8. Le climat de la Terre à l’échelle des temps géologiques
p. 35-36
Texte intégral
1Depuis le début des années 1980, un intérêt grandissant s’est manifesté pour la reconstruction de l’évolution climatique de la Terre à l’échelle du million d’années. Ces travaux sont motivés par la volonté de comprendre les raisons des fluctuations du climat terrestre, les amplitudes maximales de ces variations et les liens entretenus par le climat avec les processus géologiques : mouvements tectoniques verticaux et horizontaux, évolution de la vie, etc. L’étude des climats passés est un volet de la climatologie à part entière qui cherche à comprendre le fonctionnement du Système Terre. La matière première de la reconstruction des climats anciens est constituée des bases de données issues de la géologie (essentiellement paléontologiques, sédimentologiques, isotopiques), qui sont ensuite exploitées par la modélisation numérique (forçage et/ou validation).
De l’Archéen* au Mésoprotérozoïque*
2Avant 1 milliard d’années, les indices climatiques sont rares. Les indicateurs isotopiques δ18O et δ30Si mesurés sur des roches sédimentaires siliceuses* suggèrent que la température de l’eau de mer a avoisiné 70 °C il y a 3 milliards d’années (figure). Elle s’est graduellement abaissée pour atteindre 20 °C il y a environ 800 millions d’années. Concernant les données 18O, le débat est encore vif, centré sur notre méconnaissance du rapport isotopique de l’eau de mer ancienne, qui intervient pourtant dans le calcul de la température de l’eau. Malgré ces questions, une tendance climatique très claire se dessine avec un refroidissement majeur à la fin de l’Archéen vers 2,7 à 2,5 milliards d’années, suggérant un refroidissement d’environ 20 °C. Ces premières glaciations de l’histoire de la Terre sont à mettre en relation avec la croissance rapide de la production d’oxygène atmosphérique par les cyanobactéries* et à l’effondrement consécutif de la pression de méthane dans l’atmosphère.
3La modélisation numérique des climats très anciens est limitée par le manque de connaissances de certains paramètres. Si l’on connaît assez bien l’évolution de la quantité d’énergie reçue du Soleil, la position des continents est au contraire très peu connue. Les efforts ont surtout porté sur la construction de modèles numériques calculant le budget radiatif de l’atmosphère en fonction de sa composition chimique. Cette dernière subit des évolutions majeures à la fin de l’Archéen, avec l’oxydation progressive de l’atmosphère et de l’océan, renseignée par l’évolution minéralogique des sédiments* marins et par leur composition isotopique en fer et soufre.
Le Néoprotérozoïque*
4Après environ 1 milliard d’années marqué par l’absence de traces de glaciations, des dépôts glaciaires réapparaissent en abondance à la fin du Protérozoïque. Ces dépôts sont uniformément répartis à la surface des continents, ces derniers étant majoritairement localisés aux latitudes tropicales en raison de la tectonique des plaques. Ces traces de glaciation sont contemporaines de variations très importantes de la composition isotopique en carbone (δ13C) des carbonates marins, dont l’interprétation est toujours discutée (effondrement dramatique de la productivité* biologique dans l’océan ou dégazage massif de méthane en réponse à des forçages mal connus). L’hypothèse de la Terre Boule de neige (glaciation totale de la Terre) a été avancée pour expliquer ces observations.
5De nombreuses reconstitutions numériques du climat Néoprotérozoïque ont été réalisées, allant du modèle simple à une dimension (la latitude) au modèle de circulation générale de l’atmosphère et des océans. Ces études ont montré que l’entrée en glaciation totale est la conséquence directe de la dislocation du super-continent Rodinia* le long de l’équateur. Et la simulation des conditions glaciaires a permis de remarquer que les inlandsis* mis en place sur les continents restent dynamiques. Des questions demeurent cependant ouvertes concernant l’existence ou non d’une zone de glace fine à l’équateur (quelques mètres d’épaisseur). Enfin, la déglaciation de la Terre boule de neige a certainement été amorcée par des éruptions volcaniques de très grande importance, couvrant la surface gelée de la Terre de poussière sombre, ce qui réduit ainsi l’albédo* de la surface et réchauffe le climat.
Le Phanérozoïque*
6À partir des données géologiques, le Phanérozoïque peut être décrit comme une période généralement plus chaude qu’actuellement, dépourvue de calottes de glace, entrecoupée d’ères glaciaires plus ou moins marquées et longues à la fin de l’Ordovicien*, au Permo-Carbonifère* et au Cénozoïque*. Une des grandes avancées récentes dans l’étude des paléoclimats est l’identification d’épisodes froids, avec parfois la croissance et décroissance rapides d’une calotte de glace, au cours du Jurassique* et du Crétacé*. Ces intervalles de temps étaient jusqu’ici souvent assimilés à des périodes de climat uniformément chaud.
7L’un des grands défis de la paléoclimatologie est de parvenir à comprendre les raisons de la mise en place d’épisodes glaciaires. Les mouvements de dérive continentale semblent jouer un rôle majeur au cours du Paléozoïque* et du Mésozoïque*. Depuis 40 millions d’années nous connaissons une période glaciaire qui a débuté avec la croissance de la calotte Antarctique. Ce refroidissement est lié à la décroissance générale de la teneur en CO2 atmosphérique depuis des valeurs proches de 1 500 ppmv au début de l’Éocène* à 280 ppmv aujourd’hui. Globalement, les raisons et les modalités de cette réduction du CO2 atmosphérique et du refroidissement concomitant sont encore mal comprises. Elle serait à l’origine de l’apparition des grandes chaînes de montagne actuelles (Himalaya, Andes), des modifications de la circulation océanique liées aux mouvements des masses continentales, de la croissance des calottes de glace et enfin, des modifications dans le dégazage de la Terre solide.
8Dernière avancée récente, l’augmentation de la résolution temporelle des proxies climatiques permet d’explorer des fluctuations climatiques passées qui se sont produites sur des échelles de temps de plus en plus courtes, jusqu’à 104 ans (comme le maximum thermique à la transition Paléocène*-Éocène autour de 55 millions d’années).
Bibliographie
Références bibliographiques
• L. R. KUMP, J. F. KASTING, R. G. CRANE - The Earth System, Prentice Hall, 1999.
• M. ROTARU, J. GAILLARDET, M. STEINBERG et J. TRICHET - Les climats passés de la Terre, Vuibert Édition, 2006.
Auteurs
Géochimiste paléoclimatologue, Directeur de Recherche au CNRS, GET, Toulouse.
yves.godderis@get.obs-mip.fr
Paléoclimatologue, Chargé de Recherche au CNRS, LSCE, Gif-sur-Yvette.
yannick.donnadieu@lsce.ipsl.fr
Paléoclimatologue, Directeur de Recherche au CEA, LSCE, Gif-sur-Yvette.
gilles.ramstein@lsce.ipsl.fr
Géochimiste isotopiste, Maître de Conférence, Université de Bourgogne, Dijon.
emmanuelle.puceat@u-bourgogne.fr
Paléoclimatologue, IPGP, Paris.
lehir@ipgp.fr
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L'archéologie à découvert
Hommes, objets, espaces et temporalités
Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012