2. La Terre dans le Système solaire
p. 22-24
Texte intégral
1Qu’est-ce qui fait de la troisième planète en orbite autour du Soleil un endroit propice au développement de la vie ? Dans quelle mesure le Système solaire et le voisinage galactique influencent-ils l’évolution de la vie sur Terre – en la rendant possible, mais aussi en la menaçant ? Quelles sont les forces qui affectent la Terre, les particules et corps qui la bombardent, les flux énergétiques qui traversent sa surface ? Le rayonnement électromagnétique* solaire prime largement (figure 1), son intensité place la Terre en plein milieu de la zone d’habitabilité du Soleil (zone où l’eau peut être liquide à la surface d’une planète). Comment ces grandeurs ont-elles varié au cours de l’évolution de la Terre ? Comment la Terre est-elle arrivée à cette place « privilégiée » dans l’Univers ? Vat-elle la garder ?
La formation de la Terre
2Il y a 4,6 milliards d’années (Ga), quelque part dans la Voie lactée, le Système solaire s’est formé lors de l’effondrement gravitationnel d’un « nuage » moléculaire composé essentiellement d’hydrogène et d’hélium. Ces deux éléments sont issus du Big Bang, survenu il y a 13,7 Ga, et composent encore 74 % et 24 % de la masse visible de l’Univers – et du nuage protosolaire. Les 2 % restants sont constitués d’éléments lourds (C, N, O… Ni, Fe… Au, Pb, U), produits lors de l’explosion de supernovae qui ont précédé notre Système solaire. Une protoétoile s’est formée au centre de la nébuleuse, sa périphérie s’effondrant en un disque. Gaz et poussières se sont agglomérés, d’abord par coagulation, puis par interaction gravitationnelle et enfin par effet « boule de neige » (les planètes en formation interceptent de plus petits corps) en formant huit planètes et une myriade de satellites, astéroïdes… Ces objets ne renferment qu’une quantité d’énergie interne relativement faible (figure 1) et leur température de surface décroît à mesure que l’on s’éloigne du Soleil. Dans une région encore proche, les températures élevées induisent des objets composés d’éléments à point de fusion élevé, tels que les silicates et les métaux. Ici naissent les planètes telluriques – Mercure, Vénus, Terre et Mars. Leur masse ne crée pas une gravitation suffisante pour retenir les gaz d’hydrogène et d’hélium. Sur Terre, Vénus et Mars, des atmosphères se forment ultérieurement. Plus loin, par-delà la ligne de gel (où la température d’équilibre est suffisamment basse pour que les glaces restent à l’état solide) se forment les planètes géantes – Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune –, des noyaux de roches et glaces, entourés de couches liquides et gazeuses qui portent la mémoire de la nébuleuse originale.
3Une fois formées, la Terre et ses voisines sont soumises à un bombardement météoritique effréné dont l’intensité diminue en quelques centaines de millions d’années. Encore très jeune (il y a 4,45 Ga) la Terre entre en collision avec une protoplanète de la taille de Mars, éjectant de grandes quantités de matière. Un disque de résidus de roches vaporisées apparaît alors autour de la Terre et finit par s’agglomérer pour former la Lune. En dépit de ce début cataclysmique, notre satellite naturel sera de toute première importance pour l’émergence et l’évolution de la vie sur Terre. Le Système solaire connaît un deuxième épisode de bombardement météoritique entre 4,1 et 3,9 Ga. Sur Terre, les cratères de ce Grand Bombardement Tardif ont été effacés par la tectonique des plaques, le volcanisme et l’érosion, mais ils sont très visibles sur la Lune, en raison du manque d’activité géologique. La valeur actuelle de l’énergie dissipée par des météorites est trompeuse (figure 1). La fréquence de leurs impacts est inversement proportionnelle à leur dimension, les événements rares étant les plus fâcheux : des corps d’une taille de 5 à 10 m entrent dans l’atmosphère terrestre environ une fois par an, libérant autant d’énergie que la bombe atomique d’Hiroshima (~ 15 kilotonnes de TNT). Des astéroïdes d’une taille de 1 km heurtent la Terre à des intervalles de l’ordre de quelques 100 000 ans, avec des dégâts à l’échelle de la Terre (~ 105 mégatonnes de TNT). Un nouvel épisode de « grand bombardement » serait fatal pour toute vie sur Terre. On pense que ces épisodes seraient dus aux passages d’étoiles ou aux explosions stellaires dans notre voisinage galactique. Ils provoqueraient des instabilités orbitales dans les nuages de comètes et d’astéroïdes qui entourent le Système solaire, des corps qui pourront ensuite croiser l’orbite terrestre. Le fait que nous ne connaissions pas de nouveaux épisodes de grand bombardement, pourrait indiquer que le Système solaire lui-même se trouve dans une « zone d’habitabilité galactique »…
4Retournons dans le Système solaire en gestation : au centre, dans le cœur de la jeune étoile, densité et température augmentent au fur et à mesure que l’hydrogène se transforme en hélium. Par conséquent, l’efficacité de la fusion augmente progressivement au cours de la vie du Soleil et conduit à une augmentation de sa luminosité. Il y a 4,6 Ga, la luminosité du jeune Soleil n’était donc que de 70 % de sa valeur actuelle. De ce fait, la surface totale de la Terre aurait dû être glacée jusqu’à il y a environ 2 milliards d’années (sous réserve que les conditions environnementales fussent similaires à celles d’aujourd’hui : albédo*, composition atmosphérique). Pourtant, les données géologiques montrent une surface terrestre relativement chaude, avec de l’eau de surface liquide dans l’Archéen* (il y a 3,8 Ga) et peut-être même à l’époque hadéenne. Les seules exceptions sont des périodes « Terre boule de neige » relativement brèves il y a 2,2 Ga, 760 et 620 millions d’années (cf. I-8).
5Les causes et conséquences de ce paradoxe dit du « jeune Soleil faible » soulèvent des questions interdisciplinaires pour la géologie (surface continentale moins importante donc albédo plus faible ?), la biologie (vie dans des conditions extrêmes, autorégulation de l’écosphère ?), la physique de l’atmosphère (effets de serre plus importants ?) mais aussi pour l’astrophysique (jeune Soleil massif, perte de masse solaire et impact sur paramètres orbitaux, vent solaire plus intense donc rayonnement cosmique plus faible, et par induction, couverture nuageuse moins importante ?) (cf. VI-4).
Rayonnement électromagnétique reçu du Soleil (principalement visible et IR) | 1,7 1017 W |
Géothermie (radioactivités à période longue : 238U, 235U, 232Th, 40K) | ~ 4,4 1013 W |
Civilisation en 2010 (~ 109 humains consommant 10 t de pétrole/an) | 1,6 1013 W |
Énergie rotative dissipée par les marées | 2,8 1012 W |
Vent solaire (pour « cible magnétosphérique » de 25 RTerre ~ 1014 W) | ~ 2 1011 W |
Rayonnement du fond cosmologique (corps noir* à 2,7 K) | 1,6 109 W |
Rayonnement électromagnétique reçu des étoiles (visible, IR) | ~ 1,3 109 W |
Rayonnement cosmique (protons, alphas…) | 9 108 W |
Météorites (~ 30 000 tonnes par an, supposant vimpact ≈ 20 km/s) | ~ 2 108 W |
Mouvements astronomiques et climat
6Excepté la variabilité solaire (cf. II-3, VI-3), le flux énergétique reçu sur Terre dépend des paramètres périodiques de l’orbite terrestre : des mouvements astronomiques entraînent des variations d’insolation de la Terre – et agissent donc possiblement sur les variations climatiques, selon la théorie de Milutin Milanković. La répartition de l’énergie reçue entre les régions tropicales et les hautes latitudes dépendent de l’obliquité qui varie entre 22,1° et 24,5° avec une période de 41 000 ans (elle est actuellement de 23,5°). L’hémisphère qui « pointe » vers le Soleil se trouve en été, tandis que l’hémisphère opposé est en hiver. Une plus forte obliquité accentuerait la rigueur des saisons, une obliquité nulle la ferait disparaître. La forme de l’orbite terrestre passe d’un cercle presque parfait (excentricité ≈ 0) à une ellipse très légèrement aplatie (excentricité = 0,06) avec des périodes de 100 000 et 400 000 ans, ce qui module l’énergie solaire totale interceptée sur une année. La précession des équinoxes se traduit par une modification des positions des solstices et équinoxes par rapport au périhélie de l’orbite, ce qui, combiné à l’effet des autres paramètres, module le cycle saisonnier du rayonnement reçu au cours de l’année en une latitude donnée. À l’heure actuelle, la Terre passe au périhélie (plus proche du Soleil) en janvier, ce qui explique que les saisons sont moins marquées dans l’hémisphère Nord que dans l’hémisphère Sud.
7En agissant sur la rigueur relative des saisons, les effets combinés des cycles de Milanković (cf. II-15) contrôleraient la croissance et le recul des calottes glaciaires. L’insolation des continents de l’hémisphère Nord en été est cruciale : si elle tombe au-dessous d’une valeur critique, la neige de l’hiver précédent ne fond pas en été et une couche de glace commence à se développer. La théorie de Milanković, controversée il y a 70 ans, a désormais trouvé un appui robuste : la similitude des cycles astronomiques du passé (figure 2) avec des « thermomètres isotopiques » retrouvés dans les carottes de glace antarctique (cf. III-15, III-16). Bien que les mécanismes qui convertissent l’insolation incidente en signal géologique soient encore peu connus, le lien entre les variations climatiques et les variations astronomiques est aujourd’hui confirmé.
8Et le futur ? L’extrapolation des cycles de Milanković indique une insolation estivale en constante augmentation au cours des prochaines 25 000 années : le climat actuel chaud pourrait ainsi durer encore 50 000 ans – ceci sans autres perturbations… Soulignons le rôle important de la Lune pour la stabilité du climat terrestre. Du fait de sa proximité, la Lune exerce un couple fort sur le bourrelet équatorial de la Terre. Sans elle, le couple exercé sur la Terre par les autres corps du Système solaire serait faible. L’orientation de l’axe de la Terre subirait de très fortes oscillations avec une large zone chaotique pour l’obliquité, allant de 0° à 85°. L’impact d’un tel dérèglement sur le climat serait colossal : tantôt des saisons très marquées avec des alternances jours/nuits pouvant durer six mois pour toute latitude, tantôt une absence de saisons quasi-totale… La Lune nous évite cette zone chaotique, en empêchant que l’axe fasse des excursions d’obliquité plus importantes que 1,3° autour de la valeur moyenne de 23,3°.
Une place unique ?
9La Terre profite donc d’une « vie de couple » stabilisante et semble occuper une place privilégiée dans le Système solaire et dans la Galaxie, tout au moins à la lumière de notre vision anthropocentriste. Mais sommes-nous pour autant un cas d’exception dans l’Univers ? Depuis 1995, nous trouvons des planètes autour d’autres étoiles. À présent nous identifions plus de 500 de ces exoplanètes ; chaque année les découvertes se comptent par dizaines, et bientôt par centaines. Ce n’est plus qu’une question de temps avant que l’astronomie ne dispose d’instruments qui permettront de déceler ou non les empreintes d’activité biologique sur une exoplanète…
10L’étoile la plus proche du Système solaire est Proxima du Centaure, elle se trouve dans un système triple à une distance d’environ 4,2 années-lumière. Nous ne connaissons que six autres étoiles dans un rayon de dix années-lumière. À 10,5 années-lumière nous trouvons actuellement l’étoile la plus proche avec une exoplanète. Une exoplanète qui ressemblerait à la Terre, Gliese 581c – située à 20,4 années-lumière – gravite dans la zone habitable d’une petite étoile rouge, c'est-à-dire que la température de surface devrait permettre la présence d’eau à l’état liquide.
11Si la Terre n’est plus la seule planète habitable, aurons-nous un jour les moyens de nous expatrier vers un de ces nouveaux mondes ? Selon les connaissances actuelles, une migration interstellaire serait extrêmement coûteuse. Rien que l’accélération et la décélération d’un vaisseau de cent tonnes (masse d’un avion de ligne ou de la navette spatiale) à un quart de la vitesse de la lumière, afin de rejoindre Gliese 581c en moins de cent ans, demanderait 600 Exa-Joules (6 1020 J, à comparer avec la figure 1) – c’est un peu plus d’énergie que celle produite par l’humanité entière en 2010. Les exoplanètes ne sont donc pas des Terres de rechange.
Bibliographie
Référence bibliographique
• M. GARGAUD et al. - Le Soleil, la Terre… la vie. La quête des Origines, Belin 2009.
Auteur
Astrophysicien, Professeur des universités, Investigateur principal du projet lentille gamma, Éditeur en chef de la revue Experimental Astronomy, IR AP, Toulouse.
pvb@cesr.fr
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L'archéologie à découvert
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Sophie A. de Beaune et Henri-Paul Francfort (dir.)
2012