3. La variabilité solaire
p. 48-49
Texte intégral
1Le Soleil fournit à lui seul 99,96 % de l’énergie à l’environnement terrestre et sa variabilité figure donc en première ligne pour expliquer les changements climatiques en dépit du nom de « constante solaire » donné à sa puissance radiative (ou irradiance totale). La variabilité solaire se manifeste à toutes les échelles de temps, de la seconde au milliard d’années. Comme les observations détaillées n’ont réellement démarré qu’avec l’ère spatiale, seules les variations inférieures à l’échelle décennale sont relativement bien documentées. L’étude du lien entre activité solaire et climat passe donc obligatoirement par la recherche de traceurs d’activité pour remonter dans le passé.
Les processus en jeu
2Le Soleil tire son énergie des réactions thermonucléaires qui agissent en son cœur. L’énergie produite est principalement émise sous la forme de rayonnement électromagnétique* (6,3.107 W/m2). Cette formidable puissance a augmenté de 30 % depuis la phase de formation, il y a 4,6 milliards d’années, et va poursuivre sa croissance jusqu’à ce que le cycle de combustion entre dans sa phase terminale. Bien que très lente, cette variation intervient déjà dans l’étude du climat en raison de son impact sur la genèse des atmosphères planétaires.
3La variabilité du Soleil à l’échelle du million d’années est peu connue. Elle est fortement contrainte par les processus de transport d’énergie à l’intérieur du Soleil, connus principalement par l’héliosismologie, et par la comparaison avec les quelques analogues solaires (les étoiles de mêmes caractéristiques que le Soleil). À l’échelle du millénaire et en deçà, un autre processus fondamental entre en jeu : le champ magnétique entretenu par la dynamo solaire. La convection interne de matière ionisée électriquement conductrice, produit un champ magnétique qui est responsable du plus documenté des cycles solaires, celui d’environ 22 ans, qui se divise en 2 parties de 11 ans (cycle de Schwabe) dont les caractéristiques dynamiques sont identiques, mais avec une orientation inversée du dipôle magnétique. Ces cycles se manifestent entre autres par la variation périodique du nombre d’éruptions, du flux de particules énergétiques et de la vitesse moyenne du vent solaire. Leur signature la plus connue est la modulation du nombre de taches solaires, dont les premières mesures remontent à 1610 et font de cette série un des rares enregistrements historiques et homogènes de la variabilité solaire.
Explications de la variabilité solaire
4L’omniprésence de la périodicité de 11 ans dans les données climatiques est souvent avancée comme preuve de l’impact de la variabilité solaire. Cela soulève plusieurs problèmes. D’abord, cette corrélation ne dit rien sur la nature des processus physiques impliqués : de très nombreux paramètres solaires – compris aujourd’hui et correctement modélisés – sont modulés en phase par le même cycle. Ensuite, le nombre de taches est un piètre traceur d’activité solaire. Chaque tache est la conséquence d’une intensification locale du champ magnétique en surface, qui provoque un refroidissement local et donc un déficit radiatif dans l’infrarouge et dans le visible. Au voisinage de la tache, une partie de l’énergie magnétique est convertie en énergie thermique, ce qui se traduit au contraire par un surcroît d’émission dans l’ultraviolet (figure 1). Les taches peuvent aussi être à l’origine de phénomènes éruptifs qui s’accompagnent d’éjections dans l’espace de grandes quantités de matière et/ou d’émission de rayonnements ionisants. Ces manifestations ne sont pas forcément simultanées et ont des impacts différents sur l’atmosphère terrestre (cf. Chapitre VI-2). Il est donc réducteur de vouloir décrire la variabilité solaire à l’aide d’une seule observable telle que l’irradiance totale ou le nombre de taches solaires (figure 2).
5Aujourd’hui, les modèles numériques reproduisent bien les détails du cycle solaire ; il est même possible de prédire, au moins à court terme, l’évolution moyenne d’un cycle déjà entamé. En revanche, aucun modèle n’explique la variation erratique de l’amplitude des cycles. Un épisode particulièrement intéressant, le « minimum de Maunder » (de 1645 à 1715), coïncida avec un refroidissement généralisé dans une partie de l’hémisphère Nord. Durant cet épisode, le Soleil fut quasiment dépourvu de taches (à l’échelle des capacités d’observation de l’époque) alors que certaines données paléoclimatiques attestent la persistance d’un cycle de 11 ans. Il semble que l’évolution relative des composantes visible et ultraviolette du spectre solaire ait alors été différente. Par chance, le dernier cycle solaire s’est achevé en 2009 dans un état de faible activité inhabituellement long, ce qui pourrait augurer un prochain changement de régime. L’origine exacte des variations séculaires induites par la modification du cycle solaire est mal connue. L’exploration de ces grandes échelles de temps est aujourd’hui rendue possible grâce à l’étude d’isotopes radioactifs tels que le 14C et le 10Be, dont le taux de production est modulé par le champ magnétique solaire. Une autre source d’information réside dans les analogues solaires, ces étoiles dont certaines alternent entre activité cyclique et phases de léthargie.
6Les échelles de temps plus petites (du mois à la seconde) font intervenir d’autres mécanismes encore, tels que la rotation solaire et la dynamique complexe du champ magnétique dans l’atmosphère solaire. Des phénomènes sporadiques tels que les éruptions peuvent emporter des puissances considérables (jusqu’à 106 W/m2) et ont un fort impact sur la haute atmosphère terrestre. Leur effet sur le climat a souvent été écarté en raison de leur courte durée. Or l’énergie des éruptions, tout comme celle de nombreux phénomènes naturels, est distribuée selon une loi de puissance : de nombreux événements de faible énergie pourraient à terme avoir un impact non négligeable sur le climat.
7Ainsi, toutes les échelles de temps sont susceptibles d’affecter le système climatique*. Cela souligne la nécessité d’une approche multidisciplinaire pour mieux quantifier la diversité des mécanismes physiques mis en jeu. Dans cette liste, l’interaction du vent solaire avec l’environnement terrestre constitue un élément important et cependant peu mis en avant. Notre méconnaissance quasi totale de l’histoire de l’évolution du vent solaire et de sa variabilité est aujourd’hui l’un des freins majeurs à la compréhension des mécanismes du forçage climatique.
Bibliographie
Références bibliographiques
• P. LANTOS - Le Soleil en face : le Soleil et les relations Soleil-Terre, Masson, 1997.
• E. NESME-RIBES et G. THUILLIER - Histoire solaire et climatique, Belin, 2000.
Auteurs
Physicien en relations Soleil-Terre, Professeur des universités, LPC2E, Orléans.
ddwit@cnrs-orleans.fr
Spécialiste des environnements spatiaux et de leur forçage par l’activité solaire, Directeur de Recherche au CNRS, Éditeur en chef de « Space Weather Space Climate », IPAG, Grenoble.
jean.lilensten@obs.ujf-grenoble.fr
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2012