1. L’énergie au xxie siècle : les nouveaux défis
p. 297-299
Texte intégral
1Au début de ce siècle, les experts de la question énergétique étaient relativement unanimes sur le diagnostic à faire des opportunités et contraintes de développement du secteur et sur les scénarios qui pouvaient nous aider à concevoir cette évolution au cours des prochaines décennies à l’échelle globale. En quelques années pourtant, ce consensus apparent a laissé la place à des visions plus fragmentées, souvent irréductibles, mais plus représentatives aussi des véritables enjeux qui se présentent.
Scénarios post Rio
2Le constat de départ n’a pourtant pas été bouleversé : la consommation d’énergie mondiale actuelle, 13 Gtep, est très inégalement répartie : un Nord-Américain a besoin de plus de 7 tep* par an contre 0,7 pour un Africain et 4 pour un Français. On conçoit dès lors que deux paramètres fondamentaux interviennent, l’irrésistible et légitime mouvement de développement économique qui se manifeste aujourd’hui en Chine et en Amérique latine, suivis de près par l’Inde, puis l’Afrique ; mais aussi le modèle de développement, puisqu’à base technologique équivalente et niveaux de revenus comparables l’empreinte énergétique d’un habitant des États-Unis est double de celle d’un Européen du Nord ! L’autre réalité, c’est celle d’une économie mondiale dopée aux énergies fossiles, qui couvre 81 % des besoins aujourd’hui comme à l’aube des Trente Glorieuses ; d’une production nucléaire stagnante, d’un essor récent des énergies renouvelables dont la contribution reste limitée et par conséquent d’une préoccupation croissante des conséquences environnementales de notre développement économique. Poursuivre sur cette lancée pour accompagner le développement du monde n’est bien sûr pas raisonnable. D’ici 2050, la planète gagnera 2 milliards d’habitants, l’activité économique pourrait être multipliée par 5 et, sur le modèle actuel des pays développés, les consommations d’énergies doublées.
3Dans un contexte international porteur où l’accord de Kyoto semblait concrétiser les principes de Rio, de tels scénarios conduisant à un doublement des concentrations en GES* étaient rapidement écartés au profit de visions plus consensuelles qui, pour respecter la contrainte climatique, offraient simultanément une porte de sortie aux contraintes croissantes du secteur énergétique. Au-delà des controverses sur le pic pétrolier*, on s’accordait à penser que la concentration géographique des ressources d’hydrocarbures, propice au renforcement des oligopoles* et à la hausse des cours, contribuerait à limiter leur usage ; que ceci faciliterait le nécessaire effort de mutation du secteur vers une industrie nucléaire renaissante, des énergies renouvelables enfin compétitives et pourquoi pas un charbon acceptable grâce à la séquestration des gaz de combustion (CCS) selon les pays. Caractéristique commune à tous ces scénarios, la hausse du prix de l’énergie associée à l’internalisation* des émissions de GES induisait également une profonde mutation de la demande, qui se traduisait par un doublement de l’efficacité avec laquelle nos économies recourent à l’énergie pour produire biens et services. Comme l’illustre la figure 1, la différence majeure entre un scénario dit tendanciel et un scénario respectant la contrainte climatique ne tient pas tant à la composition du « mix énergétique » qu’au volume global d’énergie mobilisé. Dit autrement, une demande restreinte permet de conserver un recours diversifié aux différentes sources, limite les contraintes (comme la compétition d’usage des sols entre renouvelables et agriculture) et rend aussi ces trajectoires plus résilientes aux mauvaises surprises sur le développement de l’une ou l’autre filière de production.
Constats actuels
4Si l’on confronte, près d’une décennie plus tard, les transformations observées à ces visions, le constat est contradictoire. Le développement des énergies renouvelables a connu un essor sans précédent, en Europe mais aussi en Chine qui se situe aujourd’hui au premier rang en termes de production d’équipements (éoliennes, photovoltaïque), mais aussi contrairement aux idées reçues en termes de parcs installés. Mais les contraintes d’espace contraignent aujourd’hui l’éolien à s’implanter offshore avec une inflation des coûts, tandis que la cohabitation d’une part croissante d’énergie intermittente avec les parcs de production et les réseaux de transport existants marque ses limites. La chute des prix du solaire est impressionnante, mais insuffisante encore pour permettre un développement massif en substitution aux énergies classiques pour alimenter nos réseaux sans surcoût inacceptable. La séquestration du carbone se révèle techniquement complexe, controversée et coûteuse. Et face aux contraintes de coût dans des systèmes libéralisés, les pays industrialisés peinent à renouveler les parcs nucléaires existants malgré leurs efforts (États-Unis, Angleterre), nucléaire qui demeure également une option marginale dans les économies en développement, et de nouveau fortement controversée après l’accident de Fukushima.
5Enfin et surtout, les progrès tardent à se concrétiser sur le front de l’efficacité énergétique malgré des avancées technologiques indéniables : une maison construite aujourd’hui requiert quatre fois moins d’énergie qu’un bâtiment similaire il y a trente ans (mais il faut un siècle pour renouveler le stock), le moteur d’une voiture de milieu de gamme trois fois moins (mais la voiture est plus lourde et roule plus souvent), un réfrigérateur, un téléviseur ou un ordinateur quatre à six fois moins (mais les panneaux publicitaires qui remplacent nos affiches consomment autant d’énergie qu’une famille entière). Loin d’internaliser les coûts environnementaux dans les prix de l’énergie, les gouvernements jugent encore plus facile de faire pression sur les tarifs plutôt que développer des programmes de maîtrise des consommations, renforçant « l’effet rebond* » et le sentiment que la recherche de plus d’efficacité est une chimère : pourtant si, il y a 15 ans, la consommation d’électricité moyenne d’un Allemand et d’un Français était comparable (hors chauffage), elle est restée constante en Allemagne et a augmenté de 30 % en France. Mais les politiques publiques qui permettent de mobiliser ces potentiels d’économie d’énergie chez les citoyens et les PME sont innovantes, complexes, exigeantes. Elles supposent une mutation profonde de l’action publique sur la question énergétique, le développement de filières professionnelles et de business models différents associant public et privé.
6Sur la scène internationale, l’esprit de Rio s’est enlisé et la négociation climatique peine à fournir aujourd’hui un référentiel crédible à l’action publique et privée. Combinée avec les avatars du climato-scepticisme et les crises économiques, cette situation relativise considérablement le poids accordé à l’environnement dans la décision. Malgré cela, certaines économies émergentes sont confrontées à une crise majeure des ressources et, Chine en tête, révisent en profondeur leurs modèles de croissance afin de poursuivre leur essor en consommant moins d’énergie, d’eau, de terres. Riches en capacités de recherche mais aussi de financement, elles engagent des programmes d’innovation massifs sur les technologies énergétiques et environnementales (Chine, Corée). Mais, simultanément, d’autres relancent leur croissance par l’exploitation massive de nouvelles ressources d’hydrocarbures non conventionnels* (États-Unis) et offshore (Brésil) et cet eldorado devient le nouvel attracteur des capacités financières, technologiques et politiques.
7Alors que les scientifiques confirment que l’utilisation de ces ressources additionnelles est aujourd’hui incompatible avec les niveaux d’émission de GES qui nous permettraient de limiter le risque climatique (figure 2), l’attrait du miracle économique à court terme interpelle milieux économiques et politiques. En Europe, le fragile consensus qui avait permis l’adoption d’un premier « paquet énergie/climat » ambitieux vole en éclat. Paradoxalement la conversion au gaz naturel des systèmes électriques encore très dépendants du charbon est un progrès environnemental à court terme mis en regard des risques attachés à l’exploitation de la ressource. Mais la perspective, discutable, d’un retour durable à la croissance alimentée par une énergie abondante et bon marché rend plus improbable et difficile la transition énergétique vers un monde sobre et décarbonné. Le scénario d’évolution tendancielle qui jouait un rôle repoussoir dans la réflexion il y a dix ans n’est plus aujourd’hui le moins probable : croissance forte de la demande, place centrale des hydrocarbures.
8Les dés ne sont pourtant pas encore joués. D’abord parce qu’on peut espérer que les scientifiques pourront se faire entendre sur la question des risques et les gouvernements retrouver le chemin d’une coopération constructive sur la transition énergétique. Mais un autre facteur pourrait contribuer à troubler le jeu. Parmi les ruptures technologiques espérées, plusieurs dans les domaines de la physique, de la chimie et des biotechnologies* concernent l’énergie et pourraient offrir enfin des perspectives de stockage efficaces de l’électricité et de la chaleur, obstacle majeur aujourd’hui à l’utilisation de sources renouvelables moins flexibles et prévisibles que les énergies de stock (cf. Ch.VI). Des opportunités économiques nouvelles peuvent alors apparaître autour de grappes technologiques* nouvelles, comme l’association bâtiment énergie positive/véhicule hybride. Comme pour les ordinateurs portables, ces synergies reposent sur une maximisation du service et une grande efficacité des usages (processeur, écran, batterie, gestion), non une minimisation du coût de l’énergie. Que l’efficacité, condition sine qua non de la transition énergétique, devienne alors un élément central de nouveaux business models peut profondément modifier sa prise en compte par les politiques publiques : il est plus facile de mettre une société en mouvement par l’ambition que par le renoncement.
Bibliographie
Références bibliographiques
• E. U. VON WEIZSÄCKER et al. – Facteur 5, Earthscan, 2010.
• A. LOVINS – Reinventing Fire : Bold Business Solutions for the New Energy Era, Rocky Mountain Institute, Chelsea Green, 2011.
• N. STERN – The Economics of Climate Change, American Economic Review : Papers & Proceedings, 2008.
• World Energy Outlook, International Energy Agency, Paris.
Auteur
Agronome et Économiste, CIRAD, Directeur Scientifique de l’IDDRI, Paris.
michel.colombier@iddri.org
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2012