Précédent Suivant

8. Efficacité énergétique : les technologies de l’information

p. 233-235


Texte intégral

1Notre « société de l’information » est face à deux enjeux contradictoires. D’une part, nous sommes conscients que les sources d’énergie sont de plus en plus rares et qu’il faut réduire l’impact de la consommation énergétique de l’Homme sur l’environnement. D’autre part, les utilisateurs consommateurs sont toujours en quête de plus d’informations et souhaitent y accéder de façon ubiquitaire. Toujours plus d’objets nomades, tels que nos « smartphones » et tablettes, sont construits et utilisés. Si, en apparence, ils semblent consommer moins d’énergie que nos précédentes machines, leur grand nombre et les infrastructures nécessaires à leur fonctionnement résultent en une augmentation exponentielle dans la part de l’énergie consommée de façon globale sur notre planète.

Consommation électrique des puces électroniques

2Les puces électroniques se trouvant au cœur de nos objets de haute technologie sont constituées de composants semi-conducteurs (les transistors) et de composants conducteurs (les fils métalliques) qui servent à relier les premiers entre eux. La structure de ces transistors, leur agencement et leur interconnexion permettent de réaliser des fonctions électroniques complexes telles que des processeurs, des mémoires, ou encore des amplificateurs utilisés pour transmettre de l’information par radiofréquence ou par optique. Dans les technologies actuelles, le canal de conduction d’un transistor ne mesure que 28 nm (chaque transistor est 80 fois plus petit qu’une bactérie) et la plupart des fils ont une largeur de 50 nm. Cependant, un processeur tel que ceux équipant nos ordinateurs contient maintenant plusieurs milliards de transistors et plusieurs centaines de km de fils sur une surface ne dépassant pas les 4 cm2. Pour bien comprendre d’où vient la consommation électrique d’un objet électronique, il faut d’abord savoir qu’un transistor « fuit », c’est-à-dire qu’il laisse passer une faible quantité de courant même lorsqu’il ne fait rien ; on parle alors de « puissance consommée en statique ». Et par ailleurs, il consomme de l’énergie lorsqu’il assure le changement d’état logique de sa sortie (par ex. de 0 à 1), on parle ici de puissance dynamique. La puissance totale consommée par un circuit intégré électronique est donc la somme de ces deux composantes. Un processeur qui peut calculer des milliards d’opérations par seconde aura donc une consommation dynamique plus importante qu’une mémoire qui se contente de stocker de l’information, cette dernière ayant par contre une part de consommation statique bien plus importante.

3Une autre notion très importante pour appréhender la consommation des objets de notre société de l’information est l’efficacité énergétique que l’on peut définir comme la quantité d’informations pour chaque quantité d’énergie consommée (figure 1). On parle par exemple de Millions d’Opérations Par Seconde par watt (MOPS/W), ou encore de MOP/J.

Microprocesseur à très faible consommation

Microprocesseur pour « smartphones »

Microprocesseur à haute performance (centres de calcul)

Domaine ciblé

Réseaux de capteurs

Smartphones

Data center

Consommation (en watts)

1-5 MW

200 MW - 2 W

100-150 W

Fréquence d’horloge (en Hertz)

1-20 MHz

500 MHz-1 GHz

1-3 GHz

Prix

< 10 €

50 - 100 €

500 - 3 000,00 €

Puissance de calcul crête (en millions d’opérations par sec.)

10 MOPS

1 000 MOPS

10 – 50 000 MOPS

Efficacité énergétique typique

5 000 MOPS/W

500 MOPS/W

50 MOPS/W

Fig. 1 – Efficacité énergétique de trois types de processeurs

Des data-centers aux réseaux de capteurs

4Dans de nombreuses applications la consommation d’énergie des technologies de l’information est devenue une contrainte de premier plan et sa réduction un véritable challenge scientifique et technologique.

Image

Fig. 2 – Le Google data-center. Source : www.trendsnow.net/2012/10/inside-google-data-center.html

5Un centre de traitement des données (data-center en anglais) est un espace où des entreprises telles que Google, Amazon, Facebook ou encore Orange traitent des données issues d’utilisateurs connectés à Internet en leur offrant des services divers. Par exemple, une recherche de mots-clés sur Internet transite depuis votre ordinateur pour être traitée dans un des nombreux centres de calcul de Google (figure 2) avant que la réponse ne vous soit retournée. Ces centres sont principalement constitués de centaines de machines associées à un complexe système d’alimentation électrique et de climatisation. Ce type de centre a par exemple traité plus de 9 zettaoctets (1 zettaoctet = 1021 octets) d’informations en 2008, et ce chiffre double tous les deux ans. Chaque jour une entreprise comme Facebook traite environ 100 teraoctets de données issues de ses utilisateurs et plusieurs centaines de teraoctets d’images. De façon similaire, 48 heures de contenu vidéo sont chargées chaque minute sur les serveurs de YouTube. Tous ces traitements représentent plus de 3 TWh de consommation annuelle en France. Le coût énergétique annuel est plus cher que le coût des serveurs eux-mêmes et la facture énergétique de Google représente plus de 2 millions de dollars par mois. Réduire la consommation de ces centres est donc un enjeu majeur pour l’Internet du futur.

6Le cœur du réseau Internet a de nos jours une capacité d’environ 10 nJ/bit transmis. Ces chiffres correspondent au routage des données entre nos ordinateurs, télévision, etc., et entre les centres de traitement de données en utilisant principalement du transport de l’information sous forme optique et électronique. Il a été récemment montré que des réductions de plusieurs ordres de grandeur sont possibles en utilisant de nouvelles technologies optoélectroniques pour la transmission, telles que des schémas de modulation ou de codage de l’information plus efficaces inspirés de ce qui se fait dans le domaine de la radio. L’objectif pour 2020 est d’atteindre une énergie de 1 pJ/bit transmis.

7Dans un réseau cellulaire – l’infrastructure de télécommunications de nos téléphones mobiles – 60 à 80 % de l’énergie totale consommée est utilisée pour l’accès au canal radio. Transmettre une information élémentaire par radio consomme environ 100 000 fois plus d’énergie que cette même information transitant entre deux ordinateurs connectés au cœur du réseau Internet. Cette surconsommation est réduite d’un facteur 100 à 1 000 lorsque l’on considère un accès Internet depuis le domicile au travers d’une « box » ADSL, mais il reste encore de nombreuses possibilités de réduire l’énergie consommée pour la transmission de chacun de nos octets.

8Le domaine des réseaux de capteurs sans fil est sans doute un des domaines des technologies de l’information ayant le plus fort potentiel de croissance économique. Un « capteur » est un petit objet, puisant son énergie dans son environnement (lumière ambiante, chaleur, vibrations), et capable de capter et traiter diverses informations (allant de la simple température ambiante au taux de sucre de votre sang) puis de les transmettre sans fil à un autre capteur ou au réseau Internet. Ces objets (potentiellement des milliards), connectés entre eux sont un nouveau paradigme connu sous le terme « d’Internet des objets ». D’abord utilisés par les chercheurs pour surveiller l’environnement, ils trouvent aujourd’hui de nombreuses applications. Le « bâtiment intelligent » (cf. VII.6) en est un exemple où le déploiement d’un ensemble de capteurs permet de diminuer la consommation d’électricité par une meilleure gestion du chauffage ou de la climatisation et un éclairage adaptatif. Ou encore, dans un futur qui n’est pas si lointain que cela, un capteur miniature inséré sous la peau sera capable de mesurer le taux de sucre de personnes diabétiques en temps réel, de leur administrer l’insuline nécessaire à leur bien-être, et enfin de communiquer les données physiologiques en continu vers le médecin. Dans un autre domaine, une expérience récente a permis d’équiper un data-center de plus de 3 000 capteurs de température, d’humidité ou de pression et d’en optimiser l’énergie en gérant de façon intelligente la ventilation et l’air conditionné. Plus de 8 TWh ont ainsi été économisés en un an, représentant une économie de plus de 700 000 $.

Pistes d’amélioration

9Dans les technologies à semi-conducteurs actuelles, une opération élémentaire consomme une énergie de 0,5 pJ pour une addition et 2,5 pJ pour une multiplication. Un accès à la mémoire interne d’un circuit consommera environ 10 pJ, tandis qu’un accès à une mémoire externe en consommera jusqu’à 200 fois plus. Exécuter une opération de 2 pJ d’énergie à une fréquence* de 1 GHz représente une consommation moyenne de 2 MW, soit environ mille fois moins que l’énergie d’un processeur embarqué et plus de cent mille fois moins qu’un processeur de nos ordinateurs. Il existe donc une marge très importante de réduction de la consommation électrique de nos objets.

10L’observation de l’efficacité énergétique du cerveau humain est une preuve que construire des systèmes plus efficaces en énergie est possible. Notre cerveau consomme environ 20 W de puissance pour effectuer des raisonnements puissants, alors qu’une machine complexe demanderait jusqu’à 1 million de fois plus de puissance pour en simuler son fonctionnement. Cependant, l’inverse de cette constatation est également vrai. Un processeur d’une puissance de 20 W peut effectuer plusieurs dizaines de milliards d’opérations par seconde tandis que notre cerveau ne pourra en effectuer que quelques unes pour les plus doués d’entre nous. Ceci appelle à une donnée fondamentale de l’efficacité énergétique : plus une machine sera spécialisée pour la tâche qu’elle aura à faire, moins elle consommera de l’énergie. Par exemple, une puce spécialisée dans le traitement des données pour la transmission radio consommera jusqu’à un million de fois moins que si ce traitement est effectué dans un centre de données sur un processeur généraliste. C’est ce constat qui rend possible les traitements complexes (comme le décodage d’une séquence vidéo issue d’un réseau sans-fil) sur nos smartphones avec une autonomie et une mobilité suffisantes, et sans qu’ils se transforment en chauffage pour nos poches de pantalon. Cette spécialisation de la machine est aussi tout à fait applicable aux centres de calcul dont les tâches appartiennent finalement à une famille connue de traitements, tels qu’encoder une vidéo, crypter un flux d’informations ou filtrer des données issues d’un disque dur. Il est donc tout à fait possible d’envisager des augmentations de plusieurs ordres de grandeur de l’efficacité énergétique des centres de traitement des données.

11Du côté des petits objets communicants, une réduction ultime de l’énergie est indispensable si on veut imaginer des objets puisant leur énergie au sein même de leur environnement. L’énergie que l’on peut récupérer dans l’environnement est directement liée à la taille ou au volume de l’objet. Un cm2 de matériaux peut par exemple puiser autour de 100 μW à partir de la lumière ambiante ou 60 μW à partir de la chaleur humaine (ou plus exactement de la différence de température). La quantité de puissance tombe à quelques microwatts si on considère des vibrations sur une personne se déplaçant. Les objets autonomes en énergie représentent un domaine de recherche en pleine émergence, devant conjuguer des forces et des compétences telles que les nanotechnologies, le traitement de l’information et l’informatique. Ainsi, il reste du chemin à parcourir pour que nos compagnons numériques du futur puissent être à bilan nul de puissance (zero-power systems*).

Bibliographie

Références bibliographiques

• C. PIGUET – Du zéro à l’ordinateur : une brève histoire du calcul, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 2004.

• Centre de traitement de données, Wikipedia.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.