5. Les défis de la gestion optimisée des smart-grids
p. 284-285
Texte intégral
1Les systèmes électriques sont en profonde mutation, sous l’effet de l’accroissement de la part des énergies renouvelables, de la libéralisation des marchés et de la pénétration des technologies de l’information et de la communication. Nous discutons en quoi ces éléments changent sensiblement la gestion des systèmes électriques et suscitent la recherche de méthodes d’optimisation adaptées.
Une mutation des systèmes électriques
2Le monde de la production, du transport et de la distribution d’énergie électrique est en pleine transformation. Trois facteurs y contribuent. (i) Le souci de protection de l’environnement se traduit par des objectifs contraignants, nationaux et européens. Il conduit à l’accroissement des énergies renouvelables dans le mix énergétique ; certaines, comme le solaire et l’éolien, sont particulièrement imprévisibles, variables et de plus, spatialement dispersées. Il pousse au développement des véhicules électriques, ce qui aura des incidences sur la charge électrique. (ii) La libéralisation des marchés et l’extension géographique des réseaux mènent à une multiplication et à une dispersion des acteurs (producteurs, opérateurs de transport et de distribution, fournisseurs, consommateurs), des flux (dans les deux sens), des moyens de stockage (batteries, stations de pompage). Cela induit des besoins de contrôle et de coordination pour assurer la qualité, la stabilité du système et son approvisionnement à moindre coût. (iii) Les évolutions dans le domaine de l’informatique et des télécommunications rendent possibles des innovations technologiques comme les réseaux intelligents (« smartgrids »). Les équipementiers électriques proposent des ensembles de capteurs (« smart-meters ») et de systèmes de contrôle-commande. On en attend une meilleure connaissance des besoins, mais surtout de nouveaux moyens d’action pour gérer les risques et pour effacer les pointes de consommation (très coûteuses économiquement, mais aussi sur le plan environnemental) en déplaçant la demande d’énergie.
Qui induit un changement de paradigme
3Ces changements modifient sensiblement la gestion optimisée des systèmes électriques. D’une gestion plutôt verticale centralisée avec des énergies majoritairement « de stock » (hydrocarbures, nucléaire, hydro-électricité), on passe à une gestion plus horizontale décentralisée avec la pénétration d’énergies « de flux » imprévisibles, variables et dispersées (solaire photovoltaïque, vent). Comme la fourniture d’énergie devient moins contrôlable, on cherche la flexibilité dans la demande. C’est là que les potentialités des smart-grids sont attendues. Et c’est un enjeu de taille pour l’optimisation.
Et mobilise des méthodes d’optimisation variées
4Comme le dit Marcel Boiteux (président d’honneur d’EDF), optimiser, c’est chercher le meilleur compromis entre des besoins et des ressources. Les concepts et les méthodes correspondantes forment un champ des mathématiques appliquées : l’optimisation. En quelques mots, pour ce qui nous préoccupe ici, les ressources sont les différentes sources d’énergie, les besoins sont les usages énergétiques, et le meilleur compromis s’obtient en minimisant les coûts, pris dans un sens socio-économique, en « internalisant les externalités* » (pollutions, impacts écologiques, risques). Quand les données du problème – par exemple, courbes de production et de charge – prennent des valeurs uniques connues du décideur, on parle d’optimisation déterministe*. En revanche, l’optimisation dite stochastique* (ou, plus largement, en présence d’incertitudes) traite des problèmes pour lesquels une partie des données – pluviométrie, températures, consommations – peut prendre plusieurs valeurs, non connues à l’avance du décideur. Ce que ce dernier connaît est une distribution de probabilité sur les variables aléatoires du problème (ou les ensembles dans lesquels varient les variables incertaines). Par exemple, ce peut être un ensemble de scénarios d’apports d’eau sur un barrage, avec une probabilité pour chaque scénario. La façon dont critères et contraintes sont agrégés par rapport aux incertitudes reflète la manière dont le risque est appréhendé : pire des cas (robuste), en moyenne, avec diverses mesures de risque, etc.
5L’enjeu de l’approche stochastique n’est pas seulement l’appréhension du risque. C’est aussi la question de la gestion de l’information en temps réel dans le cas dynamique : de quoi dépendent les décisions prises à chaque instant ? Or, à compter du moment où des éléments de stockage seront de plus en plus présents dans le réseau électrique*, leur gestion nécessitera de l’optimisation dite dynamique. En optimisation dynamique déterministe, les solutions sont des plannings, déterminant aujourd’hui la séquence des décisions à prendre quoi qu’il se passe dans le futur. Ce peut être un planning de démarrage et d’arrêt de centrales nucléaires, par exemple. En optimisation dynamique stochastique, une solution est une stratégie, c’est-à-dire une fonction dont les entrées sont l’information disponible au moment de la décision et dont la sortie est la décision à prendre. Par exemple, on décide de l’ampleur d’un lâcher de barrage selon la météo du jour et les consommations observées. La complexité mathématique change profondément, car le domaine des solutions s’est considérablement accru. L’accumulation des décisions et des incertitudes au cours du temps conduit à une explosion calculatoire (« malédiction de la dimension »), et l’enjeu est de pouvoir comprimer l’information disponible.
6Enfin, la gestion se voit compliquée par la multiplication de centres de décision dispersés géographiquement : producteurs locaux d’énergie éolienne ou solaire, agrégateurs de production. L’optimisation dite décentralisée examine les situations où des décideurs ne disposent pas de la même information ; ceci soulève de redoutables difficultés théoriques. De la théorie dite des équipes, où l’information est décentralisée mais où le critère reste partagé, on peut aussi être conduit vers la théorie des jeux quand chaque agent a son propre critère de décision.
Et suscite la recherche
7Cette progression dans les méthodes et les théories mathématiques illustre comment la mutation des systèmes électriques conduit à ce que des acteurs du domaine qualifient de « changement de paradigme ». Les défis de la gestion des smart-grids vont mobiliser et rapprocher différents champs de l’optimisation. Toutes les spécificités mathématiques des problèmes (linéarité, convexité, etc.) seront exploitées pour repousser la « malédiction de la dimension ». La recherche sera suscitée. Les méthodes d’optimisation dites de décomposition-coordination semblent particulièrement adaptées vues la taille des systèmes, leur dispersion spatiale, et les nombreux pas de temps et scénarios (séquences d’incertitudes). L’enjeu est de savoir comment décomposer en espace (unités de production ou de consommation), en temps, ou selon les scénarios, puis de développer des algorithmes de coordination et de résolution des sous-problèmes décomposés.
Bibliographie
Références bibliographiques
• M. DE LARA et L. DOYEN – Sustainable Management of Natural Ressources, Mathematical Models and Methods, Springer-Verlag, Berlin. 2008.
• L. ANDRIEU, M. DE LARA et B. SECK – Taking Risk into Account in Electricity Portfolio Management, in Steffen Rebennack, Handbook of Power Systems 1, Springer Verlag, 2009.
• P. CARPENTIER, J.-P. CHANCELIER, G. COHEN, M. DE LARA et P. GIRARDEAU – Dynamic Consistency for Stochastic Optimal Control Problems, in Annals of Operations Research, 2011.
Auteur
Mathématicien, Ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, CERMICS, École des Ponts ParisTech, Paris.
delara@cermics.enpc.fr
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2012