transparente (figure 1). La majorité du rayonnement infrarouge* émis par la surface est donc absorbée par l’atmosphère qui peut se réchauffer. L’atmosphère va, à son tour, rayonner vers l’espace, mais également émettre un rayonnement infrarouge vers la surface qui s’ajoute au rayonnement solaire et conduit donc à une augmentation de la température de surface (cf. figure II-2). La présence de gaz absorbants (en particulier H2O et CO2 pour l’atmosphère terrestre) crée donc un effet de serre semblable à celui observé dans les serres des jardiniers ou dans une voiture dont les vitres seraient fermées. En effet, les vitres ont un comportement optique globalement similaire à celui de l’atmosphère en étant transparentes pour le rayonnement solaire mais opaques au rayonnement infrarouge. Notons que pour ces deux derniers cas, le réchauffement ne peut être efficace que s’il n’y a pas d’ouverture vers l’extérieur, c’est-à-dire pas de refroidissement par convection (déplacement de fluide). Dans le cas de l’atmosphère terrestre, la température moyenne actuelle à la surface de la Terre est de l’ordre de 15° C. Elle ne serait que de -18 °C en absence d’atmosphère. Pour une atmosphère constituée uniquement de gaz, une augmentation de la concentration des gaz à effet de serre, donc une absorption du rayonnement plus importante dans l’infrarouge, conduit à une augmentation de la température à la surface. L’intensité de l’effet de serre dépend donc de la concentration atmosphérique des gaz, de leur efficacité (c’est-à-dire leur capacité d’absorption) et de leur temps de résidence dans l’atmosphère. Il est reconnu qu’il n’y a pas d’effet de saturation pour l’effet de serre, et cela malgré la complexité de l’absorption des différents gaz. En effet, il a été démontré que l’accumulation de gaz augmente continûment la température de surface. Les études d’autres planètes comme Vénus ont permis de mieux comprendre les mécanismes de l’effet de serre.
L’effet parasol des particules atmosphériques
5Les particules en suspension dans l’air peuvent, selon leurs propriétés optiques et microphysiques, absorber ou diffuser le rayonnement (cf. figure II-2). Elles sont donc susceptibles de renforcer ou d’atténuer l’effet de serre. On peut classer ces particules en deux catégories : les gouttelettes d’eau et les cristaux de glace constituant les nuages (cf. II-9) ; et les aérosols, particules solides ou liquides en suspension dans l’atmosphère et d’origine naturelle ou anthropique (cf. III-7).
6Le rôle des nuages sur le climat est prépondérant. Outre l’apport de précipitations, ils ont une influence sur les rayonnements solaire et thermique. Cette influence se traduit, selon leur nature et leur altitude, par un effet de serre ou au contraire un effet parasol et donc de refroidissement. En effet, nous avons tous remarqué que l’éclairement incident est moindre sous un nuage épais, ce rayonnement étant directement diffusé vers l’espace. Au contraire, une couverture nuageuse limitera la chute de température durant la nuit, en absorbant le rayonnement infrarouge émis vers l’espace et en renvoyant une partie vers la surface. L’influence des aérosols peut être classée en trois effets :
- La capacité des aérosols à absorber ou à diffuser le rayonnement, en fonction de la longueur d’onde, dépend de leur forme, de leur taille et de leur constitution chimique. Il s’agit de l’effet direct dont la quantification à l’échelle globale reste délicate, du fait de la forte variabilité spatiale et temporelle des aérosols.
- L’effet semi-direct des aérosols est relié au type de milieu qu’ils recouvrent. À titre d’exemple, une couche constituée d’aérosols absorbants peut s’échauffer sous l’effet du rayonnement solaire et, par conséquent, stopper ou limiter le développement d’un nuage qui se trouve en dessous.
- L’effet indirect des aérosols est sans doute le plus complexe. La formation des gouttes ou cristaux de glace composant les nuages nécessite des particules de petites dimensions, appelées noyaux de condensation, pour activer le processus de condensation. La concentration en aérosols pourrait donc avoir une influence sur la formation et la durée de vie des nuages, et ainsi modifier les taux de précipitation et l’albédo* à l’échelle régionale ou planétaire.
7L’intérêt pour les aérosols est d’autant plus grandissant qu’une part non négligeable de ceux-ci est d’origine anthropique. Des codes de transfert radiatif, modèles de simulation numérique, permettent d’estimer de façon théorique le bilan radiatif pour un état donné de l’atmosphère. Basés sur des lois physiques, ces codes prennent en compte l’absorption et la diffusion des gaz et particules atmosphériques.
8L’effet global des gaz et particules atmosphériques a été évalué en terme de forçage radiatif*. Le déséquilibre du bilan radiatif ΔB est défini comme la différence entre l’énergie solaire absorbée et l’énergie émise par rayonnement infrarouge. Lorsque ΔB est positif, le système se réchauffe ; s’il est négatif, il se refroidit. Si ce déséquilibre est dû à une cause extérieure, on parle alors de forçage. La figure 2 présente une estimation par le GIEC* des forçages radiatifs depuis le début de l’ère industrielle, ainsi que leur incertitude. L’estimation des forçages par les gaz à effet de serre* semble fiable, avec un forçage positif de l’ordre de +2,7 W/m2 estimé avec une précision d’environ 10 %. Le forçage des particules atmosphériques est, quant à lui, globalement négatif mais avec des incertitudes assez importantes, en particulier pour l’effet indirect. Au total, les estimations montrent un forçage anthropique positif de l’ordre de +1, 6 W/m2, traduisant un réchauffement global. La mesure du bilan radiatif de la Terre est complexe car elle doit être effectuée à l’échelle de la Terre. Cependant, l’observation spatiale a permis d’estimer le bilan radiatif à l’échelle de la planète. Depuis 1984, l’expérience ERBE*, puis CERES*, permet des mesures spatiales du bilan radiatif (flux solaire et infrarouge). Cette expérience est fondamentale pour le suivi du bilan radiatif terrestre, ainsi que pour la validation et l’amélioration des modèles de prévision climatique.
Bibliographie
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Références bibliographiques
• R. DELMAS, G. MEGIE et V. H. PEUCH - Physique et chimie de l’atmosphère, Collection Échelles, Belin, 2005.
10.14375/NP.9782081225091 :• H. LE TREUT et J.-M. JANCOVICI - L’effet de serre, Flammarion, 2009.
10.4267/2042/20080 :• J.-L. DUFRESNE - « Jean-Baptiste Joseph Fourier et la découverte de l’effet de serre », La Météorologie, 53, 2006.
Auteur
Physicien, Professeur des universités, LOA, Villeneuve d’Ascq.
philippe.dubuisson@univ-lille1.fr
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012