3. Gaz de schiste : impacts environnementaux
p. 246-248
Texte intégral
Des feux follets aux gaz de schistes
1Les gisements de gaz naturel à la surface de la Terre sont connus depuis l’Antiquité. Certains, célèbres, appartiennent au patrimoine et ont alimenté les légendes des feux follets. Ainsi, la fontaine ardente du Gua en Isère, l’une des sept merveilles du Dauphiné, était déjà décrite par saint Augustin au IVe siècle. Ces feux follets trouvèrent une explication scientifique lorsque le physicien italien Volta découvrit le méthane en 1776 et proposa que des phénomènes électriques naturels puissent déclencher sa combustion. Ce méthane, principal composant du gaz naturel, provient de la dégradation de matière organique, soit dans les sols (maturation biogénique) soit lors de l’enfouissement à plusieurs kilomètres de profondeur (maturation thermogénique).
2Jusqu’à récemment, le gaz naturel exploité était issu de trois sources : les réservoirs d’hydrocarbures conventionnels, la transformation pétrochimique d’hydrocarbures lourds et le biogaz. Depuis une dizaine d’années, avec la raréfaction des ressources fossiles, l’exploitation de réservoirs de gaz non-conventionnel s’est développée, principalement aux États-Unis. Ces réservoirs sont caractérisés par une très faible perméabilité* et le gaz, piégé dans une porosité* microscopique peu accessible, est appelé « gaz de schiste ». La fracturation hydraulique, principale technique actuellement utilisée pour exploiter cette ressource, consiste à forer dans les strates peu perméables. Cette technique est aussi utilisée pour exploiter des réservoirs conventionnels ou des champs géothermiques. La fracturation in situ, induite par des surpressions de fluide de forage, crée un réseau drainant de fissures et favorise ainsi l’accès du gaz naturel au puits principal où il est collecté puis transporté et exploité. Les techniques les plus récentes utilisent des forages horizontaux de quelques kilomètres de longueur, avec un puits principal vertical d’où rayonnent plusieurs forages horizontaux. Un seul puits en surface exploite ainsi plusieurs kilomètres carrés souterrains.
Connaître les impacts environnementaux
3La fracturation hydraulique entraîne des stress environnementaux de plusieurs types : chimiques, mécaniques et toxicologiques. La phase de forage utilise d’importants volumes d’eau, entre 3 000 à 30 000 m3 par puits, eau dans laquelle sont mélangés plusieurs adjuvants chimiques qui facilitent l’extraction du gaz. Cette eau de forage réagit avec la roche et lessive des métaux lourds, des sels et des composés organiques. Le fluide récupéré à la surface (environ 20 % de ce qui est injecté) possède donc une composition chimique différente du fluide d’injection. La fracturation hydraulique peut également générer d’autres impacts environnementaux via le déclenchement de sismicité, l’empiétement au sol parfois important surtout dans la phase de construction des puits et le risque de fuites de gaz vers les nappes souterraines et l’atmosphère et leurs conséquences sur la santé et la biodiversité.
4Le faible niveau de connaissances sur les impacts de l’exploitation des gaz de schistes est attesté par l’évolution du nombre de publications scientifiques sur ce thème. L’essentiel des connaissances est la propriété des grands groupes pétro-gaziers qui ne les diffusent pas, sous couvert du secret industriel. La recherche académique ne s’est penchée que récemment sur cette problématique. Ainsi le nombre de publications scientifiques sur les « gaz de schistes » recensées dans la base de données « Web of Science » montre que 3 articles par an en moyenne étaient publiés entre 1970 et 2006, ce nombre augmentant rapidement à 15 en 2007 et 90 en 2011 ; cela témoigne de l’intérêt croissant des scientifiques pour cette thématique.
5La crainte d’impacts environnementaux d’une part, et de nuisances envisagées pour les populations locales d’autre part, a provoqué en France une opposition à l’exploitation de cette ressource. Ainsi, la loi du 13 juillet 2011, votée à une très forte majorité par l’Assemblée nationale, s’appuie sur le principe de précaution pour interdire l’exploitation des gaz de schistes par la technique de la fracturation hydraulique. Cette loi a entraîné de fait l’impossibilité d’utiliser les permis d’exploration qui avaient été accordés sur le territoire métropolitain. Elle autorise cependant la fracturation hydraulique dans un cadre de recherche scientifique. Enfin, lors de la Conférence environnementale de septembre 2012, François Hollande a confirmé l’annulation de sept demandes d’exploration de ressources non-conventionnelles sur le territoire métropolitain.
6Les impacts environnementaux des gaz de schiste sont identifiés (figure) mais les effets à long terme restent à quantifier. Pour certains d’entre eux, le débat scientifique est lancé. Une étude sur le risque de pollution des aquifères* superficiels publiée par l’Académie des Sciences américaine montre que de nombreuses sources d’eau aux États-Unis sont contaminées par du méthane, principalement dans les régions d’exploitation des gaz de schiste. Les auteurs émettent l’hypothèse que la fracturation hydraulique puisse être à l’origine de ces fuites de gaz depuis la profondeur vers la surface. Cette interprétation a été réfutée sur l’argument qu’on ne retrouve pas de contamination de ces eaux par les fluides de forage, et qu’il est difficile d’expliquer la mécanique de propagation de microfissures sur plusieurs centaines de mètres, depuis la couche de gaz de schiste vers la surface. Cependant, le méthane pourrait remonter le long des puits verticaux et diffuser dans les aquifères superficiels et l’atmosphère depuis les infrastructures de forage. La controverse est donc vive et le besoin de nouvelles connaissances est nécessaire pour qu’un débat raisonné puisse continuer.
7La phase de fracturation hydraulique engendre des microfissures dans les couches géologiques exploitées. Cette microsismicité n’a pas d’impact démontré. En revanche, les variations de pression des fluides dans le sous-sol induites par l’exploitation du gisement peuvent déclencher des essaims de petits séismes dans des régions où les contraintes tectoniques sont élevées ou dans lesquelles une activité sismique préexistante est identifiée. Un cas de sismicité induite a par exemple été démontré dans la région de Bâle en 2006, où une fracturation hydraulique réalisée pour un forage géothermique profond a déclenché une crise sismique qui a duré plusieurs semaines. Le séisme le plus important a atteint une magnitude de 3,4 sur l’échelle de Richter. De nombreux dégâts à la surface ont entraîné l’arrêt du projet et le versement d’importantes indemnités par les assurances. D’autres cas de sismicité induite sont actuellement à l’étude, par exemple dans l’Arkansas, où des essaims de petits séismes mesurés en 2011 pourraient être reliés à la réinjection en profondeur des fluides issus de l’exploitation de gaz non conventionnels.
8Les eaux de forage et issues du réservoir sont en partie récupérées en surface. Leur concentration en sels dissous peut atteindre six fois celle de l’eau de mer. De nombreux éléments sont présents, tels que des gaz dissous (méthane, CO2, H2S, He) ou des métaux dont certains sont toxiques (barium, strontium, sélénium, mercure, plomb, arsenic, uranium, thorium, radium). Certaines molécules organiques, injectées comme adjuvants des eaux de forage, peuvent aussi réagir avec la roche en place et produire des molécules organiques secondaires dont la composition et l’éventuelle toxicité restent à déterminer. Le traitement de ces fluides en surface doit faire appel à des filières spécialisées afin que les effluents* industriels rejetés obéissent aux normes environnementales.
Contrôler et limiter les impacts environnementaux
9Dans une période de raréfaction des ressources fossiles, le choix, ou non, d’exploiter la ressource nonrenouvelable des gaz de schiste fait appel à des critères politiques, industriels, sociétaux et environnementaux. Mais avant toute exploitation opérationnelle de grande ampleur, il serait nécessaire de mettre en œuvre une série de mesures pour, sinon éviter ces impacts, du moins les contrôler :
- Évaluer le coût en eau et en énergie de l’exploitation des gaz de schistes et comparer les flux de gaz à effet de serre émis par rapport aux autres énergies fossiles.
- Publier la liste des produits injectés lors des fracturations hydrauliques.
- Mettre au point la filière de traitement des effluents avant le début d’exploitation, et publier la composition des fluides rejetés dans l’environnement.
- Limiter les dégradations du paysage (empiétement sur de nombreux sites et création des voies d’accès nécessaires, lagunes abandonnées, transport lors des phases d’exploitation).
- Quantifier l’impact de l’exploitation d’un grand nombre de sites de forage sur la biodiversité.
- Prendre en compte et mesurer la sismicité de la région exploitée.
- Assurer un suivi spécifique de la qualité des eaux de consommation et de l’air avant, pendant et après l’exploitation ainsi qu’un suivi de l’étanchéité des puits pendant et après la phase d’exploitation.
10Considérée par certains pays (États-Unis, Afrique du Sud) comme un nouvel eldorado, l’exploitation de gaz de schistes leur fournit une ressource fossile à un coût compétitif qui leur permet d’envisager la réindustrialisation de certaines régions et de développer leur économie. En revanche, le faible niveau des connaissances sur les impacts à moyen et long terme de cette exploitation, et les risques environnementaux et industriels associés, ont eu pour conséquence de ralentir, voire d’arrêter cette dynamique dans d’autres pays. Le besoin de nouvelles connaissances sur cette ressource et sur son exploitation se fait sentir. Par exemple, la construction d’un site pilote*, à vocation de recherche, et ouvert à la communauté académique permettrait de fédérer les disciplines nécessaires à une meilleure compréhension des processus souterrains et superficiels associés à la production de gaz non-conventionnels. Les résultats d’une telle démarche permettraient d’une part d’éclairer le débat public et d’assurer une transparence des informations et d’autre part d’apporter des arguments au législateur afin qu’il puisse décider en connaissance de cause et non pas sur la seule base du principe de précaution.
Bibliographie
Références bibliographiques
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L'énergie à découvert
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L'énergie à découvert
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