La culture matérielle du Néolithique ancien en Ligurie et ses rapports avec le Midi de la France
p. 475-478
Résumés
L’auteur a examiné les éléments de la culture matérielle du Néolithique ancien en Ligurie. Après les récentes fouilles à la grotte de la Pollera et à l’Arma di Nasino on peut déterminer deux phases culturelles, qui trouvent une correspondance dans le Néolithique ancien du midi français.
The elements forming the material culture of Ancient Neolithic in Liguria have been examined and though Pollera and Arma di Nasino exavations two cultural moments can be defined ; their features are closely related to the Ancient Neolithic of French Midi.
Texte intégral
1La définition du Néolithique ancien en Ligurie a été donnée avec beaucoup de précision et une grande richesse de détails dans le deuxième volume des Arene Candide par L. Bernabò Bréa (1956 p. 57 et sq.).
2On peut affirmer qu’il s’est développé dans une zone très limitée, qui fait actuellement partie de la province de Savona, et notamment dans la région karstique de Finale (Fig. 1). C’est ici en effet que s’ouvrent la plupart des grottes qui ont été habitées durant cette période ; elles représentent jusqu’à présent le seul type d’habitat connu pour le Néolithique ancien de Ligurie.
3La plupart d’entre elles sont situées près de la côte et dans l’arrière pays proche, seulement quelques unes se trouvent dans les vallées intérieures et éloignées de la mer.
4Les cavités faisaient probablement l’objet d’aménagements internes : foyers, mais aussi calages de poteaux liés par hypothèse à la construction d’abris.
5Les populations pratiquaient l’agriculture et l’élevage des ovinés, des bovins et du porc. Elles vivaient également de pêche, de cueillette et de chasse. Ces deux derniers moyens de subsistance acquièrent d’autant plus d’importance que l’on s’éloigne de la côte.
6L’outillage lithique est constitué de haches et percuteurs en roche verte, de meules et de molettes, d’outils en obsidienne provenant de Lipari, de Palmarola ou de Sardaigne, et d’outils en silex.
7L’industrie osseuse comporte des poinçons sur os longs et des spatules en bois de cervidés. Des hameçons ont été fabriqués sur os aussi bien que sur coquille.
8Les parures sont représentées par des coquilles perforées : Pectunculus, Spondylus, Cardium, Columbella et Cypraea. L’ocre jaune et l’hématite ont été employées pour la décoration complète des vases imprimés. L’ocre rouge a été également utilisée à d’autres fins puisqu’il semble que les restes de l’individu retrouvé par Tinè dans les niveaux à céramique imprimée des Arene Candide (Tinè, 1976, p. 153) en aient été couverts. Comme pour toutes les autres sépultures de cette période, le corps avait été déposé sur le côté en position fléchie, dans une simple fosse ovale.
9Ce sont les produits céramiques qui nous ont permis de proposer une subdivision du Néolithique ancien de la Ligurie en deux périodes. On a pu ainsi ajouter des précisions à la définition donnée à partir des Arène Candide, sans toutefois en modifier le fond.
10Aujourd’hui, après les dernières découvertes de la grotte de la Pollera (Odetti, sous presse) et de l’Arma di Nasino (Leale Anfossi, 1974), on peut affirmer que le Néolithique ancien ligure est moins uniforme qu’on ne le pensait.
11A la Pollera en effet, une étude statistique des éléments céramiques a permis de conclure que deux types d’occupation se sont succédées au cours du Néolithique ancien. Ces occupations présentent des différences stylistiques dans les décorations céramiques et dans l’industrie lithique. On a cherché à vérifier si ces différences se retrouvaient dans l’évolution culturelle des autres sites ligures du Néolithique ancien.
12C’est ainsi qu’une phase ancienne a pu être mise en évidence. Elle est caractérisée par l’association des décors suivants :
impressions de segments dentelés ;
impressions distinctes ;
impressions très rapprochées ;
impressions au Cardium ;
cordons imprimés.
13Les impressions de segments dentelés occupent toute la surface du vase, selon des motifs variés. Elles sont réalisées avec un instrument denté imprimé profondément et longuement.
14Les impressions espacées sont réalisées avec différents instruments ; elles sont disposées en files parallèles, tantôt horizontales, tantôt verticales, sans ordre apparent.
15Les impressions très rapprochées sont une variante des précédentes. Elles recouvrent parfois toute la surface du vase.
16Les impressions au Cardium sont les plus répandues et sont très variées. Elles se présentent parfois sous forme de lignes parallèles qui pourraient ressembler à un décor exécuté à la roulette. Cependant, les motifs les plus fréquents sont composés d’impressions distinctes, diversement rapprochées.
17Enfin, les cordons occupent au moins les deux tiers du vase. Ils sont disposés aussi bien verticalement qu’horizontalement en formant des carrés. Ils sont parfois horizontaux et parallèles, aboutissant alors à des anses à bossage. Ils présentent souvent de petites impressions au Cardium réalisées avec une pression variable.
18Les formes les plus communes sont la tasse à fond plat, te vase à goulot étroit et la jarre.
19L’industrie lithique présente des formes typiques comme les triangles et trapèzes à bords sinueux, et les trapèzes à bords rectilignes avec une retouche marginale (Fig. 2).
20Par ailleurs, il faut noter çà et là des petits vases à pipe, remplacés dans le Néolithique moyen par des cuillers en céramique.
21A la Pollera, cette phase ancienne est suivie par une deuxième phase dans laquelle quelques éléments disparaissent et d’autres se transforment.
22Parmi les produits céramiques, les plus nombreux sont les motifs de segments dentelés et ceux à impressions distinctes espacées qui accompagnent parfois les décors de cordons. Ces derniers sont pour la pluprt associés à des impressions verticales limitées vers le fond du vase par un seul cordon horizontal. Dans tous les cas les cordons n’occupent que le tiers supérieur du récipient.
23Dans l’industrie lithique les triangles à bords sinueux disparaissent alors que subsistent ceux à bords rectilignes.
24Pour quelques uns des éléments indiqués ci-dessous on peut trouver des relations avec le Néolithique méditerranéen français, comme l’avait déjà montré L. Bernabò-Bréa (1949). Ces relations valent aussi bien pour les Arene Candide que pour les autres sites ligures du Néolithique ancien.
25Ainsi, les motifs réalisés avec une coquille de Cardium, qu’il s’agisse d’impressions distinctes ou de décors plus complexes, sont présents dans la plupart des gisements contemporains de France méditerranéenne. Il suffit de se référer pour cela au gisement de Châteauneuf, le plus proche de nous, et qui présente le plus d’analogies : les motifs y sont organisés de la même façon ; par exemple le motif angulé (Fig. 2). A Châteauneuf (Escalon de Fonton, 1971, pl. 72-2) on trouve aussi quelques unes des formes évoquées ci-dessus.
26Quant aux autres types de décors, ils existent également dans les deux zones : segments dentelés à Peiro Signado (Roudil, 1980, fig. 27) et dans la couche 4 de la Grotte Gazel (Guilaine, 1970, fig. 6-5), petites virgules à l’Ile Corrège (Freises et Montjardin, 1975 p. 3) ; décor obtenu en piquant la surface avec deux doigts à Peiro Signado ou Gazel (op. cit.). Par ailleurs, les vases décorés de cordons renvoient étroitement à la France compte tenu de leurs caractéristiques si particulières qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Cette structure décorative -cordons orthogonaux ou parallèles occupant toute la surface du vase- trouve son pendant dans les couches F4 et F3 de Châteauneuf (Escalon de Fonton, 1976, fig. 29).
27Tous ces parallèles montreraient par conséquent que l’on peut situer les couches profondes de la Pollera et des Arene Candide dans une période contemporaine du Cardial moyen. L’examen de l’industrie lithique associée aux produits céramiques appelle les mêmes conclusions. En effet, les trapèzes à bords sinueux trouvent leurs équivalents dans la couche C4a de Montclus (Escalon de Fonton et Guilaine, 1979, p. 133 fig. 1-17). Il en va de même des triangles à bords sinueux qui semblent cependant perdurer jusqu’à la phase suivante (ibid. p. 137, fig. 3-6 et 11). Les triangles à bords rectilignes au contraire trouvent leurs pendants dans la couche F4 de Châteauneuf et dans la couche C4 d de Montclus (ibidem p. 137, fig. 3).
28Enfin, les datations radio-isotopiques indiquent une évolution en Ligurie synchrone de celle connue en France (5000-4500).
29Au cours de la phase plus récente de cette culture, les rapports entre la Ligurie et le Midi de la France semblent toujours constants.
30On trouve encore des céramiques décorées à la coquille avec des motifs identiques, parfois limités par de fines lignes gravées. Dans certains cas, le Cardium est employé pour limiter la décoration. Celle-ci n’occupe plus la totalité de la surface du vase comme à la Baume Fontbrégoua ou à la Grotte Lombard par exemple. D’autre part, le décor cardial est parfois accompagné latéralement par des sillons qui pourraient correspondre à la décoration de sillons connue dans le Cardial moyen et les couches superficielles de Châteauneuf. On peut enfin souligner l’emploi du Cardium pour la réalisation des motifs pivotants (en flammes) qui en Ligurie sont associés sur les mêmes vases à des cordons.
31Parmi les autres thèmes décoratifs on peut signaler les impressions punctiformes ou ovales (Fig. 2) qui se placent justement dans la couche F1 de Châteauneuf (Escalon de Fonton, 971, pl. 85-2), à la Grotte Lombard (Courtin, 1976), à l’Ile Corrège (Montjardin 1973, PI V. 6) et à Camprafaud (Rodriguez, 1970, fig. 3). Il semble en aller de même des impressions triangulaires en coin connues à la Grotte de l’Aigle (Roudil et Soulier, 1979, fig. 24).
32En ce qui concerne les cordons on note aussi des modifications substantielles comparables à celles qui se font jour sur la côte française. En effet, les cordons verticaux sont limités par des cordons horizontaux, ils sont parfois encore décorés d’impressions ou bien lisses et curvilignes aboutissant à des anses à bossage.
33L’industrie lithique présente des trapèzes à bords rectilignes très semblables à ceux que l’on retrouve dans la couche Fl de Châteauneuf (Escalon de Fonton et Guilaine, 1979 p. 132, fig. 1-2).
34On peut ainsi proposer que cette couche du Néolithique ancien de Ligurie soit contemporaine du Cardial final de France méditerranéenne, et située chronologiquement entre 4500 et 4200 B.C.
35La contemporanéité proposée entre les deux séquences ligure et française ne permet pas d’inférer de l’existence d’une unité culturelle, mais uniquement de celle de possibles liens entre ces deux zones dans le domaine de la culture matérielle.
36Alors que la présence de motifs exécutés au Cardium permettait déjà d’envisager de vagues parallèles entre les deux régions, celle des cordons permet maintenant de trouver des correspondances directes entre la Ligurie et les sites en grotte de la France méridionale.
37De plus, la présence de motifs décoratifs tels que les segments dentelés connus dans des zones limitées (villages de plein air du Sud de la France et de la Ligurie) pose maintenant le problème de l’origine d’un faciès particulier qui trouve un parallèle en Calabre (Ammermann, 1978) comme en Sicile Orientale (Bernaò-Bréa, 1961). Cet aspect ne pourra être précisé que lorsque nous disposerons de nouvelles données.
Bibliographie
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Auteur
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